Après avoir lu ce récit,  Denis Diderot, va  donc avoir l'idée de rédiger un essai qu'il intitulera  Supplément au voyage de Bougainville, en 1772. Il prend comme prétexte cette escale à Tahiti pour s'interroger sur la morale de la colonisation et en démontrer les dangers. Son objectif est de dénoncer les dommages de la colonisation qui brise l'équilibre des peuples colonisés en introduisant de nouvelles coutumes.  

Qui est cet écrivain des Lumières ? Denis Diderot a consacré une grande partie de sa vie à lancer le projet encyclopédique ; Ce qui ne l'a pas empêché d'écrire de nombreux ouvrages philosophiques qui posent la question de la place de l'homme dans le monde et des rapports entre les hommes. Pour rendre plus concrète sa réflexion, Diderot , en 1796, a eu l'idée d'une forme de fiction originale : celle d'inventer une suite au récit d'un célèbre explorateur : Monsieur Bougainville. Ce dernier , de retour d'une expédition à Tahiti avait publié sa relation de voyage sous le titre : Voyage autour du monde. 

 Diderot imagine alors une situation inédite : Un vieux Tahitien s'adresse directement à Bougainville et dresse un réquisitoire des méfaits engendrés par l'arrivée des Européens dans son île.

Comment la colonisation et ses dangers  est-elle dénoncée dans ce passage  par l'auteur ? Diderot commence par étonner son lecteur en évoquant un contraste: alors qu'ils semblent tristes de voir partir les Européens : " pleuraient l 2 " , le Vieil homme leur affirme qu'ils devraient plutôt se réjouir; Il semble connaître l'avenir et ses paroles prennent alors un tour prophétique , comme une sorte de vision prémonitoire ; Son "air sévère" l 3 annonce le sérieux de  ses propos et leur gravité ; Il prédit de terribles malheurs : " viendront vous enchaîner, vous égorger, ou vous assujettir " l 7 . Cette énumération devrait grandement effrayer ses compatriotes; Elle a également une valeur de mise en garde : les Tahitiens doivent se méfier des colons dont le vieillard dresse un portrait critique : " extravagances, vices, corrompus, vils "  l 8 à 10 sont des mots aux connotations péjoratives qui dégradent l'image des Européens .  Le sage insiste sur les malheurs à venir en employant notamment le mot calamité l 9 qui désigne un malheur très important qui s'abat sur l'homme et bien souvent lui ôte la vie comme l'indique l' adjectif funeste , associé ici à l'avenir des Tahitiens. 

Le texte est en réalité un dialogue comme l'indiquent les marques et la présence de l'interlocuteur et dans le second paragraphe, le Sage interpelle Bougainville : « et toi » , « ton vaisseau » ou « tu nous a prêchés «  mais nous n'entendons pas les réponses de l'explorateur auquel cette diatribe s'adresse. Diderot ne donne pas la parole à l'accusé pour le moment. Il se contente de l'interpeler en créant ce discours qui s'adresse à lui. Le vieillard se fait le porte-parole de l'ensemble de son peuple  et Bougainville devient le symbole du colonisateur .

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Cette anecdote prend appui sur un contexte historique véridique et la présence d'un personnage réel au sein de la fiction , contribue à accroître son authenticité aux yeux des lecteurs. En effet, Bougainville a vraiment existé et dans sa relation de voyage  l'explorateur mentionne l'existence de ce vieux tahitien mécontent.C'est après avoir lu le récit de M Bougainville que Diderot a eu l'idée de l'utiliser .

Ce personnage du  vieuxTahitien  sage et qui semble avoir une vision prémonitoire des futurs malheurs de son peuple est très convaincant.  Le « nous » est employé à plusieurs reprises  « nous sommes innocents « ou  « notre terre ». Ce nous, donc, illustre la parole d'un collectif ; c'est la voix d'un peuple tout entier qui s'exprime par la bouche d'un seul homme.  Ce procédé implique le lecteur au sein de l'argumentation. 

On peut toutefois se demander si ce personnage n'est pas plutôt , en réalité, le porte-paroles des idées de l'auteur : en utilisant un dispositif fictionnel, Diderot se dissimule derrière un être de papier ; ce qui lui confère une sorte d'immunité. 

