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10 février 2011

macbeth: les personnages face au mal

Macbeth : les personnages face au mal

 

Si on laisse de côté le cas des « sœurs fatales », personnages surnaturels qui posent essentiellement la question de l’origine du mal, il apparaît clairement que Shakespeare a composé son drame autour du couple Macbeth, isolé du reste des personnages par le choix qu’il fait de solliciter les forces du mal, de pactiser avec elles, de se damner et par la déconstruction qui s’ensuit. Pourtant la pièce n’est pas manichéenne pour deux raisons : les protagonistes, plus complexes qu’il n’y paraît, voient leur conscience déchirée par le mal ; l’ambiguïté des figures censées leur opposer le Bien (Duncan, Macduff, Banquo) atteste de l’universalité d’un mal, auquel nu ne peut échapper.

 

Les 1ères figures du mal dans la pièce sont donc les sorcières, personnages qui ne relèvent pas seulement du folklore pour les contemporains de Shakespeare, qui croient à leur existence et pour qui elles constituent une réalité inquiétante, sinon irrécusable. En Angleterre, comme sur le continent, la chasse aux sorcières atteint son apogée entre 1560 et 1660. Les 1ères années du règne d’Elisabeth 1ère voient, après la promulgation du « statut  de la sorcellerie » (1541), le début des exécutions capitales et publiques des prétendues sorcières, accusées notamment de provoquer des naufrages, ce dont les scènes 1 et 3 de l’acte I de Macbeth se font l’écho. Un second « Statut » réitère en 1604 cette condamnation à mort et les traités de démonologie s’accumulent, dont celui écrit en 1597 par Jacques VI d’Ecosse, futur Jacques 1er d’Angleterre au moment de la composition de Macbeth, en 1607 et devant qui les « King’s Men » jouent la pièce. La terreur suscitée par la sorcellerie est donc une réalité chez les Calvinistes, les Presbytériens et les Puritains.

De cette réalité, le cadre dans lequel les sorcières de Macbeth opèrent participe : une lande de bruyère, déserte et désolée, loin de toute habitation humaine, perdue dans « la brume et la saleté de l’air ». On ne trouve ce lieu marginal, comme celles qui le hantent, que par un hasard trompeur (car on y est attendu), lorsqu’on s’est perdu : lorsqu’ils rencontrent les sorcières, Macbeth et Banquo semblent s’être égarés (« Quelle distance pour Forres ? », I, 3). Eclairs et coup de tonnerre évoquent l’état paroxystique où se déchaînent les forces du Mal.

Le cérémonial qui préside aux sortilèges des sorcières sort en effet tout droit des traités de démonologie, + précisément des descriptions de sabbat, ces festivités de pleine lune où les sorcières rencontrent, disait-on, le Diable : elles dansent et chantent une ronde infernale autour d’un chaudron bouillant, nécessaire à la préparation de leur charme (IV,1), épouvantable mixture qu’elles composent en accompagnant chacune de leurs incantations d’un geste qui souligne le caractère performatif de leur langage : dire et faire étant une seule et même chose, penser le Mal, l’énoncer ou le commettre ne diffèrent pas. Parmi les éléments hétérogènes et écoeurants qui composent leur mixture, beaucoup sont vénéneux, venimeux ou mortels (venin, langue fourchue, dard, « estomac et œsophage de glouton requin dans la mer salée », ciguë, branches d’if). Les autres viennent d’animaux supposés malfaisants, souvent nocturnes, parfois associés au Diable, rampants et grouillants (crapaud, couleuvre, salamandre, grenouille, chauve-souris, vipère, lézard, hibou, dragon, loup, bouc) : le serpent et le bouc sont regardés traditionnellement comme des émissaires de Satan. Enfin les éléments humains sont non-chrétiens (« nez de Turc et lèvre tartare », « foie de juif blasphémateur ») ou référant à l’enfant damné, puisque mort avant d’être baptisé (« doigt d’un bébé strangulé à sa naissance »). Les sorcières semblent ainsi composer un organisme à partir d’éléments anatomiques disparates : oeil, orteil, poils, dent, langue, patte, aile, écailles, estomac, lèvre, doigt, boyaux. Le monstre ainsi créé se dresse contre l’ordre naturel. « L’épaisse pâtée visqueuse » qui ressort de ce conglomérat de l’hétéroclite forme un magma où toute distinction s’abolit. Le Mal est ainsi suppression de la différence dans l’ordre naturel et cosmique, comme dans l’ordre politique et humain. La « confusion » engendrée par le régicide trouve son pendant dans la personne même des sorcières, indistinctes, quasi-incorporelles et qui s’évanouissent subitement, comme des « bulles d’air » : « what ar these/ So mither(d, and so wild in thier attire,/ That look not like th’inhabinatnts o’ th’eartg,/ And yet are on’t ? Live you ? or are you aught/ That man may question ? You seem to unnderstant me, / By each at once her choppy finger laying/ Upon her skinny lips : you should be women,/ And yet your beards forbid me to interpret that you are so » (I,3). Ces 3 questions marquent l’impossibilité où Banquo est de distinguer ce que sont les sorcières: le statut ontologique du mal est indéfinissable. La seule chose qu’il puisse affirmer est que ces femmes à barbe n’ont pas de sexe ; c.à.d. qu’il leur manque justement la distinction la + élémentaire qui soit pour un être humain. Le Mal est ainsi cet élément où il est impossible à l’homme de reconnaître quoi que ce soit et même de s’y reconnaître.

De fait, Shakespeare ne les qualifie pas de « sorcières », mais de « weird sisters », « sœurs folles », « sœurs étranges », « sœurs fatales ». Le leitmotiv du chiffre 3 – elles sont trois, prononcent +sieurs fois ce chiffre dans leurs incantations, dansent sur un rythme ternaire et délivrent 3 prophéties à chacune de leur rencontre avec Macbeth- fait songer aux 3 Moires, aux Parques de la mythologie antique, filles de Zeus et de Thémis (la Justice) ou, selon Hésiode, de la Nuit, et souvent représentées comme des vieilles femmes vêtues de noir : Lachésis, Clotho et Atropos, qui cardent, tissent et rompent le fil de la vie, dont elles sont l’allégorie. Holinshed, le chroniqueur dont Shakespeare s’inspire, dit d’elles qu’elles sont « les déesses de la destinée ou quelques nymphes ou fées dotées d’un savoir prophétique grâce à leur science nécromantique ».

 

Salviati, Les Fates (vers 1550)

Drudwcick,Les Moires, 1885

 

 

Enfin la scène du chaudron s’inspire d’un épisode célèbre de sorcellerie dans la Bible, celui du mauvais roi Saül, menacé par son gendre David et par l’armée des Philistins, qui va consulter la nécromancienne d’Endor (I Samuel, 28). Celle-ci fait apparaître le spectre du prophète Samuel prédisant la défaite, dans une atmosphère de mystère et d’épouvante qui a suscité à la Renaissance +sieurs mises en scène tragiques.

 

Livre de Samuel (1), chapitre 28 : Saül et la nécromancienne Endor

En ce temps-là, les Philistins rassemblèrent leurs troupes en une seule armée pour aller combattre contre Israël. Et Achis dit à David: «Sache que tu viendras avec moi au camp, toi et tes hommes.»

2

David répondit à Achis: «Aussi tu verras ce que fera ton serviteur.» Et Achis dit à David: «Et moi je t'établirai pour toujours gardien de ma personne.»

3

Samuel était mort; tout Israël l'avait pleuré, et on l'avait enterré à Rama, dans sa ville. Et Saül avait fait disparaître du pays ceux qui évoquaient les morts et les devins.

4

Les Philistins s'étant rassemblés, vinrent camper à Sunam; Saül rassembla tout Israël, et ils campèrent à Gelboé.

5

A la vue du camp des Philistins, Saül eut peur, et son coeur fut fort agité.

6

Saül consulta Yahweh, et Yahweh ne lui répondit point, ni par les songes, ni par l'Urim, ni par les prophètes.

7

Alors Saül dit à ses serviteurs: «Cherchez-moi une femme qui évoque les morts, et j'irai vers elle et je la consulterai.» Ses serviteurs lui dirent: «Il y a à Endor une femme qui évoque les morts.»

8

Saül se déguisa et mit d'autres vêtements, et il partit, accompagné de deux hommes. Ils arrivèrent de nuit chez la femme, et Saül lui dit: «Prédis-moi l'avenir en évoquant un mort, et fais-moi monter celui que je te dirai.»

9

La femme lui répondit: «Voici que tu sais ce qu'a fait Saül, comment il a retranché du pays ceux qui évoquent les morts et les devins; pourquoi me tends-tu un piège, pour me faire mourir?

10

Saül lui jura par Yahweh en disant: «Aussi vrai que Yahweh est vivant! Il ne t'arrivera aucun mal à cause de cela.»

11

Et la femme dit: «Qui te ferai-je monter?» Il répondit: «Fais-moi monter Samuel.»

12

A la vue de Samuel, la femme poussa un grand cri; et la femme dit à Saül: «Pourquoi m'as-tu trompée? Tu es Saül!»

13

Le roi lui dit: «Ne crains pas; mais qu'as-tu vu?» La femme dit à Saül: «Je vois un dieu qui monte de la terre.»

14

Il lui dit: «Quelle figure a-t-il?» Et elle répondit: «C'est un vieillard qui monte, et il est enveloppé d'un manteau.» Saül comprit que c'était Samuel, et il se jeta le visage contre terre et se prosterna.

15

Samuel dit à Saül: «Pourquoi m'as-tu troublé, en me faisant monter?» Saül répondit: «Je suis dans une grande détresse: les Philistins me font la guerre, et Dieu s'est retiré de moi; il ne m'a répondu ni par les prophètes ni par les songes. Je t'ai évoqué pour que tu me fasses connaître ce que j'ai à faire.»

16

Samuel dit: «Pourquoi me consultes-tu, puisque Yahweh s'est retiré de toi et qu'il est devenu ton adversaire?

17

Yahweh a agi comme il l'avait annoncé par mon intermédiaire: Yahweh a arraché la royauté de ta main, et l'a donnée à ton compagnon, à David.

18

Parce que tu n'as pas obéi à la voix de Yahweh, et que tu n'as pas traité Amalec selon l'ardeur de sa colère, c'est pour cela que Yahweh a ainsi agi envers toi en ce jour.

19

Et même Yahweh livrera Israël avec toi aux mains des Philistins. Demain, toi et tes fils, vous serez avec moi, et Yahweh livrera le camp d'Israël entre les mains des Philistins.»

20

Aussitôt Saül tomba par terre de toute sa hauteur, car les paroles de Samuel l'avaient rempli d'effroi; de plus, les forces lui manquaient, car il n'avait pris aucune nourriture de tout le jour et de toute la nuit.

21

La femme vint vers Saül et, voyant son grand trouble, elle lui dit: «Ta servante a obéi à ta voix; j'ai exposé ma vie, en obéissant aux paroles que tu m'as dites.

22

Ecoute maintenant, toi aussi, la voix de ta servante, et que je t'offre un morceau de pain; manges-en, pour avoir de la force lorsque tu poursuivras ta route.

23

Mais il refusa et dit: «Je ne mangerai point.» Ses serviteurs, ainsi que la femme, le pressèrent, et il se rendit à leurs instances. Il se leva de terre et s'assit sur le divan.

24

La femme avait chez elle un veau gras, elle se hâta de le tuer et, prenant de la farine, elle la pétrit et en cuisit des pains sans levain.

25

Elle les mit devant Saül et devant ses serviteurs, et ils mangèrent. Puis s'étant levés, ils partirent la nuit même.

 

 

Ainsi le destin de Macbeth se dévide-t-il hors de lui et de sa volonté propre : les sorcières et Hécate en décident, les unes parce qu’elles l’attendent, le tentent, et prophétisent, l’autre parce qu’elle les tance pour qu’elles le perdent, attisant ou endormant sa méfiance pour mieux retourner contre lui son désir d’invincibilité illusoire, son angoisse de s’être damné en vain, son fantasme de dépossession stérile, dans l’impossibilité de faire souche. Car Macbeth attribue aux sorcières une perspicacité qui devance le cours du temps.

De fait, elles prédisent à Banquo une postérité royale, bien que lui-même ne soit pas destiné à être roi (I, 3): « moins grand que Macbeth et + grand ; pas si heureux, mais + heureux ». Mais la parole de ces «incomplètes discoureuses » est à double sens : « deux vérités sont dites » en une seule fois. Comme Macbeth demande si le démon peut « dire vrai », Banquo prévient que les « puissances obscures nous disent le vrai » pour mieux nous perdre. Macbeth en fait l’amère expérience quand, réalisant qu’il a pris pour un gage d’invincibilité l’annonce des signes de sa propre perte, il invoque l’ « équivoque » diabolique du « Double joueur » : « I begin to doubt th’equivocation of the fiend/ That lies like truth » ; les sorcières l’ont « enroulé dans le double sens » de l’ « equivocator », terme que PJ Jouve traduit par « Double-Joueur » et qui renvoie au Malin. Aussi les sorcières se jouent-elles de la faiblesse de Macbeth, à qui elles ne révèlent que ce qu’elles veulent bien révéler. + Macbeth veut leur soutirer une vision de l’avenir, + ces « créatures secrètes, noires », « ces femmes de minuit » deviennent énigmatiques. Elles refusent carrément de répondre à la question qui le taraude : « les enfants de Banquo règneront-ils sur le royaume » ? / « Ne cherche pas à le savoir » (p.203). Indifférentes aux ordres express comme aux malédictions de Macbeth, elles lui interdisent de parler aux apparitions et commentent ironiquement la prostration qu’elles ont provoquée en convoquant les dernières apparitions. Elles se font ainsi les instruments de la perte de Macbeth, voulue par Hécate : « Montrez-vous à ses yeux, troublez son cœur,/ Venez comme ombre, et ainsi repartez » (v.1665-1666, p.106).

Cette perte prend elle-même la forme d’apparitions, qui monopolisent la parole (les sorcières intiment l’ordre à Macbeth d’entendre, mais de se taire et conduisent Macbeth, venu assurer sa sécurité, à persévérer dans le crime : « sois sanguinaire hardi : et ris jusqu’au mépris/ De la force de l’homme : aucun né d’une femme/ Ne pourra atteindre Macbeth » (v.1626-1628, p.105) ; « sois substance-de-lion, fier, ne te soucie pas/ De qui s’agite et s’insurge, où sont les conspirateurs/ Macbeth ne sera pas vaincu jusqu’à tant que/ La grande forêt de Birnam vers le sommet de Dunsinane/ Ne s’avance contre lui » (v.1641 sq, p.105). En effet, les 1ères apparitions ont une vertu soporifique maligne, car elles apportent une fausse assurance, un sentiment trompeur de sécurité : qui pourrait craindre, en ce bas monde, qu’un homme ne soit pas né d’une femme ou qu’une forêt se mette en marche contre qui que ce soit ? Qui peut « ordonner à un arbre d’arracher ses racines nouées à la terre ? ». Or ce discours est une apocalypse, - du verbe grec « apokalyuptein », révéler, tirer au clair, manifester à la lumière-, noire : loin de mettre en garde Macbeth contre les dangers qui le guettent, il l’y précipite en l’induisant en tentation ; à travers l’acte libre de Macbeth, les sorcières sont cause originelle de la série de ses actions, car elles fouettent son ambition, stimulent sa démesure. Puis la vision des 8 rois et le spectre de Banquo, tendant à Macbeth le miroir de son vain meurtre, de son sceptre stérile, achèvent d’égarer la raison du héros : nihiliste, il renonce à penser pour agir à la moindre (im)pulsion et s’en remet aux puissances occultes et inquiétantes, qui sont l’antithèse de la Providence à laquelle il a tourné le dos : « Dorénavant/ Les 1ers fruits de mon cœur, ce seront/1ers fruits de ma main. Et à l’instant/ Couronnant pensée en action,/ Que soit pensé et soit fait […]/ J’agirai avant que soit froid le projet » (v.1708 sq, p.108).

Cependant, Hécate et les sorcières, dont l’existence reste douteuse, ne sont peut-être que le précipité du « désir ventriloque » de Macbeth. Jamais elles ne parlent de meurtre à Macbeth, à l’esprit de qui l’idée du meurtre se manifeste pourtant consécutivement au 3ème salut, à l’acte I, scène 3 : Banquo note le trouble hyperbolique de Macbeth, en proie à une frayeur inexplicable  –«  mon bon seigneur, pourquoi tressaillir, sembler craindre ce qui rend un son si flatteur » ; Macbeth lui-même reconnaît que la tentation de satisfaire son ambition par le régicide s’est déjà présentée à lui, dans les 1er a parte où il s’absorbe dans ses pensées – « he seems rapt withal »- et confesse un trouble où la peur se mêle à l’horreur , « ma pensée, où le meurtre, encore, n’est qu’un rêve,/ Secoue ma frêle humanité de telle sorte/ Que mes fonctions sont étouffées dans le peut-être/ Et que seul est ce qui n’est pas » ; enfin la lecture que Lady Macbeth fait de la lettre qu’il lui envoie, à l’acte I, scène 5, et le débat qui s’engage ensuite entre les époux, à l’acte I, scène 7 laissent entendre que l’hypothèse du meurtre est antérieure à la rencontre de Macbeth et des sorcières, dont les paroles ont résonné en lui parce qu’elles consonaient avec un discours qui cheminait en lui. « This supernatural soliciting », terme qui désigne à la fois le trouble inquiet, la demande expresse et la sollicitation de faveurs sexuelles, souligne que c’est le désir de Macbeth, qui est interpellé par les sorcières : s’il est absorbé en lui-même (« rapt »), c’est parce qu’il est happé par des phantasmes effrayants (« horrible imaginings »), que la prédiction royale ne saurait seule expliquer. « Why do I yield to that suggestion/ Whose horrid image doth unfix my hair » (v.251 sq, p.49) : si suggestion il y a, elle ne peut être que de l’ordre de l’auto-suggestion : où trouverait-il ailleurs qu’en lui-même ces phantasmes, ces visions d’horreur que les sorcières exhument parce qu’elles ont touché juste ? Le destin que les sorcières prophétisent s’écrit au cœur du sujet, dont l’interpellation des sorcières fait émerger à la conscience le désir qui s’y tapissait : « Cachez vos feux, étoiles ! / Que la lumière ignore mes noirs vœux profonds:/ Devant ma main, que l’œil se ferme, et toutefois, / Ce que l’œil redoute de voir, que cela soit ! » (I, 4) : du même souffle, Macbeth assume son désir (des désirs liés à l’obscurité et à la profondeur, dans cet abîme où le sexuel, le crime, la mort et la transgression se rejoignent) et il aspire à un acte dont l’auteur est soigneusement laissé dans l’incertitude, mais dont la nécessité ne fait pas de doute ; si cela doit être fait un jour (« when it is done »), il faut bien que quelqu’un s’en charge. La fatalité ne serait donc que le déguisement d’un désir qui ne peut + attendre, comme le souligne le motif de l’urgence, dans le discours de Lady Macbeth. « La rencontre de Macbeth et des Weird sisters [serait] donc moins celle d’un homme et de son destin que celle d’un désir tacite et de son objectivation dans la bouche d’autrui », conclut François Lecercle qui rapproche cette congruence du Schicksalzwang freudien, Schicksalzwang que Freud qualifie de «démoniaque » en ce qu’il confronte le sujet à une réalité qui émane en réalité de son inconscient[1]. Ainsi s’expliquerait l’étrange état de transe qui l’arrache à ce qui se passe autour de lui et aux sollicitations de son entourage : cet état d’absorption serait le signe que la voix des sorcières l’a renvoyé à lui-même.

L’affinité entre Macbeth et les sorcières, affinité sensible dans l’écho du 1er vers du héros à l’oxymore par quoi les sorcières ont donné le ton de l’esthétique du mal dans la pièce – fair is foul and fou lis fair – trouverait ainsi sa justification : les sorcières perdent le marin dont la femme a refusé de leur donner des châtaignes et créent, selon une recette et des lois particulières, un monstre, une totalité qui ne s’intègre pas dans le cosmos ; Macbeth, qui fonde une tyrannie sur les débris d’un organisme socio-naturel décapité, fait assassiner la femme de Macduff, parce qu’il a décliné l’invitation au banquet de consécration. « Pour éviter le repas cannibale du chaos, il faut que l’ordre nouveau soit fondé sur une violence où un autre repas se pare des signes de la légitimité et de l’assentiment général, où la victime expiatoire entraîne avec elle tout ce en quoi la société risque de s’engouffrer », note Richard Marienstras dans Le Proche et le lointain

 

A la fois étrange et étrangère à toute notion d’humanité, Lady Macbeth est un personnage au seuil de l’inhumain, intermédiaire entre notre monde et celui des sorcières, avec lesquelles elle n’entre jamais en contact direct, mais avec qui elle semble en communion quand elle invoque les « esprits de la nuit », les « substances invisibles », et néanmoins humaine,  car faillible, et finalement + complexe qu’une 1ère lecture des 3 premiers actes pourrait le laisser penser.

En effet, dans les 3ers actes, qu’elle domine de sa présence maléfique, elle apparaît d’abord comme une tentatrice diabolique. « Viens ici, que je puisse verser mes esprits/ Dans ton oreille, et par la force de ma langue/ Chasser ce qui t’empêche de ce cercle d’or/ Par quoi le sort et le secours naturel/ Semblent te couronner » (I, 5, v. 379 sq, p.54) : cette 2ème Eve verse ses « esprits » comme un poison dans l’oreille de Macbeth, nouvel Adam pour qui elle est, comme dans la Genèse, l’occasion de la chute.

L’origine du mal serait donc la femme et, + encore, le principe féminin : la souillure. En effet, tous les personnages qui agissent vertueusement malgré les dangers sont protégés de la souillure féminine : Macduff « n’est pas né d’une femme », càd que, né par césarienne, il n’est pas passé par les organes génitaux et figure ainsi une sorte de conception la + pure possible, presque exempte du péché originel de la naissance. C’est lui qui abat le tyran et offre sa tête au roi légitime : il apporte ainsi une purification et rétablit ainsi l’ordre politique comme naturel. De même, le jeune Malcolm, pour attester de sa vertu, témoigne de sa virginité : »Encore je suis/ Ignorant de la femme » (IV, 3, p. 118). C’est la femme qui corromprait l’homme, au point que l’annonciation de la lignée des Stuart est un enfant, celui qui est le + proche de l’innocence sexuelle. Les images emphatiques de l’horreur, du Mal, sont celles où le féminin se pervertit : au lieu de donner la vie, il souhaite apporter la mort : lady Macbeth dit qu’elle n’aurait pas hésité à « éclater le cerveau » de son nourrisson si elle s’était, comme son mari parjuré en renonçant à l’exercice de sa volonté de puissance. En cela, Lady Macbeth est proche des sorcières, vieilles femmes laides saturant l’air de la « saleté » et que Macbeth finit par traiter de « salopes ». Les femmes sont le principe du désordre, qui incite les hommes, acceptant naturellement l’ordre féodal, à briser la hiérarchie des liens féodaux, l’amitié : lady Macbeth pousse son mari, hésitant, à tuer celui qui disait avoir « planté » et vouloir « donné croissance » à Macbeth ; les sorcières brisent le lien unissant les frères d’arme ; lady Macduff traite son mari de traître.

Or la clé du personnage réside sans doute dans le refus de sa condition de femme. Tout en elle se rebelle contre ce sort, ce statut que la nature lui a imposé : « Ah venez, vous esprits, / Qui veillez aux pensées mortelles, faites-moi/ Sans sexe, et du front à l’orteil comblez-moi/ De la pire cruauté ! faites-moi mon sang épais,/ A la pitié interdisez le passage » (I, 5) Il s’agit bien ici de répudier la vertu, supposée féminine, qu’est la pitié, pour une autre, réputée masculine : la cruauté. Lady Macbeth voudrait n’être pas femme. Freud voit dans la stérilité du couple Macbeth la raison de ce refus (IV, 3). Quand Lady Macbeth évoque l’allaitement, c’est pour transmuer le lait en « fiel » (I,5, v. 402-403, p.54) ou rêver l’infanticide. Le ressentiment face à cette maternité avortée expliquerait la récurrence du fantasme de la stérilité dans la pièce : Lady Macbeth refuse d’être femme parce qu’elle n’a pas pu l’être complètement. Elle met en cause la virilité de son mari à l’acte I, scène 7 et à l’acte III, scène 4 et voit dans l’imagination de Macbeth, opposée à l’action guidée par la froide raison, une marque de féminité qu’elle rejette comme une marque d’incomplétude, un manque, un vide « pensée de fou, que dire : vue horrible » (II, 2,, v 680, p.65 ; « votre invention ! le tableau peint de votre peur/ C’est le poignard sorti de l’air qui, disiez-vous,/ Vous conduisait vers Duncan. Oh ! ces bouffées et sursauts,/ Ces impostures de vraie peur/ Iraient bien dans un conte d’après les grand-mères/ Au coin du feu l’hiver. Honte, honte ! Pourquoi/ Faites-vous une telle grimace ? car après tout/ Vous ne regardez qu’une chaise » (III, 4, v.1343 sq, p.92). Elle aspire donc à devenir un homme, en montrant des qualités qu’elle suppose viriles et que Macbeth lui reconnaît : « n’engendre que des enfants hommes !/ Car ton esprit indompté ne doit composer jamais/ Rien que des mâles » (I, 7, 559-561, p.60). C’est un esprit d’homme dans un corps de femme. Elle est ainsi représentative de la confusion des valeurs qui caractérise le Mal : se voulant homme, elle transgresse l’ordre naturel. Elle se voudrait maîtresse d’un chaos qui la broie.

Or on remarquera que, de manière à la fois réaliste[2] et symbolique, c’est elle qui assume, à la fin de la pièce, le motif de la tache : derrière le remords persistant, on retrouve la souillure féminine, ineffaçable, comme le sang sur les mains, et qui renvoie au sang menstruel, donc à la faute originelle, la religion voyant dans ce sang menstruel, lié à l’enfantement, le signe du péché originel, sanctionné par l’enfantement dans la douleur dans le récit de la Genèse. D’une grande puissance évocatoire, cette scène peut faire penser à la tache de sang indélébile sur la clé du conte de Barbe bleue.

ó A l’origine du crime, la femme, incarnation de la souillure originelle, est le personnage le + noir du diptyque Macbeth/ Lady Macbeth

 

Gustave Doré, illustration pour Barbe Bleue

 

 

Lady Macbeth incarne aussi les illusions de la volonté de puissance.

Dévorée d’ambition et dépourvue de scrupules, elle conçoit en effet l’amour conjugal comme un pacte[3] et entend saisir le « kairos » pour forcer le destin : « Glamis tu es, et Cawdor. Tu seras/ Tout ce qui t’est promis » (I, 5, v.365-366, p.53) ; « M- Duncan vient ici cette nuit./ LM Et quand part-il ? / M Demain, selon son dessein ;/ LM Oh, jamais/ Le soleil ne verra ce demain » (p.55).

Aussi a-t-elle, sur le plan strictement dramatique, une fonction décisive :

c’est elle, et elle seule, qui incite Macbeth, velléitaire et hésitant, à assassiner Duncan en se livrant à un chantage érotique, puis en l’accusant perversement d’aliéner sa liberté, de manquer de virilité, de se parjurer s’il ne réalise pas sa volonté de puissance en mettant sa volonté en accord avec ses désirs : « As-tu la peur/ D’être en ton acte véritable et ton courage/Le même que tu es en désir ? Tu voudrais/ Avoir ce que tu crois ornement de la vie/ Et comme un couard vivre devant ta conscience/ Laissant « je n’ose pas » veiller sur « je voudrais »/ Comme le pauvre chat du proverbe ? » (I, 7, v. 515-525, p.59). Elle utilise donc l’art de la persuasion (chantage affectif, blessure d’orgueil et de virilité) pour corrompre, dénaturer. Elle incarne la volonté mauvaise.

C’est elle encore qui prépare et organise matériellement le meurtre, qu’elle envisage même de perpétrer elle-même, craignant la faiblesse de son mari : « arrive donc, épaisse nuit, / Enveloppe-toi des fumées les + sinistres de l’enfer,/ Que mon couteau ne voie pas la blessure/ Qu’il fait, et que le ciel sous le couvert du noir/ Ne vienne pas épier pour me crier « arrête ! » » (I, 5) ;. Après avoir anesthésié les deux chambellans, elle est donc entrée dans la chambre du roi endormi, elle l’a contemplé, armée sans doute et prête à agir, et elle y a renoncé, contrainte d’agir par époux interposé, avant de parachever le meurtre en rapportant les poignards auprès des chambellans endormis et de les barbouiller, de ses propres mains, du sang de Duncan. En somme, Macbeth n’est que l’exécutant d’un régicide qu’il a souhaité sans le vouloir, qu’il a repoussé comme une idée folle, mais auquel sa femme l’a conduit en prévoyant jusqu’à l’alibi pour se couvrir de toute accusation pour un crime perpétré sous son toit hospitalier.

C’est que Lady Macbeth, qui domine son mari, le connaît, quand Macbeth lui accorde, dans sa lettre, le titre de « dearest love », de «dearest partner of greatness » (« très chère compagne de grandeur »), l’écoute, lui obéit, mais ne la connaît pas. A l’instar de Thérèse dans les Âmes fortes, Lady Macbeth a, depuis longtemps, analysé son époux, dont le monologue suivant la lecture de la lettre prouve qu’elle connaît les faiblesses : un caractère ondoyant et velléitaire; une personnalité empreinte d’insolubles contradictions ; un cerveau sujet à des crises d’hallucination. On comprend qu’en fonction de ce constat, elle prenne en main les destinées du couple et, à l’acte III, du royaume : elle sauve la face lors du banquet où Macbeth, affolé, voit le fantôme de Banquo (III,4, v. 1334 sq, p.93, v. 1374 sq) ; elle affirme la nécessité de la dissimulation et de la cruauté pour parvenir à ses fins. Dans ces 3 premiers actes, rien, ou presque rien, ne dément cette volonté de puissance absolue.

Pourtant elle n’est pas sans faille : elle recule devant le parricide (« s’il n’avait ressemblé à mon père quand il dormait, je l’aurais fait » (II, 2 : elle participe du climat de peur qui entoure l’assassinat[4] ; elle s’évanouit à l’annonce du spectacle horrible que décrit Macduff (II, 3, p. 74).

De façon significative, elle perd la main sitôt le régicide accompli. Elle souhaite la mort de Banquo (« l’ouvrage de nature, en eux, n’est éternel », III, 2, v.1214, p.87). Mais elle ne participe en rien à son assassinat, que Macbeth organise en soulignant qu’il horrifierait sa féminité : « Sois innocente de savoir, chère poulette,/ Jusqu’au point d’applaudir » ( ibidem, v. 1224-1225).

Après la scène du banquet, nous ne revoyons + Lady Macbeth que sous les traits d’une pauvre femme brisée, somnambule, en proie à l’image obsessionnelle d’une tache de sang indélébile qui souille ses mains. Elle est exactement dans l’état qu’elle reprochait naguère à Macbeth à l’acte II, scène 2. Lady Macbeth symbolise ainsi les illusions de la volonté. Le mal corrompt sa volonté et révèle sa faiblesse, d’autant + pitoyable que son discours fut volontariste et sans scrupules. Celle qui avait fait de la sauvegarde des apparences son mot d’ordre se donne à lire comme un livre ouvert, à son insu.

 

ó

Füssli, Lady Macbeth

 

Complice de la Nuit, qu’elle appelait de ses vœux et dont elle souhaitait la confusion, elle découvre que « l’enfer est tout noir » pour quelqu’un qui n’en avait jamais identifié la nature. La nuit est venue et la conscience de lady Macebth s’y engloutit dans la folie, le cauchemar permanent, l’indistinct. Elle ploie sous le fardeau des ténèbres qu’elle a elle-même voulues et invoquées. Sœur des sorcières, sorcière à sa façon, elle finit par retrouver sa fragile nature humaine et l’abandonner aussitôt. Elle ne prend conscience de ce qu’elle a fait, de ce qu’elle est vraiment, que pour perdre sur le champ cette conscience. Agent majeur du mal, elle finit par en être la victime.

Sa descente aux enfers  prend les apparences de la folie. C’est d’ailleurs un docteur en médecine qui enregistre les symptômes d’un mal, qui n’est pas se son ressort. Le mal, qui a pris l’apparence de la maladie somnambulique, est métaphysique. Ce que la nuit avait d’abord caché devient spectacle et aveu. La distance construite entre l’être social et l’être profond s’est résorbée : « je ne voudrais pas avoir un tel cœur dans ma poitrine, pour tous les honneurs rendus à sa personne » (V, 1). Lady Macbeth n’a + d’identité parce qu’elle n’a + rien à cacher, à protéger : elle ne possède + rien, ni angoisse, ni souvenirs, ni projets. Condamnée à revivre les scènes traumatiques passées, elle sort du temps et se laisse emporter par l’horreur de son crime. Le Mal a révélé la structure profonde de la personne : derrière le masque de la volonté de maîtrise, l’inconscient dévoile les désirs et les actes refoulés. Le Mal révèle en corrompant la personnalité sa structure profonde et son besoin d’opacité. La transparence de Lady Macbeth est le signe de sa dissolution.

ó Créer le couple lady Macbeth/ Macbeth permet donc à Shakespeare d’éviter de fonctionner par argumentation pour figurer la lutte du masculin et du féminin, du désordre et de l’ordre, de la souillure et du bon pouvoir, fondé sur l’entente des nobles, sur la vertu dégagée de la tentation du féminin et faisant bon usage de la force virile. Il est habile de la part de Shakespeare d’avoir scindé les 2 instances de la volonté et de l’action dans le couple masculin/ féminin. Cela permet de rendre les personnages très ambigus.

 

La tragédie de Macbeth est moins celle de l’ambition sur de la conscience déchirée par le mal, et finalement de la damnation.

Le mal, politique (la guerre), donc humain (le motif du sang, de tout temps répandu dans le royaume d’Ecosse, car consubstantiel à l’origine du pouvoir), mais aussi peut-être (sur)naturel (les sorcières) préexiste à Macbeth : les sorcières, réunies « pour la rencontre de Macbeth » (I, 1, v.8), l’attendent pour l’initier à un mal que, prolongement des sorcières et 2ème Eve qui aurait avalé le venin du serpent de la Genèse, lady Macbeth instille à son oreille de son mari, avant de fouailler son courage de guerrier en se livrant à un chantage érotique. Le mal, surnaturel, anhistorique et historique, est toujours déjà là, tapi au cœur de la nature démonisée, du chaos de la nuit primordiale, du bain de sang originel : « le sang fut répandu ici, dans les époques disparues, / Avant qu’humaine purgation eût fait meilleure société » (III,4, 1361-1362, p.94).

Mais ce faisant, le mal préexiste aussi en Macbeth. Car la 1ère image qui nous apparaît de « Macbeth le brave », « Mignon de la valeur » et « amant de Bellone », est bien celle d’un guerrier sanguinaire, « prologue » à un « thème impérial » ensanglanté : « Macbeth le brave (qui sertes mérite ce nom-là)/ Méprisant la fortune, et son acier brandi, qui fumait d’une sanglante exécution,/ Comme un mignon de la Valeur s’est taillé passage/ Jusqu’à l’esclave, face à face» (I,2, v.79-84, p.42),  « décous[ant] »Macdownald « du nombril jusqu’à la tête » et le décapitant pour « plant[er] sa tête sur le haut de nos remparts » comme  un « canon chargé de doubles munitions ». «Aurait-il voulu se baigner dedans les blessures fumantes ou célébrer un nouveau Golgotha- je ne sais » : le leitmotiv obsessionnel du sang, objet de la fascination du héros guerrier, est la 1ère explication possible de l’entropie du meurtre : « Ici devant moi gît Duncan,/ Sa peau d’argent brodée avec son sang doré,/ Ses plaies béantes semblant ouvertes dans la nature/ Pour l’entrée dévorante de la ruine […] qui pouvait se retenir, ayant un cœur pour aimer, et dans ce cœur/ Courage pour montrer amour ? » (II,3, 888-897, p.74) ; « et dans le sang j’allai si loin que, si je n’y pataugeais +/ Reculer serait aussi dur que pousser » (III,4, 1435-1436).

