l'aventure

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

introduction à la lecture de Macbeth

Introduction à la lecture de Macbeth :

En quoi le contexte historique, religieux, politique, littéraire et esthétique éclaire-t-il la problématique, la dramaturgie et la poésie du mal dans la tragédie de Macbeth ?

 

I-«Equivocation » et dramatisation de la controverse sur le libre arbitre.

[1]Quand la troupe de Shakespeare joue pour la 1ère fois Macbeth, en 1607, Jacques VI d’Ecosse (fils de Marie Stuart) a, depuis 4 années seulement, succédé à Elisabeth Ière, la « reine vierge », dernière représentante de la dynastie des Tudor, sur le trône d’Angleterre et sous le nom de Jacques 1er.  Or cette succession dynastique qui sépare « l’ère élisabéthaine » (1558-1603) de « l’ère jacobéenne » (1603-1642) marque une césure. Le règne de Jacques 1er, passionné de démonologie et dont la légende fait remonter la lignée à Banquo, reste hanté par le spectre de la conjuration politico-religieuse, conséquence de la précarité du compromis anglican et du conflit entre le roi et le parlement. L’instabilité de cette situation suscite une inquiétude que l’on ressent chez Shakespeare et qui s’inscrit sur fond de problématique humaniste du Prince et du libre-arbitre.

 

 En effet, tout le long du XVIème siècle et jusqu’au « compromis élisabéthain », l’Angleterre oscille entre catholicisme, protestantisme et anglicanisme[2]. Or du fait de sa politique d’apaisement avec l’Espagne catholique, Jacques 1er, calviniste, est suspect de sympathies catholiques aux yeux des puritains, qu’il cherche en conséquence à se concilier, ce qui lui attire ensuite les foudres des catholiques extrémistes: le 5 novembre 1605, ces derniers tentent de faire sauter le roi-en-son-parlement (king-in-parliament). Déjouée à temps, cette conspiration des poudres (« gunpowder plot ») se solde par l’arrestation et l’exécution des conspirateurs. La pièce de Shakespeare fait allusion à cette actualité, qui réveille, avec la question de la trahison, celle, + délicate, de la riposte jésuite à la « bloody question », par quoi les sujets catholiques d’Elisabeth 1ère étaient naguère sommés de choisir entre l’allégeance au pape et la fidélité à l’Angleterre : la stratégie de l’équivocation, à laquelle renvoie le portier de l’enfer, à l’acte II, scène 3 de Macbeth, l’image du « Double Joueur », était censée permettre de concilier le serment d’allégeance à la reine et la foi dans l’Eglise.[3]

+ profondément, on peut relier la question de la liberté, et donc de la responsabilité qui est au cœur de la problématique du mal moral dans la tragédie de Macbeth à la controverse sur le libre-arbitre, controverse qui oppose, dans l’Europe de la Réforme et de la Contre-Réforme, le dogme protestant de la prédestination à la Diatribe sur le libre-arbitre d’Erasme: pour les puritains qui s’inspirent de Luther et de Calvin, l’homme, irrémédiablement déchu sans le secours de la grâce, ne peut que pécher, car son cœur incline naturellement au mal et l’idée d’une volonté libre est une suggestion de Satan destinée à égarer l’homme en le détournant de la voie de Dieu ; l’homme ne pouvant vouloir quoi que ce soit, en bien ou en mal, tout arrive selon une nécessité absolue et seule notre infirmité, doublée d’arrogance, peut nous entretenir dans l’illusion que nous contrôlons quoi que ce soit. Pour Erasme en revanche, l’inclination naturelle au mal n’est pas une fatalité, car « l’action efficace de la volonté humaine permet à l’homme de s’attacher à ce qui le mène au salut éternel ou de s’en détourner » en coopérant ou non avec la grâce divine ; selon que la volonté libre, en tant que cause seconde, coopère ou non avec la causalité 1ère qu’est la grâce divine, l’homme est conduit à commettre des actes vicieux ou vertueux ; la voie moyenne de l’anglican Richard Hooker estime que la grâce est un don gratuit, mais qu’elle ne tient pas quitte de tout travail et peut être ôtée en cas de conduite indigne. Or Michèle Vignaux (3 en 1 Atlande p.78) propose de lire Macbeth comme «une dramatisation (i.e. une mise en théâtre) de la controverse sur le libre arbitre, à travers la genèse et la carrière du criminel, dont on voit l’évolution, du statut de valeureux guerrier, pour qui les valeurs de service, de loyauté et d’honneur sont à elle-même leur propre récompense (I,4) au traître qui assassine son souverain dans son sommeil, du « débutant encore bien jeune en action (III,4 ) », dont la nature est « trop pleine du lait de la tendresse humaine » (I,5) et dont le visage « se lit à livre ouvert » (I,5) au criminel qui a appris à « faire nos faces les visières de nos cœurs/ Déguisant ce qu’ils sont » (III,2)  et qui va vérifier que le mal, venant hanter son auteur, contient son propre châtiment qui fait retour contre son inventeur (I,7). Si les sorcières sont les instruments premiers de la tentation et de la  damnation de Macbeth, il n’y a là aucune fatalité, aucune prédestination au mal, puisqu’elles n’incitent pas au meurtre, dont la décision incombe librement à Macbeth. Ainsi on préférera à une lecture protestante (si les sorcières existent, Macbeth n’est pas responsable) une lecture érasmienne (les sorcières ont besoin du concours de Macbeth pour faire le mal) fondée moins sur la rencontre de Macbeth avec son destin que sur la confrontation de Macbeth à la matérialisation de son « désir ventriloque ». La preuve que cette voie moyenne est possible résiderait dans le personnage de Banquo, qui en appelle aux « puissances bienfaisantes » quand Macbeth, hypnotisé par les prédictions des sorcières, leur prête le concours de la volonté pour forcer le destin : « refoulez en moi les pensées mauvaises » pour que je garde « mon cœur très franc et ma claire allégeance » à Duncan (II, 1).

