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Une famille d'irlandais : fiche personnage autour de Killybegs ; Seanna le grand frère.
dans la catégorie Première
En écrivant Retour à Killybegs après la mort de son ami Dennis Donaldson, assassiné par une faction isolée de l'IRA , Sorj Chalandon, a souhaité évoqué l'histoire et l'évolution du conflit qui oppose les habitants catholiques d'Irlande du Nord (la famille Meehan ) à leurs voisins pro- anglais et souvent protestants qu'on surnomme les loyalistes . Un seul personnage ne pouvait suffire à exprimer les différentes étapes du conflit alors l'auteur a choisi de construire une famille pour pouvoir comparer les positions du père, du frère du héros ainsi que du fils de ce dernier . Patraig, Seanna, Tyrone, Jake, quatre prénoms typiquement irlandais vont représenter quatre manières de vivre son patriotisme en Irlande du Nord.
L'extrait étudié se situe au moment où Tyrone est emprisonné pour la seconde fois : il effectué un premier séjour en prison à l'âge de 18 ans durant lequel il a prêté serment de servir l'IRA et l'écrivain évoque la dureté des conditions de détention de ces hommes , le plus souvent enfermés sans procès et sans jugement . Comment le personnage de Seanna est-il construit ? Que représente-t-il ? Nous verrons tout d'abord quelles analyses le personnage donne de la situation politique et historique de son pays avant de voir quels sont ses arguments pour justifier sa décision de s'exiler et en quoi son discours peut avoir un impact sur la relation des deux frères à travers cet échange. En effet, chaque membre de la famille Meehan est porteur d'une vision du monde et de l'Histoire de l'Irlande .
Quel point de vue est incarné par Seanna ? Le personnage est présenté comme courageux "il n'avait pas peur ' ( l 1 ) mais "fatigué " "L'irlande m'a épuisé " ajout-t-il , à plusieurs reprises "je ne veux plus m'éreinter ..je renonce " . Cette usure et cet abandon du personnage sont manifestés par différents symboles : " il déposait les armes " ; sur le plan militaire, cela signifie qu'il cesse le combat au sens propre . Soutenir la cause républicaine lui apparaît alors comme un bien grand poids : le mot fardeau à la ligne 5 traduit cet épuisement du personnage qu'on retrouve également ligne 52 ; Elle m'a trop demandé." ; Le personnage , ainsi cesse de lutter et abandonne la défense de la cause irlandaise pour pouvoir respirer et vivre normalement , garder la "tête haute " quand il va à l'Eglise . On peut comprendre ici que Seanna ne veut plus vivre avec du sang sur les mains .Néanmoins il garde une forme de révolte contre l'ennemi ; Il s'agit donc de faire le portrait d'un homme à bout mais qui conserve une haine farouche des anglais " il crachait au visage de nos gardiens " et ne "leur offrait pas un cri lorsqu'il était battu ." L'auteur montre ainsi que ce n'est pas un manque de courage et de détermination mais un choix guidé par des circonstances historiques : celui d'abandonner une cause qu'il estime perdue : " Ce n'est pas une bataille que nous venons de perdre. C'est la guerre! La guerre de notre père; C'est fini petit soldat. Fini tu entends " ( l 44 ) Le renoncement est , selonn le personnage, rendu nécessaire en fonction du contexte historique.
Le rappel de l'histoire des générations précédentes vient inscrire ici, la fiction dans un contexte historique connu : la mort du grand père en 1896 est l'occasion de rappeler l'ancienneté des combats dans cette région du pays et la mort du père est mentionnée au moyen d'un paradoxe : "mort d'avoir survécu à la défaite "; L'écrivain suggère ici que la honte de ne pas avoir obtenu l'indépendance totale de l'Irlande suite à l'insurrection de 1916 serait responsable, en grande partie, du destin brisé du personnage du père . Il est bien sorti vivant de cette bataille mais il s'est mis à boire et finira par se donner la mort .