 

Car Macbeth n’est pas seulement un ambitieux qui, par sa propre démesure, voudrait le pouvoir de façon si absolue qu’il tue Duncan, ajoute le crime au crime et finit par périr par sa propre faute, comme le voudrait une tradition, confirmée par la réécriture burlesque et parodique du mythe dans Ubu-Roi d’Alfred Jarry (1896), où Ubu, double ridicule, stupide et poltron de Macbeth, se laisse convaincre par sa femme de tuer le roi pour pouvoir « augmenter indéfiniment [s]es richesses, manger fort souvent de l’andouille et rouler carrosse par les rues ».

Certes lady Duncan lui prête une ambition, qu’il avoue lui-même[5]: il voudrait bien monter sur le trône Or la prophétie n’a rien d’absurde a priori : il est proche parent de Duncan, son cousin La couronne lui échoit donc naturellement quand Malcolm et Donnalabain, soupçonnés de parricide, s’enfuient : après les fils de Duncan, il est le 1er successeur potentiel.

Sa position initiale est  du reste celle de quelqu’un qui  veut et peut attendre la réalisation de l’oracle sans avoir à le provoquer. Car, Lady Macbeth le sait, « il ne veut pas tricher » : il manque à ce vaillant guerrier, dont Duncan loue la noblesse et qui proteste de sa loyauté, la « cruauté » nécessaire au machiavélisme.

Aussi sa 1ère réaction face aux prédictions des sorcières est-elle tissée d’incrédulité et d’épouvante : il n’a pas l’intention de renverser le roi ; quand l’idée du meurtre le traverse, son effroi traduit son rejet. ó Tout en lui repousse donc le crime qu’il va pourtant commettre.

Du reste, le climat de terreur dans lequel il accomplit ce meurtre et l’irrationalité du meurtre des chambellans comme de l’explication de cette exaction inutile (drogués et endormis, les chambellans, coupables désignés, en tant que tels destinés à mourir, ne pouvaient le dénoncer), qui nourrira les soupçons de Malcolm et Donnalbain (« Là où nous sommes, il y a des poignards dans les sourires d’homme »), puis des Grands, ne sont pas ceux d’un froid calculateur. L’assassinat de Banquo et le massacre de la famille Macduff n’e sont pas davantage réfléchis, puisque l’un et l’autre manquent leur véritable cible..

Enfin , alors qu’Ubu tue et prend le pouvoir pour jouir des avantages matériels que procure la royauté, Macbeth ne jouit ni du meurtre, qui le terrifie et suscite le remords, ni du pouvoir, tant le régicide l’a exclu du banquet d’une vie qu’il semble désormais prendre en horreur : la manière dont l’apparition du spectre de Banquo fait tourner au fiasco le banquet censé célébrer l’accession au pouvoir de Macbeth prouve que l’accession au trône ne vaudra à Macbeth qu’insomnie, visions horribles, cauchemars, remords et crainte permanente de perdre la couronne.

ó Pour un ambitieux, Macbeth est maladroit, timide, peu avisé. Il faut donc chercher ailleurs la clé de ce personnage complexe et pétrie de contradictions.

 

 

Tel qu’il apparaît dans les trois premiers actes, Macbeth se présente comme une conscience déchirée, écartelée, livrée à d’insolubles contradictions.

Tenté par un mal qui lui fait d’emblée horreur – Banquo est le 1er à s’étonner du sursaut d’effroi de son compagnon face à une prédiction pourtant heureuse, et lui –même avoue la terreur qui s’empare physiquement de lui, à l’acte I, scène 3 : « si c’est bien, pourquoi dois-je céder à l’idée/ Dont l’image d’horreur hérisse mes cheveux/ Et fait que mon cœur bien assis frappe à mes côtes/ Contre son mode naturel ?/ Les peurs présentes sont moindres que d’horribles imaginations » (I, 3, v. 248 sq , p.49)- Macbeth a parfaitement conscience de l’iniquité d’un meurtre qui : 1) bafoue le code de l’hospitalité ;  2) n’a aucune justification politique, Duncan étant un bon roi et un roi bon ; 3)  n’a aucune justification personnelle, Duncan s’étant montré particulièrement généreux envers le couple, anobli, honoré de sa présence et récompensé de ses peines par le cadeau, royal, d’un diamant. (Cf v. 489-494) ; 4) ne peut avoir que des conséquences proprement apocalyptiques, la métaphore filée des cavales infernales révélant la conscience du caractère sacrilège du régicide. La conclusion, logique, du monologue délibératif de l’acte I, scène 7 confirme l’adhésion du héros aux valeurs de la morale, de la mesure : « nous n’irons pas + loin dans cette affaire:/ Il vient de m’honorer, et j’ai gagné, / Pour toute espèce de peuple, renom doré/ Qui ne peut être terni de son tout nouvel éclat/ Ni aussi vite rejeté » (v.510-513, p. 58) ; « J’ose tout ce qui peut convenir à un homme ;/ Qui ose + n’en est pas un » (527-528, p.59). Il ne commet donc son 1er meurtre que dans la terreur du sacrilège qui le damne. Il a peur de la damnation éternelle et du châtiment infligé par la Justice des hommes: « ici,/ Seulement ici sur ce banc rive du temps/ Nous risquerions la vie à venir ; en tel cas/ Nous avons jugement encore d’ici-bas/ - Pour n’avoir enseigné que manœuvres sanglantes/ Lesquelles font retour quand elles sont connues/ En infestant leur inventeur ; l’égale main de la justice/ Propose l’ingrédient du poisonneux calice »/ A notre lèvre » (v. 484-487).

Aussi ne peut-il accomplir ces meurtres, dont le remords le hante[6], qu’en les accompagnant de vaines paroles propitiatoires : « c’en est fait. / Ô Banquo, le vol de ton esprit,/ S’il doit trouver le ciel, le trouve cette nuit » ((III,1, 1566-1568, p.85) ; « va-t’en, car mon âme est beaucoup trop chargée avec le sang des tiens » (V,8, v.2459-2460, p.140). Incrédule, il se plaint de ce que, exclu du banquet de la vie, il n’a pas osé répondre « amen » à la bénédiction des chambellans endormis : « L’un cria « Dieu vous bénisse », et l’autre « Amen »,/ Comme s’ils m’avaient vu, et mes mains de bourreau:/ Et moi écoutant leur peur, je ne pouvais dire/ « Amen », quand ils ont dit « Dieu vous bénisse […] pourquoi, mais pourquoi n’ai-je pu dire/ « Amen » ?/ J’avais grand besoin de bénédiction. « Amen » resta dans mon gosier » (II, 2, 691-693, p.66).

Jusqu’à l’acte V, scène 3, il garde la nostalgie de valeurs dont le meurtre l’a exclu : « Et tout ce qui devrait escorter le vieil âge,/ Honneur, amour, hommage, et cohorte d’amis,/ Je ne dois pas espérer les avoir ; mais à leur place/ Malédictions, non criées mais profondes,/ Honneur du bout des lèvres, souffle/ Que le pauvre cœur voudrait refuser, mais qu’il n’ose ».

ó Macbeth incarne ainsi la voix de la conscience déchirée par le mal qu’elle choisit pourtant librement.

 

De fait, la tentation n’opère que parce que les prédictions des sorcières trouvent un écho dans le « désir ventriloque de Macbeth ». Le mal préexiste donc aussi en Macbeth qui, sans que les sorcières parlent de meurtre, associe immédiatement le « thème impérial » au régicide : « Ma pensée, où le meurtre encor n’est que fantasme, / Secoue à tel point mon faible état d’homme/ Que la raison s’étouffe en attente, et rien n’est/ Que cela qui n’est pas » (I,3, v. 257-259, p.49). Les a parte qui le montrent « envoûté » par les prédictions des sorcières –lui-même avoue avoir été « ravi », dans la lettre qu’il envoie à sa « très chère compagne de grandeur »- traduisent en clair l’ambition soulevée par cette « absorption » en soi-même.

Lettre à lady Macbeth et frustration ressentie par Macbeth à l’annonce officielle de la succession de Malcolm à Duncan[7] confirment le partage initial des valeurs communes : la libido (dominandi) commande le machiavélisme. Il nourrit, depuis suffisamment de temps pour que le projet de meurtre s’impose à l’idée de lady Macbeth, le désir secret de tuer le roi pour satisfaire ses/ les ambitions (de sa femme) et compenser ainsi la frustration née d’une sourde impuissance.

Car, à l’instar de lady Macbeth, qui lui apprend à être le serpent dissimulé dans le bouton de rose, Macbeth peut faire preuve de détermination et de duplicité avec ses sbires, lors de la découverte du cadavre du roi Duncan : « Allons, et moquons le temps par l’aspect le + riant:/ Visage faux doit cacher ce que le cœur faux connaît » (v.570-571) ; « quand nous les aurons marqués/ De sang ces endormis, et dans sa même chambre,/ Et employé leurs vrais poignards, ne sera-t-il pas clair que c’est eux qui l’ont fait ? » ; « je suis décidé,/ Je tends les instruments du corps vers cette terrible action ». Aussi réfute-t-il à l’acte III, scène 4 : « êtes-vous un homme ? »/ « Oui, et un homme hardi, qui ose regarder/ Ce qui pourrait épouvanter le diable » (1341-1342, p.93). Dans l’intervalle Macbeth, qui a assumé seul l’organisation du guet-apens tendu à Banquo, a pris conscience de sa damnation.

 

De fait, Macbeth, qui vit sous l’emprise de l’imagination, est fasciné par un mal qu’il redoute autant qu’il y aspire. Face aux prédictions des sorcières, Banquo voit déjà dans le trouble de Macbeth une réaction de peur : « Cher seigneur, pourquoi sursauter, sembler craindre/ Des choses qui sonnent si beau ? »(I, 3, v.150-151).  Macbeth relie lui-même cette peur aux « fantasmes » de l’imagination : « les peurs présentes sont moindres que d’horribles imaginations:/ Ma pensée, où le meurtre encor n’est que fantasme, / Secoue à tel point mon faible état d’homme/ Que la raison s’étouffe en attente, et rien n’est/ Que cela qui n’est pas » (I, 3, v. 254-259, p.49). Tout autant que la jalousie morbide que lui inspire le double +tif de lui-même qu’est Banquo, cette peur est aussi le mobile du guet-apens de l’acte III et du massacre de la famille de Macduff : « être ainsi, ce n’est rien, sans l’être en sûreté »( 1051-1052,p.81). Idem pour Macduff cf IV,1 1630 sq, p.105 : « Alors vis donc, Macduff : qu’ai-je à craindre de toi ? / Pourtant je veux une assurance double sûre/ Un gage sur le destin- tu ne vivras pas:/ Afin de pouvoir dire à la crainte au cœur pâle/ Qu’elle ment, et dormir en dépit du tonnerre ». L’image récurrente de la fièvre traduit cette fuite en avant par quoi le tyran d’exercice aspire dans le fond moins à guérir le mal par le mal qu’à embrasser le néant : « et cet assaut va me guérir pour tjs, ou me basculer maintenant./ J’ai vécu assez longtemps : et le chemin de ma vie/ Est tombé dans les feuilles jaunies et séchées » (V,3). Car dans le fond il semble que Macbeth n’ait jamais cru qu’un bien, son bien, pût sortir d’un mal, du mal, comme s’il avait toujours mesuré l’enjeu métaphysique du régicide. En cela l’atmosphère cauchemardesque, dans laquelle la terreur de Macbeth plonge la pièce, est révélatrice de la manière dont le mal clive ou dissocie la psyché. Lady Macbeth l’explique aux courtisans, pour l’excuser, lors de la scène du banquet: Macbeth a toujours été sujet à des crises d’angoisse, de doute, de « fureur » ; « mon seigneur est souvent ainsi, / Il l’a été dès sa jeunesse » (1335-1336, p.93).

                  De l’emprise de l’imagination sur Macbeth, l’apparition du poignard et du spectre de Banquo témoignent, à l’acte II, scène 1 et à l’acte III, scène 4. Même si la personnification du « Meurtre » et le lien tissé avec « les sorcelleries célébr[an]t les rites/ D’Hécate la pâle » accréditent la thèse du fantôme à l’acte II, scène 1, lady Macbeth raille cette superstition et l’hypothèse de la projection d’un imaginaire malade s’impose à l’esprit même de Macbeth, qui ne s’appartient + : « ou bien n’es-tu/ Qu’un poignard de l’esprit, une création fausse/ Procédant d’un cerveau accablé de vapeurs » ; « mes yeux se font les fous des autres sens / Ou bien dominent tout […] C’est la sanglante affaire qui s’inscrit ainsi devant mes yeux ».

                  Or cette aliénation (« voir mon action, mieux vaudrait/ Ne pas moi-même me voir », s’exclame-t-il juste après le meurtre), par quoi sombre dans la folie, conduit à la  dissociation tragique du corps et de l’esprit : « Qu’est-ce que ces mains ? Ah! elles crèvent mes yeux !/ Tout l’océan de Neptune arrivera-t-il à laver/ Ce sang de ma main ? » (II,2, v.730, p.67), antichambre de la mort de la pensée par quoi Hannah Arendt redéfinit la radicalité au mal : « D’étranges choses sont dans ma tête , voulant la main, / Qui doivent être agies avant d’être pensées » (III,4) ; « Dorénavant/ Les premiers fruits de mon cœur/ Ce seront 1ers fruits de ma main. Et à l’instant/ Couronnant pensée en action/ Que soit pensée et soit fait » ; « j’agirai bien avant que soit froid le projet » (IV,1, v.1707-1709 et 1716, p.108).

                  Dès lors Macbeth, qui file la métaphore du « scorpion » hantant son esprit, bascule dans l’inhumanité: « Viens donc pareil à l’ours hérissé de Russie,/ Au rhinocéros armé ou au tigre d’Hyrcanie/ … mes nerfs d’acier/ Jamais ne trembleront ; sois de nouveau vivant/ Et combats-moi, avec ton épée, au désert ;/ Si j’abrite alors tremblement, appelle-moi/ Une fille bébé. Et va t’en, ombre horrible !/ Irréelle moquerie, va-t’en !/ Voilà, ainsi./ Et lui parti, je redeviens un homme » (p.95) ; « Jusqu’à ce que Birnam monte vers Dunsinane/ Je ne peux être pris de peur. Qu’est ce garçon Malcolm ? N’est-il pas né d’une femme ? Or les esprits qui connaissent / Tout le mortel enchaînement ont prononcé pour moi ceci : « Macbeth ; ne crains rien, nul homme né d’une femme/ Jamais ne pourra contre toi […] Cet esprit qui me porte et le cœur que je porte/ Ne fléchiront sous le doute et ne trembleront de peur ». « Tu étais né de femme./ Je souris des épées, jusqu’au  mépris, des armes,/ Quand un homme les tient qui fût né d’une femme » (V,7, 2433, p.138) ; « retourne-toi, chien de l’enfer » ; «Aussi bien les intouchables airs/ Pourrais-tu les marquer de ta tranchante épée, Que me faire saigner : laisse tomber ta lame sur des chefs vulnérables ;Je porte une vie/ Charmée, et qui ne pourra céder/ A aucun né de femme » (V,8, 2465-2470, p.140).

ó D’homme dévirilisé par la terreur au surhomme déshumanisé par la folie, Macbeth aura été victime d’une imagination morbide, mortifère, d’une pulsion de mort, sans doute ancrée dans le fantasme se sa propre stérilité.

                 

                  Perdu pour perdu, le damné en appelle à la destruction du monde. Dès l’acte II, scène 3, il se définit comme un être vidé, mort, fini : « si j’étais mort avant l’événement,/ J’aurais vécu un temps béni ; mais à partir de cet instant/ N’est + rien de valable dans la vie mortelle:/ Tout est jouet : l’honneur et la grâce sont morts,/ Le vin de la vie est tiré, reste la lie/ Laissée à cette voûte de parade (II, 3, v. 863- 869, p.73). A partir du moment où, s’étant lui-même livré aux forces du mal « pour savoir, par les moyens du pire, le pire » (IV,1), il réalise qu’il a été joué, il revendique la damnation et, exclu du banquet de la vie, s’endurcit  : »j’ai presque oublié le goût de la peur ;/ Il fut un temps, mes sens auraient eu froid/ A entendre un cri nocturne, et ma chevelure/ Pour un récit funèbre se serait dressée : Comme animée de vie : je suis gorgé d’horreurs ;/ L’atroce, familier de mes pensées sanglantes,/ Ne peut + me surprendre » (V ,3,  2355 sq, p.135) ;  « Je combattrai jusqu’à tant/ Que de mes os ma chair soit arrachée » (V,3, p.131) ; « Ah, je commence à être lassé du soleil,/ Et je voudrais que tout l’état du monde fût défait/ Sonnez la cloche d’alarme !/ Vents, soufflez ! Naufrages, arrivez !/ Et qu’au moins nous mourions armure sur le dos » (V,5, 2402 sq, p.137).

                  S’il fait face, c’est moins en héros assumant un destin qu’il a voulu qu’en desperados appelant la fin du monde pour donner de l’éclat à sa propre déchéance : « que soit rompu l’ordre des choses,/ Que souffrent les deux mondes !/ +tôt que nous mangeant dans la crainte et dormant/ Sous le tourment de ces terribles rêves/ Qui la nuit nous secouent : mieux d’être avec les morts/ Que nous, pour gagner notre paix,/ Nous envoyâmes à la paix,/ Qu’être couchés sur la torture de l’esprit/ En furieuse folie. Duncan est dans sa tombe ;/ Il dort bien, après la fièvre ardente de sa vie ;/ La trahison a fait son pire : et ni le fer,/ Ni poison, malice domestique, force étrangère,/ Rien – ne peut le toucher dorénavant » (v.1188-1200, p.86).

                  Ainsi il semble que, + que la tragédie d’une ambition dévoyée, la tragédie de Macbeth soit l’histoire d’une damnation : égaré par les prophéties, Macbeth court à une damnation sans rédemption possible, à l’instar du savant allemand qui, pour recouvrer la jeunesse, vend don âme au Diable, dans  la Damnation du Dr Faust de Christopher Marlowe. De fait et par-delà la mutation psychologique, la névrose obsessionnelle, la folie et la pulsion de mort, une authentique révolte métaphysique conduit Macbeth à se dresser contre le sacré, Dieu et l’ordre de la nature. Après avoir transgressé tout ce qui peut persister de sacré (l’amitié, les servitudes militaires) en provoquant l’âme d’un défunt qu’il a fait assassiner et rejeté toute idée chrétienne de résurrection des corps (« Si les charniers de nos tombes renvoient./ Ceux que nous avons enterrés, nos monuments/ Qu’ils soient entrailles de vautours »), il adopte, de retour auprès des sorcières, une position nihiliste quand il s’affirme prêt à anéantir la Création tout entière pour savoir ce que lui réserve l’avenir : « Dussiez-vous délier les vents, qu’ils frappent les églises,/ Dussent les vagues écumant dévorer les navigateurs,/ Le blé en herbe être couché et l’arbre être arraché,/ Dussent les châteaux crouler sur la tête de leurs gardes/ Et palais et pyramides plonger le front à leurs fondations,/ Dût le trésor des germes de Nature/ S’écraser dans un vomissement de destruction,/ Répondez à ce que je demande » (IV, 1, v.1592 sq, p.103). Ces paroles sont celles d’un nouveau Lucifer révolté contre Dieu et sa Création. En choisissant de persister dans son refus du monde et dans le crime, au lieu de se repentir et de prier pour sa rédemption, Macbeth choisit la damnation, qu’il porte à son paroxysme. Lorsque, dans les dernières scènes de la pièce, il voit s’écrouler, avec la mort de sa femme et la réalisation des prophéties,  l’œuvre sanglante qu’il a échafaudée, il ne capitule pas, mais prend les armes , tue le jeune Siward sans lui laisser aucune chance (V,7) et lorsque, face à Macduff, il comprend que le temps est venu, qu’il est enfin face à « l’homme qui n’est pas né d’une femme », il revendique son sombre statut de maudit et s’en fait une sombre gloire dans sa dernière réplique. Malgré sin infamie et la lâcheté de ses crimes, il n’atteint une trouble grandeur que dans la célèbre tirade où, ayant appris la mort de sa femme, il juge de l’absurdité de sa vie et de l’existence humaine, à l’acte V, scène 5.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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« Ce sont les Daimon kai Tuchè qui déterminent le destin de tout être humain, rarement, voire jamais, l’une seulement de ces deux forces » (in la dynamique du transfert, article de 1912)   Toutefois Freud va simultanément proposer une autre figure du destin, triadique celle-là, puisqu’à Daimon et Tuchè il va associer Atropos, l’Inexorable, l’Inflexible, autrement dit la Mort.  Dans « Le motif du choix des coffrets » (1913a), ce sont en effet trois personnages, trois sœurs – les Moïra, les Moires, filles de la Nécessité, l’impitoyable Anankè – qui filent le destin des hommes : la première, Clotho, tient la quenouille, c’est « la prédisposition fatale, innée » indique Freud, et l’on aura reconnu là le Daimon ; la deuxième, Lachésis, déroule le fil, elle désigne « le “fortuit ou le hasard qui se manifeste au sein de la conformité du destin à une loi” – nous dirions : l’expérience vécue » indique encore Freud, et l’on aura reconnu là Tuchè ; la troisième, enfin, Atropos, est précisément celle qui coupe le fil de notre vie, la silencieuse déesse de la mort.  Ainsi, si notre destin résulte bien de cette dialectique entre nos prédispositions ou nos dispositions innées et les événements de notre vie ou les hasards de notre existence, c’est nécessairement sur fond de drame, celui de notre finitude – à savoir que si nous sommes voués à la mort nous ne savons pas quand –, que cette dialectique s’effectue. 12 Ce faisant, on le voit, c’est à une approche radicalement nouvelle de l’accident que Freud nous invite, car il est désormais pensé comme une rencontre : son statut, dans la pensée freudienne, tient tout entier dans ce hasard inscrit sur fond de finitude, en tant qu’il provoque une rencontre avec la psyché qu’il précipite, au sens chimique du terme.

 

[…] Dans son Au-delà du principe de plaisir, [Freud] évoque aussi le Schicksalzwang, la compulsion de destin, que ses successeurs désigneront par « névrose de destinée », à propos de ces sujets non névrosés dont l’existence se caractérise par le retour périodique d’enchaînements semblables d’événements généralement malheureux. Il indique :

43

On a l’impression d’un destin qui les poursuit, d’un trait démonique dans ce qu’elles vivent, et la psychanalyse a, dès le départ, considéré un tel destin comme en grande partie préparé par elles-mêmes et déterminé par des influences infantiles précoces. […] On connaît ainsi des personnes chez qui toute relation humaine a la même issue : des bienfaiteurs qui après quelque temps sont quittés dans le ressentiment par chacun de leurs protégés, si différents que ceux-ci puissent être par ailleurs […] ; des hommes chez qui toute amitié a pour issue que l’ami les trahit ; […] des amoureux chez qui tout rapport tendre à la femme passe par les mêmes phases et conduit à la même fin, etc. S.  Freud, « Au-delà du principe de plaisir »...
On le voit, il s’agit bien de ce Daimon qui pousse l’individu dans des choix, ou plutôt qui se manifeste dans des rencontres, rencontres accidentelles ou de hasard bien sûr, lesquelles réalisent simultanément ce qu’il faut bien appeler un destin pulsionnel. Rétrospectivement, dans l’après-coup, ce qui fait de la vie de l’individu un destin était bien inscrit tout entier dans la pulsion et ses destins – pour reprendre le titre de l’un de ses essais métapsychologiques –, en tant que celle-ci rencontre l’accident

 

 

 

[2] Lady Macbeth, qui a incité son mari au crime, a trempé les mains dans le sang de Duncan pour maquiller un crime, dont elle partage ainsi pleinement la responsabilité.

[3] Cf lettre de Macbeth : « cela j(‘ai jugé bon de te le communiquer (ma très chère compagne de grandeur) pour que tu ne sois pas privée des droits de réjouissance en demeurant ignorante des grandeurs qui te sont promises » (p.53)

[4] « Hélas ! J’ai peur, ils se sont réveillés,/ Ce n’est pas fait : c’est la tentative et non l(acte/ Qui nous perd. Ecoutez ! » (II,2, 663-665, p.64)

[5] « Nul éperon pour exciter le flanc de mon vouloir, seulement/ L’ambition voltigeante et dépassant son propre but,/ Qui verse de l’autre côté »

[6] « ceci est une vue horrible » ; « Je n’irai +:/ J’ai l’horreur de penser à cela que j’ai fait ;/ Le revoir, je n’ose pas ».

[7] « Prince de Cumberland ! ceci est une marche/ Sur quoi je trébucherai, ou que je ferai sauter,/ Car elles se tient sur ma route. Etoiles, cache vos feux !/ Que la clarté ne puisse voir mes désirs profonds et noirs:/ Que l’oeil devant la main se ferme ; et cependant cela soit/ Ce que les yeux, quand tout est fait, craignent de voir » (I,4, 338-345).

12 octobre 2010

poésie et dramaturgie du mal dans "Macbeth"

Dramaturgie et poésie du mal dans Macbeth

 

I- Le mal au cœur du monde

 

  1-« Le monde est dans la nuit » (Novalis) : « Macbeth, ce n’est pas l’ombre, mais la nuit. Le mal n’y est pas relatif, mais absolu » (G Wilson Knight, présentation de l’édition GF, p.9). De fait la nuit y est omniprésente, non comme un simple élément naturel, mais comme un élément lourd de significations.

            La +part des scènes se déroulent de nuit ou au crépuscule, crépuscule du soir ou aube à peine naissante : c’est « peu avant le coucher du soleil » que les sorcières, « créatures noires » et « femmes de minuit », disciples d’Hécate, déesse de la lune, astre pâle, maléfique et froid, déesse des  fantômes, guettent Macbeth. Banquo est assassiné au moment où « l’ouest brille encore avec quelques rayons » et son fils, porte-flambeau, et figure de l’espérance, ne doit son salut qu’à l’obscurité : « qui a éteint la torche », s’écrie le mystérieux troisième meurtrier, dont Roman Polanski fait un chevalier noir, récurrent dans son film (III, 3). Au crépuscule du matin, les coups frappés comme sur la porte de l’enfer réveillent le cerbère grotesque et préludent à la révélation du régicide nocturne. Les scènes cruciales ont lieu durant la nuit : en assassinant Duncan dans son sommeil, sans doute entre 2 et 3 heures du matin, lady Macbeth et Macbeth espèrent couvrir leur forfait, aux yeux du monde et à leurs propres yeux, des ombres de la nuit épaisse et opaque, comme si les yeux pouvaient ignorer le forfait que commet la main. Or l’apparition du spectre de Banquo, la nuit du banquet, comme le somnambulisme de Lady Macbeth, éclairée par une torche,  révèlent aux courtisans, puis au médecin sidérés, l’autre scène du remords inconscient.

            C’est qu’avec le régicide, sacré, le monde est rentré dans la nuit, les ténèbres ont envahi le jour et renversé l’équilibre du monde, comme le souligne Ross, à l’aube qui suit l’innommable, à l’acte II, scène 4. Ces ténèbres qui, en plein jour, envahissent la terre, rappellent celles qui, dans l’Evangile, couvrent le monde lors de la mort du Christ et que seule sa résurrection peut dissiper : « à partir de la 6ème heure, l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à la 9ème heure […] Et voilà que le voile du Sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent et de nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent » (Mt,27, 45 et 51). Mais dans le monde que fait naître Macbeth en tuant Duncan, la résurrection est interdite et, même, violemment refusée, comme en témoigne le cri de Macbeth devant le spectre de Banquo, allégorie des morts qui se relèvent, non pour vaincre la mort, mais pour la propager : « il fut un temps où la cervelle étant ôtée, l’homme mourait, c’était fini : mais maintenant ils se relèvent, avec vingt meurtres mortels sur leur crâne et nous poussent de nos sièges…C’est + étrange que le meurtre même ». La mort de Duncan a donc instauré un temps de ténèbres, un temps sans espoir et sans résurrection, une ère de nuit permanente, lourde de présences dangereuses et mortelles, comme celles qu’évoque Macbeth au moment où Banquo va être assassiné : « les bonnes choses du jour vont tomber et s’engourdir, les noirs agents de la nuit se réveiller pour leur proie ». Cette nuit s’incarne dans la déesse Hécate, que Macbeth invoque avant de commettre son 1er crime (« les sorcelleries célèbrent les rites d’Hécate la pâle » (II,1), qui semonce (III,5) , puis félicite (IV,1) les sorcières, dont elle oriente le travail destructeur, et qui est associée à la lune, l’astre pâle et maléfique qui domine Macbeth et le rend fou[1].

            En assassinant Duncan dans son « sommeil innocent », moment de paix, doux et réparateur, Macbeth a en effet sombré, de son propre aveu, dans une insomnie permanente : « il me sembla entendre une voix qui criait : « ne dormez + ! Macbeth a assassiné le sommeil », l’innocent sommeil qui renoue les fils de soie tout embrouillés de soucis, et la mort de chaque jour de vie, le bain dur du travail, baume d’esprits meurtris, second service de la puissante Nature, grand nourricier dans la fête de la vie » (II, 2). Effet du remords ou cauchemar sans fin, Macbeth ne pourra + que tuer, et encore tuer, dans le vain espoir de retrouver le sommeil de l’innocence en arrivant au dernier meurtre, celui qui clora la série et lui rendra la paix, exempte de crainte et de cauchemar. La nuit de l’enfer sans sommeil,  dans laquelle la folie de Lady Macbeth l’abîme, et son suicide, révèlent la vanité d’un tel espoir : il n’y a pas d’échappatoire pour celui qui a plongé le monde dans le chaos.

            Ironie dramatique, clair-obscur et inversion disent l’universalité d’un Mal, que les pâles lueurs du jour, les nombreux flambeaux et torches dont l’apparition scande la pièce (I,7 ; II,1 ; III,3 ; V,1) ne peuvent dissiper. Dupe des apparences (I,6, 437-439,p.56) , Duncan, pourtant averti par la traîtrise invisible de Cawdor, se méprend sur la clarté du jour menteur, qui est censé bien augurer de son séjour au château d’Inverness. Les rares lueurs qui traversent la pièce sont celles de l’orage, du tonnerre et des éclairs, lueurs sulfureuses au service des puissances du Mal, Hécate et les sorcières (I, 1 ; I,3 ; III,5 ; IV, 1). Avec le meurtre de Duncan, la folie contagieuse s’est généralisée, se répandant au monde entier, affectant la nature : « … » (II,4). Le faucon, rapace diurne, est tué par le hibou, rapace nocturne : la nature a perdu son axe, les normes les plus sûres n’ont + cours.

 

 2- Des «actes contre nature » créent des «actions contre nature » : l’imbrication du microcosme et du macrocosme est suggérée par des images du chaos.

            L’univers semble réagir au crime par d’inquiétants prodiges évoqués par Lennox (II,3), puis par le vieillard et Ross (II, 4) : un rapace tué par sa proie ou des chevaux cannibales. De son côté et symétriquement, Macbeth entend déchaîner sur l’univers le chaos qu’il porte en lui : « Mais non, que soit rompu l’ordre des choses, que souffrent les deux mondes » (III, 2).  C’est que la logique du monde s’est inversée, dès lors que l’impossible (l’existence d’un homme qui ne fût pas né d’une femme et l’animation fantastique de la forêt) se réalise, comme une mauvaise farce jouée à un héros (in)crédule : l’artifice de la ruse de guerre et la naissance non naturelle du bras vengeur de la Providence révèlent l’hybris d’un héros, joué par l’ironie dramatique.

            Or cette ironie tragique pose la question de l’origine et de la nature du mal : surnaturel et cosmique, le mal engendre-t-il la dénaturation de l’univers, comme le répètent, après Ross, le médecin qui se déclare incompétent (« des actes contre nature créent des troubles non naturels » V,1) et Macbeth lui-même, quand il présente les « plaies béantes » de Duncan comme une brèche dans l’ordre de la nature (II, 3) ? Ou la nature regorge-t-elle de méfaits, comme l’indique le capitaine évoquant les « villanies of nature », lady Macbeth en appelant à la « méchanceté de la nature » (« mieschef of nature » I, 5) ou Banquo s’inquiétant des « pensées mauvaises que Nature libère dans notre sommeil » (II, 1) ? Qu’est-ce qui est alors le + inquiétant : que le mal soit rupture de l’ordre universel ou qu’il soit dans l’ordre des choses, comme la nuit alterne avec le jour, comme le monde animal comprend des proies et des prédateurs, comme la violence relève de l’état de nature, comme le mal est inhérent au monde comme il va ?

 

 3- Comparé au bestiaire des Âmes fortes, le bestiaire maléfique de Macbeth apporte un 1er élément de réponse.

            En effet, la nuit du crime est  déchirée par les cris sinistres d’oiseaux de mauvais augure : croassement du « corbeau enroué » (I, 5) ; hurlement du loup (II,) ; hululement de la chouette (II, 2). Ce bestiaire inquiétant est redoublé par la faune démoniaque des sorcières,  qui égorgent des porcs (I, 3) sont accompagnées de leur horde de bêtes maléfiques (chats et crapauds, dès I,1, rats, chat tigré, hérisson, salamandre, grenouille, chauve-souris, vipère, lézard, chouette, dragon, loup, requin, tigre à l’acte IV, scène 1) et fabriquent un filtre immonde en mélangeant dans leur chaudron des organes de crapauds, de serpents, de salamandres, etc, avec du sang de babouin (IV, 1). Ailleurs, les images de prédateurs nocturnes et carnivores prolifèrent : rapaces, fauves, reptiles renvoient à lady Macbeth et à Macbeth l’image du personnage maléfique, de la bête qu’ils sont devenus par leur crime : si la récurrence du motif du serpent renvoie à la Genèse, l’identification de Macbeth à un oiseau de nuit à l’acte III, scène 2 (1230 sq p.88) naturalise le mal. Alors que Macduff le compare à un « vautour d’enfer » (IV, 3) ou à un « chien de l’enfer » (V,8), le tyran compare Banquo à un « serpent écorché », parle des «scorpions » qui remplissent son esprit (III, 2 et III, 4) et se compare, lors du combat final, à un ours d’Hircanie, attaché à un poteau, déchiré par les chiens et battu à mort dans les jeux du cirque répandus dans l’Angleterre de Shakespeare.

            Cette matérialisation de la brutalité qui traverse la pièce, et que l’imagerie animalière rend sensible, pose la question d’une nature humaine gagnée par la bestialité : jouant sur la polysémie du mot « hommes », le sens générique et le sens viril, Macbeth, qui s’interroge sur la nature humaine, s’amuse à comparer à des chiens les hommes de main qu’il soudoie, alors que l’un d’eux vient de lui répondre « nous sommes des hommes, mon souverain » (III, 1). Il n’est pas jusqu’aux tendres images du roitelet, du poussin et de la poule, auxquels sont comparés Macduff, lady Macduff et son fils (IV, 2 et 3) qui ne renvoient l’image d’une fragile humanité, guère différente de l’animalité, où l’alternative est de manger ou d’être mangé.

 

 4- Les références bibliques, apocalyptiques tendent, elles, à conférer une portée, sinon théologique, du moins métaphysique à la pièce.