 

II- Entre Miroirs du Prince et Prince de Machiavel : l’arrière-plan politique de la tragédie

A cette question philosophique et religieuse s’ajoute un arrière-plan politique, qui, sans être propre à l’Angleterre, s’inscrit néanmoins aussi dans un contexte précis. En effet la problématique humaniste du Prince, qui se profile à l’arrière-plan de la Macbetht, oppose deux modèles, incarné l’un par le roi d’Angleterre (IV,3), saint homme qui a la grâce, de par son onction royale, de guérir «le Mal » (« evil »), problématisé l’autre par Malcolm, personnage ambigu dont l’interprétation engage la lecture du mal politique dans la pièce : le modèle médiéval des Miroirs des Princes, inspiré de la Cité de Dieu de Saint Augustin et subverti par Machiavel ; Le Prince  de Nicolas Machiavel.

 

Dans La Cité de Dieu, Saint Augustin présente le souverain idéal comme exerçant un ministère, dévoué envers son peuple. Répondant à la nécessité d’éviter l’usage abusif du pouvoir, les Miroirs des Princes[4]  parent de toutes les vertus le souverain défunt pour présenter à son successeur un modèle de vertu à suivre. L’éloge qu’à l’acte IV, scène 3, p. 118-120, Shakespeare fait du roi d’Angleterre, image du ministre de Dieu sur la terre, en harmonie avec le Ciel, relève de cette tradition[5]. Exact symétrique de la sorcellerie à laquelle Macbeth souscrit, de l’urine viciée de l’Ecosse, contre laquelle le médecin appelé au chevet de lady Macbeth ne peut rien, du vide qui se creuse autour de la figure du tyran, la foule attend sa cure, massée devant le palais du roi thaumaturge : « lorsqu’il touche, le ciel a donné telle vertu à sa main » que sur le champ, « ils sont soulagés » du « Mal », écho à la théorie vétéro-testamentaire qui voyait dans les maux physiques les stigmates d’un mal moral, une sorte de rétribution divine. La puissance de guérison du roi relève du miracle : « comment il fait intervenir le Ciel, lui seul le sait », « et il est dit qu’il léguera à tous les rois ses successeurs la guérissante bénédiction ».

Macbeth, lui, en commettant le régicide, a « subverti le rapport qui fait de l’ordre individuel et social une dépendance vivante et homologique du cosmos » : le régicide entachant son accession au pouvoir de sacrilège, il n’a conquis que l’apparence du pouvoir : le titre de roi et ses symboles matériels, la couronne et le sceptre. Mais la couronne qui ceint sa tête n’est qu’une « couronne sans fruit » et le sceptre remis en sa main est stérile (III ,1). Comment aurait-il pu acquérir l’autorité mystique dont sont investis les rois de droit divin, lui le régicide, initié au mal par les sorcières et par Lady Macbeth, 2ème Eve, entraîné par son pacte avec les sorcières dans une logique diabolique ? Selon les termes du réformateur anglais Wycliffe, ce tyran d’entrée comme d’exercice a la potestas(le pouvoir du magistrat), mais non le dominium (le pouvoir du dominus) : très vite, il perd le soutien des Grands et du peuple, que la peur ne retient + de se désolidariser d’un pouvoir qui n’a jamais pu asseoir sa légitimité sur l’ »amour ».