Ce vieux Sage ne mâche pas ses mots et il commence  par insulter Bougainville en le traitant de «  chef des brigands » l 13 ; L'expression  rabaisse l'explorateur ; on appelle ce type d'argument un argument ad hominem car le locuteur s'attaque à la personne même de son opposant  et le colon passe pour un voleur . Cette technique consiste à diminuer aux yeux du lecteur la valeur de la personne dont on souhaite combattre les idées . On quitte ici le  terrain intellectuel pour s'en prendre aux qualités d'un individu. Cette interpellation "chef des brigands " montre également la responsabilité collective des colons ; ils agissent sous l'autorité de leur chef mais on voit ici que pour le vieux Tahitien, tous les marins se comportent de la même manière .  Ils sont assimilés à de mauvaises personnes, des voleurs, des bandits. Un brigand est à l'origine un homme qui s'adonne au vol et au pillage mais le mot désigne ensuite au sens plus large, une mauvaise personne, malhonnête. 

Chaque aspect de la colonisation est passé en revue à l'intérieur du réquisitoire.

En effet le discours du Tahitien a des allures de bilan : il semble récapituler tout ce qui a eu lieu depuis l'arrivée des colons : il constitue  un rappel des faits . Ainsi les paroles du Tahitien font ressortir nettement l'opposition entre l'éloge des mœurs tahitiennes et le blâme des moeurs européennes.

Il est tout d'abord question de la situation des Tahitiens au moment où les colons débarquent  : on nous indique, en utilisant le présent de l'indicatif, qu'ils sont « heureux » et on évoque leur « bonheur. »  (15 ) . Ils vivent, en effet, une vie simple et conforme à l'enseignement de la Nature ; On retrouve ici l'idée d'un Sauvage qui vivrait en harmonie avec les lois de la Nature : une sorte d'innocence naturelle, originelle qui contraste fortement avec la corruption des Européens qui ne cessent de violer les lois naturelles en introduisant au sein de cette société de nouvelles règles de vie.

Ainsi, les tahitiens ne connaissaient pas la propriété individuelle, pas plus pour la possession des terres que pour les rapports entre les individus comme on le voit dans le texte « nos filles et nos femmes nous sont communes »  l 17 : cette manière de vivre est présentée comme un privilège qu'ils ont fait découvrir aux européens mais ses derniers ont transformé l'état de la société tahitienne en introduisant la jalousie et la propriété et  en exigeant que les Tahitiens se conforment à la morale occidentale (une seule femme avec un seul homme sans échange et sans partage) ; Le Vieillard montre à quel point ces changements importés ont eu des conséquences désastreuses non seulement parce qu'ils ont introduit de la violence " fureurs inconnues, 18, féroce 19, sang, 20  égorgés "; mais par encore parce que ces importations ont dénaturé le mode de vie Tahitien.   Les Européens , selon le Sage, ont tenté « d'effacer de nos âmes son caractère »15 ; On retrouve ici clairement le reproche d'ethnocentrisme ; les Européens ont donc considéré qu'en matière de morale et de moeurs, c'était leur modèle qui devait s'imposer et ils ont tenté de modifier la façon de vivre des Tahitiens. 

Les conséquences de cette nouvelle façon de vivre qui met un terme notamment  à la liberté sexuelle des Tahitiens, sont dramatiques . Elles sont  d'ailleurs rappelées par le champ lexical de la violence et du meurtre  : « allumer des fureurs » , et « vous vous êtes égorgés pour elles » . Cette innocence perdue est confondue avec de l'ignorance par les Européens ; La chute de notre extrait met face à face « les inutiles Lumières » , c'est à dire la croyance des Européens d'être plus avancés , plus civilisés que les Tahitiens et « ce que tu appelles notre ignorance » . L'auteur démontre ainsi de manière saisissante que les Européens se croient supérieurs aux Tahitiens mais ils commettent des erreurs de jugement car ils ignorent les coutumes étrangères. 