            C’est ainsi que dès le récit de messager de l’acte I, scène 2, la référence au Golgotha[2], lieu du crâne où le Christ a versé son sang pour le salut de l’humanité, confère une dimension sacrée au bain de sang où se complaisent les héros d’une cause pourtant juste, Macbeth et Banquo (v.61-62, p.41).

            A l’acte I, scènes 5, v. 376-380 et 426-8, c’est Lady Macbeth qui, par la référence au serpent de la Genèse, devient une tentatrice diabolique, deuxième Eve qui aurait ingéré le venin du serpent et qui, dans un monologue chargé de pensées démoniaques, se prépare à insuffler son venin dans l’oreille de son époux et à lui donner une leçon de dissimulation : « soyez pareil au temps, et portez bienvenue en votre oeil, votre main, votre langue, et semblez comme l’innocente fleur mais soyez sous elle le serpent ».

 

 

 

 

 

 

Genèse, chapitre 3

Gn 3:1-

Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que Yahvé Dieu avait faits. Il dit à la femme : Alors, Dieu a dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ?

Gn 3:2-

La femme répondit au serpent : Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin.

Gn 3:3-

Mais du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, sous peine de mort.

Gn 3:4-

Le serpent répliqua à la femme : Pas du tout ! Vous ne mourrez pas !

Gn 3:5-

Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal.

Gn 3:6-

La femme vit que l'arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu'il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement. Elle prit de son fruit et mangea. Elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il mangea.

Gn 3:7-

Alors leurs yeux à tous deux s'ouvrirent et ils connurent qu'ils étaient nus; ils cousirent des feuilles de figuier et se firent des pagnes.

Gn 3:8-

Ils entendirent le pas de Yahvé Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour, et l'homme et sa femme se cachèrent devant Yahvé Dieu parmi les arbres du jardin.

Gn 3:9-

Yahvé Dieu appela l'homme : Où es-tu ? dit-il.

Gn 3:10-

J'ai entendu ton pas dans le jardin, répondit l'homme; j'ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché.

Gn 3:11-

Il reprit : Et qui t'a appris que tu étais nu ? Tu as donc mangé de l'arbre dont je t'avais défendu de manger !

Gn 3:12-

L'homme répondit : C'est la femme que tu as mise auprès de moi qui m'a donné de l'arbre, et j'ai mangé !

Gn 3:13-

Yahvé Dieu dit à la femme : Qu'as-tu fait là ? et la femme répondit : C'est le serpent qui m'a séduite, et j'ai mangé.

Gn 3:14-

Alors Yahvé Dieu dit au serpent : Parce que tu as fait cela, maudit sois-tu entre tous les bestiaux et toutes les bêtes sauvages. Tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie.

Gn 3:15-

Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Il t'écrasera la tête et tu l'atteindras au talon.

Gn 3:16-

A la femme, il dit : Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras des fils. Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi.

Gn 3:17-

A l'homme, il dit : Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais interdit de manger, maudit soit le sol à cause de toi ! A force de peines tu en tireras subsistance tous les jours de ta vie.

Gn 3:18-

Il produira pour toi épines et chardons et tu mangeras l'herbe des champs.

Gn 3:19-

A la sueur de ton visage tu mangeras ton pain, jusqu'à ce que tu retournes au sol, puisque tu en fus tiré. Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise.

Gn 3:20-

L'homme appela sa femme Eve, parce qu'elle fut la mère de tous les vivants.

Gn 3:21-

Yahvé Dieu fit à l'homme et à sa femme des tuniques de peau et les en vêtit.

Gn 3:22-

Puis Yahvé Dieu dit : Voilà que l'homme est devenu comme l'un de nous, pour connaître le bien et le mal ! Qu'il n'étende pas maintenant la main, ne cueille aussi de l'arbre de vie, n'en mange et ne vive pour toujours !

Gn 3:23-

Et Yahvé Dieu le renvoya du jardin d'Éden pour cultiver le sol d'où il avait été tiré.

Gn 3:24-

Il bannit l'homme et il posta devant le jardin d'Éden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l'arbre de vie.

 

           

 

Michel-Ange, détails d’une des fresques de la chapelle Sixtine, au Vatican

           

            Avec l’explosion d’images empruntées à l’Apocalypse de Saint Jean- images des « trompettes géantes », des « chérubins du ciel » et des « coursiers de l’air »-, la conscience coupable de Macbeth compare le régicide qu’il s’apprête à commettre à la fin des temps, à l’acte I, scène 7, v. 493 sq.  Ces métaphores infernales, issues, dans l’imaginaire médiéval chrétien, de la lecture de l’Apocalypse, envahissent la scène de l’acte II : la cloche qui appelle Macbeth au meurtre évoque un glas funèbre, à l’acte II, scène 2 ; les coups frappés par Macduff et Lennox, avant que le Portier n’ouvre, deviennent le signe dramatique et métaphorique des coups donnés par Macbeth sur le corps de Duncan ;  le Portier lui-même, qui jure par Belzébuth et par tous les diables, évoque Cerbère ou Charon, le nocher des Enfers païens, plus que Saint-Pierre, portier du Paradis, représenté avec ses clés, et dont le personnage grotesque de Shakespare est la parodie. Aussi la vision apocalyptique éclate-t-elle lorsque Macduff compare le corps meurtri de Duncan à la destruction du « temple sacré du Seigneur », annonçant rien moins que le Jugement dernier : « the great doom’s image », « l’image du grand jugement ». « Confusion now hath made his master-piece » ajoute Shakespeare, ce que PJ Jouve traduit par « la destruction a produit son chef d’œuvre, / Le + sacrilège meurtre a ouverte/ Le Temple sacré du Seigneur, et ravi la vie du sanctuaire », signe que le régicide, acte créateur d’un désordre qui fait suite au désordre de la rébellion, rappelle l’ «hurlyburly » ou » tohu-bohu annoncé par les « sœurs fatales » à l’acte I, scène 1, en référence au chaos qui précède la création du monde par séparation des eaux de la terre, dans la Genèse. « La boucle du temps est bouclée, l’histoire humaine est confondue avec le drame métaphysique de la Bible dans ce moment de paroxysme théâtral », conclut Nicolas Corréard (3 en 1 GF, p. 75), qui note enfin la référence implicite au « Massacre des innocents » (Mt, 2), motif récurrent de l’iconographie chrétienne, lors du massacre de la maisonnée de Macduff, avatar de Job, figure du juste persécuté, quand il élève sa plainte, au double sens de lamentation et de procès intenté par l’homme à un dieu dont il ne comprend pas comment le ciel a pu regarder la scène sans prendre la défense des innocents, à l’acte IV, scène 3.

 

Le massacre des Innocents

 

Alors Hérode, voyant qu'il avait été joué par les mages, se mit dans une grande colère, et il envoya tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléhem et dans tout son territoire, selon la date dont il s'était soigneusement enquis auprès des mages. [17] Alors s'accomplit ce qui avait été annoncé par Jérémie, le prophète:

 

[18] On a entendu des cris à Rama, Des pleurs et de grandes lamentations: Rachel pleure ses enfants, Et n'a pas voulu être consolée, Parce qu'ils ne sont plus. (Evangile de Matthieu, 2,17)

 

Nicolas Poussin : Le Massacre des Innocents

 

 

 

 

 

Le Livre de Job, XIII, 2-27

 

[Texte ]Ce que vous savez, je le sais aussi, Je ne vous suis point inférieur. [3] Mais je veux parler au Tout Puissant, Je veux plaider ma cause devant Dieu; [4] Car vous, vous n'imaginez que des faussetés, Vous êtes tous des médecins de néant. [5] Que n'avez-vous gardé le silence? Vous auriez passé pour avoir de la sagesse. [6] Écoutez, je vous prie, ma défense, Et soyez attentifs à la réplique de mes lèvres. [7] Direz-vous en faveur de Dieu ce qui est injuste, Et pour le soutenir alléguerez-vous des faussetés? [8] Voulez-vous avoir égard à sa personne? Voulez-vous plaider pour Dieu? [9] S'il vous sonde, vous approuvera-t-il? Ou le tromperez-vous comme on trompe un homme? [10] Certainement il vous condamnera, Si vous n'agissez en secret que par égard pour sa personne. [11] Sa majesté ne vous épouvantera-t-elle pas? Sa terreur ne tombera-t-elle pas sur vous? [12] Vos sentences sont des sentences de cendre, Vos retranchements sont des retranchements de boue. [13] Taisez-vous, laissez-moi, je veux parler! Il m'en arrivera ce qu'il pourra. [14] Pourquoi saisirais-je ma chair entre les dents? J'exposerai plutôt ma vie. [15] Voici, il me tuera; je n'ai rien à espérer; Mais devant lui je défendrai ma conduite. [16] Cela même peut servir à mon salut, Car un impie n'ose paraître en sa présence. [17] Écoutez, écoutez mes paroles, Prêtez l'oreille à ce que je vais dire. [18] Me voici prêt à plaider ma cause; Je sais que j'ai raison. [19] Quelqu'un disputera-t-il contre moi? Alors je me tais, et je veux mourir. [20] Seulement, accorde-moi deux choses Et je ne me cacherai pas de loin de ta face: [21] Retire ta main de dessus moi, Et que tes terreurs ne me troublent plus. [22] Puis appelle, et je répondrai, Ou si je parle, réponds-moi! [23] Quel est le nombre de mes iniquités et de mes péchés? Fais-moi connaître mes transgressions et mes péchés. [24] Pourquoi caches-tu ton visage, Et me prends-tu pour ton ennemi? [25] Veux-tu frapper une feuille agitée? Veux-tu poursuivre une paille desséchée? [26] Pourquoi m'infliger d'amères souffrances, Me punir pour des fautes de jeunesse? [27] Pourquoi mettre mes pieds dans les ceps, Surveiller tous mes mouvements, Tracer une limite à mes pas, [28] Quand mon corps tombe en pourriture, Comme un vêtement que dévore la teigne?

 

[Commentaire] Les paroles de Job oscillent entre défi et lamentation : défi, d’abord, dans la réponse aux arguments des « amis » auxquels Job dénie le droit de le juger. C’est à Dieu seul que le « juste souffrant » veut s’adresser, et non à ceux qui prétendent justifier ses souffrances. Ce que Job revendique ici, c’est le droit de ne pas être dépossédé de son propre malheur, de ne pas le voir « récupéré », nié même, par ceux qui, loin de le subir, ne peuvent déterminer son sens.

Au-delà de cette colère contre la prétention des hommes à juger de tout, Job exprime une plainte contre l’injustice de Dieu. Il exige du Créateur qu’il lui fasse connaître les causes réelles de sa souffrance et, par là même, il met Dieu face à l’iniquité de sa propre Création.

+ profondément, c’est à un Dieu caché que s’adresse la requête de Job et c’est presque à un procès en irresponsabilité qu’on assiste ici : Dieu se serait en quelque sorte désengagé de son œuvre, livrant le monde au mal d’injustice et se complaisant dans un silence qu’aucune lamentation ne vient briser. Mais même absent par son silence, Dieu reste présent par le simple fait que Job s’adresse à lui. C’est ce qui explique qu’au terme du Livre de Job, quand Dieu restitue à Job tout qu’il lui avait ôté, la plaine se transforme en louange et la souffrance en espérance.

 

 

 

II-Antithèse et Oxymore : une poétique de la confusion

            Car + encore que l’antithèse, figure du contraste qui autorise, avec la vision manichéenne d’une tragédie de l’ordre obéissant à la dialectique de la purgation du mal incarné par Macbeth, l’oxymore semble pointer la confusion d’où naît le mal dans la pièce.

 

 1-En effet, et en dépit du contraste saisissant et fécond, qui oppose la « grâce » surnaturelle du roi d’Angleterre au mal surnaturel incarné par Macbeth, et qui permet à Malcolm, après que la « l’honneur et la grâce sont morts » (II,3) en la personne du « gracieux » Duncan (III,1), de rendre la santé à l’Ecosse par la « grâce de la seule Grâce » (V,9), la pièce n’est pas manichéenne.

Certes, le « mal », symbolisé à l’acte V, scènes 2 et 3 par la « maladie » du corps politique, se dissipe avec l’obscurité : une aube brillante se lève et le vert feuillage d’ébranle contre Macbeth. Un monde surgit de ses ténèbres, laissant sous lui un paysage de cauchemar et d’illusion : « la fleur souveraine » étincelle de rosée dans les vapeurs de l’aube ; l’enfant est couronné, l’arbre de vie à la main.

Pourtant, dans le même temps, l’image du cycle de l’éternel retour de la violence s’impose avec la reprise, en écho/ en miroir, du motif de la guerre juste et de la décapitation du traître.

Surtout l’ambivalence de la figure de Malcolm, dont l’interprétation engage la lecture politique de la pièce, jette une ombre sur l’exemplarité de cette tragédie. Si Malcolm, tirant les leçons de la crédulité de son père, prêche le faux pour savoir le vrai quand il s’accuse de tous les vices auprès desquels « le noir Macbeth semblera neige pure », pour tester la loyauté de Macduff, comme il l’affirme quand il le détrompe, rassuré sur son intégrité, sûr de ne pas avoir affaire à un traître et abjurant souillure et péchés faussement confessés pour l’éprouver, alors le recours aux armes, à la violence guerrière, à la grâce de Dieu, est un mal nécessaire au rétablissement d’un bien confondu avec l’instauration d’un nouvel ordre, bon et sain(t), comme le suggèrent le soutien apporté à Malcolm par le roi d’Angleterre, figure médiévale du roi saint, guérisseur du Mal, et exact symétrique de Macbeth, quand il constate l’impuissance de la médecine à guérir l’Ecosse d’un mal dont il est la cause, tandis que l’aura épique et apocalyptique qui nimbe les figures des Siward et de Macduff assimile, les uns à des « milites dei » engagés dans une croisade, l’autre à la Némésis, au bras armé de la vengeance, de la Justice et de la Providence.  Dans ce cas les normes naturelles, sociales, politiques, morales et religieuses triomphent avec le couronnement annoncé de Malcolm, qui ne se contente pas de laisser les forces du Bien terrasser les forces du Mal, mais crée un nouveau rang nobiliaire : celui des « earls », ses seigneurs étant les premiers à être jamais nommés à un tel honneur en Ecosse. Tout le mal, concentré en la seule personne de Macbeth, semble avoir été d’un coup supprimé. Mais si Malcolm a dit vrai quand il a confessé être sanguinaire, luxurieux, avaricieux, faux, trompeur, impulsif et méchant, qu’il s’est avoué dépourvu des vertus qui font les rois : justice, tempérance, vérité, sûreté, humilité, persévérance, miséricorde, dévouement, patience, courage et constante, et que promettant à l’Ecosse d’être gouverné par un tyran d’exercice pire que le «démoniaque Macbeth », il a parlé le même langage que le couple criminel (« je verserais le doux lait de la concorde dans l’enfer,/ Je bouleverserai la paix universelle/ Et détruirais la paix universelle » (IV,3), on comprend que le malaise de Macduff ne se laisse pas dissiper.  Car Malcolm a beau affirmer ne s’être jamais parjuré, ses aveux simulés impliquent le contraire : il vient bien de mentir, mensonge machiavélien qui augure mal d’une transparence impossible. A moins que sa pseudo-confession ne comporte sa part de vérité, ce qui ne serait guère rassurant : n’avouait-il pas naguère à son frère Donalbain sa difficulté à feindre un chagrin qu’il n’éprouvait pas. Sans être parricide, Malcolm ne serait donc pas le roi saint qu’incarne la figure médiévale d’Edouard, roi thaumaturge. L’exercice moderne, machiavélien, du pouvoir, est sans illusion sur la violence, sur le mensonge, sur la contagion du mal inhérent à l’exercice du pouvoir.  Mais là où Ionesco tranche dans sa réécriture de Macbett, déplaçant la « confession » de Malcolm à la toute fin de la pièce pour en faire une véritable déclaration de guerre du nouveau roi à ses sujets, Shakespeare entretient l’équivoque baroque et laisse ouvert l’éventail du sens.

 

 2-Figure de style récurrente dans la poésie baroque en général, dans le drame shakespearien et dans Macbeth en particulier, l’oxymore apparaît dès les 1ers vers de la pièce, avec cet adage des « sœurs fatales », repris en écho dans les 1ers vers prononcés par Macbeth, ainsi relié d’entrée de jeu, par une sorte de fil invisible et largement inconscient, à ces suppôts de Satan que sont les sorcières : « fair is foul and foul is fair ». Dans cette antithèse doublée d’un chiasme et d’une paronomase, et dont la polysémie est proprement intraduisible, se lit, en même temps que le lien entre esthétique[3] et axiologie du mal, entre  corps[4] et esprit la confusion, le désordre axiologique dans lequel le mal plonge le monde, l’histoire, l’homme.

            C’est ainsi qu’on retrouve, dans la bouche de tous les protagonistes, pareilles oxymore : dans le tonnerre et la pluie qui accompagne rituellement l’apparition des sorcières, celles-ci annoncent un « combat gagné et perdu ». Duncan reprend exactement les mêmes termes, mais en chiasme, pour transférer les titres du « traître » au féal serviteur, se faisant ainsi l’instrument involontaire du destin, tragique : « ce qu’il perdit, le noble Macbeth l’a gagné » (I, 2). La 1ère réplique de Macbeth, énigmatique, souligne l’ambivalence d’adjectifs, dont le 1er peut référer au temps déplorable de cette journée brumeuse et le second à la victoire : « so foul and fair a day I have not seen ». Chaque information devient ainsi l’objet d’une interprétation ambivalente, comme dans le compte-rendu de la bataille par le héraut : « de cette source où la force semble venir, jaillit l’angoisse ». Aussi l’inconscient du texte semble-t-il avouer l’aporie du régicide, au moment même où Macbeth nourrit l’illusion d’un acte clos sur lui-même et sans conséquences morales : «que ce coup puisse être le tout-être et la fin-de-tout » (I, 7). Lady Macbeth résume la vanité du meurtre par l’expression qui traduit la contagion du mal : «+ sûr est d’être ça que nous détruisons/ Que, de destruction, tirer une joie douteuse » (III, 2).

            Ainsi s’exprime, à travers la métaphore baroque de la barque errant dans la tempête, l’incertitude, le doute, la confusion dans laquelle les temps d’opprobre jettent les hommes : « Mais cruels sont les temps, lorsque nous sommes traîtres/ Et ne le savons pas, accueillant la rumeur/ De ce que nous craignons, et sans savoir/ Cela que nous craignons,/ Mais flottons sur la mer sauvage et violente/ En tous sens et aucun » (IV,2).

 

           

 3- « Il est probable qu’en aucune autre pièce de Shakespeare ne se trouvent autant d’interrogations », commente G. Wilson Knight, qui pointe, dès la scène d’exposition, « l’étonnement et le mystère » exprimés par les questions qui se bousculent à l’acte I, scène 1[5], 2[6], 3[7], 4, 7[8], reparaissent, « comme des éclairs de terreur » à l’apogée du crime[9] : « mais pourquoi n’ai-je pas pu dire Amen », se demande Macbeth (II,2), tandis que la découverte du meurtre de Duncan s’opère par une série de questions, que les courtisans expriment ainsi leur surprise dans la scène du banquet (III,4) et qu’il n’est pas jusqu’au massacre de sa famille que Macduff n’apprenne en posant des questions à Ross ou aux questions du médecin qui ne ponctue le dévoilement du mal par Lady Macbeth, somnambule (V,1). « Toutes ces questions sont des fils du réseau de mystère et de doute qui nous hante dans Macbeth », conclut Knigth. ó Le mal est énigme dans Macbeth

 

           

 4- « Deux vérités sont dites » : toute l’ironie, sinon tout l’enjeu dramatique de la tragédie résidant dans l’interprétation de signes, de prophéties équivoques, une des formes les plus achevées, les plus pernicieuses, pour ne pas dire les plus perverses, du mal, réside sans doute dans la confusion  de la vérité et du mensonge. Banquo avait pourtant averti Macbeth, ébahi par ce qu’il prend pour une prophétie : c’est «souvent pour nous gagner à notre perte [que] les puissances obscures nous disent le vrai » (I, 3, v.239-240, p.49). Aussi bien les « sœurs fatales » ne mentent-elles pas quand elles parlent par énigmes. Mais, comme l’énigme du sphinx dans le mythe d’Œdipe, la parole de ces «incomplètes discoureuses » est à double sens : « [I] begin/ To doubt th’equivocation of the fiend/ That lies like truth », réalise Macbeth à l’acte V, scène 5, attestant que les sorcières l’ont « enroulé dans le double sens »(V,8), selon l’adage qui veut que le Malin trompe en disant la vérité, comme l’atteste le Portier, dans un discours lui-même plein d’équivoques grivoises et d’allusions à l’enfer, à l’acte II, scène 3, l.760-764 : « qui est là, sacré nom de tous les autres diables ? Parole, c’est le Double –joueur ; qui pourrait jurer dans les deux plateaux l’un contre l’autre ; qui a commis assez de trahisons au service de Dieu, et pourtant n’a pas pu «double-jouer » le ciel ! oh entre, entre, mon Double-Joueur » (p.69).

 

            Ainsi mesure-t-on, avec le mélange des registres propre au théâtre baroque élisabéthain, l’ambivalence d’un genre profondément déstabilisant. Si le personnage, en héros tragique, avance en aveugle face à son propre destin, le grotesque véhiculé par le Portier et les sorcières transforme l’ironie dramatique en farce grotesque. Ainsi se trouve posée la question du genre tragique.

 

III- La puissance créatrice du Mal comme moteur de la tragédie : le mal comme fondement dramaturgique           

« + qu’un thème ou une notion pour qualifier l’action des personnages », la puissance créatrice du Mal est, selon Frédéric Bialecki[10], le fondement dramaturgique de la tragédie.

 

1-L’action de la pièce est resserrée sur « la logique du pire », qui confère à la pièce son rythme convulsif et l’apparente à une descente aux enfers : du crime inaugural jusqu’à la mort du jeune Siward, en passant par l’assassinat de Banquo et l’extermination de la famille de Macduff, nous sommes emportés dans le vortex de l’action sans avoir le temps, la possibilité de trouver un point d’appui pour observer ce qui se passe.

L’assassinat de Duncan a d’abord lieu dans l’esprit de Lady Macbeth et de Macbeth, avant de s’accomplir dans le huis clos étouffant du château d’Inverness : l’une saisit l’opportunité, le «kairos » qui, selon, Machiavel, assure la victoire au prince audacieux et prompt à s’en saisir, dévoile les modalités d’un crime qu’elle n’ose pas exécuter elle-même, mais qu’elle parachève et maquille en trempant les poignards dans le sang de la victime pour en barbouiller les visages de ses chambellans ; l’autre voit l’arme du crime lui apparaître sous une forme hallucinatoire et agit comme guidé par ce signe qui préfigure le chemin vers le meurtre avant de sortir de la chambre funèbres, les deux poignards subtilisés aux valets de Duncan dans les mains. De ce meurtre longuement prémédité et perpétré tard dans la nuit d’été, au terme d’une fête censée consacrer la promotion de Macbeth au rang de favori du roi, nous entendons parler, nous n’assistons pas: encadré par la préparation et le parachèvement de lady Macbeth, ce crime n’existe que sous sa forme elliptique, l’ellipse conférant force et horreur à une vision plus insoutenable encore que les bruits et cris entendus, surprenant son de cloche appelant à l’action ou cri du hibou, métamorphosé par Lady Macbeth en chant du grillon. Les autres meurtres : celui de Banquo, de la femme et du fils de Macduff, du jeune Siward…et de Macbeth auront en revanche lieu sur scène.

C’est que « le sang appelle le sang » : chaque crime en entraîne un autre, selon un engrenage qui fait que la violence, d’abord fantasmée, se déchaîne peu à peu sur scène, jusqu’à l’hécatombe finale. « Mais silence » : le silence énigmatique de Banquo, seul témoin de visu et ex auditu de la prédiction des sorcières, dernier à avoir vu Duncan vivant et à avoir croisé Macbeth avant le meurtre, lui coûte la vie  quand, à l’acte III, scène 1, il s’adresse à lui en le nommant de ses titres honorifiques, dans l’ordre inverse de l’histoire récente (roi, Cawdor, Glamis), dont il fait ainsi la synthèse (« tu as maintenant tout, comme ont promis les sœurs fatales »), sans cacher sa crainte relative aux moyens qu’a empruntés Macbeth pour y parvenir (il le soupçonne d’avoir « ignoblement joué pour avoir tout ») et en rappelant que la prophétie des sorcières ne valait pas pour la descendance de Macbeth, mais pour la sienne. Il signe ainsi, à la place du banquet où le roi le convie pour recevoir ses hommages (« ne manquez pas notre fête »), son arrêt de mort, Dieu (« Dieu soit avec vous » lui dit Banquo en le quittant pour sa dernière chevauchée) ayant déserté la compagnie de Macbeth depuis que celui-ci a commencé à semer la mort en décapitant le royaume. Ne se sentant plus «en sûreté », Macbeth, qui se remémore l’antithèse de sa couronne stérile et de la prophétie de la lignée de rois descendant de Banquo, craint alors d’avoir « souillé son âme pour la race de Banquo », invoque le destin et excite la haine de deux hommes de main pour tendre un guet-apens à Banquo et à son fils Fléance.

Celui-ci échappant, après Malcolm et Donalbain, à la mort, l’inquiétude renaît et Macbeth endosse le rôle du tyran sanguinaire. Ne pouvant rendre son pouvoir effectif serein, il s’engage dans un cercle vicieux où il croit asseoir sa toute-puissance en multipliant les signes sanglants : à chaque fois il croit perpétrer le dernier meurtre, d’où sortira un sentiment de sécurité, mais à chaque fois se produit l’effet inverse, la fuite étant l’expression du «caractère sériel de la violence utilisé dans le cadre général de la transgression » (R. Marienstras).

Le mal se propage par contagion à partir du meurtre originel qui en est le centre, comme en témoigne le choix de ses prochaines victimes : la famille de Macduff, découvreur du drame et « traître », qui ne se rend pas au couronnement et refuse de se plier à la volonté du tyran. Repris par la fièvre, Macbeth devient une machine à détruire des vies parce que ce sont des vies : »whiles I see lives ». Ensauvagé, il tue pour tuer, le 1er meurtre ayant enclenché cette mécanique fatale selon une logique infernale. Macbeth voudrait bien l’interrompre, rêvant d’un meurtre qui serait le dernier, mais en vain : les actes qu’il est amené à commettre sont passés hors de son contrôle et, au lieu de réfléchir et de raisonner ses passions, il décide d’agir « avant que soit froid le projet », sans calcul rationnel. « Dorénavant les premiers fruits de mon cœur seront les 1ers fruits de ma main » (IV,1) : cette logique se retourne contre lui quand la prophétie le rattrape (V,5) et qu’il appelle, avec l’ordalie, l’apocalypse et la fin d’une vie stérile (« j’ai vécu assez longtemps »), endossant l’armure du héros et décidé à combattre jusqu’à ce que la chair soit arrachée de ses os.

 

2/ Créatrices d’ironie tragique, les prophéties, dont la réalisation est tantôt appelée de ses vœux, tantôt vainement combattues par Macbeth, perdent Macbeth, qui les interprète mal : il croit tenir un gage de son invincibilité quand elles annoncent sa perte et, conforté dans sa méfiance envers Macduff par des sorcières qui l’ont dupé en se faisant l’écho de ses propres désirs, il se précipite dans le piège qu’il veut éviter quand il envoie ses assassins aux trousses de Macduff et des siens. Avançant en aveugle face à son propre destin, le héros tragique met en branle le mécanisme qui aboutira à sa mort,

 

3/ Source[11] et produit d’une action[12] qu’il rythme et anime, le Mal  aura ainsi créé l’intrigue, animé l’action, précipité l’issue, décuplé les sentiments les + puissants des personnages (l’ambition, le remords, la colère, la peur…) et contribué à la dramatisation du temps tragique. Car l’intrigue, envisagée à partir du point de vue de Macbeth et structurée à partir de la prophétie des sorcières, est tout entière tendue entre l’attente et la crainte : attente de la réalisation de ce qui apparaît à Macbeth comme une prophétie, la révélation de ce qui est déjà l’engageant à espérer vivement ce qui n’est pas encore et le poussant à en précipiter la réalisation, dès lors que l’annonce de la succession de Duncan introduit une faille entre la réalité objective et la réalité subjective, l’empêchant désormais de jouir de ce qui est, sa promotion à la baronnie de Cawdor ; attente et crainte du meurtre de Duncan, perçu par le couple Macbeth comme la condition de l’accession à la royauté ; crainte de la révélation de l’horreur du crime et de la réalisation des prophéties concernant Banquo et la mort de Macbeth, après une suite d’événements à première vue impossible, mais annonciateurs d’une fin annoncée. Le présent étant « lourd d’un avenir terrible » qui le conditionne et l’oriente, le Mal, « ombre portée sur la réalité des choses », dramatise à l’extrême le passage du temps.

 

4/ La prophétie, qui donne un sens au temps , structure la vie de Macbeth comme un drame « deux vérités déjà, heureux prologue à l’acte où va se déployer le thème impérial » (I, 3). D’un bout à l’autre de la pièce, Macbeth prend conscience du pouvoir de cette prophétie maléfique, qui dramatise son existence, mais déréalise aussi sa vie : lady Macbeth s’inventent des scènes imaginaires, qui révèlent leur angoisse et leur culpabilité et leur font oublier la réalité du présent. Tout entier absorbé par l’attente, la crainte, le fantasme, qui est un scénario produit à partir du réel et de ses angoisses, il invente sans cesse, comme dans un théâtre d’ombres, tous les possibles de sa vie. Au point que sa vie intérieure devient plus réelle que son existence même : la vie a pris la couleur du songe, motif baroque, récurrent dans le théâtre de Shakespeare, parce que les prophéties invitent à vivre au-delà du réel et du présent. Ainsi la prophétie est en elle-même maléfique parce qu’elle produit un simulacre de vie, mais un simulacre + puissant que la vie même et qui relève de la puissance du diable, image faussée de Dieu. Le mal a fait de la vie un drame à la fois tragique et pathétique : « la vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur/ Qui parade et s’agite pendant son temps sur scène et puis qu’on n’entend + » (V,5). Ce constat amer, prononcé à la mort de sa femme, révèle le caractère factice de sa propre existence, sans en annuler les effets terribles et bien concrets. Le Mal transforme la vie en spectacle, la dramatise au sens littéral du terme : »allons, donnons le change en gardant le front haut : masuqons d’un faux visage ce que sait le cœur faux ». Le théâtre, que les autorités religieuses ont souvent accus d’empoisonner les âmes en contrefaisant l’œuvre de Dieu, est donc profondément lié à la question du Mal, dans sa nature même.

 

IV-Macbeth, une tragédie psychologique ?

 1/ En concentrant son action sur un couple infernal, la pièce pose la question du genre tragique. En effet, Aristote précise, dans sa définition de la tragédie, que la terreur et la pitié, moteurs de la catharsis, seront manqués si « l’on voit un scélérat tomber du bonheur dans le malheur » : « ce gendre d’agencement pourra peut-être susciter la sympathie, mais ni pitié ni crainte ; car l’une – c’est la pitié- s’adresse à l’homme qui est dans le malheur sans l’avoir mérité ; et l’autre – c’est la crainte- s’adresse à notre semblable (Poétique, XIII, 1453, 2-7). Or il n’y a pas pire crime que le régicide, puisque le roi est la source du pouvoir, du bien, le représentant de Dieu sur terre. Le roi est aussi le père de ses sujets, un père qui, dans le cas des Macbeth, a fait preuve de largesse et d’attention. Lady Macbeth, la plus machiavélique des deux au début de la pièce, ne recule-t-elle pas devant l’exécution de ce qui lui apparaît soudain comme un parricide ? Le crime sur lequel repose l’action est donc d’autant + pur qu’il n’a pas de motivation politique ni personnelle (vengeance, disgrâce, mépris) : généreux avec Macbeth, ses gens, sa femme (il lui a offert un diamant), il lui a rendu l’hommage d’une visite en s’excusant de la peine causée et a reconnu sa dette envers lui en lui donnant une baronnie (« ce qui t’est dû dépasse ce qu’on peut te payer ». Cousin de Macbeth, le roi a donc été à la hauteur de ses devoirs en faisant preuve de générosité, de sincérité et d’humilité. Prémédité froidement, lâchement exécuté de nuit, perfidement attribué à des gardiens innocents que Macbeth élimine et accuse, ce régicide semble relever + du drame que de la tragédie, tant elle exclut l’apitoiement du spectateur sur le sort du couple Macbeth.

 

 2/ Pourtant le spectateur s’émeut d’une perte qui l’emporte sur l’horreur d’actes finalement peu montrés : si le bonheur se renverse en malheur, moteur de la tragédie, c’est surtout dans la conscience des coupables, qui préjugent de leur force et ne profitent pas du crime. Avant même d’être commis, le crime fait le malheur de Macbeth, qui ne connaîtra jamais le bonheur escompté. En vérité, lorsque la pièce commence, il est déjà trop tard, conformément à l’essence de la tragédie, résumée dans le vers de Phèdre : « mon mal vient de + loin ». Les sorcières qui attendent Macbeth incarnent la fatalité extérieure, également représentée par la figure d’Hécate. Le Mal corrompt les protagonistes, coupables et victimes d’un mal qui les perd en encourageant leur démesure: « Sois hardi, sanguinaire et résolu ; méprise la force humaine ; car nul homme né d’une femme sur Macbeth n’aura de prise ». Jusqu’au coup de théâtre qui déclenche la catastrophe finale, l’ironie dramatique suggère que le Mal a une origine surnaturelle, transcendante, et que les protagonistes ont été les jouets du destin.

Mais la fatalité des crimes, annoncés et produisant le malheur de ceux qui les exécutent, fait aussi des personnages les spectateurs lucides de leur propre corruption. Ce progrès de la corruption fait l’intérêt psychologique des personnages, d’autant + intéressants qu’ils sont déchus et complexes. Tout d’édddddTout entiers pris par le rêve d’un bonheur illusoire, hantés par le remords, les Macbeth approfondissent leur malheur et perdent à jamais leur innocence. Le mal a pour objectif illusoire de faire disparaître le mal et précipite l’issue tragique. La nécessité, l’impossibilité de faire disparaître les traces du mal, la souillure, est l’expression même de la fatalité tragique : la trace du 1er crime est indélébile et l’eau, pas + qu’un sang nouveau, ne peut faire oublier la souillure. La fatalité est donc + intérieure qu’extérieure.

 

 3/ Plongée dans l’intériorité des deux personnages, la tragédie est l’histoire de l’approfondissement du mal dans leur conscience. Si ces personnages sont intéressants, c’est que le Mal les rend complexes. Les monologues et les a parte sont, par excellence, le lie de leur introspection, et les scènes de groupe (fêtes ou spectacle du somnambulisme) sont l’occasion d’une projection de leur culpabilité. La complexité vient ainsi du point de vue adopté sur les personnages, qui suscitent, malgré leur forfait, la crainte et la pitié, parce que le spectateur suit leur progression intérieure à partir de leur point de vue. C’est donc + l’histoire de leur intériorité que l’enchaînement des événements qui rythme la pièce et les fait apparaître à la fois comme coupables et innocents. Car cette descente aux enfers de la conscience les fait apparaître comme lucides. Les protagonistes voient les effets du mal sur eux-mêmes : ils commencent par les refuser en n’y voyant qu’un moment de faiblesse qu’ils vont pouvoir dépasser, mais la réalité et les conséquences de leurs actes s’emparent progressivement d’eux.