 

Selon une tradition remontant au XIème siècle et dont Elisabeth 1ère d’Angleterre avait su tirer le meilleur parti en s’érigeant en icône de l’Angleterre et en suscitant un véritable culte à sa personne, la figure du roi, mi-séculaire, mi-sacrée, était le centre mythique du royaume, structure fondée sur l’autorité personnelle, avec à sa tête le souverain, l’aura sacrée qui entoure l’héritier légitime, consacrant la succession héréditaire comme essentielle à un ordre social serein: les princes d’Angleterre ou d’Ecosse ont la faveur de Dieu et la succession héréditaire est considérée comme essentielle à un ordre social serein. On n’arrache donc pas impunément la couronne à l’oint du Seigneur, chargé d’instaurer l’harmonie dans ses états, d’assurer la pérennité de l’ordre social. Or Malcolm est en dépit de sa faiblesse, une figure de l’ordre et de la justice. Dès lors Macbeth, vaillant et loyal guerrier qui trahit son roi après l’avoir sauvé de la trahison de Cawdor, devient une figure de traître, un agent de néant qui annihile l’ordre social et par qui le groupe se dissout : « A présent il sent ses meurtres cachés qui lui collent sur les mains,/ A présent les révoltes incessantes lui reprochent sa félonie ; ceux qu’il commande agissent seulement sur commande,/ Rien par amour ; et maintenant il sent son titre pendre lâchement sur lui/ Comme la robe d’un géant sur un nain voleur » (V,2, p.129). Car Macbeth n’est pas le Prince de Machiavel, qui parvient à surmonter sa propre traîtrise pour fonder un ordre nouveau : si la trahison ne prospère jamais, c’est que « si elle prospère, nul n’ose la nommer trahison » (Jules César). Dans l’échange entre lady Macduff et son fils sur la traîtrise, à l’acte IV, scène 2, l’enfant pointe naïvement la question indécidable du fondement de l’autorité : »Qu’est-ce qu’un traître ? / - Celui qui jure et qui ment. Quiconque fait cela est un traître, et il doit être pendu./ Qui doit les pendre ? / - Les hommes honnêtes. / - Mais n’y a-t-il pas des jureurs et des batteurs assez pour battre les honnêtes et pour les pendre ? ».  Machiavel a en effet montré qu’à l’origine de toute légitimité, du Prince traditionnel, il y a toujours la force, la victoire, le sang. La détention de la force permet seul d’asseoir le droit, institué par le vainqueur.

Mais Macbeth n’est pas seulement un traître, c’est un tyran : « tyran d’entrée » (la tyrannie est, pour l’usurpateur, un moyen d’accéder au pouvoir) et « tyran d’exercice » (la tyrannie comme mode de gouvernement), il est, à mesure que progresse l’intrigue, de + en + incapable d’une autre action que le crime, fuit l’ordre de la Nature pour la roue de la Fortune et fait croître le mal dans le monde où il se trouve : « il fortifie durement Dunsinane. Certains disent qu’il est fou, et d’autres, le haïssant moins, nomment cela fureur guerrière ; mais ce qui est certain, il ne peut + enserrer sa maladie frénétique dans la boucle d’une règle. Aucun principe régulateur ne venant tempérer l’excès de sa passion meurtrière et mortifère, « des révoltes incessantes lui reprochent sa félonie ; ceux qu’il commande agissent seulement sur commande », jamais par amour de leur Prince, si bien que « son titre pend lâchement sur lui comme la robe d’un géant sur un nain voleur ». Déconstruisant l’ordre que la guerre juste qu’il menait avait contribué à rétablir/ consolider, Macbeth devient l’ennemi d’un ordre dont il s’est exclu en le désorganisant, légitimant  la traîtrise, l’abandon, l’artifice de la ruse de guerre et l’alliance de Malcolm et de nouvelles forces extérieures pour décapiter le Mal au terme d’une guerre à laquelle les Siward donnent l’accent d’une croisade. Dans la dernière scène, l’ordre est rétabli après la vengeance du justicier et la mise à mort sacrificielle du traître et du tyran : le chœur des soldats répondant au « salut, ô Roi d’Ecosse » de Macduff par un chiasmatique « ô Roi d’Ecosse, salut ! », écho aux trois saluts initiaux des sorcières, la refondation commence avec la gratitude du nouveau Prince qui récompense l’amour et le substitue à l’ambition : Malcolm nomme « comtes » ses proches et s’en remet à la grâce de la Grâce pour « nouvellement planter selon le temps ». Dieu a vaincu les puissances trompeuses qui avaient abusé l’imagination de l’usurpateur. Le royaume de la peur s’effondre. Le modèle du Prince machiavélien est désarticulé.

 