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Diderot pense, à la suite de Rousseau, que la propriété individuelle introduit l'instinct de jalousie et l'envie, source de conflits comme on le voit avec l' exemple des femmes « revenues teintes de votre sang » . En se battant pour garder la possession d'une femme, les colons ont enfreint la loi naturelle qui préconise que chez ce peuple « Tout est à tous »   La  morale naturelle, celle que préconise Diderot, enseigne également que tous les hommes se valent car ils sont tous enfants de la Nature « vous êtes deux enfants de la Nature » s'écrie-justement Tahitien . Et il fait appel  également à la notion chrétienne de fraternité , enseignée par le Christ . Cette fraternité qui repose sur l'empathie est en antithèse avec la brutalité dont font preuve certains colons dans le processus de conquête des nouvelles terres. Les Lumières tentent ici d'imposer l'idée selon laquelle les hommes naissent égaux ce qui mettrait un terme à la pratique de l'esclavage.

En effet, de nombreux témoignages nous rappellent que la plupart des colons cherchaient à s'enrichir en pillant notamment les matières premières et en s'octroyant les meilleures terres , les plus fertiles. Ils dépossédaient ainsi les Tahitiens comme le précise le Vieil Homme . L'affirmation : " Ce pays est à nous : est aussitôt suivie de la phrase exclamative: « ce pays est à toi ! l 25 Et pourquoi ? Parce que tu y as mis le pied ? » Le point d'exclamation atteste ici de la colère et de l'indignation du vieillard et le point d'interrogation traduit également  son incompréhension  Diderot rappelle ici que les colons s'arrogeaient par la force la propriété des terres. Cette idée est symbolisée par l'épée gravée avec la devise inscrite sur la lame de métal :  C'est un moyen de  montrer qu'ils utilisaient la force et non le droit pour s'emparer des terres.

Ce recours à la force est manifeste dans le texte  « celui dont tu veux t'emparer comme de la brute » l 30 ou « tu es le plus fort ! »: Diderot montre ici, à travers ces accusations du Sage, que les colons agissent le plus souvent  avec brutalité . Il ajoute  « et qu'est-ce que cela fait » pour choquer les auditeurs. Cette dernière partie du raisonnement souligne bien que la force n'est pas une raison suffisante pour les philosophes qui dénoncent ainsi la violation des droits de l'homme et les abus commis par les colons.

 La critique des colonisateurs est donc double dans cet extrait : d'une part, elle est explicite car le vieillard mentionne des faits qui se sont réellement déroulés et dont la plupart des Français ont entendu parler ; mais elle est également implicite à travers l'éloge du mode de vie sauvage ; En effet, le lecteur ne peut s'empêcher de comparer la situation initiale des Tahitiens au désastre engendré par ces brusques changements liés à l'arrivée des Européens, que ce soit dans le domaine sexuel, dans celui de la propriété des biens et plus largement dans la manière de considérer l'Autre.Les Français, en effet, ne semblent pas considérer les Tahitiens comme leurs frères mais bien au contraire comme des sortes de sous-hommes ; leur besoin de possession les conduit à la violence et le Vieillard montre là encore ce qui les oppose aux tahitiens pacifiques ; il utilise une série de questions rhétoriques qui font prendre conscience au lecteur du décalage entre les deux peuples : «  Tu es venu : nous sommes nous jetés sur ta personne ? » l  33 .Cette argumentation est habile car elle montre , en creux, ce qu'ont fait les colons ; sous-entendu : ils se sont , eux, véritablement,jetés sur les Tahitiens pour voler leurs terres .

En rappelant le pacifisme des Tahitiens et en vantant leur hospitalité, le vieil homme renforce l'idée d'injustice et d'abus. il énumère une série de situations concrètes et détaille les agissements des deux peuples en les comparant implicitement  : "tu n'es pas esclave : tu souffrirais plutôt la mort que de l'être et tu veux nous asservir ? " (l 29 ) ; Diderot , par ce raisonnement , rappelle la fierté des français et leur désir de liberté et leur propose avec la question rhétorique de se mettre à la place de l'autre; En inversant les rôles , le lecteur comprend que les colons infligent aux Tahitiens un esclavage qu'ils refuseraient pour eux-mêmes; Le philosophe rappelle ici l'enseignement moral: ne fais pas à autrui ce que tu ne souhaiterais pas qu'on te fasse; Cet enseignement semble être oublié par les colonisateurs trop avides de richesses; " Tu as projeté au fond de  ton coeur le vol de tout une contrée . 'l 28 " En effet, la critique de la colonisation passe très souvent par la dénonciation des prétextes qu'utilisent les Européens pour s'emparer des terres dont ils convoitent les richesses; Ils dissimulent ainsi sous une mission civilisatrice un désir d'enrichissement . Ce sera le reproche constant qui sera fait aux siècle suivants . Au départ, les Empires coloniaux se sont constitués pour approvisionner en matières premières les pays du Vieux Continent . L'aspect économique de la colonisation est abordé à plusieurs reprises par Diderot dans ce texte .