            Le Mal dissolvant tous les liens humains, les Macbeth meurent seuls et abandonnés : »Petits et grands se sont révoltés contre lui ; les gens qui le servent sont contraints et forcés, et le cœur n’y est + » (V, 4). Cette solitude, qui est le sort du tyran, est d’autant + tragique que Macbeth a tué par ambition, au nom de la considération des autres : lui qui a tant cherché l’estime des hommes s’en trouve définitivement privé. Ce qui lui a fait un temps renoncer à son acte, l’estime acquise et perdue, devient ma manifestation éclatante de son châtiment. Le drame de Macbeth est qu’il ne pourra + jamais faire coïncider cette image qu’il veut garder auprès des autres avec ce que son acte a fait de lui. C’est en ce sens que le mal est diabolique : il divise l’être, rend à jamais séparées l’image qu’il veut donner et la réalité de ce qu’il est. C’est sans doute pourquoi il se compare, à la fin de sa vie, à un acteur qu’on n’entend +. Il ne peut faire correspondre l’être et le paraître, voudrait paraître ce qu’il n’est +, voit ainsi ironiquement s’accomplir son souhait de l’acte I, scène 4 : que ses yeux ne voient pas l’acte commis par ses mains. La dissolution diabolique du moi ne pourra que s’amplifier, puisqu’il faut d’autres crimes pour retrouver une unité définitivement perdue. Il veut et doit, pour faire oublier son 1er meurtre, en commettre d’autres, car il reste attaché aux valeurs du bien, alors même qu’il s’est engagé sans retour dans la voie du mal.  Pour éviter une honte publique, il accepte d’affronter la mort : il n’a pas perdu son courage, mais il l’a corrompu en le mettant au service du crime. Il vit cette division jusqu’à son terme, après avoir triomphé de lui-même pour accomplir son crime, contre sa propre nature : « à tout ce qui devrait entourer la vieillesse, honneur, amour, respect, et des légions d’amis, je ne dois pas m’attendre ; à leur place il m’échoit des malédictions, pas moins intenses pour être muettes, ou l’hommage feint de paroles que le pauvre cœur voudrait, mais n’ose pas, désavouer » (V,3). On voit ici, en creux, ce que Macbeth aurait voulu faire de sa vie et qu’il s’est employé à faire, avec succès, jusqu’à sa rencontre avec les sorcières, jusqu’à ce qu’il s’engage, entraîné par sa femme, sur la voie contraire de son ambition. De même, ses paroles traîtresses au moment de recevoir le roi chez lui disent paradoxalement le fond de ce qu’il aurait voulu être. C’est parce qu’il corrompt cette nature, parce qu’il sait aussi le prix de ce qu’il a perdu, comme un homme marqué par le péché originel infusé par la présence féminine des sorcières, puis de sa femme, que le personnage peut nous toucher : sa complexité réside dans le fait qu’en accomplissant le mal jusqu’à son terme, il n’a jamais perdu son attachement au bien ou à ce qu’il considérait comme l’apparence du bien. La division diabolique entre ce qu’il a été du temps où il était bon et ce qu’il est devenu depuis son 1er crime lui a fait perdre son unité avant même de l’avoir poussé à commettre l’irréparable : « ma pensée, où le meurtre n’est encore qu’irréel, ébranle tant l’unité de ma nature humaine » (I,4).

 

            L’assurance de Lady Macbeth, qui ne semble éprouver aucun scrupule avant et après le crime, qui méprise les réserves de son mari et semble unifié dans le choix délibéré du mal, sont balayées par la faute criminelle. Lady Macbeth symbolise ainsi les illusions de la volonté. Le mal corrompt sa volonté et révèle sa faiblesse, d’autant + pitoyable que son discours fut volontariste et sans scrupules. Elle aussi est victime d’un dédoublement de personnalité et ne réapparaît + que l’ombre d’elle-même à partir de l’acte III, où elle ne maîtrise déjà + rien et est dans l’ignorance de ce que fait son mari. Celle qui avait fait de la sauvegarde des apparences son mot d’ordre se donne à lire comme un livre ouvert, à son insu. Sa descente aux enfers  prend les apparences de la folie. C’est d’ailleurs un docteur en médecine qui enregistre les symptômes d’un mal, qui n’est pas se son ressort. Le mal, qui a pris l’apparence de la maladie somnambulique, est métaphysique. Ce que la nuit avait d’abord caché devient spectacle et aveu. La distance construite entre l’être social et l’être profond s’est résorbée : « je ne voudrais pas avoir un tel cœur dans ma poitrine, pour tous les honneurs rendus à sa personne » (V, 1). Lady Macbeth n’a + d’identité parce qu’elle n’a + rien à cacher, à protéger : elle ne possède + rien, ni angoisse, ni souvenirs, ni projets. Condamnée à revivre les scènes traumatiques passées, elle sort du temps et se laisse emporter par l’horreur de son crime. Le Mal a révélé la structure profonde de la personne : derrière le masque de la volonté de maîtrise, l’inconscient dévoile les désirs et les actes refoulés. Le Mal révèle en corrompant la personnalité sa structure profond et son besoin d’opacité. La transparence de Lady Macbeth est le signe de sa dissolution.

 

            Le mal a donc une fonction créatrice sur le plan de la psychologie des personnages : il donne à voir les contradictions et les faiblesses de la conscience humaine. La maladie, l’imagination, le désespoir des héros tragiques manifestent les limites de la volonté, qui ne peut assumer seule le poids d’un mal dont l’origine est surnaturelle et qui les dépasse. Le mal est en définitive une formidable sonde pour explorer les méandres de la conscience. Macbeth et sa femme sont à la fois + mauvais et + complexes que les autres personnages, mais ils sont aussi + vivants.



[1] En anglais, « lunatic » désigne un malade mental.

[2] Le calvaire est évoqué dans tous les évangiles du Nouveau Testa ment :Matthieu (27:33) : « Arrivés au lieu nommé Golgotha, ce qui signifie lieu du crâne. » : Marc (15:22) : « Et ils conduisirent Jésus au lieu nommé Golgotha, ce qui signifie lieu du crâne. » :Luc (23:33) : « Lorsqu'ils furent arrivés au lieu appelé crâne, ils l'y crucifièrent. » : Jean (19:17) « Ils prirent donc Jésus ; il sortit portant sa croix et vint au lieu dit du crâne, ce qui se dit en hébreu Golgotha. ». Le mot לְגֻלְגַּלֹתָם, LGLGLTM, Legoulgualotam, apparaît quatre fois[3] au chapitre 1er du Livre des Nombres, versets 2, 18, 20 et 22. La traduction est “par tête” ou "par crâne", comme dans l'Exode 16, 16 ou 38, 26 et les Nombres 3, 47. Mais dans les Juges, 9, 53 (Abimelek) [4] et le 2e livre des Rois 9, 35 (Jézabel), גֻּלְגָּלְתּ, GLGLT, Goulgolèt signifie bien “crâne”.Le Golgotha, ou calvaire, représente le lieu de crucifixion de Jésus et des deux brigands. Certains avancent que lors de la crucifixion de Jésus, on aurait découvert le crâne d’Adam, enseveli en ce même lieu[5]. La tradition chrétienne enseigne que le sacrifice de Christ puis sa résurrection trois jours après, pardonne le péché originel dont Adam était responsable et apporte de ce fait le salut de l'humanité ; à tous ceux qui croient en ce salut.

 

[3] « fair hair » désignant une chevelure blonde, la traduction « le clair est noir et le noir est clair » souligne le clair-obscur dans lequel la pièce baigne, tandis que la traduction « le beau est laid et le laid est beau » reprend l’interaction de l’esthétique et de la morale dans le « kalos kagathos », contraction de « kalos » -beau – kai –et- agathos- bon- de la Grèce antique classique.

[4] « foul » peut évoquer une action moralement blâmable, qui transgresse les règles(« déloyal », « malhonnête », « crapuleux »), mais aussi une sensation, physique répugnante : « nauséabond », »fétide », « infect », »puant ».

[5] La pièce s’ouvre sur une double question des sorcières : »quand se retrouver réunies ? » ; « et où l’endroit ? »)

 

[6] Cette scène commence aussi par une question : « quel homme ensanglanté est-ce là ? »

[7] Les 1ères paroles de Banquo sont : « quelle distance pour Forres ? » ; « qu’est-ce que ça ? ».

[8] Knight les y dit « tendues, dramatiques » : « eh bien, quelles nouvelles ? » ; « IL a presque soupé : et pourquoi avez-vous quitté la salle ? » ; »lui m’a-t-il demandé ? » ; « ne le savez-vous pas ? ».

[9] II,2 « Pas entendu de bruit ?/ N’avez-vous pas parlé ? /Quand ? / Maintenant. / Comme je descendais ? »

[10] In « Le Mal », fiches et méthodes, Ellipses, 20010, p.83-89

[11] Cf réponse à la question sur le rôle de la rencontre de Macbeth avec les sorcières dans le questionnaire sur Macbeth

[12] Cf réponse à la question « le sang attire le sang » et à l’analyse de la « logique du pire ».

03 octobre 2010

introduction à la lecture de Macbeth

Introduction à la lecture de Macbeth :

En quoi le contexte historique, religieux, politique, littéraire et esthétique éclaire-t-il la problématique, la dramaturgie et la poésie du mal dans la tragédie de Macbeth ?

 

I-«Equivocation » et dramatisation de la controverse sur le libre arbitre.

[1]Quand la troupe de Shakespeare joue pour la 1ère fois Macbeth, en 1607, Jacques VI d’Ecosse (fils de Marie Stuart) a, depuis 4 années seulement, succédé à Elisabeth Ière, la « reine vierge », dernière représentante de la dynastie des Tudor, sur le trône d’Angleterre et sous le nom de Jacques 1er.  Or cette succession dynastique qui sépare « l’ère élisabéthaine » (1558-1603) de « l’ère jacobéenne » (1603-1642) marque une césure. Le règne de Jacques 1er, passionné de démonologie et dont la légende fait remonter la lignée à Banquo, reste hanté par le spectre de la conjuration politico-religieuse, conséquence de la précarité du compromis anglican et du conflit entre le roi et le parlement. L’instabilité de cette situation suscite une inquiétude que l’on ressent chez Shakespeare et qui s’inscrit sur fond de problématique humaniste du Prince et du libre-arbitre.

 

 En effet, tout le long du XVIème siècle et jusqu’au « compromis élisabéthain », l’Angleterre oscille entre catholicisme, protestantisme et anglicanisme[2]. Or du fait de sa politique d’apaisement avec l’Espagne catholique, Jacques 1er, calviniste, est suspect de sympathies catholiques aux yeux des puritains, qu’il cherche en conséquence à se concilier, ce qui lui attire ensuite les foudres des catholiques extrémistes: le 5 novembre 1605, ces derniers tentent de faire sauter le roi-en-son-parlement (king-in-parliament). Déjouée à temps, cette conspiration des poudres (« gunpowder plot ») se solde par l’arrestation et l’exécution des conspirateurs. La pièce de Shakespeare fait allusion à cette actualité, qui réveille, avec la question de la trahison, celle, + délicate, de la riposte jésuite à la « bloody question », par quoi les sujets catholiques d’Elisabeth 1ère étaient naguère sommés de choisir entre l’allégeance au pape et la fidélité à l’Angleterre : la stratégie de l’équivocation, à laquelle renvoie le portier de l’enfer, à l’acte II, scène 3 de Macbeth, l’image du « Double Joueur », était censée permettre de concilier le serment d’allégeance à la reine et la foi dans l’Eglise.[3]

+ profondément, on peut relier la question de la liberté, et donc de la responsabilité qui est au cœur de la problématique du mal moral dans la tragédie de Macbeth à la controverse sur le libre-arbitre, controverse qui oppose, dans l’Europe de la Réforme et de la Contre-Réforme, le dogme protestant de la prédestination à la Diatribe sur le libre-arbitre d’Erasme: pour les puritains qui s’inspirent de Luther et de Calvin, l’homme, irrémédiablement déchu sans le secours de la grâce, ne peut que pécher, car son cœur incline naturellement au mal et l’idée d’une volonté libre est une suggestion de Satan destinée à égarer l’homme en le détournant de la voie de Dieu ; l’homme ne pouvant vouloir quoi que ce soit, en bien ou en mal, tout arrive selon une nécessité absolue et seule notre infirmité, doublée d’arrogance, peut nous entretenir dans l’illusion que nous contrôlons quoi que ce soit. Pour Erasme en revanche, l’inclination naturelle au mal n’est pas une fatalité, car « l’action efficace de la volonté humaine permet à l’homme de s’attacher à ce qui le mène au salut éternel ou de s’en détourner » en coopérant ou non avec la grâce divine ; selon que la volonté libre, en tant que cause seconde, coopère ou non avec la causalité 1ère qu’est la grâce divine, l’homme est conduit à commettre des actes vicieux ou vertueux ; la voie moyenne de l’anglican Richard Hooker estime que la grâce est un don gratuit, mais qu’elle ne tient pas quitte de tout travail et peut être ôtée en cas de conduite indigne. Or Michèle Vignaux (3 en 1 Atlande p.78) propose de lire Macbeth comme «une dramatisation (i.e. une mise en théâtre) de la controverse sur le libre arbitre, à travers la genèse et la carrière du criminel, dont on voit l’évolution, du statut de valeureux guerrier, pour qui les valeurs de service, de loyauté et d’honneur sont à elle-même leur propre récompense (I,4) au traître qui assassine son souverain dans son sommeil, du « débutant encore bien jeune en action (III,4 ) », dont la nature est « trop pleine du lait de la tendresse humaine » (I,5) et dont le visage « se lit à livre ouvert » (I,5) au criminel qui a appris à « faire nos faces les visières de nos cœurs/ Déguisant ce qu’ils sont » (III,2)  et qui va vérifier que le mal, venant hanter son auteur, contient son propre châtiment qui fait retour contre son inventeur (I,7). Si les sorcières sont les instruments premiers de la tentation et de la  damnation de Macbeth, il n’y a là aucune fatalité, aucune prédestination au mal, puisqu’elles n’incitent pas au meurtre, dont la décision incombe librement à Macbeth. Ainsi on préférera à une lecture protestante (si les sorcières existent, Macbeth n’est pas responsable) une lecture érasmienne (les sorcières ont besoin du concours de Macbeth pour faire le mal) fondée moins sur la rencontre de Macbeth avec son destin que sur la confrontation de Macbeth à la matérialisation de son « désir ventriloque ». La preuve que cette voie moyenne est possible résiderait dans le personnage de Banquo, qui en appelle aux « puissances bienfaisantes » quand Macbeth, hypnotisé par les prédictions des sorcières, leur prête le concours de la volonté pour forcer le destin : « refoulez en moi les pensées mauvaises » pour que je garde « mon cœur très franc et ma claire allégeance » à Duncan (II, 1).

 

II- Entre Miroirs du Prince et Prince de Machiavel : l’arrière-plan politique de la tragédie

A cette question philosophique et religieuse s’ajoute un arrière-plan politique, qui, sans être propre à l’Angleterre, s’inscrit néanmoins aussi dans un contexte précis. En effet la problématique humaniste du Prince, qui se profile à l’arrière-plan de la Macbetht, oppose deux modèles, incarné l’un par le roi d’Angleterre (IV,3), saint homme qui a la grâce, de par son onction royale, de guérir «le Mal » (« evil »), problématisé l’autre par Malcolm, personnage ambigu dont l’interprétation engage la lecture du mal politique dans la pièce : le modèle médiéval des Miroirs des Princes, inspiré de la Cité de Dieu de Saint Augustin et subverti par Machiavel ; Le Prince  de Nicolas Machiavel.

 

Dans La Cité de Dieu, Saint Augustin présente le souverain idéal comme exerçant un ministère, dévoué envers son peuple. Répondant à la nécessité d’éviter l’usage abusif du pouvoir, les Miroirs des Princes[4]  parent de toutes les vertus le souverain défunt pour présenter à son successeur un modèle de vertu à suivre. L’éloge qu’à l’acte IV, scène 3, p. 118-120, Shakespeare fait du roi d’Angleterre, image du ministre de Dieu sur la terre, en harmonie avec le Ciel, relève de cette tradition[5]. Exact symétrique de la sorcellerie à laquelle Macbeth souscrit, de l’urine viciée de l’Ecosse, contre laquelle le médecin appelé au chevet de lady Macbeth ne peut rien, du vide qui se creuse autour de la figure du tyran, la foule attend sa cure, massée devant le palais du roi thaumaturge : « lorsqu’il touche, le ciel a donné telle vertu à sa main » que sur le champ, « ils sont soulagés » du « Mal », écho à la théorie vétéro-testamentaire qui voyait dans les maux physiques les stigmates d’un mal moral, une sorte de rétribution divine. La puissance de guérison du roi relève du miracle : « comment il fait intervenir le Ciel, lui seul le sait », « et il est dit qu’il léguera à tous les rois ses successeurs la guérissante bénédiction ».

Macbeth, lui, en commettant le régicide, a « subverti le rapport qui fait de l’ordre individuel et social une dépendance vivante et homologique du cosmos » : le régicide entachant son accession au pouvoir de sacrilège, il n’a conquis que l’apparence du pouvoir : le titre de roi et ses symboles matériels, la couronne et le sceptre. Mais la couronne qui ceint sa tête n’est qu’une « couronne sans fruit » et le sceptre remis en sa main est stérile (III ,1). Comment aurait-il pu acquérir l’autorité mystique dont sont investis les rois de droit divin, lui le régicide, initié au mal par les sorcières et par Lady Macbeth, 2ème Eve, entraîné par son pacte avec les sorcières dans une logique diabolique ? Selon les termes du réformateur anglais Wycliffe, ce tyran d’entrée comme d’exercice a la potestas(le pouvoir du magistrat), mais non le dominium (le pouvoir du dominus) : très vite, il perd le soutien des Grands et du peuple, que la peur ne retient + de se désolidariser d’un pouvoir qui n’a jamais pu asseoir sa légitimité sur l’ »amour ».

 

Selon une tradition remontant au XIème siècle et dont Elisabeth 1ère d’Angleterre avait su tirer le meilleur parti en s’érigeant en icône de l’Angleterre et en suscitant un véritable culte à sa personne, la figure du roi, mi-séculaire, mi-sacrée, était le centre mythique du royaume, structure fondée sur l’autorité personnelle, avec à sa tête le souverain, l’aura sacrée qui entoure l’héritier légitime, consacrant la succession héréditaire comme essentielle à un ordre social serein: les princes d’Angleterre ou d’Ecosse ont la faveur de Dieu et la succession héréditaire est considérée comme essentielle à un ordre social serein. On n’arrache donc pas impunément la couronne à l’oint du Seigneur, chargé d’instaurer l’harmonie dans ses états, d’assurer la pérennité de l’ordre social. Or Malcolm est en dépit de sa faiblesse, une figure de l’ordre et de la justice. Dès lors Macbeth, vaillant et loyal guerrier qui trahit son roi après l’avoir sauvé de la trahison de Cawdor, devient une figure de traître, un agent de néant qui annihile l’ordre social et par qui le groupe se dissout : « A présent il sent ses meurtres cachés qui lui collent sur les mains,/ A présent les révoltes incessantes lui reprochent sa félonie ; ceux qu’il commande agissent seulement sur commande,/ Rien par amour ; et maintenant il sent son titre pendre lâchement sur lui/ Comme la robe d’un géant sur un nain voleur » (V,2, p.129). Car Macbeth n’est pas le Prince de Machiavel, qui parvient à surmonter sa propre traîtrise pour fonder un ordre nouveau : si la trahison ne prospère jamais, c’est que « si elle prospère, nul n’ose la nommer trahison » (Jules César). Dans l’échange entre lady Macduff et son fils sur la traîtrise, à l’acte IV, scène 2, l’enfant pointe naïvement la question indécidable du fondement de l’autorité : »Qu’est-ce qu’un traître ? / - Celui qui jure et qui ment. Quiconque fait cela est un traître, et il doit être pendu./ Qui doit les pendre ? / - Les hommes honnêtes. / - Mais n’y a-t-il pas des jureurs et des batteurs assez pour battre les honnêtes et pour les pendre ? ».  Machiavel a en effet montré qu’à l’origine de toute légitimité, du Prince traditionnel, il y a toujours la force, la victoire, le sang. La détention de la force permet seul d’asseoir le droit, institué par le vainqueur.

Mais Macbeth n’est pas seulement un traître, c’est un tyran : « tyran d’entrée » (la tyrannie est, pour l’usurpateur, un moyen d’accéder au pouvoir) et « tyran d’exercice » (la tyrannie comme mode de gouvernement), il est, à mesure que progresse l’intrigue, de + en + incapable d’une autre action que le crime, fuit l’ordre de la Nature pour la roue de la Fortune et fait croître le mal dans le monde où il se trouve : « il fortifie durement Dunsinane. Certains disent qu’il est fou, et d’autres, le haïssant moins, nomment cela fureur guerrière ; mais ce qui est certain, il ne peut + enserrer sa maladie frénétique dans la boucle d’une règle. Aucun principe régulateur ne venant tempérer l’excès de sa passion meurtrière et mortifère, « des révoltes incessantes lui reprochent sa félonie ; ceux qu’il commande agissent seulement sur commande », jamais par amour de leur Prince, si bien que « son titre pend lâchement sur lui comme la robe d’un géant sur un nain voleur ». Déconstruisant l’ordre que la guerre juste qu’il menait avait contribué à rétablir/ consolider, Macbeth devient l’ennemi d’un ordre dont il s’est exclu en le désorganisant, légitimant  la traîtrise, l’abandon, l’artifice de la ruse de guerre et l’alliance de Malcolm et de nouvelles forces extérieures pour décapiter le Mal au terme d’une guerre à laquelle les Siward donnent l’accent d’une croisade. Dans la dernière scène, l’ordre est rétabli après la vengeance du justicier et la mise à mort sacrificielle du traître et du tyran : le chœur des soldats répondant au « salut, ô Roi d’Ecosse » de Macduff par un chiasmatique « ô Roi d’Ecosse, salut ! », écho aux trois saluts initiaux des sorcières, la refondation commence avec la gratitude du nouveau Prince qui récompense l’amour et le substitue à l’ambition : Malcolm nomme « comtes » ses proches et s’en remet à la grâce de la Grâce pour « nouvellement planter selon le temps ». Dieu a vaincu les puissances trompeuses qui avaient abusé l’imagination de l’usurpateur. Le royaume de la peur s’effondre. Le modèle du Prince machiavélien est désarticulé.

 

Le second modèle qui inspire la pièce est en effet celui du Prince de Machiavel, qui recommandait, au chapitre 18 de son essai, de « savoir bien pratiquer la bête et l’homme », d’être renard et lion : le renard, ne pouvant se défendre des loups, a besoin de la force du lion ; le lion, ne pouvant se défendre des pièges, des rets, a besoin de la ruse du renard.  Car la ruse est la forme la + efficace de la force : le Prince doit savoir briser les engagements qui tourneraient à son désavantage en « colorant » sa loyauté, non pour sauver son âme, mais les apparences. Il doit dissimuler et transgresser les normes morales pour vaincre et maintenir l’Etat : un peuple satisfait se soucie peu d’authenticité et de vérité. Or si la 3ème apparition conseille à Macbeth d’être « substance de lion », de ne soucier ni d’agitation, ni d’insurrection, ni d’une éventuelle conspiration car il « ne sera pas vaincu jusqu’à tant que la grande forêt de Birnam vers le sommet de Dunsinane ne s’avance contre lui », elle le trompe. Surtout, Macbeth est un homme tellement rongé de remords qu’il est incapable de dissimuler les images qui le hantent. Seul Malcolm se ferait donc le disciple de Machiavel quand il trace de lui le portrait factice d’un Prince corrompu, à l’acte IV, scène 3 : à Macduff qui l’invite à saisir le glaive pour délivrer la patrie du tyran, il répond en dressant un portrait qui, dit-il, le rend incapable de redresser quoi que ce soit dans un royaume déjà éprouvé : il n’ajouterait que le mal au mal en surpassant Macbeth. La question se pose alors de savoir si Malcolm ment quand il énumère ainsi tous ses vices et s’avoue dépourvu de toutes les vertus qui font les rois (justice, vérité, tempérance », sûreté, humilité, persévérance, miséricorde, dévouement, patience, courage, constance), comme il le prétend quand il détrompe Macduff, une fois rassuré sur son intégrité, ou s’il dit la vérité. Outre le malaise suscité par cette longue confession, l’hypothèse du mensonge, machiavélien, ne rassure pas sur la nature du pouvoir à venir : le frère de Donalbain ne fuyait-il pas Inverness aussi pour éviter de simuler un chagrin qu’il reconnaissait ne pas éprouver ?

 

Régicide, assassinats, hantise de la conjuration et de la rébellion peuvent enfin tenir à l’histoire (récente) de l’Angleterre : la guerre des deux roses, dont Shakespeare met en scène les soubresauts dans ses drames historiques, a laissé des traces dans l’imaginaire politique anglais. Au moment où les membres de la troupe des King’s Men jouent Macbeth devant Jacques 1er, dont la mère, Marie Stuart, a été décapitée pour trahison sur l’ordre de sa cousine Elisabeth 1ère d’Angleterre, en 1587, le climat politique est instable : en 1601, le comte d’Essex a été exécuté après sa rébellion avortée ; divers complots ont suivi le passage de la dynastie des Tudor à celle des Stuart, qui se terminera par la décapitation du roi en exercice, Charles VII, lors de la révolution de Cromwell, en 1647. Le 5 novembre 1605, Jacques 1er vient lui-même d’échapper à la « conspiration des poudres », qui visait à supprimer d’un coup le roi anglican et son parlement. Bientôt, ce parlement nourrira un ressentiment profond contre son roi, qu’il soupçonne de dérive absolutiste. Comme le souligne Liliane Campos dans le dossier de l’édition GF (p. 147), « la trahison mise en scène par Macbeth reflète les inquiétudes d’une époque tumultueuse », et « Shakespeare intègre à son texte des références explicites à cette conspiration récente ». Lorsque le portier de l’acte II se réfère à l’ »équivocation », il s’agit en effet d’une forme de mensonge sous serment, préconisée par l’Eglise catholique, dont on avait accusé le jésuite Henry Garnet, l’un des principaux condamnés de la conspiration des Poudres. « La duplicité politique et linguistique qui sévit dans Macbeth s’inspire donc de ce contexte de suspicion, dans lequel l’ambiguïté et le double sens sont des procédés rhétoriques désormais associés à la trahison », conclut L Campos, qui rapproche le dialogue entre Malcolm et Macduff du débat d’actualité sur la légitimité de la rébellion. L’obsession des Tudor pour le devoir d’obéissance inconditionnelle avait en effet conduit Elisabeth à condamner la rébellion contre le tyran d’exercice, interprétée par la législation sur la trahison et par l’homélie de 1571 « contre la désobéissance et la rébellion » comme un châtiment envoyé par Dieu à un peuple  pécheur, dont la rébellion politique marquait la révolte contre l’ordre voulu par Dieu. Seul un tyran d’entrée pouvait donc, dans des cas extrêmes, autoriser la rébellion.

Or le théâtre de Shakespeare, qui  pose la question du régicide comme point de départ d’un dérèglement de l’ordre politique et naturel (Jules César, Hamlet, Macbeth, Le Roi Lear), explore toutes les combinaisons possibles entre la légitimité et les qualités de gouvernement du Prince : tyrannique par faiblesse (weak king tyrant), Richard II est un roi légitime mais incapable de gouverner (Richard II) ; les qualités de roi d’Henry IV ne parviennent pas à effacer la tache originelle de l’usurpation (Henri IV), qui empoisonne encore le règne de son fils Henry V (Henri V), malgré une légitimité alliée aux qualités d’un bon roi ; la mort prématurée de ce dernier ne lui permet pas d’assurer la succession du jeune Henry VI (Henri VI) , sorte de roi malgré lui, qui vient à douter de sa légitimité et qui est détrôné par Richard III, usurpateur et tyran sanguinaire, dont le règne prend fin en 1485 avec la bataille de Bosworth, où il tombe sous les coups du futur Henry VII, fondateur de la dynastie des Tudor, qui allait assurer à l’Angleterre un peu +d’un siècle de paix et de prospérité relatives (Richard III).

 

Enfin la personnalité de Jacques 1er est liée à la question de la sorcellerie: persuadé que des sorcières avaient troublé les voyages de membres de la famille royale, il leur consacre en 1597 un traité de Démonologie et encourage leur persécution en Ecosse, avant de constater que ces femmes sont avant tout victimes de leur imagination et de revenir à la thèse de l’anglais Scot, pour qui la sorcellerie n’est que « le manteau de l’ignorance », la persécution des sorcières revenant à les créditer d’un pouvoir auquel elles finissent par croire et étant un moyen de se dérober à ses propres responsabilités en attribuant le mal à un agent extérieur.

 Or nous verrons que dans Macbeth, la question de l’existence des sorcières, ces adeptes de la magie noire dont Hécate, déesse de la nuit et des fantômes, mère, dans la mythologie antique, de la magicienne Circé et tante de l’infanticide et empoisonneurs Médée, mène la danse, que le folklore représente comme des vieillardes ayant le pouvoir de déclencher des tempêtes et de provoquer le tonnerre et que le Moyen Âge chrétien relie au satanisme en l’accusant de blasphèmes, de sorts et d’envoûtements malveillants, d’invocations et de pactes diaboliques, d’usage de poisons et de filtres, de sacrifices d’enfant pour se procurer de la chair et du sang, de transport aérien, de sabbats et de messes infernales avec le bouc Satan, est au cœur de la problématique du mal. Initiatrices au mal, ces trois personnages pittoresques, à la fois inquiétants et comiques, ressemblent en effet bien à des sorcières : dans leur langage bizarre, à mi-chemin entre les devinettes populaires et les prophéties tragiques, elles se réfèrent au folklore des campagnes anglaises tout en déclarant « planer dans les brumes de l’air ». Leur cuisine infecte, leurs jeux atroces et leurs comptines à base de rythmes binaires et ternaires relèvent du même registre dans la scène du chaudron, inspiré par ailleurs d’un épisode célèbre de sorcellerie biblique : celui du mauvais roi Saül, menacé par son gendre David et par l’armée des Philistins, et qui va consulter la nécromancienne d’Endor au chapitre 28 du 1er livre des rois, Samuel. Celle-ci fait apparaître le spectre du prophète Samuel prédisant sa défaite, dans une atmosphère de mystère et d’épouvante qui a suscité à la Renaissance +sieurs mises en scène tragiques, que Shakespeare a sans doute prises pour modèle. Pourtant le texte de l’in-folio de 1623 ne parle pas de sorcières (les didascalies ont été rajoutées par les éditeurs modernes), mais de « weird sisters », « sœurs folles », « sœurs étranges » ou « sœurs fatales » (III,5), « choses » que Banquo et Macbeth ne savent par quel nom désigner et qui peuvent faire penser, par leur impact sur le destin, à des entités + abstraites : nornes des mythologies nordiques, Parques/ Moires qui ourdissent, tissent et coupent le fil de la vie, voire Erinyes des tragédies antiques, quand elles poursuivent de leur fureur vengeresse les coupables. Pourtant, Banquo et Macbeth s’interrogent, à l’acte I, scène 3, sur l’identité, sur l’existence même de ces être qui semblent « corporels », mais se dissolvent dans l’air comme des bulles à la surface de l’eau, émanation de la terre ou de l’imaginaire des hommes dont elles matérialiseraient le désir : « êtes-vous un fantasmes ou en réalité ce que vous montrez au-dehors (I,3) ». Enfin si le témoignage de Banquo aux cotés de Macbeth, lors de sa 1ère rencontre avec les sorcières, tend à objectiver leur présence et à leur conférer une certaine réalité, les apparitions de l’acte IV, scène 1 sont déréalisées par le fait que Macbeth est seul à les voir : Lennox répond par la négative lorsque Macbeth lui demande s’il a aperçu les «sœurs fatales » dans la lande. Beaucoup de metteurs en scène et de cinéastes contemporains font du reste le choix de psychologiser ces phénomènes censément surnaturels en soulignant la dimension onirique et cauchemardesque des apparitions. L’efficacité dramatique du texte de Shakespeare vient de l’indétermination de ces phénomènes.

 

III-Théâtre élisabéthain et esthétique baroque

La période créatrice du théâtre de Shakespeare, dramaturge, comédien, metteur en scène et producteur de ses propres spectacles, coïncide, à la fin du règne d’Elisabeth et au début du règne de Jacques 1er, avec l’âge d’or du théâtre élisabéthain.

Matériellement, ce théâtre se jouait à l’extérieur de la Cité de Londres, dans des zones franches qui accueillaient d’autres lieux de plaisir comme les tavernes, les maisons de jeu et les arènes où avaient lieu les combats d’ours et de chiens auxquels Macbeth fait allusion comme il se compare à un « ours d’Hircanie » pris au piège : « ils m’ont lié à un poteau ; je ne peux fuir, mais comme l’ours, je dois tenir contre la course » (V,7).

 

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 Il se jouait en général en plein jour et à ciel ouvert[6], dans un amphithéâtre de bois de forme quasi circulaire, avec un public sur 3 côtés, un plateau large permettant de jouer scènes de foule et d’action, une trappe autorisant, sur le devant de la scène, l’apparition d’êtres surnaturels ou de fantômes, des mansions permettant d’opposer aux scènes d’extérieur des scènes d’intérieur au fond de la scène et, parfois, un balcon autorisant un jeu sur plusieurs niveaux. L’absence de décor et de conventions contraignantes – il n’y a ni règles des 3 unités ni questions de « bienséances » dans le théâtre élisabéthain, volontiers spectaculaire, violent et grivois- comme la diversité du public, populaire en raison du prix modique des places-, expliquent le mélange baroque des registres et des genres dans Macbeth : les sorcières comme le portier de l’enfer sont, en même temps que des figures du mal, des personnages grotesques, qui contribuent, sinon à désamorcer le tragique, du moins à mettre à distance le surnaturel.

 

Drames historiques et tragédies shakespeariens relèvent donc de cette esthétique du spectacle, de l’action et du contraste, dans laquelle Hugo verra un théâtre de la liberté et de l’humain dans sa totalité et qu’on peut rapprocher de l’esthétique baroque, mouvement littéraire et culturel européen, contemporain des retombées du schisme provoqué par le conflit entre catholicisme et protestantisme, et dont la sensibilité se résume dans une figure de style et une thématique omniprésentes dans le théâtre de Shakespeare : l’oxymore et la vanité. Or cette figure de style et ce motif, particulièrement présents dans Macbeth reflètent deux aspects du mal : la réversibilité, signe de la confusion du Bien et du Mal, du mensonge et de la vérité, du jour et de la nuit, etc ; le théatrum mundi, signe de l’absurdité, du non sens, du néant.

Or, nous l’avons vu dans le corrigé du contrôle de lecture, l’oxymore, doublée d’un chiasme et d’une paronomase « fair is foul and foul is fair » condense, dès les 1ers vers des sorcières, symboliquement repris en écho par Macbeth, l’ambivalence dont la pièce va décliner les modalités, tant au niveau du clair-obscur dans lequel la pièce baigne (cf conclusions du tableau répondant à la question 1 du contrôle de lecture) que dans la construction des personnages, par exemple quand le couple Macbeth inverse les rapports entre genre masculin et genre féminin, signe d’un ordre contre-nature, ou que « deux vérités » opposées sont dites par les sorcières : « les puissances obscures nous disent le vrai » ; « i begin to doubt th’equivocation of the fiend that lies like thrue ». Cette « équivocité » est elle-même, dans la pièce, reliée au « double joueur », figure du diable qui conduit Macbeth à conclure, dans la banqueroute existentielle qui lui inspire un désir de néant, au nihilisme absolu: « la vie n’est qu’une ombre en marche, un pauvre acteur qui s’agite pendant une heure sur la scène et alors on ne l’entend plus : c’est un récit (« tale ») conté par un idiot, plein de bruit et de fureur, ne signifiant rien ». On ne saurait mieux relier l’absurdité du mal au thème, baroque, du « theatrum mundi ».