Le second modèle qui inspire la pièce est en effet celui du Prince de Machiavel, qui recommandait, au chapitre 18 de son essai, de « savoir bien pratiquer la bête et l’homme », d’être renard et lion : le renard, ne pouvant se défendre des loups, a besoin de la force du lion ; le lion, ne pouvant se défendre des pièges, des rets, a besoin de la ruse du renard.  Car la ruse est la forme la + efficace de la force : le Prince doit savoir briser les engagements qui tourneraient à son désavantage en « colorant » sa loyauté, non pour sauver son âme, mais les apparences. Il doit dissimuler et transgresser les normes morales pour vaincre et maintenir l’Etat : un peuple satisfait se soucie peu d’authenticité et de vérité. Or si la 3ème apparition conseille à Macbeth d’être « substance de lion », de ne soucier ni d’agitation, ni d’insurrection, ni d’une éventuelle conspiration car il « ne sera pas vaincu jusqu’à tant que la grande forêt de Birnam vers le sommet de Dunsinane ne s’avance contre lui », elle le trompe. Surtout, Macbeth est un homme tellement rongé de remords qu’il est incapable de dissimuler les images qui le hantent. Seul Malcolm se ferait donc le disciple de Machiavel quand il trace de lui le portrait factice d’un Prince corrompu, à l’acte IV, scène 3 : à Macduff qui l’invite à saisir le glaive pour délivrer la patrie du tyran, il répond en dressant un portrait qui, dit-il, le rend incapable de redresser quoi que ce soit dans un royaume déjà éprouvé : il n’ajouterait que le mal au mal en surpassant Macbeth. La question se pose alors de savoir si Malcolm ment quand il énumère ainsi tous ses vices et s’avoue dépourvu de toutes les vertus qui font les rois (justice, vérité, tempérance », sûreté, humilité, persévérance, miséricorde, dévouement, patience, courage, constance), comme il le prétend quand il détrompe Macduff, une fois rassuré sur son intégrité, ou s’il dit la vérité. Outre le malaise suscité par cette longue confession, l’hypothèse du mensonge, machiavélien, ne rassure pas sur la nature du pouvoir à venir : le frère de Donalbain ne fuyait-il pas Inverness aussi pour éviter de simuler un chagrin qu’il reconnaissait ne pas éprouver ?

 

Régicide, assassinats, hantise de la conjuration et de la rébellion peuvent enfin tenir à l’histoire (récente) de l’Angleterre : la guerre des deux roses, dont Shakespeare met en scène les soubresauts dans ses drames historiques, a laissé des traces dans l’imaginaire politique anglais. Au moment où les membres de la troupe des King’s Men jouent Macbeth devant Jacques 1er, dont la mère, Marie Stuart, a été décapitée pour trahison sur l’ordre de sa cousine Elisabeth 1ère d’Angleterre, en 1587, le climat politique est instable : en 1601, le comte d’Essex a été exécuté après sa rébellion avortée ; divers complots ont suivi le passage de la dynastie des Tudor à celle des Stuart, qui se terminera par la décapitation du roi en exercice, Charles VII, lors de la révolution de Cromwell, en 1647. Le 5 novembre 1605, Jacques 1er vient lui-même d’échapper à la « conspiration des poudres », qui visait à supprimer d’un coup le roi anglican et son parlement. Bientôt, ce parlement nourrira un ressentiment profond contre son roi, qu’il soupçonne de dérive absolutiste. Comme le souligne Liliane Campos dans le dossier de l’édition GF (p. 147), « la trahison mise en scène par Macbeth reflète les inquiétudes d’une époque tumultueuse », et « Shakespeare intègre à son texte des références explicites à cette conspiration récente ». Lorsque le portier de l’acte II se réfère à l’ »équivocation », il s’agit en effet d’une forme de mensonge sous serment, préconisée par l’Eglise catholique, dont on avait accusé le jésuite Henry Garnet, l’un des principaux condamnés de la conspiration des Poudres. « La duplicité politique et linguistique qui sévit dans Macbeth s’inspire donc de ce contexte de suspicion, dans lequel l’ambiguïté et le double sens sont des procédés rhétoriques désormais associés à la trahison », conclut L Campos, qui rapproche le dialogue entre Malcolm et Macduff du débat d’actualité sur la légitimité de la rébellion. L’obsession des Tudor pour le devoir d’obéissance inconditionnelle avait en effet conduit Elisabeth à condamner la rébellion contre le tyran d’exercice, interprétée par la législation sur la trahison et par l’homélie de 1571 « contre la désobéissance et la rébellion » comme un châtiment envoyé par Dieu à un peuple  pécheur, dont la rébellion politique marquait la révolte contre l’ordre voulu par Dieu. Seul un tyran d’entrée pouvait donc, dans des cas extrêmes, autoriser la rébellion.

Or le théâtre de Shakespeare, qui  pose la question du régicide comme point de départ d’un dérèglement de l’ordre politique et naturel (Jules César, Hamlet, Macbeth, Le Roi Lear), explore toutes les combinaisons possibles entre la légitimité et les qualités de gouvernement du Prince : tyrannique par faiblesse (weak king tyrant), Richard II est un roi légitime mais incapable de gouverner (Richard II) ; les qualités de roi d’Henry IV ne parviennent pas à effacer la tache originelle de l’usurpation (Henri IV), qui empoisonne encore le règne de son fils Henry V (Henri V), malgré une légitimité alliée aux qualités d’un bon roi ; la mort prématurée de ce dernier ne lui permet pas d’assurer la succession du jeune Henry VI (Henri VI) , sorte de roi malgré lui, qui vient à douter de sa légitimité et qui est détrôné par Richard III, usurpateur et tyran sanguinaire, dont le règne prend fin en 1485 avec la bataille de Bosworth, où il tombe sous les coups du futur Henry VII, fondateur de la dynastie des Tudor, qui allait assurer à l’Angleterre un peu +d’un siècle de paix et de prospérité relatives (Richard III).

