Il est commun d’entendre et de lire que le repli économique des Etats durant les années 1930, qu’il prenne la forme du protectionnisme ou de l’autarcie (deux termes qui ne correspondent pas à la réalité des échanges en réalité quand on y regarder de plus près), a participé à la montée des tensions et finalement au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Inversement, des échanges importants et des investissements croisés réduiraient les risques de conflagration en raison des interdépendances ainsi créées. Drôle de raisonnement qui n’a rien à envier au matérialisme de Marx ! Par conséquent, on en déduit que le libre-échange est facteur de paix, à n’en pas douter, ainsi que l’écrivait déjà Adam Smith et Montesquieu avant lui au XVIIIe siècle dans un passage célèbre « le commerce guérit des préjugés destructeurs » (De l’Esprit des Lois, Livre XX).

Une simple observation suffit à atténuer les effets du libre-échange. Par exemple, les échanges commerciaux entre la France et l’Allemagne passent d’une valeur de 2,9 milliards de francs en 1936 à 4,9 milliards en 1938. Ce commerce n’est même pas freiné par l’Anschluss et la crise des Sudètes comme le démontre Sylvain Schirmann[1]. On se rappellera également qu’après la défaite de 1870 et en dépit de la dépression entre 1873 et 1896, les échanges entre la France et l’Allemagne ainsi que des investissements croisés, que cela concerne le Bagdadbahn ou la tenue des comptes de l’Etat ottoman par des banques privées françaises et allemandes, sont croissants et intenses Ces intérêts communs donnent lieu à des flux de capitaux importants et constants entre les deux pourtant présentés comme des « ennemis héréditaires ». Les ambitions impérialistes de Guillaume II s’accommodent donc sans problème de cette entente financière. Plus haut dans la chronologie, la période de libre-échange des années 1860 et 1870 voit a contrario triompher les nationalismes facteurs de conflits. Le problème est donc ailleurs : les responsables politiques, aussi libéraux soient-ils, ne croient plus à la paix. Ils n’y croient plus car les enjeux dépassent très largement les seuls intérêts économiques. Une guerre se déclenche quand une nation, portée par un sentiment d’injustice, soutient que le recours aux armes permettra une réparation. 

La guerre est aussi un moyen de s’accaparer des ressources, indispensables à la production et donc par la suite aux échanges. La prospérité des mercantilistes conditionnée par un jeu à somme nulle dénoncé par David Hume. Ce dernier estime qu'il y a plus à gagner à commercer avec d'autres États riches qu'avec des États pauvres. Dès lors, toute guerre entraverait la prospérité des deux partenaires. Or les taux de protection commerciale baissent entre 1900 et 1913 pour le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie. L’Allemagne, comme l’Italie ont alors grandement besoin de produits agricoles (dont la taxation  passe de 17,3 % à 10,3 % chez la première et de 34,7 à 20,8 % chez la seconde) et de fer, importés de France entre autres tandis que les Français lui achète des biens industriels (les tarifs sur les produits chimiques passent ainsi de 21 % à 11 %). La théorie des avantages comparatifs et l’eucharistique interdépendance des économies n’ont pas neutralisé les risques de guerre. La mécanique associant fin du libre-échange et « montée des périls » n’est donc pas analogue à la loi de l’apesanteur.

 

[1] SCHIRMANN, Sylvain. Le commerce entre la France et l’Allemagne : de la crise à la guerre In : L’économie, l’argent et les hommes : Les relations franco-allemandes de 1871 à nos jours [en ligne]. Paris : Institut de la gestion publique et du développement économique, 2009