ó On peut donc, dans Macbeth, tisser un lien entre la réversibilité, la confusion, la vanité, motifs récurrents dans l’esthétique et le théâtre baroques, et la dramaturgie comme la modernité de l’esthétique comme de la métaphysique du  mal shakespearien. Car si l’essentiel de la pièce se passe de nuit, dans des décors de mots (cf corrigé de la Q 1 du contrôle de lecture) qui renvoient à l’autre scène de l’inconscient, l’atmosphère de cauchemar dans laquelle monde inversé (ibidem), apparitions (des sorcières, du poignard et de Banquo cf correction des Q 3 et 4) et apocalypse du mal font baigner la pièce  (cf  présentation  de la pièce par G.Wilson Knight dans l’édition GF) placent la représentation du mal au cœur d’une esthétique frappée au coin de la beauté horrible du mal : il y a, dans cette pièce en vers aux images éloquentes, qui manie l’antithèse et l’oxymore, une poétique, une poésie du mal, qui ne tient pas seulement à son esthétisation, mais aussi à la fascination qu’elle exerce sur nous par la médiation du spectacle tragique.

 

Car cette pièce, écrite après les « grands drames historiques » des années 1590, est la tragédie la + courte, parce que la + resserrée dans le temps et dans l’action, des pièces de Shakespeare.

Avec le drame, cette tragédie composée 7 ans après Hamlet, 3 ans après Othello et un an avant Le Roi Lear, partage la définition aristotélicienne de l’action théâtrale» (« drama » désigne en grec ancien « l’action » et l’étymologie du nom « théâtre » remontre à une racine grecque signifiant voir) comme imitation, non de paroles, mais d’actions : le théâtre shakespearien, en cela conforme aux attentes du public très bigarré du drame élisabéthain, ne rechigne pas devant le spectacle de la violence, comme en témoignent le motif récurrent du sang dans Macbeth, la représentation sur scène du guet-apens tendu à Banquo et la vision, quasi cinématographique, du mouvement des armées/ de la forêt en marche vers Dunsinane. Pourtant, on notera l’ellipse du meurtre de Duncan (cf corrigé de la Q 2 du contrôle de lecture) et la suspension du massacre des Innocents au coup de poignard dans le dos du fils de Macduff. Contrairement à l’esthétique, réaliste ou non, des adaptations  cinématographiques de Welles ou de Polanski, qui représentent sous les yeux des spectateurs ce que le lecteur de Shakespeare est seulement appelé à imaginer, le décor de mots tire un effet puissant de l’identification du régicide à l’innommable, donc irreprésentable, l’autre scène de l’imaginaire, de l’inconscient du couple Macbeth prenant le pas sur la réalité qu’ils dramatisent au sens propre du terme.

Pourtant cette pièce, inspirée, comme beaucoup de drames historiques de Shakespeare, des chroniques de l’histoire d’Angleterre et d’Ecosse, est une tragédie et non un drame. Pourquoi ? La 1ère raison est que la tragédie pose, avec la fatalité sans quoi il n’est pas de temps tragique, la question de la responsabilité, de la faute tragique et de la liberté, questions centrales dans une dramaturgie de la conscience qui pose le problème de l’origine, surnaturelle ou humaine, du mal politique et qui fait de la souillure la principale manifestation du remords, conscience de la faute inscrite dans le corps et l’imaginaire du héros tragique: Macbeth n’est-il que l’instrument d’un Mal incarné par Hécate, Lady Macbeth et les sorcières, figuré  par les apparitions ? Ou le mal s’ancre-t-il dans la volonté faible, mais libre de celui qui a si parfaitement conscience de transgresser la loi morale, que le remords le ronge, qu’il se damne jusqu’à revendiquer l’héroïsme du mal, et qu’on a pu dire qu’il incarnait la voix de la conscience ? C’est que -2ème raison- a parte, monologues et dramaturgie de l’inconscient placent la conscience tourmentée des protagonistes au centre d’une action fortement intériorisée : la conscience est au coeur d’un spectacle qui en sonde l’abîme et rend les personnages complexes, le spectateur suivant leur progression intérieure à partir du point de vue des agents du mal, tourmentés. Cela explique sans doute, -3ème raison-, que la catharsis tragique fonctionne, en dépit de l’ horreur qui risquerait de détourner l’émotion tragique –le héros tragique doit, selon Aristote, inspirer « terreur et pitié »- du spectateur de monstres inhumains : non seulement l’Ecosse est purgée du mal incarné par Macbeth, comme le suggère l’image du sacrifice, employée par Caithness à l’acte V, scène 2[7]; mais le bonheur se renverse bien en malheur dans la conscience des coupables, qui ne connaîtront jamais le bonheur espéré et différé, leur acte entraînant fatalement l’enchaînement implacable des meurtres  C’est donc + l’histoire de l’intériorité des personnages que l’enchaînement des événements extérieurs qui constitue l’action d’une pièce où le mal, qui a pour fonction illusoire de faire disparaître ou de conjurer un mal plus grand, précipite l’issue tragique. Cette intériorisation de l’action, qui voient les effets du mal sur eux-mêmes, contribue par ailleurs à souligner la lucidité du héros tragique, qui avance en aveugle face à son propre destin, mais dont la grandeur vient aussi de la reconnaissance d’avoir été à la fois joué par le destin et révélé à lui-même par la faute qu’il a commise. Enfin, la concentration de l’action et du temps tragique dans la pièce la + courte et la + unifiée du répertoire shakespearien, sur la logique implacable du crime et sur ses répercussions dans la conscience et sur le destin du héros, esseulé, constitue la 4ème explication du caractère tragique d’une pièce, qui refond +sieurs sources pour condenser en quelques mois la durée de 10 ans séparanty, dans les Chroniques d’Angleterre, d’Irlande et d’Ecosse de Raphaël Holinshed, le meurtre de Duncan (la tyrannie d’entrée) de la tyrannie d’exercice et du meurtre de Macbeth .

Pour composer Macbeth, Shakespeare s’inspire, comme pour +sieurs de ses « drames historiques », des Chroniques d’Angleterre, d’Irlande et d’Ecosse de Raphaël Holinshed, rééditées en 1587, dont il fond deux épisodes, resserre l’action en supprimant les 10 années de règne heureux qui séparent l’avènement de Macbeth au pouvoir, par le meurtre de Duncan, de son assassinat, au terme d’une guerre disputée. Il transforme aussi Duncan, roi jeune et sans autorité, en figure vertueuse et paternelle, et sans faire de Banquo un personnage totalement vertueux, l’exact symétrique de Macbeth, il le distingue nettement de Banquo, complice de Macbeth dans les chroniques.

 



[1]

[2] En 1534, Henri VIII, à qui le pape Clément VII a refusé la dissolution de son mariage avec Catherine d’Aragon (elle ne lui a pas donné d’héritier mâle et il veut épouser sa maîtresse Anne Boleyn), s’est fait proclamer chef suprême de l’Eglise en Angleterre, entraînant son pays dans un schisme et donnant naissance à la voie médiane de l’anglicanisme. A sa mort, en 1547, son fils Edouard VI évolue vers un calvinisme de + en + strict. A la mort prématurée d’Edouard VI, en 1553, Marie Tudor, fille d’Henri VIII et de Catherine d’Aragon, retourne à l’obédience catholique jusqu’à sa mort, en 1558, date où sa demi-sœur, Elisabeth, fille d’Henri VIII et d’Anne Boleyn, lui succède et tente d’instaurer un compromis susceptible d’épargner à l’Angleterre le déchirement des guerres de religion françaises. Mais, en 1570, quand la bulle papale d’excommunication délie le sujets catholiques de leur devoir d’obéissance envers la reine, les catholiques extrémistes y voient une occasion de comploter en faveur de Marie Stuart, fille de la sœur d’Henri VIII et veuve de François II de France, qui a trouvé refuge en Angleterre lors de la réforme presbytérienne en Ecosse, et que sa cousine Elisabeth fait condamner à mort et décapiter en 1587. Le gouvernement de sa Majesté durcit alors la législation et soumet les catholiques à la « bloody question » : « si le pape et le roi d’Espagne envahissaient le royaume, pour qui combattriez-vous ? ». Les jésuites imaginent alors la stratégie de l’équivocation : affirmer son allégeance d’une manière générale et refuser de se prononcer sur un événement hypothétique.

[3] « Frappe ! frappe ! Qui est là, sacré nom de tous les diables ? Parole, c’est le Double-joueur ; qui pourrait jurer dans les plateaux l’un contre l’autre ; qui a commis assez de trahisons au service de Dieu, et pourtant n’a pas pu « double-jouer » le ciel ! oh entre, entre, mon Double-Joueur ». cf note de PJ Jouve, p.68.

[4] L’Institution du Prince d’Erasme et celle de Guillaume Budé, contemporaines du Prince de Machiavel,  relèvent de cette tradition.

[5] On remarquera que c’est le médecin qui annonce à Malcolm la venue du roi. Cela s’explique par la nature du mal physique que guérit le roi thaumaturge : les écrouelles, incurables par la médecine des corps. Perdus pour la science, les malades ne peuvent être guéris que par un miracle, perpétré par l’oint du seigneur. Cette scène de guérison miraculeuse est donc l’exact pendant de la scène où, effrayé par les révélations qui échappent à l’inconscient tourmenté de Lady Macbeth, somnambule, le médecin se déclare impuissant à guérir un mal qui relève du prêtre, médecin des âmes et aimerait fuir une Ecosse à l’urine viciée, selon l’expression de Macbeth, qui lui demande s’il connaît le remède au mal dont le pays souffre. Il y a donc une interaction étroite entre mal physique et mal moral/ politique, comme le confirme au rebours la réponse de Malcolm à la question de Macduff sur la nature du mal (« evil ») guéri par le roi saint : « elle est appelée le Mal », terme ambivalent, puisqu’il désigne à la fois, par métonymie, une maladie précise du corps, et « le Mal », moral ou métaphysique. On ne saurait mieux dire que la « santé » du royaume dépend de la « sainteté » du roi, dont la « bénédiction » est, de surcroît, « héréditaire » et que Malcolm dote aussi du « pouvoir de prophétie ». Si la légitimité dynastique trouve ainsi caution religieuse, le statut de « prophète » confère ici au roi d’Angleterre une dimension providentielle qui fait de lui le pendant des sorcières, porteuses elles aussi de la voix officielle quand elles permettent aux apparitions d’annoncer, avec la descendance de Banquo, l’avènement du roi d’Ecosse Jacques VI Stuart sur le trône d’Angleterre : la légende fait remonter sa lignée à cette source mythique.

[6] Dans une pièce nocturne comme Macbeth, l’illusion ne pouvait être recréée que par des accessoires (torches, II,1 ; chandelle de Lady Macbeth, V,1) et par le décor de mots créé par cette poésie baroque du clair-obscur qui fait de l’esthétique de cette tragédie un univers onirique, cauchemardesque.

[7] « Rejoignons le médecin de cet état malade, et avec lui versons chaque goutte de sang, pour la purgation de notre pays » ; « ou tout du moins ce qu’il faut pour humecter la fleur souveraine et noyer la mauvaise herbe » (p.130)

05 septembre 2010

cours d'introduction (1): l'énigme du mal

 

 

Au cœur du «monde comme il va »[1], l’existence du mal, universel(le), semble une donnée de l’expérience qui fonde la condition humaine, finie, donc faillible et mortelle, mais aussi douée d’une sensibilité[2], d’un entendement et d’une volonté, bref d’une conscience, qui ré-fléchit cette expérience et lui donne, ou non, sens[3], c.à.d. à la fois signification et direction, dans l’exercice d’une raison + pratique que théorique et en fonction d’un système de valeurs morales ou d’une éthique parfois très personnelle.

 

Sur ce point, l’originalité des œuvres au programme et l’unité d’un corpus par ailleurs très disparate tiennent au fait que l’expérience du mal y est centrale, non seulement au plan thématique, mais aussi dans des choix d’écriture génériquement déterminants.

En effet, dans ces trois fictions – puisque finalement, même le texte philosophique de Rousseau, extrait du chapitre IV d’un traité que l’on qualifie souvent de «roman éducatif », l’Emile, est pris dans un dispositif narratif  et dialogique qui donne l’expérience de pensée à lire comme une fiction -, la rencontre, proprement originaire, que les protagonistes font du mal est déterminante, même si on peut se demander si ce mal, subi (PFVS) ou commis (Shakespeare et Giono) ne préexiste pas à la découverte que les personnages font de lui.

C’est parce que le vicaire savoyard connaît d’expérience – « je sais par mon expérience quelle [la conscience] s’obstine à suivre l’ordre de la nature contre toutes les lois des hommes » et que « peu d’expériences pareilles [à celle de sa disgrâce] mènent loin un esprit qui réfléchit », sur les ravages de la crise morale et spirituelle engendrée par « la 1ère expérience de la violence et de l’injustice » (p,52) que, conscient de la menace proprement existentielle que cette « mort de l’âme » fait peser sur la vie morale d'un « jeune cœur sans expérience », encore proche de l’enfance, partant de la nature et de l’innocence, et néanmoins flétri par la rencontre du mal social – jeune protestant exilé en pays catholique, l'interlocuteur est accueilli dans un « hospice pour prosélytes », où on lui donne « des doutes qu’il n’avait pas » et où il découvre une homosexualité pédophile dont il est seul à se scandaliser -, il se donne en exemple et lui propose ainsi , non une controverse de type « disputatio », ni un catéchisme, encore moins une leçon de morale prescriptive, mais une expérience de pensée, sous la forme d’une méditation philosophique.

Monologues délibératifs, a parte et  apparitions placent aussi la conscience de Macbeth et de lady Macbeth au centre d’une tragédie aussi psychologique et  métaphysique que politique, et dont l’intrigue naît tout à la fois du bain de sang de la guerre, de la remise symbolique du titre du traître Cawdor à Macbeth et de la rencontre des désirs de ce dernier avec les prédictions/ prophéties des 3 « fatales sœurs », qui l’attendent pour l’initier à un mal qui lui fait littéralement « hérisser » les cheveux d’horreur (I,3). Dès lors Macbeth, profondément transformé … ou révélé à lui-même par l’expérience intérieure d’un mal qui le tente, cède à cette/ ces tentation(s) par un passage à l’acte que les représentations fantasmatiques donnent à voir comme une (dé)possession suscitant le remords, puis revendique l'appartenance au mal, à mesure que la folie gagne symétriquement sa femme, pourtant instigatrice d'un régicide qui recouvre un quasi parricide. Logique de l’action, choix d’écriture dramatique, doublage de l’imitation d’actions par la représentation de la conscience torturée des agents du mal et poétique du cauchemar font de cette tragédie une représentation, « intus et in cute » - à l’intérieur et sous la peau, selon l’épigraphe des Confessions de Rousseau-, de l’expérience intérieure, intime et vécue, du mal.

Enfin l’inscription du monologue intérieur de Thérèse dans une « chronique » qui fait de la parole du chœur des pleureuses, puis du récit soi-disant oralisé et alterné de l’histoire de Thérèse par elle-même et par celle que Giono appelle « Le contre » dans ses notes préparatoires, inscrit non seulement l’expérience du mal, mais la prise de conscience de la réversibilité du Bien et du Mal (Madame Numance) et surtout la découverte de la connaissance de soi comme être pour le mal au cœur de la construction de la personnalité de Thérèse, nouvelle Madame de Merteuil qui s’identifie au furet et usurpe la réponse de Dieu à Moïse dans le buisson ardent : « ce qui m’intéressait, c’était d’être ce que j’étais, de faire ce que je faisais » (p.306), d’être « heureuse comme un furet dans un clapier » ; « ça, mes enfants, c’était une découverte ! » (p.315); « je suis ce que je suis ».

 ó L’expérience du mal, fondatrice, n’est donc plus seulement à l’origine d’un mouvement de pensée qui tend vers l’établissement de règles pour une vie bonne et identifiée au contentement d’un moi fidèle à sa nature, originellement bonne comme chez Rousseau. Au cœur d’une destinée, confondue avec une descente aux enfers de la psyché, défaite (lady Macbeth) mais aussi héroïque (Macbeth), cette anamnèse du néant peut aussi se penser comme un accès à l’être par le mal et réécriture pervertie du « divertissement » pascalien.

 

A travers ces destins individuels se trouve donc mise en question l’humanité, à travers un triple questionnement, sur la nature humaine d’une part, la condition humaine d’autre part, sur la société enfin.

En effet, le « je » de « l’homme sans qualités » qu’est le vicaire savoyard est un  sujet d’expérience philosophique, dont la méditation métaphysique prend la portée d’un discours anthropologique centré sur la « nature de l’homme » (p.70-71), sa place dans l’ordre de la Nature, sa dualité[4], l’immortalité de son âme. L’interrogation sur les valeurs fondant l’identité masculine/ humaine est au cœur de la problématique de Macbeth, qui recule d’abord, par son « faible état d’homme », devant le régicide (I,3), à qui Lady Macbeth demande ensuite s’il est « un homme », - il hésite alors à commettre l’irréversible ou qu’il recule devant le spectre de Banquo (III,4)- , qui lui répond par la conscience des limites (« j’ose tout ce qui peut convenir à un homme ; qui ose + n’en est pas un » (I,7, p.59), puis revendique enfin l’héroïsme de « l’homme hardi, qui ose regarder ce qui pourrait épouvanter le diable » (III,4), alors que Macduff revendique le droit de souffrir « en homme » du massacre des innocents, avant de se faire justicier en décapitant le Mal incarné par le tyran sanguinaire. Enfin le bestiaire maléfique[5] et le quasi cannibalisme des Âmes fortes fileront la métaphore hobbesienne (l’homme est un loup pour l’homme ») pour poser la question de la naturalité du mal, conformément au titre initial du roman : La chose naturelle. Cette « chose naturelle » est bien entendu le mal.

Ce mal, Rousseau l’inscrit +tôt dans la société, lieu du déchaînement des passions, par quoi l’amour de soi dégénère en amour-propre, ou plutôt dans l’état civil et cultivé, où l’homme déchoit de sa robustesse et de sa bonté naturelle, c.à.d. dans le fond de l’état de bonheur, et souffre parce qu’il est sujet aux maladies et aux représentations. Sans primer, la réflexion sur le rôle de la société dans la genèse du mal héroïque n’en occupe pas moins une place de choix dans les Âmes fortes, dont le titre renvoie à l’effort de ces deux « âmes fortes » que sont Thérèse et Madame Numance pour échapper à la médiocrité des turpitudes familiales, sociales : générosité (excessive) comme prédation vampirique sont des « divertissements » à l’ennui.

Ce motif pascalien du divertissement pose lui-même la question de la condition humaine : si la jouissance du « sang » est pour Thérèse  une voie de sortie du néant, une pulsion de mort, un instinct de mort peut expliquer la disparition de Madame Numance, qui laisse ainsi Thérèse les mains vides, conformément au sous-titre initial du roman : « rien dans les mains ». Le vicaire savoyard prend également des accents pascaliens pour exprimer l’insupportable inquiétude métaphysique : »je méditais donc sur le triste sort des mortels flottant sur cette mer des opinions humaines, sans boussole, et livrés à leur passions orageuses, sans autre guide qu’un pilote inexpérimenté qui méconnaît sa route et qui ne sait ni d’où il vient ni où il va » (p.53). Enfin le motif baroque du « theatrum mundi » sur quoi se clôt presque Macbeth tend à faire du drame politique auquel nous venons d’assister une allégorie de la « triste scène où se déroule l’existence absurde des hommes », selon l’heureuse formule de Michèle Navaez (3 en 1 Atlande, p. 160)

 

Ainsi donc il n’y a de mal qu’humain, pour et par l’homme, ce pourquoi le mal physique, relevant de la nécessité, n’en est pas un, mais se dissout dans une rationalité théorique et/ ou pratique[6], cette rationalité, aporétique, échoue à  élucider l’énigme du mal moral, non que le mal, irrationnel, soit impensable, ou inimaginable[7] – le machiavélisme des « âmes fortes » de Giono, le rôle fondateur de l’expérience du mal dans le déclenchement de l’expérience de pensée que constitue la « méditation » métaphysique du vicaire savoyard prouveront combien l’existence, l’expérience du mal provoquent l’exercice de la pensée-, mais parce que le travail d’élucidation sans résidu de la pensée qu'aspire à être la philosophie se heurte à l’énigmaticité d’une expérience parfois proprement absurde (« hier ist kein Warum », répond le SS au chimiste Primo Lévi, lors de son arrivée au « Lager »),expérience du sommeil de la raison[8][9] (Macbeth a « tué le sommeil »), dans laquelle l’humanité se défait, se renonce à elle-même[10], cesse de penser pour être, ou ne plus être, dans une pure volonté de puissance[11] ou dans une vacuité[12], confondues avec la destruction de tout ce qui n’est pas soi[13], avec la mort du moi dans une apocalypse dévoyée.      Si le mal est, pour Paul Ricoeur, un défi à la théologie et à la philosophie[14], ce n’est pas seulement qu’il est impossible à la raison de trouver la bonne distance par rapport à un sujet/ objet qu’elle risque de nier ou, pire de justifier: trop proche de son objet, abject, innommable, mais néanmoins fascinant, la raison échouerait à le penser et s’abdiquerait elle-même dans sa faculté de conceptualiser; trop éloignée de l’expérience du mal subi, « mal de scandale » suscitant le sentiment d’un « scandale du mal », le travail d’élucidation de la pensée  risquerait d’en nier la spécificité, en en relativisant les conséquences, pour mieux  en justifier, voire en nier l’existence[15].

Ce n’est pas seulement non +, la spécificité des œuvres au programme le démontre amplement, que l’on ne fasse jamais l’expérience du mal, parce qu’alors, on ne le penserait pas objectivement sur le mode du constat, mais on le vivrait sur le mode du pâtir, l’incommensurabilité de l’être et du devoir être suscitant non l’analyse conceptuelle, mais la plainte (de Job), la lamentation (de Rachel) ou la révolte (d’Ivan Karamazov devant la mort de l’enfant innocent).

C’est plutôt, comme le pointe Frédéric Wolff dans le chapitre consacré au « mal » dans les Notions de philosophie[16],  l’absence d’unité de ce qui n’est pas un concept philosophique, mais un terme qui englobe une réalité d’(in)expérience diversifiée, protéiforme et complexe. Nous ne faisons jamais l’expérience de l’existence du mal, parce que relatif au Bien, dont il est, soit la négation, soit la privation, le mal n’est jamais vécu que sous la forme d’un mal, avatar singulier d’une notion proprement indiscernable/ indéfinissable, ou d’une qualité, inessentielle et relative au système de valeurs qui permet, ou non, de juger que telle chose est bonne ou mauvaise, en soi ou pour la société, l’individu qui la désigne comme tel.

 

La 1ère difficulté à laquelle on est confronté quand on veut cerner les contours du mal est qu’il est d’autant plus effrayant qu’il est à la fois visible et invisible, ostensible et caché.

Dans les œuvres au programme, la récurrence du lexique de la vue rend le mal d’autant plus ostensible qu’aux « tristes tableaux »[17] de la « confusion », du « désordre » qu’offre la société au regard du vicaire savoyard, aux traces de coups révélant à Madame Numance la violence conjugale dont Thérèse est victime, au spectacle de l’agonie de Firmin dont l’héroïne des Âmes fortes avoue qu’elle ne voudrait pas le rater « pour tout l’or du monde », à la triple exclamation ponctuant la découverte horrifiée du sang entourant le corps mort du roi Duncan s’ajoute, dans Macbeth[18], « la vue horrible » des images invisibles aux yeux des innocents : la vision, précédant le crime, de l’arme qui le préfigure[19] ; le spectre de Banquo qui hante la conscience du meurtrier lors de la scène du banquet , à l’acte III, scène 4[20]; la tache de sang que lady Macbeth, somnambule, ne parvient pas à effacer ; les rêves qui transforment la vie des meurtriers en enfer cauchemardesque ; les aveux qui leur échappent et mettent des mots, en même temps que des images sur l’indicible.

 Innommable parce qu’indicible (Macbeth n’emploie jamais que des périphrases neutres pour désigner le régicide sacrilège, dont il a par ailleurs conscience qu’il est d’autant + injuste qu’il double l’ingratitude d’une violation des devoirs sacrés de l’hospitalité, acte I, scène 7)[21], le mal est d’autant plus insidieux qu’hypocrite, il ne dit pas son nom : les euphémismes de Rousseau (p.45) sont la preuve que les turpitudes s’épanouissent en toute impunité dans l’hospice pour prosélytes du récit inaugural. De visible, le mal devient alors invisible, soit que la nuit le recouvre, symbole d’un mal obscur et inavouable qu’on fait tout pour ne pas voir comme dans Macbeth, soit que le voile de l’hypocrisie et de la dissimulation le couvre, mal qui se donne les apparences du bien quand Lady Macbeth fait bon accueil à Duncan, ou que Thérèse, après avoir donné, avec Firmin, les apparences d’un couple méritant, manipule si bien son entourage, retourne si bien l’opinion contre son ancien complice et allié qu’elle peut, en toute impunité, parachever son œuvre en fomentant un crime qui demeurera impuni, à l’opposé du régicide, révélé de l’aveu même des coupables à la conscience torturée. 

.Pervers, le mensonge qu’est le mal prend alors la forme de la réversibilité. Ce n’est pas le moindre intérêt des œuvres au programme que d’interroger, avec la dualité des voix et la juxtaposition des versions de l’histoire de Thérèse, à travers l’atmosphère prophétique, apocalyptique, cauchemardesque de Macbeth, la réalité d’un mal universel, mais énigmatique, voire douteux : non seulement les sorcières de Macbeth parlent par énigmes, que le héros ne comprend qu’à moitié et qui le perdront ; mais leurs apparitions et disparitions fulgurantes, le fait que la 2ème fois, elles restent inaperçues des compagnons de Macbeth font planer un doute sur l’existence de cette forme surnaturelle d’un mal[22], qui pourrait bien n’être que la projection des désirs du héros, à l’instar des fantasmes extériorisant les remords hantant la conscience du couple infernal. Car si le diable, le diviseur, Malin génie du mal, séducteur et tentateur, règne dans les maisons de Chatillon et tente Macbeth, ce n’est pas seulement qu’universel et somme toute banal, il est contagieux et pervertit jusqu’à la vertu que devrait être la générosité des Numance ; c’est aussi que larvé, il est toujours disponible et rend la vérité indiscernable : l’inceste n’est pas loin dans les relations mère/ fille, ou père/ fille, évoquées par les commères de la veillée mortuaire qui ouvre Les âmes fortes (p.20-21) et il s’en faut d’un rien que Firmin n’assassine Madame Numance. Surtout nous ne saurons jamais si l’aveu de Malcolm à Macduff est une fausse confidence, une ruse destinée à tester l’intégrité  de son sujet, le prodrome d’un exercice machiavélien du pouvoir ou si, sincère, il révèle la contagion du mal, inhérent à l’exercice du pouvoir. Nous ne saurons pas davantage laquelle des Thérèse est la vraie, ni si la disparition de Madame Numance et l’hystérie consécutive de Thérèse sont l’aboutissement d’un processus conscient (pour Madame Numance) ou inconscient (pour Thérèse) d’anéantissement de soi…et de l’autre, à la préhension duquel la proie échappe in extremis, laissant le prédateur « les mains vides », ou si la rage de la déconvenue prépare la vengeance froide, sanction de la rancœur et moyen de se débarrasser du complice et témoin gênant pour parachever l’œuvre de jouissance égoïste de l’escroquerie, de la volonté de puissance et du plaisir de nuire.

 

La 2ème difficulté, non pour cerner l’étendue du mal, universel, mais pour cerner la nature de ce qui, faiblesse, erreur, peccadille, serait certes négation, privation, mais ne relèverait que par abus de langage, de la catégorie du mal/ Mal, absolu, vient de cette universalité même : le mal, partout, pourrait n’être finalement nulle part tant il devient banal, que cette banalité du mal, confondue avec sa naturalité, conduise à la relativisation, voire à la négation, cynique, quasi nihiliste, de l’existence du mal en soi, ou qu’elle conduise au constat pessimiste de l’inexistence du Bien dans l’Histoire, dans la société, dans le monde comme il va, dans le cœur de l’homme. Tout en faisant de l’expérience personnelle du mal le fondement d’une existence individuelle, presque d’une identité, les œuvres au programme montrent que « le mal court », contagieux,  contamine les plus vertueux et pose ainsi la question de la nature humaine et de la société.

Car si, pour Rousseau, l’homme est naturellement bon, ce pour quoi il peut sortir du doute dirimant, dans quoi l’expérience du mal social le plonge, en écoutant la voix de sa conscience, naturelle, l’omniprésence du mal, comme donnée historique et sociale, n’en transforme pas moins ce mal en nécessité, et la vie en société en enfer terrestre : « tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme », l’incipit de l’Emile est repris dans la PFVS sous la forme d’une antinomie entre l’harmonie régnant dans l’ordre de la nature et « le chaos », « la confusion, le désordre » qui règnent dans la société humaine, p70-71.

Dans la logique de Faust au village, Thérèse voit le diable dans le moindre client des boutiques de Châtillon : «Régner ? Il y a bien longtemps que Satan le fait. Et sans prêtre. L’Eternel lui demande : d’où viens-tu ? – De parcourir la terre et de m’y promener, lui répond-il. Quand la porte des boutiques sonnait à Châtillon, ce n’était pas toujours un client qui entrait. Est-ce que ce ne serait pas la vérité ? C’est si naturel. Cette parole toujours présente ». De fait, le mal règne partout dans cet univers médiocre, intéressé, jaloux et mesquin, où les violences conjugales transcendent les hiérarchies sociales et où la promiscuité favorise les attouchements, où les querelles d’héritage sordides encouragent jusqu’aux  pulsions homicides, où l’abus de confiance favorise l’escroquerie, où le jeu des apparences brouille les distinctions et rend même la générosité suspecte[23]. De l’aveu de Madame Numance, cette vertu, après tout bonne pour les autres –elle sauve Firmin des conséquences de l’endettement et vise à « sauver » Thérèse de la haine née de la misère et nourrie par l’envie, l’humiliation, l’aliénation-, est par sa démesure et en soi un vice qui satisfait l’aspiration égoïste à l’anéantissement de soi et de l’autre, piégeur piégé par un piège qui lui laisse «les mains vides » : « quelle arme terrible, dit madame Numance ! J’ai presque honte de m’en servir. –De quoi veux-tu parler ? – Du plaisir de donner. – Ah ! c’est une arme de roi, dit Monsieur Numance » (p.259-260). Thérèse, qui en arrive dans son « examen de conscience », à la conclusion qu’elle n’est « même pas méchante », et balaie d’un « c’est la vie » fataliste les objections anthropologiques au gueuleton sacrilège, par quoi le chœur des pseudo-pleureuses se repaît des victuailles du mort qu’elles sont censées veiller, voit-elle lui échapper sa proie ou l’objet d’un amour, auquel la passion maternelle de Madame Numance l’ouvrait, préparant une conversion retournée en cela même dont Madame Numance prétendait vouloir la détourner : l’endurcissement au mal ?

Enfin il est patent qu’en dehors du bon roi Edouard, figure du roi thaumaturge[24] et des « petits » de Macduff, allusion claire au « massacre des innocents » de l’Evangile, aucun des personnages censés faire contrepoids à Macbeth n’est innocent du mal dont souffre l’Ecosse de la tragédie de Shakespeare : le bon roi Duncan, qui prétendait se méfier des apparences trompeuses (I,4, 294-296, p.51), se laisse prendre au piège de l’ironie dramatique (I,6, 437-439, p.56), de la flatterie, du mensonge et du banquet offert par le couple infernal, révélant ainsi la faiblesse d’un pouvoir menacé, dès avant le lever du rideau, par le soutien apporté à l’ennemi norvégien par les traîtres Macdownald et Cawdor. Banquo, double de Macbeth et témoin gênant, car lucide, des réactions du héros à la prophétie des Nornes, qu’il n’hésite pas à interroger pour son propre compte, oscille entre l’imprudence, preuve soit de faiblesse, soit de présomption, voire de corruption, et l’aveu de rêves troubles (II,1, 583-585, p. 61) et ne révèle pas ce qu’il devine. Surtout Malcolm, qui a avoué, avec son frère, n’oser pas feindre un chagrin qu’ils n’éprouveraient donc pas à la mort de leur roi de père (II,3, p.75), pourrait bien, ruse pour tester la fidélité de Macduff ou confession sincère des passions tristes associées à l’exercice égoïste du pouvoir, être + pervers que l’usurpateur et tyran sanguinaire dont Macduff, vengeant le massacre des siens, exhibera la tête sur une pique, écho au châtiment initial de la traîtrise de celui, à qui Duncan a accordé, fatale erreur, le titre au héros alors salvateur, mais toujours déjà sanguinaire: Cawdor. Le mal endémique de la guerre et le bain de sang qui vaut la comparaison étrange au Golgotha à l’acte I, scène 2, v.62 (p.41) posent la question du cycle de la violence: l’exécution sommaire, sans procès, de Macbeth est-elle le prélude au rétablissement d’un pouvoir saint, pacifique et respectueux des coutumes, des institutions de l’Ecosse, auquel cas la catharsis opérerait et le mal prendrait sens dans une économie du Bien ? Ou l’éternel retour de la violence, cyclique, condamne-t-elle l’histoire de l’humanité au « bruit et à la fureur »?

 

L’universalité du mal pose donc la question, fondamentale quoique abyssale, de la nature humaine : l’homme est-il naturellement bon, hypothèse optimiste qui ne nie pas nécessairement l’existence du mal, mais contribue, sinon à le relativiser, du moins à nier qu’il fût irrémédiable, le retour à la Nature, à travers la voix de la conscience, permettant à l’homme de retrouver, avec sa vraie nature, le bonheur promis par la création continuée, avatar de la toute puissance d’un Dieu nécessairement bon et juste, comme le pense Rousseau ?

Cet homme, créé à l’image et à la ressemblance de ce Dieu/ de cet Être, dont il participe par son esprit, mais dont l’être relève nécessairement du moindre être[25], est-il destiné au bien, mais tenté par un mal auquel cède sa volonté mauvaise par sa nature foncièrement duale et parce qu’il mésuse de sa liberté, comme l’établissent, de manière néanmoins différentes, le dogme augustinien du péché originel[26] ou la théorie leibnizienne du mal métaphysique, théorie réfutée par Rousseau, mais dont la thèse kantienne du « mal radical » réécrit l’hypothèse, en conjuguant la rationalité du mal avec son mystère, son énigmaticité[27]?