 

Enfin la personnalité de Jacques 1er est liée à la question de la sorcellerie: persuadé que des sorcières avaient troublé les voyages de membres de la famille royale, il leur consacre en 1597 un traité de Démonologie et encourage leur persécution en Ecosse, avant de constater que ces femmes sont avant tout victimes de leur imagination et de revenir à la thèse de l’anglais Scot, pour qui la sorcellerie n’est que « le manteau de l’ignorance », la persécution des sorcières revenant à les créditer d’un pouvoir auquel elles finissent par croire et étant un moyen de se dérober à ses propres responsabilités en attribuant le mal à un agent extérieur.

 Or nous verrons que dans Macbeth, la question de l’existence des sorcières, ces adeptes de la magie noire dont Hécate, déesse de la nuit et des fantômes, mère, dans la mythologie antique, de la magicienne Circé et tante de l’infanticide et empoisonneurs Médée, mène la danse, que le folklore représente comme des vieillardes ayant le pouvoir de déclencher des tempêtes et de provoquer le tonnerre et que le Moyen Âge chrétien relie au satanisme en l’accusant de blasphèmes, de sorts et d’envoûtements malveillants, d’invocations et de pactes diaboliques, d’usage de poisons et de filtres, de sacrifices d’enfant pour se procurer de la chair et du sang, de transport aérien, de sabbats et de messes infernales avec le bouc Satan, est au cœur de la problématique du mal. Initiatrices au mal, ces trois personnages pittoresques, à la fois inquiétants et comiques, ressemblent en effet bien à des sorcières : dans leur langage bizarre, à mi-chemin entre les devinettes populaires et les prophéties tragiques, elles se réfèrent au folklore des campagnes anglaises tout en déclarant « planer dans les brumes de l’air ». Leur cuisine infecte, leurs jeux atroces et leurs comptines à base de rythmes binaires et ternaires relèvent du même registre dans la scène du chaudron, inspiré par ailleurs d’un épisode célèbre de sorcellerie biblique : celui du mauvais roi Saül, menacé par son gendre David et par l’armée des Philistins, et qui va consulter la nécromancienne d’Endor au chapitre 28 du 1er livre des rois, Samuel. Celle-ci fait apparaître le spectre du prophète Samuel prédisant sa défaite, dans une atmosphère de mystère et d’épouvante qui a suscité à la Renaissance +sieurs mises en scène tragiques, que Shakespeare a sans doute prises pour modèle. Pourtant le texte de l’in-folio de 1623 ne parle pas de sorcières (les didascalies ont été rajoutées par les éditeurs modernes), mais de « weird sisters », « sœurs folles », « sœurs étranges » ou « sœurs fatales » (III,5), « choses » que Banquo et Macbeth ne savent par quel nom désigner et qui peuvent faire penser, par leur impact sur le destin, à des entités + abstraites : nornes des mythologies nordiques, Parques/ Moires qui ourdissent, tissent et coupent le fil de la vie, voire Erinyes des tragédies antiques, quand elles poursuivent de leur fureur vengeresse les coupables. Pourtant, Banquo et Macbeth s’interrogent, à l’acte I, scène 3, sur l’identité, sur l’existence même de ces être qui semblent « corporels », mais se dissolvent dans l’air comme des bulles à la surface de l’eau, émanation de la terre ou de l’imaginaire des hommes dont elles matérialiseraient le désir : « êtes-vous un fantasmes ou en réalité ce que vous montrez au-dehors (I,3) ». Enfin si le témoignage de Banquo aux cotés de Macbeth, lors de sa 1ère rencontre avec les sorcières, tend à objectiver leur présence et à leur conférer une certaine réalité, les apparitions de l’acte IV, scène 1 sont déréalisées par le fait que Macbeth est seul à les voir : Lennox répond par la négative lorsque Macbeth lui demande s’il a aperçu les «sœurs fatales » dans la lande. Beaucoup de metteurs en scène et de cinéastes contemporains font du reste le choix de psychologiser ces phénomènes censément surnaturels en soulignant la dimension onirique et cauchemardesque des apparitions. L’efficacité dramatique du texte de Shakespeare vient de l’indétermination de ces phénomènes.

 

III-Théâtre élisabéthain et esthétique baroque

La période créatrice du théâtre de Shakespeare, dramaturge, comédien, metteur en scène et producteur de ses propres spectacles, coïncide, à la fin du règne d’Elisabeth et au début du règne de Jacques 1er, avec l’âge d’or du théâtre élisabéthain.

Matériellement, ce théâtre se jouait à l’extérieur de la Cité de Londres, dans des zones franches qui accueillaient d’autres lieux de plaisir comme les tavernes, les maisons de jeu et les arènes où avaient lieu les combats d’ours et de chiens auxquels Macbeth fait allusion comme il se compare à un « ours d’Hircanie » pris au piège : « ils m’ont lié à un poteau ; je ne peux fuir, mais comme l’ours, je dois tenir contre la course » (V,7).