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Un autre  point qui est abordé , à travers ce  discours , concerne le droit que certains hommes s'arrogent pour en soumettre d'autres et en faire leurs  esclaves. A l'époque des Lumières, le débat divise la société ; durant l'Antiquité, Aristote justifie l'esclavage en disant que Dieu a créé certains hommes pour qu'ils soient les maîtres et d'autres, les esclaves mais cet argument est de plus en plus contesté , particulièrement par les philosophes matérialistes (et souvent athées ) comme Diderot. En effet, Diderot pense que toutes les créatures possèdent les mêmes droits à la naissance et donc qu'aucun homme ne peut prétendre en asservir un autre au nom d'une puissance supérieure. C'est ce qui est rappelé par l'expression l 21 "tu n'es ni un Dieu ni un démon : qui es tu donc pour faire des esclaves? " Ces éléments de la pensée de Diderot sont illustrés dans le discours du Tahitien et débouchent sur une réflexion à propos de l'esclavage. : « quel droit as-tu sur lui qu'il n'ait pas sur toi ? l 32 » Cette interrogation symbolise la pensée des Lumières : tous les hommes doivent être libres et égaux en droits et il faut abolir les pratiques comme la traite des noirs, l'esclavage et la colonisation dans le but d'asservir les peuples. Chaque peuple doit être reconnu souverain sur son territoire et ne devrait pas se soumettre à l'autorité d'un monarque lointain : « et voilà que tu as enfoui dans notre terre le titre de notre futur esclavage. » Il s'agit d'une véritable dénonciation des pratiques esclavagistes qui se fondent sur une pseudo-supériorité morale des Européens et de leur sytème de pensée.

Non seulement ils prétendent assujettir les peuples lointains mais en plus, ils le font par la force , de manière inhumaine : « t'avons- nous associé dans nos champs au travail de nos animaux ?  l33 » lit-on encore. Diderot vilipende ici l'utilisation de la main d'oeuvre indigène pour remplacer les chevaux de labour par exemple ou les bœufs qui tirent les convoi : on emploie des esclaves qui travaillent dans les mines ou dans les plantations .Pour heurter la raison et faire paraître absurdes les prétentions des colons, l'auteur se sert de l'argument qui consiste à se mettre à la place de l'autre, à inverser les rôles ; Il imagine ainsi la réaction d'un français qui serait sans doute choqué qu'un Tahitien s'arroge la propriété d'une côte française  et grave sur une pierre «  Ce pays appartient aux habitants de Tahiti. » (l 26). Le philosophe entend ainsi démontrer que ces pratiques qui paraissent banales pour les colons ,sont en réalité parfaitement choquantes et absolument pas justifiées.