Ou le mal est-il une « chose naturelle », conformément au titre originel des Âmes fortes de Giono, grand lecteur de Hobbes, dont Rousseau réfute la thèse, qui fait de la cruauté, sensible dans un goût du sang, perçu dans Un roi sans divertissement, comme l’ultime et unique divertissement au néant de la condition humaine, et qui ramène les passions et les relations humaines à des rapports de force entre proie(s) et prédateur(s) : Firmin et Madame Numance partagent ainsi des yeux de loup, qui transpercent et voient sans voir des adversaires devenus ainsi littéralement transparents, que cette (extra)-lucidité dérangeante témoignât d’une inhumanité proprement surhumaine, la proie échappant ainsi au prédateur qui la voit finalement disparaître comme un être/ fantasme quasi surnaturel, ou que la paradoxale récurrence du champ sémantique de la « férocité » pour caractériser la « générosité » finalement égoïste des « mystérieux mécènes » abolît toute frontière entre le Bien et le Mal, l’humanité et l’animalité, le sublime et le non-humain. Quant à Thérèse, dont on pourrait penser que, dépourvue de conscience, elle se situe, non pas au-delà, mais en-deçà du Bien et du Mal, elle ne prend conscience d’elle-même qu’en s’identifiant à un furet et en assimilant l’amour à du « sang le + pur ». Le mal, ainsi naturalisé, se trouve comme normalisé[28] : le matérialisme athée, qui sous-tend le traitement grotesque du cadavre facétieux de Monsieur Nicolas, l’indifférence à l’âme du défunt Albert, dont les pleureuses prétendent non piller les biens, mais honorer la mémoire en consommant ses productions, et l’assimilation de la chair humaine brûlée, calcinée et consumée par l’incendie, non au comble de l’horreur, mais à  un fumet appétissant relèguent les rites mortuaires au rang de convenances vaines et hypocrites. « Dans cet univers de prédateurs, il s’agit de manger pour ne pas être mangé. Le mal n’est pas répréhensible puisqu’il devient une condition de survie pour l’homme, + que jamais entendu ici, à la manière de Hobbes, comme un loup pour l’homme. Condition de survie, mais aussi, et c’est décisif, principe de plaisir », note Emmanuel Basset (3 en 1 GF, p.194), qui cite la dernière page du roman : « Maintenant que nous voyons toute l’affaire après coup, nous nous rendons compte qu’elle l’a embeboliné des pieds à la tête et poussé pas à pas vers ce qu’elle voulait, jouissant à chacun de ces pas de le voir tomber sans faute dans le piège […]. Si elle a fait quelque détour, si elle a ralenti l’allure ou fait semblant de s’occuper d’autre chose, c’était pour mieux réussir. D’abord. Et ensuite pour faire durer le plaisir. C’était une gourmande » (p.357). Thérèse fait le mal gratuitement et se rapproche en cela du jeune Saint Augustin volant des poires non pour elles-mêmes, mais pour le plaisir de faire ce qui est défendu, preuve que l’homme éprouve naturellement une forme de plaisir à voir ou à faire le mal, sans pouvoir découvrir d’explication rationnelle à ce plaisir.  Thérèse incarne donc ce mal naturellement humain, que Rousseau s’est efforcé de réfuter dans PFVS : « Mais croyez-vous qu’il y ait sur la terre un seul homme assez dépravé pour n’avoir jamais livré son cœur à la tentation du bien ? Cette tentation si naturelle et si douce qu’il est impossible de lui résister toujours » (p.91)

 

Ceci nous amène à une 3ème difficulté : le mal, qui existe, mais n’est pas, en ce que négation ou privation, il est relation, ne saurait être défini qu’en creux, relativement à un bien, ou à un (souverain) Bien.

Or, ce bien /Bien peut lui-même se mesurer à l’aune, transcendante, de l’ordre ou de la loi du Tout, ordre cosmique conquis sur le chaos primordial dans la mythologie antique, ordre d’une nature créée bonne et régie selon des lois nécessaires dans la PFVS, ou ordre politique conservateur parce que respectueux du droit coutumier, soucieux de maintenir une paix essentielle au bonheur collectif et saint dans le modèle réfléchi par la figure du roi Edouard dans Macbeth.

Mais mesuré à l’aune de l’affect, de ce que l’individu ressent et expérimente comme bon pour lui, le bien peut aussi se confondre avec le profitable, l’intérêt particulier, la satisfaction des ambitions et des passions, comme dans la société décrite par Rousseau, l’assimilation de l’exercice du pouvoir au bon plaisir du tyran, la construction du personnage, bassement intéressé, de Firmin ou l’assouvissement de la volonté de puissance de Thérèse.

Dans un cas le mal/ Mal prendra le caractère, chaotique, d’une destruction de l’ordre cosmique. Dans Macbeth, par exemple, l’inversion de l’ordre naturel signale le caractère monstrueux du régicide, sacrilège: les proies se retournent contre les prédateurs (les chauve-souris attaquent les faucons), les animaux amis de l’homme se rebellent contre lui et, cavales de l’Apocalypse, les chevaux herbivores deviennent cannibales en s’entredévorant[29]. Les métaphores baroques du monde à l’envers soulignent, dans la trame sonore du texte, le retour à la confusion qui dissocie le « kalos kagathos » des Grecs : « fair is foul and foul is fair »[30].

On retrouve d’une autre manière cette définition du mal comme infraction à l’ordre divin dans la réécriture rousseauiste de la thèse augustinienne et pascalienne du péché comme décentrement de l’amour de Dieu par l’orgueil, l’égo-isme, l’amour de soi entendu comme amour-propre: l’homme de bien subordonnant son  moi au « Tout », le mal consiste dans la perversion de l’amour de soi, naturellement bon puisque tendant à la persévérance dans l’être, en amour-propre qui inféode le Tout au moi. Pareille identification du bien à l’utile, voire à la satisfaction des désirs, des passions, des pulsions, conduit à définir le mal comme ce qui est nuisible : Lady Macbeth, qui recule cependant elle-même devant le régicide quand l’identification des traits de Duncan à ceux de son père lui fait entrevoir la perspective, taboue, d’un parricide, voit dans les hésitations de Macbeth, conscient de l’injustice d’un assassinat, dont la prophétie lui a révélé, avec la stérilité de son couple, la vanité, des marques de faiblesse, un obstacle à la satisfaction, machiavélique, de l’ambition, au parachèvement de l’œuvre entamée par la prophétie des Parques et la contribution des circonstances à l’exécution  du projet. Firmin, qui agite le spectre du trimard, manque d’assassiner Madame Numance sur le chemin de ce qu’il craint de voir conduire à son arrestation pour s’assurer la complicité de Thérèse et se débarrasser d’un témoin gênant. Thérèse, antéchrist athée, se damne pour assouvir, seule, la volonté de puissance née de la jouissance du sang, de la vengeance longuement mûrie.

ó Le diptyque conceptuel du Bien et du Mal  fait dépendre le second de son envers +tif, le 1er, et conduit à définir le Mal comme la négation/ privation de ce qui doit être en vertu d’une loi supérieure : écart entre l’être et le devoir être, le mal de scandale est alors ce qui ne doit (ou ne devrait pas) être en vertu du modèle de justice et d’idéal que le monde des Idées de Platon, l’Un plotinien, le royaume de Dieu chrétien ont tracé. L’approche immanente de l’opposition entre le bien et le mal, fruit de la raison, du progrès et de l’insociable sociabilité de l’homme qui se compare aux autres et entre en rivalité avec eux pose, avec la question du libre-arbitre, de la liberté même, le problème du mal comme conséquence de la dualité de l’homme, pris entre la volonté et le désir, la raison et la passion. La réduction du bien à ce qui est bon pour moi et celle du mal à ce qui est mauvais pour moi conduit à la relativisation de toute morale, ramenée à une éthique personnelle, potentiellement amorale, voire immorale.

 

  La 4ème difficulté pour définir le mal/ Mal vient donc de ce que relatif au bien/ Bien, il n’existe jamais en soi, mais comme représentation: «il ne faut surtout pas confondre l’idée de Mal avec une quelconque existence objective du Mal. Celle-ci n’a pas + de sens que celle du Réel », écrit Jean Baudrillard dans Le Pacte de lucidité ou l’intelligence du mal.

Il n’y a donc de mal que parce qu’il y a des hommes en société : dans la nature, tous les phénomènes, pour violents ou destructeurs qu’ils soient, ne peuvent êtres considérés comme « bons » ou « mauvais » ; ils sont tout simplement. Un tremblement de terre comme celui qui, en 1755, détruisit la ville de Lisbonne, causa la mort de dizaines de milliers d’hommes ensevelis sous les décombres, et fut l’objet d’une controverse entre les tenants de l’optimisme, dont Rousseau, et les adversaires de la théodicée, scandalisés par ce mal de scandale représenté par la mort de victimes innocentes, dont Voltaire, n’est pas un mal en soi, relevant, + rigoureusement, de la nécessité (le contact entre deux plaques tectoniques), mais pour l’homme que scandalisent la souffrance des victimes et la justification théologique/ morale de ce qu’il perçoit comme une catastrophe. Ce travail de rationalisation du mal, dissocié de la nature, indifférente à la différenciation du bon et du mauvais, conduit Rousseau à nier l’existence du mal physique : pour lui, le tremblement de terre de Lisbonne ne fut un mal humain particulier que par la construction, non naturelle, d’un habitat concentré d’immeubles de +sieurs étages. Mieux, la douleur, la maladie et la mort ne sont des maux que parce que l’imagination les appréhende comme tels. Moindres maux, voire bien relatifs, ils avertissement utilement d’un mal, d’où pourrait découler une mort, qui met un terme au malheur de vivre : «le mal physique ne serait rien sans nos vices, qui l’ont rendu sensible. N’est-ce pas pour nous conserver que la nature nous a fait sentir nos besoins ? La douleur du corps n’est-elle pas un signe que la machine se dérange, et un avertissement d’y pourvoir ? La mort…Les méchants n’empoisonnent-ils pas leur vie et la nôtre ? Qui est-ce qui voudrait toujours vivre ? La mort est un remède aux maux que vous vous faites ; la nature a pourvu que vous ne souffriez pas toujours. Combien l’homme vivant dans la simplicité de la nature est sujet à peu de maux ! Il vit presque sans maladies, ainsi que sans passions, et ne prévoit ni ne sent la mort ; quand il la sent, ses misères la lui rendent désirable ; dès lors, elle n’est + un mal pour lui. Si nous nous contentions d’être ce que nous sommes, nous n’aurions point à déplorer notre sort ; mais pour chercher un bien-être imaginaire, nous nous donnons mille maux réels» (p.76). Confondant le Bien avec son intérêt et le Mal avec son appréhension, Macbeth voit dans la prophétie des sorcières une incitation au meurtre, témoignant ainsi du primat de l’imaginaire sur le réel : « la sollicitation surnaturelle ne peut être ni mal ni bien. Si c’est mal, pourquoi me donna-t-elle le gage du succès, commençant par la vérité ? Je suis Cawdor. Si c’est bien, pourquoi dois-je céder à l’idée dont l’image d’horreur hérisse mes cheveux et fait que mon cœur bien assis frappe à mes côtes contre son ordre naturel ? Les peurs présentes sont d’horribles imaginations : ma pensée, où le meurtre encore n’est que fantasme, secoue à tel point mon faible état d’homme que la raison s’étouffe en attente, et rien n’est que cela qui n’est pas » (I, 3, p.49).

Parce que le mal est représentation, le théâtre (Macbeth) et la fiction (incipit de la PFVS) dialogique et le roman (Les Âmes fortes),  nourris de mythes (Les Parques, la Gorgone, le Golgotha, le massacre des Innocents, Hécate et l’enfer dans Macbeth), de légendes (le diable rôde dans les Âmes fortes, qui parodie la crèche dans le couple de la sainte Vierge et du forgeron de la paix), de contes et de romans (Giono, qui caractérisait les romans noirs de « contes de fées modernes », fait explicitement allusion au Petit chaperon Rouge, à La Belle au bois dormant, aux feuilletons de la Veillée des chaumières, à Jocelyn et démarque, dans la fuite du jeune couple, le roman d’aventure initiatique, dans les rapports entre Thérèse et Mme Numance la relation de la Sansévérina avec Fabrice Del Dongo) permettent, mieux que la pensée spéculative, de cerner, intus et in cute, la complexité de l’expérience du mal.

Cette subjectivité assumée d’une vérité morale qui relève in fine de la croyance explique du reste le titre et la forme que Rousseau donne à la Profession de foi du vicaire savoyard : loin de la prétention de la « méditation métaphysique», comme de la leçon de morale ou de la catéchèse, à enseigner une vérité, la voix de la philosophie pratique se donne simplement en exemple de voie à suivre si le jeune prosélyte est persuadé.

L’intérêt des œuvres retenues tient donc une nouvelle fois à ce que, représentation, narration censément oralisée et confession d’un cheminement de pensée (PFVS), d’une destinée (celle de Thérèse) et d’une conscience individuelle (celle des Macbeth) travaillées, bouleversées, déterminées par la rencontre du mal, elles pensent moins le mal qu’elles ne nous confrontent, de l’intérieur, aux conséquences de l’expérience cruciale d’un mal originel.

 

En effet, comment penser le mal, comment tirer de l’expérience des maux une définition du concept le mal, quand nous ne faisons jamais l’expérience de l’existence nue du mal, tant dans la liste des maux, devant lesquels nous nous lamentons, exhalons une plainte qui se mue en procès contre l’auteur/ les auteurs à qui en imputer la de responsabilité, éprouvons un sentiment de révolte devant ce qui n’est pas tel qu’il devrait être, aucun n’est absolument le mal.

La douleur ? Longtemps, la médecine occidentale a reculé devant la prescription d’analgésiques, parce qu’elle voyait dans son signal un avertissement utile, comme le prouve l’exemple de l’enfant, atteint d’analgésie congénitale et fasciné par le spectacle de sa main dans le feu.

La maladie ? Sans douleur, elle n’est pas perçue comme un mal, dès lors que passagère, elle n’entame pas le pronostic vital, comme dans le mythe de l’état de nature décrit par Rousseau, qui ne voit pas dans cette mort un mal, dès lors que l’usure du temps, la maladie chronique, les souffrances causées par l’homme font de la vie un enfer qu’on aspire à quitter. C

royant à l’immortalité de l’âme, consolation des justes persécutés, Rousseau compose une théodicée. Giono fait pour sa part de la mort donnée, donc de l’assassinat ou du meurtre, un divertissement que la jouisseuse Thérèse ne voudrait pas rater « pour tout l’or du monde ». Dans une perspective machiavélienne, - nous verrons combien Giono admire la finesse d’analyse psychologique de Machiavel- , le crime, qui est un mal en ce qu’il cause douleur et mort, peut ainsi trouver sa légitimité: la Raison d’Etat transforme, dans Macbeth, les maux de la guerre, juste, en vertus héroïques[31] et fait de l’exécution du traître Cawdor, de la vengeance d’un Macduff, ulcéré par le massacre d’une famille abandonnée  par sa fuite à la merci d’un tyran sanguinaire, l’instrument d’une justice immanente[32].

Cette logique de la rétribution (crime et châtiment), qui sous-tend le mécanisme de la pesée des délits et des peines, le mythe antique de la pesée des âmes comparaissant devant les juges infernaux, et la représentation judéo-chrétienne du Jugement dernier et de l’Apocalypse, conduit à la relativisation, voire à la justification du mal, instrument d’une Providence nécessairement bonne, épreuve envoyée au juste pour le glorifier, ombre exaltant la lumière[33] d’une vie, d’une histoire travaillée par le négatif.

Le péché, originel ou pas, peut lui-même n’être pas un mal (absolu)[34], que le mythe adamique représentât symboliquement l’entrée de l’humanité dans son histoire, sa naissance à la conscience dans la prise de conscience de la finitude de sa condition, libre, mais mortelle et malheureuse, parce que souffrante et coupable, que le péché du monde, racheté par le scandale de la mort du Christ sur la croix,  entrât dans l’économie d’un salut, qui le rend nécessaire à l’exécution du plan de la Providence, ou que, plus radicalement ce péché n’en fût pas un, soit que le mal relevât de l’imagination, le serpent persuadant Adam, par l’intermédiaire d’Eve, que le commandement de Dieu, salutaire à l’homme générique (manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ne serait pas un mal en soi, mais serait mauvais pour l’homme) est un interdit qui attente à sa liberté en bornant sa puissance, soit qu’il n’y eût tout bonnement pas de commandement divin : si (l’idée de) Dieu est mort(e), tout est permis. Et l’homme, retourné à l’état de nature parce qu’ affranchi des préjugés de la morale religieuse et sociale, vit en-deçà ou par-delà le Bien et le Mal, dans l’affirmation d’une volonté de puissance, qui oscille, dans Macbeth et dans Les âmes fortes, entre amoralisme et immoralisme.

ó Nier l’existence du mal absolu, en déniant aux maux particuliers la qualité de mal revient donc à nier que le mal fût un concept pertinent, soit que l’on tentât, par nominalisme, de nier l’existence du mal en faisant de ce signe linguistique une forme vide de sens, soit qu’adoptant le point de vue du Tout, on relativisât la portée du Malen refusant que la révolte contre l’existence d’un mal de scandale engendrât, avec le désespoir, l’immoralisme/ l’amoralisme athée. Dans un cas, on tend, avec la Thérèse des Âmes fortes, à dissoudre le concept de/ du mal en se plaçant en-deçà de l’expérience qu’il traduit : on réfute  qu’il fût « mal » de gueletonner, de cancaner et de médire dans la maison d’un mort qu’on est censé veiller ; on affirme qu’on n’est « même pas méchante », au moment même où on déroule, dans un examen de conscience + proche du «discours de la méthode» par quoi  Madame de Merteuil sculpte sa personnalité de libertine que de la méditation de métaphysique pratique du vicaire savoyard ; on s’identifie à un « furet » et on pervertit la définition biblique de l’Être (« je suis celui qui suis ») pour mieux affirmer sa volonté de puissance, confondue avec la jouissance de manœuvrer, de phagocyter l’autre, pour le vider de sa substance et lui révéler son inexistence (p.316). Dans l’autre cas, on tend, avec Rousseau, à accepter le mal, en se plaçant au-delà de son expérience qu’il traduit. Le mal existe, le monde est injuste, il n’est pas tel qu’il aurait dû être. Mais on adopte sur ce monde qui diffère de ce qu’il devrait être, le point de vue totalisant d’une Nature bonne et d’un Dieu, dont la bonté et la justice se déduisent nécessairement de sa puissance créatrice, si bien que si dans un 1er temps, le hiatus entre l’ordre, essentiellement bon, de la Nature et la confusion du mal humain jette le trouble dans une pensée en pleine déroute, au bord du désespoir, la conclusion du bel ordre de la nature à la croyance dans l’existence nécessaire d’un dieu créateur, par définition bon et juste  conduit à croire en l’immortalité de l’âme, espérance en une consolation, qui n’a pas la naïveté de croire aux châtiments infernaux, mais voit dans le malheur des méchants comme dans le contentement de soi des êtres justes et sages la rétribution immanente du bien comme du mal moral/ humain. Ainsi il n’y a pas de mal en soi, mais seulement des choses (dites) bonnes ou mauvaises pour tel ou tel à tel ou tel moment pour qui, mesurant le bien et le mal à l’aune de son intérêt personnel et de son égoïsme foncier, ne voit dans la loi et dans la morale qu’une convention et dans le mal qu’un mot, le nom d’un rapport, d’une illusion qui absolutise un point de vue. Inversement, adopter le point de vue du Tout, dont l’homme participe en y occupant une place éminente, mais non exclusive, conduit à rationaliser le mal, particulier, en niant qu’il fût LE Mal, soit que le mal physique, relevant de la nécessité, ne fût pas un mal en soi, mais relativement à l’homme, responsable des maux que son inconséquence engendre, soit qu’il n’y eût de mal qu’humain et particulier.

 

Car l’ultime difficulté qui rend « LE » mal/ Mal proprement indéfinissable, tient au hiatus entre la diversité des maux, dont, finis (donc mortels),  charnels (donc souffrants),  sensibles (donc  psychiquement affectés) et doués d’une conscience (donc moralement affectés par un « mal de scandale », privation/ négation d’un bien considéré comme dû ou  au contraire excès, démesure née d’un sentiment de déséquilibre entre l’être et le devoir être) , nous faisons l’expérience, et l’unicité du concept de mal, du mal.

 Car le mal, protéiforme, semble proprement indéfinissable, et il suffit de lire un article de dictionnaire pour mesurer l’ampleur d’une difficulté qui est d’abord linguistique. Selon qu’on emploie le signe « mal » comme adjectif (« c’est mal »), comme adverbe («mal faire », « mal dire », « penser mal »)  ou comme nom, selon qu’on fait précéder ce nom d’un article indéfini qui le particularise (« un mal »), et qui peut se décliner au pluriel (« des maux »), ou qu’on le détermine par un article défini générique (« le mal ») qui l’essentialise, voire qu’on le substantialise par une majuscule (« le Mal »), on fait du mal une essence, une catégorie de pensée, voire une substance, ou un attribut, une qualité, une propriété, un accident de cette essence. Dans un cas, on privilégie l’affect, la relativité des situations, la diversité de l’expérience et la libre détermination d’une éthique personnelle. Dans l’autre, on tend à homogénéiser l’expérience en pensant « LE » mal, par référence à un système de pensée philosophique ou à un système de valeurs  religieuses, morales ou sociales transcendants, et l’on pense le mal/ Mal comme négation, privation, transgression,  ce qui engage la distinction de l’être/ Être et du non-être, affecte ma liberté et mon pouvoir à agir et à aimer.

            Dire « le mal », comme le propose l’intitulé du programme, c’est donc chercher à faire rentrer dans une même catégorie des réalités aussi différentes que des phénomènes naturels/ contre nature catastrophiques (le tremblement de terre de Lisbonne, le « grand incendie » qui précède de deux ans la naissance de Thérèse, la nuit apocalyptique du meurtre de Duncan), des maux et des douleurs physiques d’origine, de durée  et d’intensité variables (des souffrances causées par la décrépitude quasi naturelle des corps malades, dans Les âmes fortes, au bain de sang provoqué par la guerre entre Ecosse et Norvège au début de Macbeth, en passant par la violence sexuelle ou institutionnelle : prise de corps, attentat à la pudeur, tentative de meurtre, assassinat, régicide, exécution capitale), les souffrances psychologiques que ces maux entraînent (des  « chagrins de bébé » que Madame Numance attribue à Thérèse dans la version du Contre à l’hystérie que provoque chez elle la disparition de Madame Numance ; des hésitations de Macbeth, fouaillé par les railleries humiliantes de Lady Macbeth aux hallucinations, au somnambulisme et à la folie du couple, défait par le meurtre, dont le remords hante leur conscience), des erreurs, des fautes, des vices, des passions, des péchés de nature et de gravité disparates : imprévoyance et méprise tragiques de Duncan ; fuite irresponsable de Macduff ; trahison de Macdownald, Cawdor, Macbeth ; ambition démesurée et libido dominandi du couple Macbeth ; vols, marché noir,  corruption et escroqueries en tous genres du « grand blond », de Firmin, de Réveillard et de Rampal ; libido sentiendi, goinfrerie, gourmandise, mensonge, hypocrisie et manipulation de l’opinion par le couple Macbeth, de tous par Thérèse, de l’Eglise dans la PFVS). On se trouve alors confronté au hiatus qui se creuse entre une phénoménologie du mal, définition en extension qui décompose, décline à l’infini les formes d’un mal protéiforme, établit des catégories utiles à la compréhension des manifestations du mal, mais risque d’en diluer l’essence et pose la question de l’unité du concept du mal et une définition conceptuelle du mal.

 

En effet, on retient souvent la division du mal, par le philosophe allemand Leibniz, en 3 catégories : le mal physique, le mal moral et le mal métaphysique.

Mal naturel essentiellement subi, le mal physique – « grand incendie » qui précède de deux ans la naissance de Thérèse ; tremblement de terre de Lisbonne, dont Rousseau nie qu’il fût un mal autrement que par la faute d’un urbanisme dont le progrès humain est la cause ; phénomènes contre-nature qui signalent l’heure du crime dans Macbeth) n’affecte pas seulement l’homme, même si la souffrance de l’homme est irréductible à la souffrance des animaux à cause de la conscience de soi dont elle s’accompagne chez le 1er, la conscience de soi redoublant la souffrance. Thérèse, qui veut que Firmin « ait mal » et se voie mourir, s’enquiert de cette souffrance auprès du médecin et de son mari, témoignant ainsi de la solidarité entre mal physique et mal moral, mal subi et mal commis.

Car le mal moral, mal commis, n’affecte que l’homme, qu’il fait souffrir, physiquement, psychologiquement et moralement, et à qui il est imputable, moralement et juridiquement. Car les animaux n’ont à poursuivre ou fuir que les choses qui, dans la consécution empirique de leurs représentations, sont conformes ou contraires à leur instinct. L’homme seul peut faire le mal par ignorance, et commettre ainsi une erreur ou une faute, comme quand Œdipe,  parricide et incestueux malgré lui, ignore que l’homme qu’il tue au détour d’un chemin est son père et que la reine qu’il épouse après avoir délivré Thèbes du monstre est sa mère, preuve de son aveuglement et de l’absence de liberté, ou quand le vicaire savoyard affiche innocemment sa liaison avec une femme non mariée, persuadé qu’il cède à un penchant naturel et respecte les liens sacrés du mariage. Il peut aussi faire le mal en conscience, méprisant la loi morale qu’il connaît et ce qui doit lui faire vouloir ce qu’il doit vouloir, définition dans un cas de la volonté mauvaise, perverse selon Kant, qui voit dans cette manière de s’excepter de la loi morale la source d’un mal radical, définition dans l’autre cas du péché, qui ne contrevient pas seulement à ce qu’exige la nature de l’homme, mais à la volonté de Dieu, auteur de cette nature et qui veut qu’il veuille ce qu’exige sa nature. Si l’homme, à la différence des animaux, est capable du mal moral, c’est donc qu’on le suppose doué d’un entendement pour connaître le bien et d’une volonté ou d’un libre-arbitre pour vouloir, conformément à l’ordre de la nature ou de Dieu, le bien qu’il connaît. Faute des fautes, le péché originel, dont nous verrons que Rousseau réfute le dogme, augustinien, atteste du mauvais usage de cette liberté bonne, transgression qui exprime l’orgueilleuse et défaillante volonté humaine de se déterminer moralement par elle-même. Quand Thérèse fait le mal en conscience, frappe pour faire mal, ment tellement qu’elle ne peut même plus imaginer que les gens soient sincères, sculpte son personnage, étudie ses mimiques, imite tous les sentiments sans les sentir et trompe jusqu’à l’amour le + pur, fait servir son intelligence du mal à l’assouvissement d’une volonté de puissance qui parodie Evangile et Deutéronome, la cruauté perverse, dont l’animal, mû par l’instinct et dépourvu de la conscience de faire le mal, est incapable, fait d’elle une figure du Mal, immanent quoique naturalisé.

De ce mal humain/ moral, Shakespeare et Rousseau font une lecture historique, sociale et politique, inspirée moins par les traités théologico-politiques qui rattachent, depuis La Cité de Dieu de Saint Augustin, le mal social (l’inégalité entre les hommes[35] et la violence des uns contre les autres) et le mal politique (la tyrannie et le pouvoir injuste) à la condition postlapsaire de l’homme, que par une réflexion sur les passions, en particulier celles qui ressortissent de la libido dominandi, et sur la généalogie du mal social. S’inscrivant en faux contre le Leviathan de Hobbes, qui fait de l’état de nature une guerre de chacun contre tous, à quoi met fin le Souverain, Rousseau voit dans la sortie de l’état de nature, dans l’entrée dans l’état civil, la genèse, la rencontre d’un mal inscrit dans le social, sous la forme de la violence, de la propriété, du vol, et de la guerre[36]. Or Macbeth, qui se déroule sur fond de guerre, met en scène une lutte pour le pouvoir, qu’il s’agisse de la 1ère révolte contre Duncan et de la trahison de Macdonwald, prédisposé à la rébellion par les « croissantes bassesses de la nature » (I,2), de l’accession au trône de Macbeth ou de la coalition finale soutenue par le roi d’Angleterre. Macbeth, que la vue du spectre de sa victime plonge dans un effroi proche de la déraison, évoque la violence des combats humains du passé (« le sang fut répandu ici, dans les époques disparues, avant qu’humaine purgation eût fait meilleure société », III, 4), mais constate amèrement que le mal a pris des formes + insidieuses dans une société apparemment + civilisée. Si Macbeth se déroule dans un monde de rois et de chefs de guerre, les œuvres de Rousseau et de Giono font davantage appel à la violence de la misère et des rapports sociaux : nés pauvres, le jeune homme et le vicaire entrent dans leur histoire en entrant dans le malheur,  par « la 1èreépreuve de la violence et de l’injustice ». Le jeune homme, presque encore un « infans » (littéralement, « celui qui ne parle pas »), « un jeune cœur sans expérience », un être encore innocent, fait l’expérience traumatisante d’une sorte de chute dans le mal quand, confronté pour la 1ère fois à la société dans un pays étranger (figure d’Adam exilé ?), il est accueilli dans un « hospice pour prosélytes » (nouveaux convertis) où on le sodomise, puis le prend de corps et le persécute parce qu’il dévoile le scandale que l’hypocrisie de l’Eglise couvre d’un voile d’assentiment tacite : « on lui donna des doutes qu’il n’avait pas, et on lui apprit le mal qu’il ignorait ». De l’escroquerie de Firmin, de la relation entre la paria acculée à la misère et la bonne dame généreuse à qui elle rêve de ressembler et qui ambitionne de la sauver de la révolte, on peut aussi faire une lecture sociale dans le roman de Giono, qui contient une satire féroce de la famille, des turpitudes domestiques et des secrets soigneusement enfouis, où la méchanceté déborde largement de la sphère familiale. Dans ses notes, Giono évoque ainsi son héroïne : »conditionnement au meurtre/ désir de vengeance, absence totale de sentiment chrétien- âpreté (venant de  pauvreté et de servitude), aptitude et facilité à jouir romantisme cruauté ». Ainsi, dans la conception shakespearienne, rousseauiste et gionienne du mal politique ou social, il n’en va pas, comme chez Marx, d’un ensemble d’appareils de production conduisant à des rapports d’exploitation, d’oppression, d’aliénation subis par des hommes qui n’ont pas véritablement la volonté individuelle de faire le mal, mais d’une définition de la nature humaine que Giono, après Hobbes, considère  comme mauvaise, tandis que Rousseau pense que le mal n’est pas dans la nature de l’homme, mais dans sa perversion par l’état social : alors que, pour Hobbes, l’état de droit fait de l’homme « un Dieu pour l’homme », la création de la société via l’acte d’appropriation  crée pour Rousseau une rivalité irrémédiable entre les humains. L’origine du mal étant propre à l’histoire, le mal historique n’est pas dans l’être humain, mais dans la solution de continuité entre l’état de nature et l’état civil, historique. Alors que pour Giono le mal est naturel, il est social, historique et humain pour Rousseau, qui ne s’attache pas au mal métaphysique.

Ce mal métaphysique, censé affecter toute la création en tant que création, diffère sensiblement du dogme augustinien du péché originel et se rapproche du mal ontologique des (néo)platoniciens en ce qu’il englobe tous les types de maux en les rattachant à une incomplétude de l’être, émanant de l’Être ou créé par lui, mais nécessairement imparfait, du seul fait que, créé, il ne se confond pas avec Dieu, est donc sujet au mal dans son principe. Dans la PFVS, le mal  métaphysique, qui doit être accepté comme une donnée de la condition humaine, n’en est, d’une certaine manière, pas un : l’ordre du monde, créé par un Dieu dont la bonté et la justice sont des conséquences nécessaires de sa puissance créatrice, est bon et harmonieux, même si cette harmonie implique des désastres incompréhensibles pour notre esprit. « Le mal que l’homme fait retombe sur lui sans rien changer », l’ordre du monde reste intact (p.75), preuve qu’il n’y a de mal qu’humain. Les choses sont moins claires s‘agissant de Giono et de Macbeth : comment interpréter ce « grand incendie » qui précède –comme un signe ?, une «annonciation »- , la naissance de Thérèse ? Dans la « condition cosmique de l’homme », le mal existe, mais il ne sert à rien, dans une perspective athée, où l’on ne croit en aucune transcendance, de se demander si le mal « sert » à quelque chose, s’il répond à une volonté supérieure, s’il a un  sens. Dans Macbeth, les personnages ne cessent de poser des questions, vivent dans un étonnement permanent, incapables de comprendre les raisons de ce mal triomphant inhumain, surnaturel, imprégné de nuit, de tempête, qui semble n’avoir aucune justification et qui les enveloppe de terreur. Est-ce que le monde est pur chaos, pur désordre, pure déraison ? En dépit d’un dénouement éventuellement édifiant et à cause du cycle de la violence et de l’ambiguïté des personnages censés incarner le Bien, on pense à la fatalité grecque, mère de la tragédie.

 

Ainsi donc, la tripartition leibnizienne amène à se demander quel est le lien entre mal physique, mal moral et mal métaphysique, entre mal subi (« être mal », « avoir mal », la souffrance et la douleur) et mal commis (« mal faire », « faire le mal », la faute, le crime, le péché), entre les maux dont on se sent victime et ceux dont on est coupable, l’expérience de la tentation, de la lutte intérieure, de l’abandon, de la chute et de l’ivresse de la transgression qui nourrit la tragédie d’une part, l’épreuve du martyre fondant la lamentation d’autre part.

Leibniz justifie une partie du mal physique par le mal moral et, en dernière analyse, tout le mal physique par le mal moral et tout le mal moral par le mal métaphysique. On peut en effet considérer le mal physique et le mal moral, le mal subi et le mal commis comme deux variétés d’un seul mal, l’un étant la cause de l’autre. On considérera alors, avec les théologiens augustiniens, que la souffrance, y compris celle des créatures innocentes, est une conséquence de la faute, voire une peine du péché. C’est l’explication avancée du mal physique dans beaucoup de religions révélées : dans le mythe adamique, la souffrance (mortalité, douleur de l’enfantement, nécessité du labeur) s’introduit dans le monde à la suite de la transgression par l’homme de la loi divine, comme sa juste rétribution. Le mal physique découle du mal moral. Il en va de même dans le domaine judiciaire : le crime appelle le châtiment; le délit est sanctionné par une peine, proportionnelle à la gravité des faits. L’un apparaît comme la conséquence de l’autre parce qu’il est juste, donc bien qu’il en soit ainsi. La punition  (chute ou peine) est acceptée comme contrepartie physique, nécessaire et juste, d’un mal moral posé comme équivalent. La justice relève ici de la loi du talion : + le mal commis est jugé grave, + le coupable doit en retour subir lui-même un mal. En ce cas, on comprend qu’un mal mérité, justifié, n’est plus véritablement un mal, parce qu’il procède du rétablissement d’un ordre juste. Il existe une sorte de mathématique du mal, dont le dénouement de Macbeth témoigne. Les apologies de la Nature par les tenants de la religion naturelle du siècle des Lumières vont dans le même sens : toute souffrance immanente est la rétribution naturelle d’un mal commis par les hommes dans le monde : « beaucoup + nombreux sont les hommes qui ont été détruits par l’attaque des hommes – c.à.d. par le fléau des guerres ou les séditions- que par tout autre fléau »( Cicéron) ; « un seul Caligula ou Néron en a fait + qu’un tremblement de terre » (Leibniz); si l’urbanisme, fruit du progrès et de l’organisation sociale, n’avait pas concentré un habitat naturellement dispersé et si l’architecture contre nature des immeubles n’avait pas dénaturé cet habitat naturellement formé de matériaux légers, le tremblement de terre de Lisbonne n’aurait pas ému l’Europe, qui y aurait vu, non une catastrophe, un fléau, une forme de mal horrible par les souffrances humaines qu’il a entraînées, mais un simple phénomène naturel, sans connotations négatives, répond Rousseau à Voltaire, scandalisé par l’imputation du mal de scandale aux fautes de hommes. A force d’avilir la nature, elle se venge, clament les écologistes d’aujourd’hui. + subtilement, Rousseau estime que le mal commis par l’homme est la cause par laquelle les avertissements utiles que lui envoie la nature deviennent un mal pour lui : « c’est l’abus de nos facultés qui nous rend malheureux et méchants. Nos chagrins, nos soucis, nos peines nous viennent de nous. Le mal moral est incontestablement notre ouvrage et le mal physique ne serait rien sans nos vices qui nous l’ont rendu sensible ». Le présupposé d’une telle affirmation est que le mal consiste moins dans le mal physique ou dans le mal moral que dans leur déséquilibre: pour que la majorité des hommes qui reconnaissent le mal comme mal, il faut qu’il y ait incommensurabilité entre le mal commis et le mal subi, disproportion, excès, Le mal ne serait donc pas de le subir, mais de le commettre sans le subir : « payer sa faute délivre du + grand des maux » (Platon, Gorgias). Le mal est donc absence de commensurabilité entre mal commis et mal subi : le juste persécuté (les malheurs de la vertu) et le méchant heureux (les prospérités du vice) sont les deux figures symétriques du « mal de scandale » dont parle Kant. L’injustice réside dans l’absence de relation entre mal subi et mal commis (qu’ai-je fait pour mériter cela ?) ou dans l’incommensurabilité des deux. Le noyau rationnel de l’expérience du mal est dans la mesure du mal subi par le mal commis. La définition du mal ne répond donc pas à l’équation « mal = mal commis + mal subi », mais à l’équation « mal commis moins mal subi » ou « mal subi moins mal commis ».