 

http://lve.scola.ac-paris.fr/anglais/images/shakespeare/Globe.gif

http://www.museumoflondon.org.uk/learning/who_are_you/teachers/images/literacy/rose_theatre.jpg

 

 Il se jouait en général en plein jour et à ciel ouvert[6], dans un amphithéâtre de bois de forme quasi circulaire, avec un public sur 3 côtés, un plateau large permettant de jouer scènes de foule et d’action, une trappe autorisant, sur le devant de la scène, l’apparition d’êtres surnaturels ou de fantômes, des mansions permettant d’opposer aux scènes d’extérieur des scènes d’intérieur au fond de la scène et, parfois, un balcon autorisant un jeu sur plusieurs niveaux. L’absence de décor et de conventions contraignantes – il n’y a ni règles des 3 unités ni questions de « bienséances » dans le théâtre élisabéthain, volontiers spectaculaire, violent et grivois- comme la diversité du public, populaire en raison du prix modique des places-, expliquent le mélange baroque des registres et des genres dans Macbeth : les sorcières comme le portier de l’enfer sont, en même temps que des figures du mal, des personnages grotesques, qui contribuent, sinon à désamorcer le tragique, du moins à mettre à distance le surnaturel.

 

Drames historiques et tragédies shakespeariens relèvent donc de cette esthétique du spectacle, de l’action et du contraste, dans laquelle Hugo verra un théâtre de la liberté et de l’humain dans sa totalité et qu’on peut rapprocher de l’esthétique baroque, mouvement littéraire et culturel européen, contemporain des retombées du schisme provoqué par le conflit entre catholicisme et protestantisme, et dont la sensibilité se résume dans une figure de style et une thématique omniprésentes dans le théâtre de Shakespeare : l’oxymore et la vanité. Or cette figure de style et ce motif, particulièrement présents dans Macbeth reflètent deux aspects du mal : la réversibilité, signe de la confusion du Bien et du Mal, du mensonge et de la vérité, du jour et de la nuit, etc ; le théatrum mundi, signe de l’absurdité, du non sens, du néant.

Or, nous l’avons vu dans le corrigé du contrôle de lecture, l’oxymore, doublée d’un chiasme et d’une paronomase « fair is foul and foul is fair » condense, dès les 1ers vers des sorcières, symboliquement repris en écho par Macbeth, l’ambivalence dont la pièce va décliner les modalités, tant au niveau du clair-obscur dans lequel la pièce baigne (cf conclusions du tableau répondant à la question 1 du contrôle de lecture) que dans la construction des personnages, par exemple quand le couple Macbeth inverse les rapports entre genre masculin et genre féminin, signe d’un ordre contre-nature, ou que « deux vérités » opposées sont dites par les sorcières : « les puissances obscures nous disent le vrai » ; « i begin to doubt th’equivocation of the fiend that lies like thrue ». Cette « équivocité » est elle-même, dans la pièce, reliée au « double joueur », figure du diable qui conduit Macbeth à conclure, dans la banqueroute existentielle qui lui inspire un désir de néant, au nihilisme absolu: « la vie n’est qu’une ombre en marche, un pauvre acteur qui s’agite pendant une heure sur la scène et alors on ne l’entend plus : c’est un récit (« tale ») conté par un idiot, plein de bruit et de fureur, ne signifiant rien ». On ne saurait mieux relier l’absurdité du mal au thème, baroque, du « theatrum mundi ».

ó On peut donc, dans Macbeth, tisser un lien entre la réversibilité, la confusion, la vanité, motifs récurrents dans l’esthétique et le théâtre baroques, et la dramaturgie comme la modernité de l’esthétique comme de la métaphysique du  mal shakespearien. Car si l’essentiel de la pièce se passe de nuit, dans des décors de mots (cf corrigé de la Q 1 du contrôle de lecture) qui renvoient à l’autre scène de l’inconscient, l’atmosphère de cauchemar dans laquelle monde inversé (ibidem), apparitions (des sorcières, du poignard et de Banquo cf correction des Q 3 et 4) et apocalypse du mal font baigner la pièce  (cf  présentation  de la pièce par G.Wilson Knight dans l’édition GF) placent la représentation du mal au cœur d’une esthétique frappée au coin de la beauté horrible du mal : il y a, dans cette pièce en vers aux images éloquentes, qui manie l’antithèse et l’oxymore, une poétique, une poésie du mal, qui ne tient pas seulement à son esthétisation, mais aussi à la fascination qu’elle exerce sur nous par la médiation du spectacle tragique.

 

Car cette pièce, écrite après les « grands drames historiques » des années 1590, est la tragédie la + courte, parce que la + resserrée dans le temps et dans l’action, des pièces de Shakespeare.