Le dernier paragraphe du discours prend la défense des moeurs tahitiennes et présente leur mode de vie comme préférable à celui des Européens . Il s'agit d'un éloge . Les tahitiens sont heureux car ils suivent la morale naturelle et savent limiter leurs besoins : "Tout ce qui est nécessaire et bon,nous le possédons" l 36. Leur bonheur provient d'une vie simple et ils ne cherchent pas à acquérir le superflu ( l 38 ) . Ils se contentent  satisfaire ce qu'on nomme aujourd'hui les besoins primaires :  manger à leur faim, (l 39)  se vêtir pour se protéger des intempéries et  se loger dans de modestes "cabanes ' l 40 mais rien ne leur manque . Ce constat  du Sage accompagne la réflexion des Lumières sur les conditions du bonheur ; Pour vivre heureux, ils sont persuadés que l'être humain ne doit pas céder à ses envies ou à ses passions mais doit savoir se contenter de ce que la Nature lui offre les Tahitiens, être qui vivent proches de la Nature, sont ainsi présentés comme des être sensés (41 )  raisonnables par opposition aux Européens selon Diderot, qui cherchent toujours à en obtenir plus et s'inventent de nouveaux besoins que le Vieillard qualifie de "factices " l 46, c'est à dire que ce ne sont pas de véritables besoins . Il ne s'agit pas d'une critique de la société de consommation mais d'une mise en garde contre le superflu et l'avidité. Celui qui veut être heureux doit se contenter d'une vie simple, sans excès; D'ailleurs les Tahitiens savent profiter de la vie et ne passent pas tout leur temps à travailler : le repos leur paraît important comme l'indique la ligne 45 "rien ne nous paraît préférable au repos"  Ce dernier paragraphe, en faisant l'éloge du mode de vie Tahitien a  pour but de mettre en évidence les défauts et les erreurs commises par les Européens ; Il s'agit donc d'une critique implicite du mode de vie des Européens qui n'ont de cesse de vouloir s'enrichir et de travailler sans cesse  afin de s'offrir des "biens imaginaires "  ( l 42) qu'is estiment nécessaires à leur bonheur . Le Sage finit donc par chasser l'explorateur et le renvoie dans son pays "va dans ta contrée t'agiter , te tourmenter tant que te voudras " ( l 46) Les deux verbes s'agiter et se tourmenter ont ici des connotations négatives : l'Européen, du point de vue du Tahitien, ne sera pas heureux car il poursuit des chimères et ne sait pas se contenter de ce qu'il possède déjà; En accroissant ses besoins, il diminue ses possibilités d'atteindre le bonheur et vient, de plus,  détruire celui du Tahitien . A la ligne 37, le mot Lumières précédé de l'adjectif inutiles désigne ici les connaissances non nécessaires, superflues ; Les Lumières , au contraire, militaient pour que les connaissances rendent les hommes meilleurs et facilitent leur bonheur.  

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 En conclusion , il est clair qu'à travers ce discours , les colons sont  présentés comme des êtres brutaux, vils et cupides  à travers de nombreuses critiques et ils transforment un paradis en enfer. Leur présence infecte le pays et ils deviennent ainsi l'équivalent de parasites, porteurs de maladies et semeurs de troubles , apportant avec eux le malheur. Par le biais notamment des maladies sexuellement transmissibles, ils vont être la cause directe de la mort de milliers de tahitiens , emportés par des maladies ou des virus inconnus d'eux jusqu'alors. Les Tahitiens, quant à eux , sont présentés comme des Sages qui savent vivre heureux. Les deux portraits s'opposent points par points.

 L'efficacité de ce discours repose également  sur plusieurs  procédés argumentatifs nettement identifiables et particulièrement efficaces comme les antithèses qui opposent colons et Tahitiens, le Tu de Bougainville et le Nous, des fausses questions qui ont comme objectif principal d'interpeller le lecteur. Ces questions dites rhétoriques sont nombreuses et elles traduisent également l'indignation du locuteur, et par extension, celle de l'auteur, offusqué par de telles pratiques. Enfin les anaphores servent de caisse de résonance aux paroles du vieillard et augmentent sa force de persuasion.

Au- delà de sa dimension anecdotique, un Indigène outré et en colère contre les agissements des Européens conquérants et malfaisants, ce discours éloquent dresse un réquisitoire des maux infligés par la colonisation, aux peuples qu'ils prétendaient dominer au nom d'une supériorité que rien ne justifiait. Diderot rejoint dans ce combat quelques contemporains comme Montesquieu, Voltaire et Jean-Jacques Rousseau notamment, ce philosophe qui, dans Son Discours sur les fondements et les origines des inégalités entre les hommes, pose les jalons du mythe du Bon sauvage.Ce concept inventé par les philosophe des Lumières  consiste à penser que les hommes naissent naturellement bons et qu'ils peuvent vivre heureux s'ils suivent les lois de la Nature ; A partir du moment où ils fondent des sociétés et cherchent à vivre ensemble, ils deviennent jaloux les uns des autres et les plus forts cherchent à soumettre les plus faibles ; S'installe alors la corruption et les vices s'emparent des hommes. Mais ce mythe du Bon Sauvage est une utopie car il repose sur une vision idéalisée, presque idyllique de l'état de Nature alors qu'on peut objecter à cette théorie qu'il y régnait de nombreuses inégalités comme la loi du plus fort justement ou  encore les inégalités physiques entre les individus que la société s'efforce,justement de contrebalancer et  de limiter en créant des droits pour tous sous formes de lois à respecter . Ce discours du vieillard Tahitien est donc un condensé de la pensée de Diderot qui démontre ici les méfaits de la colonisation.