Justifier une partie du mal physique par le mal moral et , en dernière analyse, tout le mal physique et tout le mal moral par le mal métaphysique, en en faisant découler souffrance, faute et péché, comme le fait Leibniz dans ses Essais de théodicée pose un autre problème : celui de la justification d’un injustifiable « souffrir » dont l’homme fait l’expérience jusque dans ses défaillances et jusque dans ses limites. Comment articuler les trois affirmations : Dieu est tout-puissant ; Dieu est infiniment bon ; il y a du mal sur la terre ? Pour disculper Dieu du mal physique et du mal moral, Leibniz précise que, si Dieu peut vouloir le mal physique à titre de moyen dans la réalisation du meilleur possible, il ne peut que permettre la dérogation à sa loi que représente le mal moral, à titre de condition sans laquelle il lui serait impossible de réaliser le meilleur des mondes possibles. Dans cette perspective, le mal physique est soit punition, soit moyen d’un développement d’une + grande perfection ; le mal moral imputable à la créature intelligente et libre qu’est l’homme, Dieu ne pouvant empêcher ni l’homme en général ni les hommes en particulier de commettre le mal sans manquer à ce qu’il se doit d’abord à lui-même conformément à son essence, à savoir la réalisation du meilleur possible comme impliquant le mal moral. Mais n’est-ce pas là justifier l’injustifiable : la souffrance du juste, de l’innocent, le scandale de l’expérience originelle du mal subi, le fait qu’on accède à la connaissance du mal avant qu’on accède à la connaissance du bien, ou qu’on accède à la connaissance du bien à partir de la connaissance du mal, et non l’inverse. Le scandale du mal qui plonge la conscience du vicaire savoyard et de son jeune auditeur dans le doute et le désarroi le plus dirimant l’atteste. Si ce mal ne devient pas mortel, mais provoque l’effort de pensée par quoi le vicaire savoyard s’élève de la médiation sur la place de l’homme dans l’univers à la croyance en un dieu créateur, tout puissant, bon, donc juste et en l’immortalité de l’âme, consolation du juste persécuté, c’est justement que le théoricien de la religion naturelle, réfute, avec la doctrine du péché originel, l’idée d’un homme destiné au bien, mais ayant un penchant naturel au mal, au profit de la croyance dans une bonté naturelle, garante de la dignité métaphysique d’un homme qu’un Dieu puissant, bon et juste, ne peut qu’avoir créé bon, et qui n’a plus qu’à rentrer dans sa nature et écouter la voix de la conscience, « instinct divin », pour accéder au bonheur que le contentement de soi lui promet, malgré le mal social dont il demeure victime.



[1]              Pour les M SPE, voir l’introduction sauvage de juin 2010. Pour tous, rappelez-vous la réponse de Voltaire à la théodicée de Leibniz, au poème de Pope, et à la Lettre sur la Providence de Rousseau, elle-même réplique au Poème sur le désastre de Lisbonne de Voltaire. Pour une 1ère approche de cette querelle, dont nous reparlerons en contextualisant la rédaction du la PFVS, consultez le dossier naguère proposé sur ce sujet par Philippe Lavergne sur son site Magister.

[2]              Noter que pour Rousseau, l’homme sent avant que de connaître et de penser, c.à.d. de juger. Or si « l’amour de soi » est le sentiment 1er, qui vise à l’auto-conservation, la « pitié » est, à l’âge des passions qui est aussi celui de l’entrée dans le corps politique, le fondement de l’ouverture à autrui et d’une bonne sociabilité.

[3] On peut dire que le vicaire savoyard parvient, sinon à donner du sens à l’expérience du mal, du moins à tirer de sa réflexion sur la place du mal dans l’ordre de la nature, dans la société et dans la destinée d’un homme à l’âme immortelle une morale, une éthique, une sagesse, un guide pour une vie bonne. Thérèse découvre dans le mal à la fois le sens et la finalité de son existence. L’ironie darmatique fait en revanche conclure Macbeth au non-sens, dans ces céléibrissimes vers du dénouement : « La vie n’est qu’une ombre en marche, un pauvre acteur qui s’agite pendant une heure sur la scène et alors on ne l’entend + ; c’est un récit conté par un idiot, plein de bruit et de fureur, ne signifiant rien ».

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[4] « je  me disais : Non, l’homme n’est point un : je veux et je ne veux pas, je me sens à la fois esclave et libre ; je vois le bien, je l’aime et je fais le mal ».

[5] Madame Numance et Firmin, qui est aussi comparé à une « tique », ont des « yeux de loup. Thérèse est un « furet ». Quand elle se promène dans la nature en quête de soi, elle voit les serpents se « désengluer les dents » et un leitmotiv concernant les paysans dont le chœur des pleureuses médit est « méchant comme une gale ».

[6]              C’est aussi se tourner vers l’action, palliative, préventive, résiliente, réparatrice et constructive. C’est donc, après avoir remplacé l’insoluble « pourquoi ? » par un « comment », s’inscrire dans la dynamique résolument optimiste, quoique parfois lucidement sysiphéenne, de la résolution de problèmes. Le mal, physique surtout, quoique…, cesse alors d’être un « scandale », une énigme, voire d’avoir des causes morales pour n’être plus qu’un problème à résoudre, par les moyens de l’intelligence et de la technique.

[7]              Kant montre justement que le « mystère » du mal vient justement de sa rationalité.

[8]              S’interrogeant sur ce qui lui apparaît comme la « banalité » du mal incarnée par Adolf Eichmann, la philosophe juive américaine Hannah Arendt, qui a couvert pour la presse le procès de l’organisateur de la solution finale, en arrive à la conclusion que la racine du mal est dans la mort de la pensée , c.à.d. de la conscience,  dans le « postscriptum » à Eichmann à Jérusalem

[9]              On peut se demander dans quelle mesure le motif du « sommeil » que Macbeth a tué, allégorie de l’ordre et de la paix, tant sociale et politique que morale et spirituelle, ne renvoie pas aussi à la démesure, à la folie d’une inversion qui frise le non sens et fait toute la modernité de ce drame cosmique, historique, individuel.

[10]             A l’acte I, scène 5, Lady Macbeth, révoltée contre la condition féminine qui la dévirilise, en appelle aux forces du Mal pour perdre son sexe (« unsex ») c.à.d. dans le fond moins pour inverser les pôles féminin et masculin de la nature humaine socialisée, que pour perdre toute humanité, à l’instar de son héros de mari, qui croit tellement dans les 2ères apparitions de l’acte IV, scène 1, qu’il s’imagine invincible, car physiquement invulnérable aux coups portés par le moindre homme né d’une femme.

[11]             Macbeth décide qu’il agira désormais sans réfléchir, obéissant à la 1ère (im)pulsion. Thérèse affiche, en même temps qu’un égoïsme absolu et serein, une soif de domination et de maîtrise absolu, au risque d’une solitude clairement revendiquée.

[12]             Le regard transparent des Numance peut symboliser leur aspiration au dépouillement jusqu’à la mort ou la disparition, assomption d’un Bien dévoyé en consomption par quoi on réalise une aspiration au néant délétère.

[13]             Lassé d’un mal irrémédiable, Macbeth en appelle, comme bien des tyrans sanguinaires de l’Histoire, à la fin conjointe du moi et du monde.

[14]             On remarquera sur ce point, confirmé par l’intitulé du tiré à part de la Profession de foi du vicaire savoyard, que la «méditation métaphysique » du vicaire savoyard ne prétend pas au statut de discours philosophique, non seulement parce que Rousseau y polémique, par personnage conceptuel interposé, avec le clan des « philosophes » sensualistes, empiristes, matérialistes et athées, mais parce qu’il souligne à maintes reprises que laissant de côté les vérités qui dépassent l’entendement, il avance ces vérités pratiques, importantes pour lui comme des « articles de foi », non que la métaphysique échappât à la raison, mais parce que ces vérités relèvent à ses yeux de la conscience, de l’ « ordre du cœur » en termes pascaliens.

[15]             C’est dans le fond le principal argument de Voltaire contre les Essais de théodicée de Leibniz, et le fondement de sa réfutation par le conte philosophique de Candide : confronté à l’omniprésence du mal, l’apprenti philosophe à l’âme « naïve » et « simple », mais au « jugement droit », renonce à l’optimisme a priori de Pangloss, amené par l’aveuglement de la théorie à nier l’existence d’un mal dont il souffre pourtant ou à le justifier par la Providence, pour « cultiver son jardin », atteindre une sagesse pratique toute privative, seul bonheur possible dans « le monde comme il va ».

[16]             In Notions de philosophie, sous la direction de Denis Kambouchner, t. III, Folio essais , disponible au CDI du lycée.

[17] «Quel spectacle ! Où est l’ordre que j’avais observé ? Le tableau de la nature ne m’offrait  qu’harmonie et proportions, celui du genre humain ne m’offre que confusion, désordre ! […] je vois le mal sur la terre », s’exclame le vicaire savoyard (p.71), après que le jeune homme a «vu l’injustice et la dureté des hommes » (p.46) et que lui-même a « vu partout des hommes victimes de leurs propres vices et de ceux d’autrui ; il [voyait] les pauvres gémir sous le joug des riches, et les riches sous le joug des préjugés » (p.50).

[18] « horror ! horror ! horror ! » ; « regardez la mort même ! ah debout, debout, voyez l’image du grand jugement » (II,3)

[19] « Est-ce le poignard que je vois devant moi le manche vers ma main » ? ; « je ne t’ai pas, et pourtant je te vois toujours. Fatale vision, n’es-tu pas sensible au toucher comme à la vue ? […] Je te vois là, aussi palpable dans ta forme sue celui qu’à présent je tire[…] et je te vois encore : sur ta lame et ta poignée des gouttes de sang qui avant n’y étaient pas. » (II,1)

[20] « il y a du sang sur ta face » ; »ne secoue pas tes boucles de sang caillé contre moi »

[21] Macbeth ne désigne jamais le régicide que par des périphrases : « la grande affaire de la nuit » (I,4) ; « si c’était fait, lorsque c’est fait, alors ce serait bien si c’était vite fait » (I,7) ; « j’ai fait l’action » (II,1). A la question de Macbeth « que faites-vous ? », les sorcières répondent «action sans nom » (IV,1). Aux exclamations de Macduff « horreur ! horreur ! horreur ! la langue ni le cœur ne peuvent te penser ni te nommer » (II, 3) répondent « les actions trop terribles pour l’oreille », évoquées par Macbeth (III,4), devenu une machine à tuer : « d’étranges choses sont dans ma tête/ Qui doivent être agies avant d’être pensées » (III,4). L’impossibilité de nommer l’action est donc liée à son caractère horrible. La preuve est que Malcolm exhorte au rebours Ross à « donner au malheur des mots : le chagrin qui ne parle pas s’insinue au cœur surchargé et fait qu’il se brise » (IV,3).

[22] Dans Macbeth, l’existence des sorcières, donc du mal, est mise en doute. Macbeth et Banquo, témoins de la 1ère apparition, ne sont pas sûrs de ce qu’ils ont vu : « êtes-vous un fantasme ou une réalité/ Ce que vous montrez au-dehors ? » (I,1) ; « - Macduff - La terre fait des bulles, comme l’eau en fait, et celles-ci en sont : où sont-elles passées ? / Macbeth - Dans l’air. Ce qui semblait corporel a fondu comme le souffle au vent » (I,3). L’absence de réponse ferme à ce questionnement ouvre la voie à deux interprétations possibles sur l’origine du mal : 1/ les sorcières existent et sont l’incarnation d’une trinité perverse, des être surnaturels qui décident du destin des hommes, à l’instar des nornes nordiques ou des Parques antiques ; 2/ les sorcières matérialisent les désirs de Banquo et de Macbeth, qui choisit délibérément le mal. Et Michèle Narvaez et Madeleine Robert (3 en 1 Atlande, p.179) de conclure : »selon le degré de réalité qu’on accorde aux sorcières, le mal paraît donc surnaturel (c’est le Mal avec une majuscule) ou, au contraire, naît de l’humain ».

[23] La veillée funèbre du « pauvre Albert » fait de la méchanceté des hommes une évidence. Prenant la forme d’un chœur, où aucun personnage ne s’élève encore pour faire entendre sa voix (ni Thérèse, ni le Contre), les propos échangés dressent une galerie de portraits particulièrement pessimiste, galerie de portait où qhaque personnage semble personnifier un vice. Monsieur Charmasson est jaloux et violente (p.9) envers sa femme, de 40 ans + jeune que lui et qui se divertit d’un mariage d’intérêt en lutinant avec ses femmes de chambre et en prenant le sous-préfet pour amant. L’oncle anonyme et d’une saleté repoussante symbolise la gourmandise excessive et l’alcoolisme. Le « gros blond » qui fait du marché noir pendant la 2ème guerre mondiale et soudoie l’héritage des mourants incarne, avec sa femme aux bijoux voyants, la cupidité et l’avarice. Les narratrices elles-mêmes participent de cette grand messe de la mesquinerie en ripaillant des biens du mort et en racontant des histoires d’héritages sordides. La 2ème de ces histoires d’héritage inverse ainsi la légende du jugement de Salomon lorsque la cadette réclame que son bien soit coupé en deux +tôt que laissé en son entier au bénéfice de sa sœur, p.50. Dans ce contexte, toute référence à la bonté est immédiatement dévalorisée : « ta mère a toujours été bonasse » (p.25).

[24] Cf IV, 3 , v. 1980 sq, p.118-119.

[25] C’est la définition du « mal métaphysique ».

[26] Pour les M SPE, voir l’analyse du mythe adamique dans le cours d’introduction générale du mois de juin 2010

[27] Idem. Partant du constat de l’existence du mal (« que le monde est mauvais, c’est là une plainte aussi ancienne que l’histoire et même que la poésie ») et convaincu de l’existence du mal moral (« qu’un penchant pervers doive être enraciné dans l’homme, c’est là un fait dont nous pouvons nous épargner de donner une preuve formelle »), Kant démontre, dans les 2ères section de La Religion dans les limites de la simple Raison, qu’il y a, dans la nature humaine, une « disposition naturelle au bien » et aussi un « penchant au mal », c.à.d. un fondement subjectif de l’inclination au mal, qui doit être rapporté au libre arbitre de l’homme, responsable de ses actes. Dire que l’homme est « mauvais par nature », c’est décrire le mécanisme de la faute morale, qui consiste pour  l’homme à être conscient de la loi morale, tout en admettant dans ses maximes une déviance par rapport à elles : l’homme peut, par exemple, admettre la loi qui lui enjoint de ne pas mentir et s’excepter de cette loi à un moment donné de son existence. Le mal est « radical », non dans le sens où il serait absolu, mais parce que d’un mal, on peut remonter aux racines de notre conduite. Être méchant, ce n’est donc pas nécessairement faire le mal, mais renverser l’ordre des motifs qui guident notre action : faire passer l’amour-propre avant la loi morale, en subvertissant les maximes de la volonté. L’origine du mal est donc rationnelle : il vient de mobiles intelligibles et non de mobiles sensibles et s’enracine dans la nature intelligible de l’homme, c.à.d. dans sa propre personnalité de sujet agissant librement. D’où l’idée que l’origine du mal est rationnelle, mais incompréhensible ou insondable. Cf sur ce point l’extrait VI de l’anthologie GF et sa présentation par Claire Crignon.

[28] « c’est la vie », conclut laconiquement Thérèse après avoir constaté, revendiqué même une totale indifférence à l’égard de ses petits-enfants, p.28. La vie, c’est donc le mal, la souffrance, la mort, mais aussi la grande bouffe irrespectueuse où il suffit d’un excitant (le café) pour que le mal, avec la médisance, ressorte. Chez Giono, force est de constater que les hommes sont « méchants comme la gale », mais inutile de s’en offusquer puisque cela relève d’une certaine naturalité.

[29] II,3, v.814 sq, p.71 ; II,4, p. 76-77.

[30] Proprement intraduisible, le jeu d’équivalence instauré par les sonorités des deux adjectifs, proches dans leur forme monosyllabique, mais opposés dans leur sémantisme allie à l’antithèse ombre/ lumière (« fair har » désigne une chevelure blonde et P.J . Jouve traduit « le clair est noir est le noir est clair ») un sens esthétique + général (« le beau est laid, le laid est beau ») et une portée axiologique : »le juste est injuste, et l’injuste juste » ; « le bien est mal et le mal bien »

[31] Cf réaction du vieux Siward à l’annonce de la mort de son jeune fils (V,9 , p.142).

[32] V,9, p.143.

[33] Métaphore picturale employée par Leibniz dans ses Esais de théodicée.

[34] Voir l’argument de la « felix culpa ».

[35] Le jeune homme et le vicaire mis en scène par Rousseau sont nés pauvres : le 1er évoque son « indigence », se décrit dans la « détresse, sans pain, sans asile, prêt à mourir de faim » (p.45). On peut lire l’aspiration à être de Thérèse, sinon comme révélant un désir de reconnaissance sociale, -quoique-, du moins comme la revanche d’une cadette de famille paysanne, placée en condition, « dérobée », menacée du rang infâmant de fille-mère et réduite à la mendicité d’une cage à lapins. « Mais la justice dans ce bas monde ! La justice il faut se la faire soi-même. C’est malheureux à dire, mais c’est comme ça : si on est trop bonne, on est volée », constate Rose (p.46). Enfin Macbeth instrumentalise la rancœur de deux pauvres hères pour détourner la colère des spadassins sur Banquo, au début de l’acte III.

[36] Se rapporter sur ce point aux deux «Discours », Le Discours sur les Sciences et les Arts et le Discours sur l’origine et le fondement de l’inégalité parmi les hommes.

04 septembre 2010

questionnaire sur "les âmes fortes" de Giono (en cours de construction)

1-La veillée mortuaire

1-1 Le contexte spatio-temporel qui sert de cadre aux récits de la vie de Thérèse est celui d’une veillée mortuaire :

a) qu’est-ce qu’une veillée mortuaire ?

b) L’atmosphère de cette veillée est-elle empreinte de religiosité, de sacré? Pourquoi ? cf p.27-28, 34-35 notamment

c) En quels termes les femmes censées veiller le corps du défunt en parlent-elles ? Analysez ces termes

d) Qui compose le chœur des pleureuses ?

d) Peut-on vraiment parler d’un chœur de pleureuses ? Pourquoi ?

e) De quoi se soucient-elles avant tout?

f) Que font-elles pendant la nuit où elles sont censées veiller le corps du mort ? 

 

1-2 La mort grotesque : le mal comme carnavalisation du sacré

a) Le motif de l’incendie : du cataclysme tragique  à la carnavalisation du mal social :

- Faut-il donner une portée symbolique au grand incendie qui précède de deux ans la naissance de Thérèse ? Si oui, quelle signification accorder à l’origine du mal dans le roman ? (p. 8 et 11)

- A quels aspects du mal rattacher l’incendie du château de Percy ? (p.9-10)

- En quoi peut-on parler d’un traitement grotesque du motif de cet incendie ?

 

b) « il faut nourrir la douleur » : le motif du « gueuleton ».

- Que mangent (29 sq) , que boivent les pleureuses ? (p.12 sq et 29 sq)

- Qu’y a-t-il d’inconvenant, voire de moralement choquant dans cette ripaille ?

- Que répondent les femmes à celle qui prétend être ainsi choquée ?

- L’est-elle réellement ?

- Qu’en conclure sur le rapport des personnages à la morale, au sacré, au corps ?

- Quel lien est établi, par une des pleureuses, entre l’apparence des caillettes et celle de ma mort ? (33)

- Que lui répondent les autres personnages ?

- Quelle est en conséquence la valeur dominante dans cet univers ?

- Quel lien peut-on finalement établir entre la mort et la faim/ gourmandise/ voracité.

 

1-3 «Tu fouillerais, tu en trouverais des choses !  Tout le monde en a. Qui + qui moins » La chronique villageoise : une galerie de portraits de gens sordides et intéressés

a) Violence conjugale : montrez que tous les couples, mal assortis, sont régis par la violence conjugale, quel que soit le milieu social, et que cette violence conjugale est la « norme », même si on cherche à la dissimuler.

b) Rapports parents-enfants

- que penser du père qui refuse que la mère achète des vêtements pour sa fille (« à force de tourner, vous verrez ce que vous en ferez de cette petite ! » Je lui dis : quand on veut faire le mal, ce n’est pas une culotte ou une robe qui vous le fait faire, ou qui vous en empêche » » p.20) et de la mère qui achète et fait essayer en cachette des sous-vêtements à sa fille, p.20 ?

- Inversement, que penser du mari qui « s’occupe » de sa fille, « la touche », mais voit du « vol » dans la nourriture retenue par sa femme pour sa mère ? (p.21).

c) Querelles d’héritage, marché noir et spoliation des veuves et des mourants

- Qui est « le gros blond » ? (35 sq)

- « Il n’a + figure humaine » : que symbolise la corpulence du « gros blond » et de sda femme ? En quoi peut-on parler d’une physiognomonie du mal ?

- Comment s’est-il enrichi, dans un contexte qui est aussi celui du marché noir, pendant la 2ème guerre mondiale

- Quelles sont les deux histoires d’héritage, entre aîné(e) et puiné(e) ? Que révèlent-elles ?

 

 

1-4 1ère esquisse du portrait de Thérèse

a) Quel âge a Thérèse lors de cette veillée mortuaire ? Rattachez cet âge au genre de la chronique.

b) Quels sentiments éprouve-t-elle pour son entourage ? (28 et 52)

c) Que répond-elle à celle qui la croit « malheureuse » parce qu’elle n’aime personne et n’a qu’elle ? (53)

c) En quoi âge et « philosophie de la vie » confèrent-elles à Thérèse un statut particulier dans le chœur des veilleuses ?

 

2- Le 1ère pli du récit de Thérèse (p. 52-135)

a) avant la fuite du château de Percy (version Th)

- Qui sont Thérèse et Firmin au tout début de leur histoire ?

- Pourquoi Thérèse est-elle placée comme domestique au château de Percy ? Quelle place occupe-t-elle dans cette domesticité ? Quels sentiments l’animent, notamment vis-à-vis de « mademoiselle », l’intendante ? Qu’en conclure sur le mal social ?

- Pourquoi les parents de Thérèse sont-ils hostiles au mariage de leur fille avec lui ?  (53-54) ?

- En quels termes Thérèse parle-t-elle de Firmin  (53-54) ?

- Qu’est-ce qui la séduit néanmoins en lui ? (54)

- Qu’ont-ils pour tout bagage ?

- Comment se marque, d’entrée de jeu, le rapport de force entre les deux personnages ?

 

b) La fuite du château et l’accueil chez Gourgeon (version Th)

- Qu’y a-t-il de romanesque dans cette fiction ?

- Que craignent les « dérobés » ?

- En quoi leur situation sociale et matérielle fait-elle objectivement d’eux des « trimardeurs » ?

- Que « combinent »-ils et comment se passe, selon Thérèse, leur 1ère nuit ?

- Qui est, d’après T, Gourgeon (65-66) ?

- Quel accueil fait-il au jeune couple à Châtillon ?

- Comme cet « appui du devoir » est-il censé aider le jeune couple illégitime ?

 

c) De l’installation à l’auberge à la ruine des Numance

- Comment Th décrit-elle l’auberge ?

- Comment Th décrit-elle leur installation et leur vie dans cette auberge ?

- En quoi cette auberge constitue-t-elle un poste d’observation idéal ?

- De quoi est composée la société qui fréquente l’auberge ?

- Comment comprenez-vous le déplacement de Monsieur Numance vers la dernière salle de billard ?

- Quel rôle Th assigne-t-elle alors à Firmin ? 

 

d) 1er portrait des Numance

- Qui sont, d’après les données de ce 1er « pli » du récit, Monsieur et Madame Numance ?

- Quel portrait est tracé d’eux ?

- Comment comprenez-vous la manière dont Monsieur Numance est censé se mettre à la disposition de Thérèse, si elle a besoin de lui ?

- Quelle nouvelle défraie la chronique de Châtillon ?

- Comment madame Numance réagit-elle à la vente, par l’intermédiaire de Firmin, de son trotteur à Madame Carluque ?

- Comment les Numance, après avoir gagné la sympathie des Châtillonnais, perdent-ils la seconde manche dans le duel qui les oppose aux Carluque ?

- Qui sont les Carluque ? En quoi leur couple, reposant sur une antithèse, est-il l’opposé du couple Numance ? Comment manipulent-ils l’opinion pour la retourner contre les Numance ?

- Comment les supputations alimentent-elles la chronique, mêlant le fantasme à la réalité ? 

- Quel rôle joue Thérèse dans cette enquête ?

- A quelle scène assiste-t-elle, depuis le talus qui fait face au « chalet » des Numance ? Qu’y a-t-il de théâtral et d’étrange dans cette scène ? Quel portrait y est fait de Madame Numance ?

- Parvient-on à savoir où est passé l’argent dilapidé par Madame Numance ?

 

d ) Une des veilleuses, que Giono appelle « le Contre » dans ses notes de travail, interrompt à trois reprises le récit de Th pour « contrer » sa version :

- quelle vérité prétend-elle rétablir concernant la fuite de Th et de F (70-75), leur situation à Châtillon (81-82) et Gourgeon (135-136)?

- Quel portrait trace-t-elle alors du jeune couple ?

- Où est-il censé habiter ?

- Comment Th réagit-elle à cette version, qui contredit l’image qu’elle s’est attachée à donner du couple et de son histoire ?

 

2-2ème pli : le récit du contre, de l’arrivée  de Th et de Firmin à Châtillon à la disparition de Madame Numance.

a) Châtillon ou l’ennui de la médiocrité

- Quel nouveau tableau est brossé de Châtillon (140 sq) et de la société châtillonnaise ?

 

b) « elle dit : j’ai ce que je donne » : « on la voulait toute » 

- Quel nouveau portrait est tracé du couple Numance (144 sq) ?

- En quoi ce portrait tranche-t-il de la médiocrité de la petite ville, qu’elle irrite (151) ?

- Quel mot résume alors Madame Numance, p.145 ?

- En quoi déjoue-t-elle cependant l’adage qui associe bonté et bêtise, p.145 et 150?

- Comment comprendre la conclusion de ce 2ème portrait : « on la voulait toute » (145)

-  « elle était contagieuse » (146) : quelle ambivalence du bien ce vocabulaire de la maladie contagieuse (146) suggère-t-il ?

- Qu’impliquent les métaphores guerrières : « elle attaque la misère partout où elle se trouve. C’est le Napoléon de la misère » (148) ?

 

c) Une stratégie mise en défaut (1)

-Comment Firmin (et Thérèse) manipulent-ils la sensibilité de l’opinion des bourgeois bien-pensants de Châtillon pour que ceux-ci aient envie de les aider et les aide effectivement à s’intégrer à Châtillon, c.à.d. dans le fond à sauver les apparences, alors qu’ils ne sont pas mariés, qu’ils n’ont ni situation ni toit et qu’ils incarnent ainsi ce sur quoi la bourgeoisie bien pensante du XIXème siècle jette l’opprobre ? Pour quoi se font-ils donc passer, avec la complicité des bourgeois épris de bonne conscience? En quoi n’est-ce qu’une 1ère étape ?

- Commentez : 

- l’image du la sainte Vierge et du forgeron de la paix donnant naissance à l’enfant nourri par le père dans un cabanon à lapins : quel motif évangélique est ici parodié ?

- « on donne, tant mieux. On ne donne pas, motus, motus ; ce n’est pas la charité qu’on veut. On veut se servir dans ce que vous avez » (140-141)

-  Quels sont les différents rôles assignés à Thérèse par Firmin ?

- Quelle comédie joue-t-il lui-même ?

- Quelles sont les limites de ces comédies ?

- Qui parle le 1er à l’autre des Numance ? Qui aurait, en réalité, pris l’initiative du rapprochement (153, 197) ?

 

d) Qui, des Firmin et des Numance, tient l’autre par la barbichette ?

- Comment la générosité des Numance prend-elle de court les calculs de(s) Firmin qui y perd(ent) leur aplomb ?

- Commentez : «une femme comme madame Numance n’avait jamais été dupe » (173)

- Commentez : « elle sait, elle a vue que cette petite fille, tous les matins, trottine par la maison comme un furet sur les traces de celle qu’elle aime. Voilà le seul amour qui pouvait perdre Madame Numance. Mettez un garçon à la place de T : il est renvoyé sur le champ. Mettez-y une femme faite, elle sera tenue à distance. Non. Il n’y a qu’un seul traquenard dans lequel elle peut se précipiter » (174).

- Quel est le plan mis à exécution par F pour dépouiller les N ?

- Les N sont-ils dupes ?

- Comment comprendre le leitmotiv du regard transparent de Mme N, qui regarde sans voir, p.233, 249 ?

- Comment expliquer que T ne se lève pas pour faire du café à Madame Numance, le jour où elle accompagne Firmin à Lus, chez Réveillard , p.258 ?

 

e) La  passion de Thérèse pour Madame Numance ou  la 1ère désunion du couple Thérèse-Firmin

- Commentez le processus par lequel Thérèse, enceinte et voyant défiler toutes les femmes de Châtillon, jette son dévolu sur « celle-là » p.193-194 : « celle-là, j’aimerais bien l’être, se disait Thérèse. Oui, celle-là je la voudrais toute »

- En quoi Madame Numance représente-t-elle un idéal pour la « trimardeuse » qu’est Thérèse ? Commentez : « depuis qu’elle était entrée dans cette maison, Thérèse s’abandonnait à l’amour » et «fiche-nous la paix » (153) ; « elle lui donna l’âge et l’âme de faire tout ce qu’elle aurait aimé faire dans une vie sans grossesse, sans Firmin, sans pauvreté, sans père ni mère…avoir une vie sans légumes : être celle-là » (194) + 200

- Quel rôle joue l’imaginaire romanesque dans l’identification de Thérèse à Madame Numance ?

- Comment et pourquoi Thérèse joue-t-elle, d’entrée de jeu, avec le fantasme du meurtre de M. Numance ? (156 + 198)

- Qu’est-ce qui précède (203-205), puis provoque la 1ère scène de ménage violente entre F et Th (161) ?  Comment expliquer la réaction, sauvage, de Th à l’imputation de liaison adultère avec M. Numance : «  Il avouera + tard qu’il a eu peur. « Elle hennissait, dit-il, elle me visait aux yeux […] Je n’ai jamais été si près de la mort » (161-162) ?

- Que semble découvrir Thérèse le lendemain, quand Mme Numance se rend à son chevet et découvre le traitement que F lui a infligé, p.162-165 ? En quoi la scène de la p.206 donne-t-elle une autre version, + ambiguë, de ce schéma ?

- Commentez : « tu ne me feras jamais croire que tu peux pousser un homme à ces extrémités ; Tu es la douceur même » (164) ; « son ardent désir d’être remplaçait fort bien l’amour, et même était de l’amour le + vrai ».

- En quoi le récit du Contre rejoint-il celui de Thérèse quand il affirme l’inhumanité calculatrice de celle-ci, p.206-207 : « elle était allée trop bas dans les encoignures de portes, elle en avait été trop complètement sauvée par une générosité miraculeuse pour garder le moindre sentiment d’humanité » ?

- Après avoir résumé la manière dont Firmin s’y prend pour ruiner les Numance, vous vous interrogerez sur le rôle joué par Thérèse dans ce dépouillement

 

f) (Les malentendus de) la passion réciproque entre Th et Mme N

- Comment la rivalité mimétique engendre-t-elle un malentendu à la fois comique et tragique entre les deux femmes, chacune voulant ressembler à l’autre sans parvenir jamais à l’être ? p.178-180, 188 sq

- Quelles sont les étapes de la fusion progressive du couple « mère-fille » ?

- Commentez : «  elle n’était + Th ; elle était Mme N » (192)

- Peut-on parler d’une conversion de Th à l’amour ? cf 219

- Qu’y a-t-il néanmoins de « faux » dans le jeu de Thérèse ? cf 209 (« inconsciente, elle imitait parfaitement bien une proie de l’amour »), 211 (« Th était trop simple pour savoir mentir, mais elle savait dire la vérité d’un air faux. « Je suis capable d’être méchante », se dit Mme M »)

- Montrez que, comme Firmin ne peut imaginer une générosité absolue, désintéressée, Th soupçonne Mme Numance de duplicité, de la mettre à l’épreuve cf 217

- Comment interpréter la scène infernale chez le poissonnier, où Thérèse et Mme Numance se disputant littéralement un poisson pourri, Thérèse appelle pour la 1ère fois Mme N « maman », p.219-220 ?

- Comment interpréter la crise d’hystérie de Thérèse à la disparition de Mme Numance, p.332-333 ?

 

g) La passion de Madame Numance pour Thérèse ou l’ambivalence de la générosité

- Pourquoi et comment la passion de Madame Numance pour Thérèse naît-elle ? (cf 174-175)

- Relevez les passages où la «démesure » de cette passion est épinglée (cf p. 183)

- Comment comprenez-vous les allusions à la Belle au bois dormant, p. 184, 200.

- Qu’y a-t-il de sensuel dans l’amour (maternel) de Mme Numance pour Thérèse ? (176)

- Comment le paysage se charge-t-il de cette sensualité lors des promenades que Madame Numance fait en compagnie de Thérèse ? (177).

- Qu’y a-t-il d’emblée d’égoïste dans la passion de Madame Numance pour Thérèse, p.164 : « il faudra bien qu’il te laisse à moi » ; « elle qui n’avait jamais rien possédé, elle en était tout d’un coup à la possession la + jalouse ». ; « je suis capable de tout pour défendre ce que j’aime » ?

- Comment Madame Numance manipule-t-elle l’opinion de Châtillon pour garder Thérèse pour elle ?

- Commentez : « il y avait même chez les Numance une férocité à laquelle Firmin était loin de s’attendre » (152).

- Commentez cette citation : « donner était sa jouissance à elle. Cette passion, pour n’être jamais satisfaite, pousse ceux qui l’ont à donner sans mesure. Ils finissent par tellement donner qu’on croit que c’est eux qui reçoivent. Comme ils donnent trop on croit qu’ils reçoivent trop. Ils donnent tellement que par le fait même on est quitte. Ils soulagent de telle façon et si totalement, et surtout si au-delà, que les gens soulagés s’envolent tout de suite comme des oiseaux et s’en vont à leurs affaires d’oiseaux. Ils deviennent inattentifs. Ils ont une fausse confiance dans la Providence. On n’a rien de commun avec ceux qui donnent sans mesure […] On ne peut pas les aimer d’amour puisqu’on n’y est pas obligé » (173).

- Commentez le dialogue entre M et Mme Numance, au retour de Lus (239-240)

- Comment interpréter la disparition de Madame Numance ?

 

h) Le couple Numance

- Pourquoi Monsieur Numance se montre-t-il si généreux ?

- Quelle est la part de calcul, peut-être de passion égoïste, dans cette générosité ? (183).