Avec le drame, cette tragédie composée 7 ans après Hamlet, 3 ans après Othello et un an avant Le Roi Lear, partage la définition aristotélicienne de l’action théâtrale» (« drama » désigne en grec ancien « l’action » et l’étymologie du nom « théâtre » remontre à une racine grecque signifiant voir) comme imitation, non de paroles, mais d’actions : le théâtre shakespearien, en cela conforme aux attentes du public très bigarré du drame élisabéthain, ne rechigne pas devant le spectacle de la violence, comme en témoignent le motif récurrent du sang dans Macbeth, la représentation sur scène du guet-apens tendu à Banquo et la vision, quasi cinématographique, du mouvement des armées/ de la forêt en marche vers Dunsinane. Pourtant, on notera l’ellipse du meurtre de Duncan (cf corrigé de la Q 2 du contrôle de lecture) et la suspension du massacre des Innocents au coup de poignard dans le dos du fils de Macduff. Contrairement à l’esthétique, réaliste ou non, des adaptations  cinématographiques de Welles ou de Polanski, qui représentent sous les yeux des spectateurs ce que le lecteur de Shakespeare est seulement appelé à imaginer, le décor de mots tire un effet puissant de l’identification du régicide à l’innommable, donc irreprésentable, l’autre scène de l’imaginaire, de l’inconscient du couple Macbeth prenant le pas sur la réalité qu’ils dramatisent au sens propre du terme.

Pourtant cette pièce, inspirée, comme beaucoup de drames historiques de Shakespeare, des chroniques de l’histoire d’Angleterre et d’Ecosse, est une tragédie et non un drame. Pourquoi ? La 1ère raison est que la tragédie pose, avec la fatalité sans quoi il n’est pas de temps tragique, la question de la responsabilité, de la faute tragique et de la liberté, questions centrales dans une dramaturgie de la conscience qui pose le problème de l’origine, surnaturelle ou humaine, du mal politique et qui fait de la souillure la principale manifestation du remords, conscience de la faute inscrite dans le corps et l’imaginaire du héros tragique: Macbeth n’est-il que l’instrument d’un Mal incarné par Hécate, Lady Macbeth et les sorcières, figuré  par les apparitions ? Ou le mal s’ancre-t-il dans la volonté faible, mais libre de celui qui a si parfaitement conscience de transgresser la loi morale, que le remords le ronge, qu’il se damne jusqu’à revendiquer l’héroïsme du mal, et qu’on a pu dire qu’il incarnait la voix de la conscience ? C’est que -2ème raison- a parte, monologues et dramaturgie de l’inconscient placent la conscience tourmentée des protagonistes au centre d’une action fortement intériorisée : la conscience est au coeur d’un spectacle qui en sonde l’abîme et rend les personnages complexes, le spectateur suivant leur progression intérieure à partir du point de vue des agents du mal, tourmentés. Cela explique sans doute, -3ème raison-, que la catharsis tragique fonctionne, en dépit de l’ horreur qui risquerait de détourner l’émotion tragique –le héros tragique doit, selon Aristote, inspirer « terreur et pitié »- du spectateur de monstres inhumains : non seulement l’Ecosse est purgée du mal incarné par Macbeth, comme le suggère l’image du sacrifice, employée par Caithness à l’acte V, scène 2[7]; mais le bonheur se renverse bien en malheur dans la conscience des coupables, qui ne connaîtront jamais le bonheur espéré et différé, leur acte entraînant fatalement l’enchaînement implacable des meurtres  C’est donc + l’histoire de l’intériorité des personnages que l’enchaînement des événements extérieurs qui constitue l’action d’une pièce où le mal, qui a pour fonction illusoire de faire disparaître ou de conjurer un mal plus grand, précipite l’issue tragique. Cette intériorisation de l’action, qui voient les effets du mal sur eux-mêmes, contribue par ailleurs à souligner la lucidité du héros tragique, qui avance en aveugle face à son propre destin, mais dont la grandeur vient aussi de la reconnaissance d’avoir été à la fois joué par le destin et révélé à lui-même par la faute qu’il a commise. Enfin, la concentration de l’action et du temps tragique dans la pièce la + courte et la + unifiée du répertoire shakespearien, sur la logique implacable du crime et sur ses répercussions dans la conscience et sur le destin du héros, esseulé, constitue la 4ème explication du caractère tragique d’une pièce, qui refond +sieurs sources pour condenser en quelques mois la durée de 10 ans séparanty, dans les Chroniques d’Angleterre, d’Irlande et d’Ecosse de Raphaël Holinshed, le meurtre de Duncan (la tyrannie d’entrée) de la tyrannie d’exercice et du meurtre de Macbeth .

Pour composer Macbeth, Shakespeare s’inspire, comme pour +sieurs de ses « drames historiques », des Chroniques d’Angleterre, d’Irlande et d’Ecosse de Raphaël Holinshed, rééditées en 1587, dont il fond deux épisodes, resserre l’action en supprimant les 10 années de règne heureux qui séparent l’avènement de Macbeth au pouvoir, par le meurtre de Duncan, de son assassinat, au terme d’une guerre disputée. Il transforme aussi Duncan, roi jeune et sans autorité, en figure vertueuse et paternelle, et sans faire de Banquo un personnage totalement vertueux, l’exact symétrique de Macbeth, il le distingue nettement de Banquo, complice de Macbeth dans les chroniques.