La situation de l'irlande du Nord est également rappelée à travers les événements de la seconde guerre mondiale: son gouvernement a décidé de soutenir Hitler car l'Angleterre le combattait ; Ce choix a été violemment critiqué et on retrouve, par la voix de Seanna, une des principales critiques de cette politique qui est qualifiée , à la ligne 42 de "danse avec le diable "
Seanna fait également référence à l'avenir de leur patrie et souhaite éviter de nouveaux morts; Le registre pathétique ici est employé pour sensibiliser le lecteur aux arguments du personnage et les rendre plus persuasifs: "qui demain? pourquoi ne pas offrir bébé Sara à leurs coups " ( l 15 ) ; Assurer un meilleur avenir aux descendants de la famille: c'est le but de Seanna et c'est un argument qui justifie son désir de quitter son pays afin d'épargner aux générations futures de subir le même sort que leurs ancêtres. En agissant ainsi ils pourraient être sauvés ( l 19 ) et ne pas finir "au bout de leurs fusils ) l 12 ou dans une prison anglaise où ils iraient rejoindre tous leurs compatriotes décrits comme du bétail qui "gave " les prisons . ( l 11 )
Le discours de Seanna repose sur un autre argument important : il pense que leur guerre est perdue et qu'ils doivent changer leur vision du monde "Tu regardes le monde depuis le bas de ta rue " reproche-t-il à son frère; l'écrivain, par la voix de Seanna, dénonce ainsi une vision étroite et partisane de la cause irlandaise ; Le personnage constate que le reste du monde ne soutient pas leur cause : " Nous sommes des milliers d'encerclés entourés par des milliards de sourds " ( l 45 ) cette citation montre , à la fois l'infériorité numérique des insurgés : milliers s'oppose à milliards et un double emprisonnement géographique figuré par l'association, dans la phrase, seulement séparés par une virgule, d'encerclés et d'entourés.
Seanna associe son départ à l'impossibilité de changer la situation actuelle au sein de son pays qui, majoritairement , a choisi, de soutenir le rattachement à l'Angleterre . En effet, la population catholique encore installée en Irlande du Nord est très minoritaire et subit continuellement des attaques de la part des groupuscules loyalistes. . Il décrit alors les souffrances de ces populations de son pays avec des termes imagés qui traduisent leur faiblesse : " ghettos lépreux à Derry ( l 31 ) , "lambeaux de villages " "deux cents rues à Belfast" ce qui ne représente qu'une faible partie de la ville . Selon Seanna, les Irlandais installés en Ulster ne peuvent pas compter sur le soutien de la république irlandaise : "Dublin nous tourne le dos " affirme-t-il ligne 35 .
C'est pour toutes ces raisons que le personnage du grand frère renonce à poursuivre le combat et souhaite s'exiler avec une partie de la famille: ce qui déclenche la colère de Tyrone qu'il s'efforce pourtant de convaincre que c'est la meilleure solution.
Les raisons historiques et les raisons personnelles se mêlent : Seanna désire vivre autrement et mieux ; "je veux des rires, des visages neufs, des rues sans soldat" explique-t-il ligne 50 . Et pour cela , il est prêt à changer d'identité "je ne veux plus de ce que nous sommes " s'écrie-t-il ligne 51. Son renoncement va même plus loin jusqu'à prendre la forme d'un reniement à des symboles : " J'en ai marre de notre drapeau, de nos héros et de nos martyrs " ( l 54 )
Ce dernier, dans un premier l'insulte : "j'ai eu des mots de trop. des mots de mort " ( l 20 ) et ne semble pas sensible à son argumentation. Cependant , au fil du texte, Tyrone change d'attitude et se met à pleurer de "détresse et de rage " comme si les mots de son frère l'atteignaient directement . Comme dans la suite du roman, Tyrone finira par trahir la cause de l'IRA, on peut se demander s'il ne l'a pas fait en partie parce qu'il s'est rangé à l'avis de son frère : il a renoncé lui aussi au combat mais au lieu de s'exiler , il s'efforce de mettre un terme aux attentats meurtriers en donnant des renseignements aux services secrets anglais.
Seanna lui, va devenir, à sa sortie de prison un héros aux yeux de la famille comme le montre la bénédiction de sa mère : il décide de partir vivre aux Etats- Unis et emmène avec lui , ses deux petits frères : Brian et Niall; Quant à Tyrone, il se rangera aux arguments de son frère mais son renoncement prendra une autre forme : celle de la trahison.
L'auteur construit donc les deux frères avec des trajectoires à la fois parallèles et divergentes : ils ont connu les mêmes malheurs dans l'enfance, ont vécu la violence et connu la prison . l'un trahit sa patrie en la quittant et ne renonçant à se battre pour elle car il juge sa cause perdue; l'autre trahit son pays en donnant des renseignements aux anglais mais demeure fidèle à son sol ; Il ne peut es résoudre à quitter sa terre et retourne même mourir dans la maison de son père , sur le sol foulé par ses ancêtres.