- Dans quelle mesure la stérilité du couple explique-t-elle la triangulation du désir cf 184

-Que symbolise la mort subite de Monsieur Numance, le jour de la saisie de sa maison ?

 

3-  3ème pli

a) L’introspection ou la généalogie du mal

-         Comparez la promenade de Thérèse (272-273)  avec celle de Mme Numance et interrogez-vous sur la symbolique du serpent comme du lien entre le mal cosmique et la nature.

-         Quelles conclusions Thérèse tire-t-elle de l’observation des voyageurs et des Châtillonnais fréquentant l’auberge ?

-         Quels conseils Thérèse donne-t-elle à Artemare, puis à la dénommée Laroche (292-298) ? Qu’entend-elle ainsi vérifier, tester ?

-         Quel discours de la méthode lui permet de dissocier corps, cœur et cerveau pour rester maître du jeu (302) ?

-         « A la fin j’imitais tous les sentiments sans les sentir » (306) : comment cultive-t-elle l’art de la dissimulation ? Qui trompe-t-elle successivement et comment ?

-         Comment Thérèse découvre-t-elle qu’elle n’est pas intéressée par l’argent et par quel geste symbolique consacre-t-elle cette découverte ?

-         Comment Thérèse découvre-t-elle sa vocation ? (306 ; 315-317) Quelle vocation ?

-         Pourquoi jette-t-elle son dévolu sur les Numance (318-319) ?

 

b) « C’était mon pantin, d’accord » (311 : comment Thérèse instrumentalise-t-elle Firmin ?

 

c) Retracez les étapes du piège tendu par Thérèse à Madame Numance

- Pourquoi Thérèse se fait-elle mettre enceinte et congédier de l’auberge ?

- Comment transforme-t-elle son apparence physique en arme ?

- Quel rapport de force s’instaure entre Mme Numance et Thérèse enceinte ?

- Comment Thérèse reconstitue-t-elle le cheminement de pensée de Mme Numance ?

 

4ème pli : la vengeance, un plat qui se mange froid

a)      Comment la violence de Firmin se retourne-t-elle désormais contre lui, lui ôtant toute possibilité de riposte.

b)      Comment Thérèse mène-t-elle à bien son projet de meurtre, étape par étape et en semblant à chaque fois céder aux décisions de Firmin ?

c)      Quel moment attend-elle pour mettre son plan à exécution ?

d)      Peut-on parler de « bonheur dans le crime » ?

 

 

b) Amoralisme, immoralisme, satanisme ?

- Relevez quelques maximes attestant de l’égoïsme foncier de Thérèse, par-delà le Bien et le Mal

 

 

 

 

 

Être et paraître : jeu de masques, dissimulation et frontière entre mensonge et vérité

-         Commentez « je veux dire être et paraître, la différence que c’est ! Tu vas, tu viens, tu es quelqu’un ; et puis un beau jour ça éclate »

-         Commentez : « le terrible, avec ces deux êtres c’est qu’ils n’ont rien dans les yeux. On ne peut pas savoir à quoi ils pensent » (160)

-         « Les péchés qu’on ne commet pas sont affreux ; ceux qu’on commet :0, poussière. Faite tout pour sembler bonne. Quand personne ne le croit + c’est tout au moins que pendant quelque temps on l’a cru. Si vous n’en avez pas profit, c’est que vous êtes bêtes » (291).

 

Amoralisme, immoralisme ?

-         « Mets tes sous à couver, ça ne rapporte guère. Il te faut 100 ans. Défonce le poulailler du voisin : ça, c’est de la volaille ! La nuit noire, quelle belle institution ! Ils disent conscience, Ils disent : remords. D’accord, c’est de la monnaie. Payez et emportez. Si c’était gratuit, ce serait trop beau. Moi j’estime : du moment qu’on est chrétien, on a le droit de tout faire. Tu seras jugée. Alors, ne te prive pas. C’est de la banque. Il y en a qui sont pour le paradis. Très bien. Des goûts et des couleurs… » (291).

-         « N’aide pas : ça ruine. N’aime pas. Malheureusement, c’est difficile. Alors, aime-toi. C’est toujours ça de gagné » (292).

 

questionnaire sur "La profession de foi du vicaire savoyard" de Roussea

1-Le récit inaugural (p.46-51)

a) En quoi consiste l’expérience du mal que font respectivement le jeune calviniste exilé et converti en terre catholique (p.45-46) et le vicaire savoyard au début de sa carrière (p.46 et 51-52  )? Relevez les phrases clés et …

b)… dites quelles sont les conséquences de ces expériences fondatrices : quelle forme de mal moral, peut-être pire que l’expérience de la violence et de l’injustice qui en est la cause, découle de cette expérience initiale (p.46-51 pour le jeune prosélyte ; p.52-53 pour le vicaire savoyard) ? Là encore, relevez les citations clés, classez les formes de mal social et moral suggérées par l’énumération et n’hésitez pas à lire le début du livre II des Confessions pour comparer la fiction philosophique avec l’autobiographie de Rousseau.

c) Quel est l’objectif du vicaire savoyard (p.47)? Quel lien pouvez-vous établir entre cet objectif et l’insertion de la PFVS dans un traité/ roman sur l’éducation : Emile ?

d) Comment le vicaire savoyard s’y prend-il pour gagner la confiance, et donc gagner le cœur du jeune prosélyte? (p.47-49) Là encore, tissez un parallèle entre l’observation qui fonde la méthode du vicaire savoyard et le projet de l’Emile, le moment du livre IV de ce traité notamment.

e) Qu’est-ce qu’une « confession » (p.50), qu’une « profession de foi » (p.50) ? Pourquoi le vicaire savoyard parle-t-il de « profession de foi » et non de récit exemplaire, de sermon de leçon de morale, voire de leçon de vie ou de traité philosophique?

f) Quel paysage sert de cadre à la « profession de foi » du vicaire savoyard ? En quoi et de quoi ce décor est-il symbolique ? Relevez une phrase clé qui atteste le lien entre ce cadre et le contenu du discours à venir, p.51.

 

2- La captatio benevolentiae ou le discours de la méthode (p.51-56

a) Commentez la 1ère phrase du discours : « n’attendez de moi ni des discours savants ni de profonds raisonnements ». : pourquoi refuser ainsi le traité et la posture philosophiques ?

b) Que veut dire le vicaire quand il prétend s’adosser au « bon sens » ? Comparer ce qu’il entend par là au « bon sens » chez Descartes.

c) A quelle forme de discours la profession de foi du vicaire savoyard s’oppose-t-elle (p.51 et 68 ? Quelle relation prétend-elle instaurer entre locuteur et destinataire ? (p.51, 1er § du discours)

d) Que reproche-t-il, de manière du reste polémique et sans argumenter sur le fond, aux philosophes ?

e) Qu’en conclut-il sur la «méthode » à laquelle il s’arrêtera dans sa quête des vérités qui lui importent ? Commentez les expressions « lumière intérieures » (56) et « voix intérieure » (73) et comparez cette définition de l’évidence (56) avec les idées claires et distinctes de Descartes, cette définition de la « conscience » avec d’autres acceptions possibles de ce concept.

 

3- De « moi »à Dieu : la « méditation métaphysique » du vicaire savoyard

a) Quelle « 1ère vérité » frappe le vicaire savoyard ? (p.57) Rapprochez cette 1ère intuition de la récriture du cogito cartésien, p.89 : « exister pour nous, c’est sentir ; notre sensibilité est incontestablement antérieure à notre intelligence, et nous avons eu des sentiments avant des idées ».

b) Quel « 1er doute » l’envahit ? (57)

c) Pourquoi ne peut-il pas le résoudre ? (57)

d) Comment passe-t-il du sentiment de sa propre existence à la certitude que les objets du monde extérieur existent et ne sont pas le moi ? (57)

e) Comment passe-t-on, selon lui, de la sensation à l’intelligence, de la perception à la représentation, de l’existence passive à la pensée active ? (57-58) En quoi s’agit-il ici de polémiquer avec le sensualisme des philosophes de la perception  pour affirmer un dualisme ? (58-59 et 73)

f) Comment la distinction repos/ mouvement, mouvement communiqué/ mouvement spontané prolonge-t-elle ce dualisme matière/ esprit = intelligence et volonté, en niant l’hypothèse matérialiste ( 56 et 73) ?

g) Par quel raisonnement parvient-il à l’énoncé de son « 1er principe » (« il n’y a point de véritable action sans volonté »)/ « dogme »/ « article de foi » (« je crois qu’une volonté meut l’univers et anime la nature » (p.62-63) ?

h) Pourquoi parle-t-il de « dogme » ? (63)

i) En quoi ce « dogme » lui paraît-il néanmoins préférable aux théories matérialistes ? (63-65)

j) Quel est le second « article de foi » du vicaire savoyard ? (65)

k) Sur quelle analogie entre l’homme et Dieu repose cette foi dans l’existence de Dieu ?

l) Quels arguments étayent cette croyance dans l’existence de Dieu (65-66 et 68) ?

m) En quoi la thèse de l’harmonie du monde paraît-elle réfuter l’hypothèse matérialiste du hasard et de la nécessité ? (66-68)

n) Quels sont, pour Rousseau, les attributs de Dieu (68) et quel lien nécessaire les attache les uns aux autres : comment induit-il de la puissance la bonté et de la bonté la justice ( + 76) ? Comment Rousseau distingue-t-il néanmoins la bonté de Dieu et la bonté de l’homme (82), la justice de Dieu et celle des hommes ?

o) Quelle place l’homme occupe-t-il dans l’univers, selon Rousseau et sur quoi fonde-t-il cette prééminence ? (69-70)  Rapprochez cette idée de la conception cartésienne de l’homme « maître et possesseur de la Nature » et dites en quoi on peut rattacher ici la pensée de Rousseau à l’optimisme des théodicées.

p) Comment Rousseau conclut-il de l’ »amour de soi » à l’amour de Dieu et en quoi peut-on d’ores et déjà parler d’une « religion naturelle » ? (70)

 

3- le mal

a) Que constate Rousseau quand il quitte la contemplation de l’ordre du tout pour se pencher sur le « spectacle » que l’humanité offre au regard ? (70)

b) En quoi ce constat peut-il être une objection à l’optimisme, à l’idée de Providence et de toute puissance de Dieu ? Recopiez et commencez à mémoriser les phrases clés du dernier § de la p.70.

c) Par quel dualisme le vicaire explique-t-il la nature humaine, et avec elle le mal ? (71) De quelle tradition philosophique occidentale pouvez-vous rapprocher ce dualisme ? A quelle autre conception de l’homme cette théorie s’oppose-t-elle (72-73) ? Quelle image est censée persuader le lecteur de l’absurdité de l’hypothèse matérialiste (73) ?

d) Expliquez : « je veux et ne veux pas…je vois le bien, je l’aime, et je fais le mal » et dites de quelle épître de Saint Paul on peut rapprocher cette explication de l’origine du mal humain.  (71), puis rapprochez cette explication de l’origine du mal du dualisme entendement--volonté/ passion (73).

e) « Nul n’est méchant volontairement » : de quel adage socratique/ platonicien pouvez-vous rapprocher l’idée selon laquelle «je ne suis pas libre de ne pas vouloir mon propre bien, je ne suis pas libre de vouloir mon mal » (74).

f) Quel lien nécessaire Rousseau établit-il entre jugement, volonté et liberté ? (74) Qu’en conclut-il, qui constitue son « 3ème article de foi » et qui conduit nécessairement à l’imputation de la responsabilité de l’homme dans l’origine du mal ? (74, 94-95) Commentez : »si je fais le mal, je n’ai point d’excuse ; je le fais parce que je le veux ».

g) Qu’en conclut-il quant à l’imputation du mal à la Providence, donc à Dieu  (74-75) et à l’unique origine du mal (75-76) ? Quels arguments étayent cette théodicée (75) et cet défense de la liberté ? Commentez  « le mal que l’homme fait retombe sur lui sans rien changer au système du monde, sans empêcher que l’espèce humaine elle-même ne se conserve malgré qu’elle en ait ».

h) En quoi peut-on parler d’une philosophie optimiste concernant la théorie de la liberté et de la nature humaine (75) ? En quoi la liberté ainsi définie prouve-t-elle que la nature humaine est bonne ? Commentez la phrase qui ouvre le dernier § de la p.75 en montrant qu’elle est la conclusion logique du raisonnement qui précède : « c’est l’abus de nos facultés qui nus rend malheureux et méchants »

i) Quel lien établir avec la philosophie du bonheur (75) ? Quelle définition Rousseau propose-t-il de ce bonheur (75 et 77) ? Comment Rousseau réfute-t-il l’objection du mal subi ? (77)

j) Quelles preuves Rousseau donne-t-il du fait que le mal physique n’est pas un mal en soi, mais relativement à nos représentations, qui ne relèvent pas de l’ordre de la nature, p.75-76 ? Rapprochez cette thèse de l’origine historique, sociale, culturelle du mal des 2ers Discours, sur les sciences et les arts et sur l’origine et le fondement de l’inégalité parmi les hommes.  Recopiez l’avant-dernier § de la p.76 et rapprochez-en la dernière phrase de l’incipit de l’Emile.

 

4- la conscience

a) Quel est, pour Rousseau, l’unique instrument de discrimination du bien et du mal ? (83 et 87-88). Recopiez et commentez la définition que Rousseau propose de la « conscience », p.87.

b) En quoi cette voix de la conscience naît-elle de l’articulation de l’amour de soi, nécessaire à la conservation, et de l’ouverture à l’autre ? (89) Quel lien pouvez-vous établir entre cette articulation et l’adolescence/ la puberté, moment que Rousseau choisit dans le développement d’Emile pour poser la double question de la morale et de la passion amoureuse (89-90) ?

c) En quoi cette voix de la conscience entre-t-elle en conflit avec les passions ? Quel lien pouvez-vous établir entre cette conception et la dualité, déjà rencontrée, de la nature humaine ? (83)

d) Quelles  nouvelles  preuves de la bonté de la nature humaine, de la moralité naturelle de l’homme  la piété altruiste et le « cri du remords donnent-elles à Rousseau (84-86)? En quoi est-ce là contrer la pensée de Hobbes ?

e) Quels exemples  historiques attestent, selon Rousseau, de l’universalité de la « voix de la nature » (87-88) ?

f) Comment Rousseau redéfinit-il l’antinomie du bon et du méchant, p.93 ?

g) Quelle sagesse le vicaire savoyard tire-t-il de sa découverte ? (93) Quelles limites peut-on assigner à cette sagesse ? A quels contre-arguments ne résisterait-elle pas ?

 

5- Immortalité de l’âme, félicité et miséricorde

a) Pourquoi le vicaire savoyard a-t-il besoin de croire en l’immortalité de l’âme pour assurer son système, confirmer l’optimisme de sa théodicée et sa théorie du bonheur ? (77-79)

b) En quoi la thèse du dualisme de la nature humaine a-t-elle préparé cette croyance dans l’immortalité de l’âme en prolongeant la croyance dans la bonté essentielle de la nature humaine (78-80 et 95) ?

c) Pourquoi Rousseau ne croit-il néanmoins pas à l’enfer, c.à.d. dans le fond en un châtiment des méchants ? Commentez la phrase : « qu’est-il besoin de chercher l’enfer dans l’autre vie ? il est dès celle-ci dans le cœur des méchants » (80).

 

6- Religion naturelle et religions instituées

a) Comment définir le « théisme », en le distinguant du « déisme » et des religions révélées ?

b) Comment définir en conséquence la « religion naturelle », que le jeune homme reconnaît dans le discours du vicaire savoyard et à propos de laquelle celui-ci se demande comment il pourrait y en avoir une autre ?

c) Que critique Rousseau dans les religions instituées ?

d) Pourquoi le Christ et les Evangiles restent-ils cependant, pour lui, des références plus précieuses que Socrate et les livres des philosophes ?

e) Pourquoi Rousseau s’est-il attiré les foudres, tant de la Sorbonne et de l’Inquisition que des ministres de la République de Genève et des philosophes des Lumières avec ce discours ? Quel fut le sort de l’Emile, de sa PFVS et de son auteur après la publication du livre ?

 

 

questionnaire sur Macbeth

Questionnaire sur Macbeth

 

1-La dramaturgie du mal (1) : le cadre spatio-temporel

 a) Montrez que la pièce se passe essentiellement de nuit, puis interrogez-vous sur lien entre la symbolique de la nuit et le thème du mal cf I,5 405 sq ; III, 2, v1225 sq, p.87 ;

 b) Montrez qu’intempéries et signes cataclysmiques accompagnent les manifestations du mal dans la pièce et interrogez-vous sur leur signification (II,2 v.632 sq, p.63 ; II, 3, v.814 sq, p.71 ; )

 c) Classez les lieux dans lesquels l’action de la pièce se déroule en fonction des aspects du mal que ces décors éclairent.

 d) « Fair is foul and foul is fair »: comment traduiriez-vous ce vers? Commentez sa signification et donnez d’autres exemples de confusion illustrant la représentation du mal dans la pièce.

e) Quels rapports la prédiction des sorcières tissent-elles entre présent et avenir, réel et imaginaire, dans l’esprit de Macbeth et de lady Macbeth ? cf I,4 ; I,5 v.413-415 er 423-425

 

2-La dramaturgie du mal (2) : l’action

a) Qui est Cawdor ? Qui est Macbeth pour le camp du roi Duncan à l’acte I, scène 2 ? Quel titre Duncan accorde-t-il à Macbeth en récompense ? En quoi scelle-t-il, symboliquement et sans le savoir ni le vouloir, le destin de Macbeth en lui décernant ce titre ?

b) En quoi la rencontre de Macbeth et des sorcières est-elle déterminante dans la genèse du mal ? Quelles autres nouvelles vont déterminer Lady Macbeth et Macbeth à passer à l’acte (I, 5 et 7 ?

c) Comment se déroule le meurtre ?

d) Quelles conclusions tire-ton du sang qui souille la face des chambellans et du départ précipité de Malcolm et Donalbain (II,4, 971 sq, p.77) ?

e) Pourquoi Macbeth fait-il assassiner Banquo ? Par qui ? Qui échappe au guet-apens ? Qu’en conclut Macbeth ?

f) Pourquoi Macduff s’enfuit-il d’Ecosse ?

g) Pourquoi Macbeth fait-il assassiner la femme et les enfants de Macduff ?

h) Quel rôle Macduff va-t-il jouer dans la chute de Macbeth ?

i) Quel est le 1er signe de l’effondrement des espoirs de Macbeth, 1ère preuve aussi qu’il s’est trompé sur le sens de la prédiction des apparitions ?  (p.134 et 136)

 

 

3- Dramaturgie du mal (3) et esthétique : le spectacle du mal

a) Relevez les occurrences du verbe « voir » dans la pièce

b) Commentez le cri de Macduff découvrant le corps mort de Duncan : »Horror ! horror ! horror ! la langue ni ne cœur ne peuvent te penser ni te nommer » (II,3, 827, p. 71).

c) Commentez la comparaison du spectacle du meurtre de Duncan à la Gorgone (II,3, 838, p.72).

d) Commentez l’image de la « peau d’argent avec son sang doré », par laquelle Macbeth décrit la vision du corps ensanglanté de Duncan (II,3, 889, p.74).

e) Commentez l’analyse que Macbeth fait du mal quand il file la métaphore du théâtre de l’absurde, v.2371 sq, p.136

 

4- Les sorcières 

a) Qui sont, selon vous, les sorcières ? / Les sorcières ne sont-elles que des sorcières ?

b) Qui est à l’initiative de la 1ère rencontre de Macbeth et des sorcières ?

c) De quels titres saluent-elles Macbeth dans cette scène ?

d) Que répondent-elles à Banquo quand il leur demande de prédire son avenir ?

e) Comment Macbeth et Banquo réagissent-ils à ces prédictions ?

f) Comment comprenez-vous la tirade que Macbeth prononce en a parte,  v.244-259 (I,3, p.49) ?

g) Comment Macbeth interprète-t-il les prédictions des sorcières, d’après la lettre qu’il envoie à sa femme, Lady Macbeth, à l’acte I, scène 5 (p.53) ?

h) Qui provoque la 2ème rencontre de Macbeth et des sorcières ? Pourquoi ?

i) Que prédisent les sorcières à Macbeth ?

j) Par quel procédé d’ironie dramatique les deux vérités dites par les sorcières illustrent-elles la manière dont le héros tragique avance en aveugle vers son propre destin ?

k) Recensez et analysez les apparitions censément provoquées par les sorcières :

- commentez la mise en garde de la 1ère apparition contre Macduff et la réaction de Macbeth à cet avertissement,  v.1615-1621 (p.104).

- en quoi le maléfice de la 2ème apparition, encourageant Macbeth à la démesure, v. 626-628 (p.105) relève-t-il de l’ironie dramatique? Comment comprenez-vous cette ironie dramatique ? 

- même question concernant la prédiction qui accompagne la 3ème apparition : comment le fantastique, garant de la surhumanité, va-t-il se retourner, par un réalisme grotesque, contre Macbeth ? (1641-1646, p.105)

- que symbolise la 3ème apparition : « un enfant couronné, avec un arbre dans la main » ?

- Que symbolise l’apparition  des 8 rois ? Comment Macbeth réagit-il à cette apparition ?

l) Commentez la malédiction que Macbeth lance sur les sorcières : « sois pourri l’air qu’elles chevauchent et damnés ceux qui croient en elles » (v 1698-1699, p.108

 

5- Lady Macbeth

a) Comment Lady Macbeth réagit-elle à la lecture de la lettre de son mari (acte I, scène 5, v.365-366, p.53) ?

b) Que redoute-t-elle dans l’attitude de Macbeth face au « mal » nécessaire à la satisfaction de ses ambitions (I, 5, v.365-376, p.53) ?

c) Quelle métaphore file-t-elle, v.377-378 : « viens ici, que je puisse verser mes esprits dans ton oreille » ? Quelle allusion est faite ici au mythe adamique ? (I,5, p.53-54).

d) Comment comprenez-vous l’invocation aux esprits, à qui lady Macbeth demande de la faire « sans [s]on sexe », unsex, acte I, scène 5, 395 sq (p.54) ? En quoi cela illustre-t-il l’inversion des sexes (masculin/ féminin) dans la représentation du mal ? Comment Macbeth fait-il écho à se souhait, à la fin de l’acte I,s cène 7 (v.459 sq, p. 60) ?

e) Que conseille-t-elle à son mari quand elle l’accueille à son retour de la guerre (I,5, 424-432) ? En quoi cela prouve-t-il qu’elle prétend être « le cerveau » (Giono), Macbeth n’étant que l’instrument ?

f) Que reproche Lady Macbeth à son mari quand il lui annonce qu’il renonce au projet de meurtre (I, 7 ,515 sq, p.59 ?)

g) Comment comprenez-vous l’image de l’infanticide, par laquelle lady Macbeth compare son pacte avec le mal et le serment de Macbeth (I,7, 537-540) ?

h) Qu’en conclure que le rôle du thème de la génération/ stérilité dans la logique du meurtre suivie par le couple Macbeth ?

i) Quel rôle lady Macbeth joue-t-elle dans le meurtre de Duncan (II,2, 650-651, 655-660 et 664-666, p.64) ?

j) Comment comprenez-vous son recul face au parricide (II, 2, 665-667,p. 64) et son évanouissement ?

k) Quels arguments lady Macbeth oppose-t-elle au remords de Macbeth (II, 2, 680, p. 65, 693 et 696-697, 711 sq p.66 , 723 sq p.67 et III, 4 , 1340 et 1343 sq, p. 93) ?

l) Quelles sont les 1ères manifestations du doute dans l’esprit de Lady Macbeth, à l’acte III, scène 2, v.1174-1176, p.86 ?

m) Que reproche Lady Macbeth à son mari, avant le banquet en l’honneur de Banquo (III,2, 11179-1182, p.86) ?

n) Quand Lady Macbeth reparaît à l’acte V, rongée de remords, elle est transformée ? Comment expliquer cette métamorphose, dans le temps même où Macbeth, lui, revendique un mal devant lequel il reculait à l’acte I et dont le remords le rongeai à l’acte II et à l’acte III ?

o) Comment se manifeste le remords de lady Macbeth ?

p) Comment interpréter sa folie ?

q) Comment comprenez-vous la réaction de Macbeth à l’annonce du suicide de sa femme ? (V,5, 2363 sq, p.135) ?

 

6- Macbeth

a) monologue délibératif de l’acte I, scène 7

 -Que souhaiterait Macbeth, au début de son monologue délibératif (I,7, 475-481) ?

 - En quoi ce machiavélisme relève-t-il de l’utopie, de l’aveu même de Macbeth (I,7, 483-485), lucide donc sur les conséquences pour lui d’un acte irréversible, irrémédiable ?

- Quels mots/ détails clés prouve que Macbeth a parfaitement conscience de l’iniquité du meurtre de Duncan (I,7, 487 sq) ?

- Quelles images apocalyptiques suggèrent le caractère sacrilège du meurtre de Duncan dans le monologue de Macbeth, avant l’acte ? (I,7, 497 sq, p.58)

- Quel serait alors l’unique mobile de Macbeth, v.503-505, p.58 ?

- Quelle conclusion logique Macbeth tire-t-il de ce monologue délibératif, quand Lady Macbeth le rejoint et que reprend le dialogue ? (I,7, 510 sq, p. 58).

- Commentez l’échange entre Macbeth et Lady Macbeth, v.527-522:  M « j’ose tout ce qui peut convenir à un homme ; qui ose + n’en est pas un »/ Lady M « quand vous l’avez osé, alors vous étiez homme ; être + que ce que vous étiez, ce serait être homme d’autant + »

 

b) Apparition du poignard (II,2) et du spectre de Banquo (III,4)

- Comment faut-il interpréter ce motif ? s’agit-il d’une apparition ou d’une projection de l’imaginaire de Macbeth ? (616-624, p.63) La responsabilité de Macbeth en est-elle dégagée ? (v.625-632).

- Même question concernant l’apparition du spectre de Banquo, à l’acte III, scène 4, vers 1343 sq, p.93.

 

c) Expression du remords

- Quelle vision hante le souvenir et l’imagination de Macbeth, sitôt après le meurtre (II,2, 681- 691, p.65) ?

- Comment comprenez-vous l’appel à la vigilance : « Macbeth a assassiné le sommeil » (II,2, 700,p.66) ?

- Comment comprenez-vous les deux vers qui ferment l’acte II , scène 2 : « voir mon action, mieux vaudrait ne pas moi-même me voir » (747-748, p.68) ?

- Commentez le rapport au temps établi par Macbeth lors de la découverte, par Macduff et Banquo, du cadavre de Duncan : »si j’étais mort une heure avant l’événement, j’aurais vécu un temps béni ; mais à partir de cet instant n’est + rien de valable dans la vie mortelle : tout est jouet : l’honneur et la grâce sont morts, le vin de la vie est tiré, reste la lie laissée à cette voûte de parade » (II, 3, 983 sq, p.73) ?

- Comment s’exprime l’aspiration au néant, à l’acte III, scène 2, v.1188-1200, p.86 ?

- Commentez l’apparition su spectre de Banquo dans la scène du banquet (III, 4, p.93 sq)

 

d) mécanique implacable du meurtre

- Comment Macbeth justifie-t-elle le meurtre des chambellans censés garder le roi (II,3, 892 sq, p.74) ? Que penser de cette justification ?

- Commentez les motifs qui conduisent Macbeth à faire assassiner Banquo (III,1, 1051 sq, p.81)

- Commentez : « choses commencées dans le mal prennent force en soi par le mal » (III,2, 1235-1236, p.88) ;

- Commentez la réaction de Macbeth quand il apprend que Fléance a échappé aux meurtriers de son père (III,4, 1293-1297, p.91).

- Commentez l’adage du v 1418 : «le sang appelle le sang » et l’image du bain de sang dans lequel Macbeth patauge, v. 1435-1437, p. 96.

- Que recherche Macbeth quand il veut assassiner Macduff (IV,1, 1630-1633, p.105) ?

- Comment et pourquoi Macbeth décide-t-il de faire assassiner la femme et les enfants de Macduff ? (IV,1, 1705 sq, p.108) ?

 

e) logique du pire

a) Commentez les conditions auxquelles Macbeth souscrit, pourvu qu’il connaisse le sort réservé à sa couronne, à l’acte IV, sc 1, v.1591 sq, p.103.

b) Commentez la manière dont Macbeth en vient à souhaiter et appeler la mort à l’acte V, scène 3, v.2668 sq, p.131 : « j’ai vécu assez longtemps »…

c) Commentez la réaction de Macbeth à l’annonce que la forêt de Birnam approche de Dunsinane , V,5, 2400 sq, p.137. et V,7, p.138.

 

f) la revendication du mal

a) Commentez la métamorphose de Macbeth, à l’acte V, scène 5, v.2355-2361, p.135.

b) Quel sursaut d’héroïque orgueil, adossé à la 2ème prédiction des apparitions, permet à Macbeth de faire face aux assaillants, à l’acte V, scène 8, p. 140 ?

c) Quel ultime sentiment de culpabilité lui fait cependant essayer d’éviter de se battre contre Macduff, v 2457-2460,p.140 ?

d) Que penser de sa prétention à l’invincibilité, p.140 ?

 

7-L’universalité du mal

a) Le personnage de Banquo

- En quoi peut-on dire que le personnage de Banquo est un double complémentaire de celui de Macbeth ?

 - Qu’avoue Banquo à l’acte II, scène 1, concernant ses rêves ? (v.581-584, p.61)

- En quoi le monologue qui ouvre l’acte III, scène 1 (997 sq, p.79) confirme-t-il la rivalité entre Banquo et Macbeth ?

 

b) Les personnages de Malcolm et de Donalbain

- Qu’avoue Malcolm concernant la mort de son père ? (II,3, 925, p.75) ?

- Commentez « là où nous sommes, il y a des poignards dans les sourires d’hommes ».

- Qu’avoue Malcolm à Macduff, quand celui-ci vient lui demander de venger la querelle de l’Ecosse en renversant le tyran, à l’acte IV, scène 3 ?

- Cette confession est-elle une fausse confidence, un procédé machiavélien pour tester la fidélité, la sincérité de Macduff ou faut-il y voir + que cela, la preuve de la corruption de tout pouvoir, p.115-117 ?

 

c) le personnage de Macduff

- Quelle erreur, quelle faute Macduff commet-il en fuyant l’Ecosse (fin de IV,1, IV,2) ?

- Que penser de l’accusation de traîtrise lancée par sa femme (IV,2) ?

 

 

8- Macbeth, tragédie politique et drame sacré

a) Comparez la situation politique initiale, sur le champ de bataille, telle que la présente le capitaine interrogé par le roi Duncan à l’acte I, scène 2 et la situation finale, telle qu’elle est représentée à l’acte V : forces en présence ; évolution du rapport de force ; personnages confrontés en combat singulier ; rôle et sort de Macbeth ; motif du sang et de la décapitation. Comment interprétez-vous la composition circulaire de la pièce : providence ou cycle de l’éternel retour de la violence ?

b) Quels signes, quels propos donnent au régicide une portée cosmique et sacrilège à l’acte II, scène 3, p.71.

c) En quoi la figure du roi Edmond , roi saint, s’oppose-t-elle trait pour trait à celle de Macbeth, à l’acte IV, scène 3 (1982-2005, p.118-119) ?

d) En quoi les figures d’Edmond et de Siward apparentent-elles la guerre juste de Malcom contre Macbeth à une guerre sainte ? (IV, 3)

e) En quoi la figure du vengeur, que prend Macduff à l’acte IV, scène 3, donne-t-elle une dimension sacrée à son action de justicier ? (p.123)

f) Commentez l’allusion de Malcolm à la Providence, v. 2115 sq, p.123.

 

Prolongements

1- Notez les passages attestant de la réversibilité du mal, recopiez et mémorisez les citations les plus marquantes en les reliant à la question de savoir si le mal est contre nature (II,4, 950,p.76) ou naturel.

- inversion des pôles féminin/ masculin

- images du monde à l’envers (II,4, 95 sq, p.76)

- confusion ombre/ lumière, bien/ mal, jour/ nuit (II,4, 945-949, p.76)

- mensonge et vérité cf V,5, 2394 sq, p.136 et V,8, 2475 sq, p.140-141

- vie et mort cf Ecosse mère/ tombe, v2107-2018, p.120 ;

 

2-Relevez et analysez les métaphores végétales, qui irriguent la métaphore filée de l’arbre (généalogique) et posent la question de la descendance ou, inversement, de la stérilité cf I,4, v.315 sq, p. 51-52 ; III,1, 1065 sq,p.82-83 ; IV,1, 3ème apparition, p.105 ;)

 

3-Recensez et analysez les figures du bestiaire maléfique (I, 1 ; I, 5, 395 sq et 428; II,2, v.654,p.64  et 670,p. 65 ;  II,3, 821, p. 71 ; III,2, 1184 sq, p. 86 et 1216-1221, p.87 ; III,4, 1301-1304, p.91 ;  cuisine infernale des sorcières à l’acte IV, sc 1 ; ours d’Hircanie en V,7,p.138) en l’opposant au bestiaire symbolique du bien (I,6, 441 sq, p.56 ; IV,2, 1730 sq et 1767 sq, p.109-110 ;)

 

4- Le mensonge

a) Quelle métaphore Lady Macbeth file-t-elle pour illustrer la nécessité du mensonge comme moyen de faire impunément le mal sous couvert d’apparence bonne (I,5, 425-427, p.55) ? Comment Macbeth reprend-il cette métaphore en écho à la fin de l’acte I, scène 7, v.570-571, p.60 ?

b) Comment Macbeth insiste-t-il sur la nécessité du mensonge, de la « flatterie », alors même qu’il vient d’ordonner le meurtre de Banquo, à l’acte III, scène 2 (v 1201 sq, p.87) ?

c) Comment la sagacité de l’enfant révèle-t-elle la corruption profonde d’une société où le mal, à travers les parjures, règne, à l’acte IV, scène 2, p.110-111 ?

 

5- Mal, banquets et nourriture

a) Pourquoi Macbeth quitte-t-il le banquet, le soir de la réception de Duncan à Inverness ? (I, 7, v.505 sq, p.58.

b) Que signifie la scène du banquet, lors de laquelle le spectre de Banquo apparaît à Macbeth (III, 4) ?

c)  Comment est repris le motif du banquet, dans l’annonce de la guerre juste que Malcolm et le roi Edouard doivent mener contre Macbeth (III,6, 1517-1521, p.100) ?

 

 

6- Relevez et analysez les occurrences du motif du sang dans la pièce.

- I,2

- II,2, 715 et 730 sq, p.66-67, 735-738,p.67

- II,3, 872-873, 877 sq p.73 ; 889 sq p,74 ; 931, p.75

- III, 4, 1331-1332, p.93 et 1418 sq, p.96.

- V,1, 2150, 2157, 2168-2170, p.127-128.

 

7- Mal et nature humaine

a) Comparez l’échange entre lady Macbeth et son mari, échange relatif à ce que signifie être un homme, à l’acte I et la réponse de Macbeth à l’imputation de manquer de virilité, à l’acte III, scène 4, v.1340-1342, p. 93 et 1390, p.95.

b) Quel traitement parodique le motif de l’humanité le dialogue entre Macbeth et les hommes de main engagés pour tuer Banquo subit-il ?

c) Comparez les réactions de Macbeth à celle de Macduff à l’annonce du massacre des innocents : « Résiste comme un homme/ Je le ferai. Mais d’abord je dois ressentir comme un homme » (IV,3, 2092-2094, p.123).

 

8- Y a-t-il un héroïsme du mal ?

a) Commentez l’hésitation entre deux interprétations du comportement de Macbeth à l’acte V, sc 2 : folie ou fureur guerrière (p.129) ?

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