 



[1]

[2] En 1534, Henri VIII, à qui le pape Clément VII a refusé la dissolution de son mariage avec Catherine d’Aragon (elle ne lui a pas donné d’héritier mâle et il veut épouser sa maîtresse Anne Boleyn), s’est fait proclamer chef suprême de l’Eglise en Angleterre, entraînant son pays dans un schisme et donnant naissance à la voie médiane de l’anglicanisme. A sa mort, en 1547, son fils Edouard VI évolue vers un calvinisme de + en + strict. A la mort prématurée d’Edouard VI, en 1553, Marie Tudor, fille d’Henri VIII et de Catherine d’Aragon, retourne à l’obédience catholique jusqu’à sa mort, en 1558, date où sa demi-sœur, Elisabeth, fille d’Henri VIII et d’Anne Boleyn, lui succède et tente d’instaurer un compromis susceptible d’épargner à l’Angleterre le déchirement des guerres de religion françaises. Mais, en 1570, quand la bulle papale d’excommunication délie le sujets catholiques de leur devoir d’obéissance envers la reine, les catholiques extrémistes y voient une occasion de comploter en faveur de Marie Stuart, fille de la sœur d’Henri VIII et veuve de François II de France, qui a trouvé refuge en Angleterre lors de la réforme presbytérienne en Ecosse, et que sa cousine Elisabeth fait condamner à mort et décapiter en 1587. Le gouvernement de sa Majesté durcit alors la législation et soumet les catholiques à la « bloody question » : « si le pape et le roi d’Espagne envahissaient le royaume, pour qui combattriez-vous ? ». Les jésuites imaginent alors la stratégie de l’équivocation : affirmer son allégeance d’une manière générale et refuser de se prononcer sur un événement hypothétique.

[3] « Frappe ! frappe ! Qui est là, sacré nom de tous les diables ? Parole, c’est le Double-joueur ; qui pourrait jurer dans les plateaux l’un contre l’autre ; qui a commis assez de trahisons au service de Dieu, et pourtant n’a pas pu « double-jouer » le ciel ! oh entre, entre, mon Double-Joueur ». cf note de PJ Jouve, p.68.

[4] L’Institution du Prince d’Erasme et celle de Guillaume Budé, contemporaines du Prince de Machiavel,  relèvent de cette tradition.

[5] On remarquera que c’est le médecin qui annonce à Malcolm la venue du roi. Cela s’explique par la nature du mal physique que guérit le roi thaumaturge : les écrouelles, incurables par la médecine des corps. Perdus pour la science, les malades ne peuvent être guéris que par un miracle, perpétré par l’oint du seigneur. Cette scène de guérison miraculeuse est donc l’exact pendant de la scène où, effrayé par les révélations qui échappent à l’inconscient tourmenté de Lady Macbeth, somnambule, le médecin se déclare impuissant à guérir un mal qui relève du prêtre, médecin des âmes et aimerait fuir une Ecosse à l’urine viciée, selon l’expression de Macbeth, qui lui demande s’il connaît le remède au mal dont le pays souffre. Il y a donc une interaction étroite entre mal physique et mal moral/ politique, comme le confirme au rebours la réponse de Malcolm à la question de Macduff sur la nature du mal (« evil ») guéri par le roi saint : « elle est appelée le Mal », terme ambivalent, puisqu’il désigne à la fois, par métonymie, une maladie précise du corps, et « le Mal », moral ou métaphysique. On ne saurait mieux dire que la « santé » du royaume dépend de la « sainteté » du roi, dont la « bénédiction » est, de surcroît, « héréditaire » et que Malcolm dote aussi du « pouvoir de prophétie ». Si la légitimité dynastique trouve ainsi caution religieuse, le statut de « prophète » confère ici au roi d’Angleterre une dimension providentielle qui fait de lui le pendant des sorcières, porteuses elles aussi de la voix officielle quand elles permettent aux apparitions d’annoncer, avec la descendance de Banquo, l’avènement du roi d’Ecosse Jacques VI Stuart sur le trône d’Angleterre : la légende fait remonter sa lignée à cette source mythique.

[6] Dans une pièce nocturne comme Macbeth, l’illusion ne pouvait être recréée que par des accessoires (torches, II,1 ; chandelle de Lady Macbeth, V,1) et par le décor de mots créé par cette poésie baroque du clair-obscur qui fait de l’esthétique de cette tragédie un univers onirique, cauchemardesque.

[7] « Rejoignons le médecin de cet état malade, et avec lui versons chaque goutte de sang, pour la purgation de notre pays » ; « ou tout du moins ce qu’il faut pour humecter la fleur souveraine et noyer la mauvaise herbe » (p.130)