avr.23
Le dernier discours de Robespierre
dans la catégorie Première
Au moment où il prononce ce discours, Maximilien de Robespierre n'est plus simplement un jeune avocat qui vient d'arriver à Paris ; reconnu comme l'un des chefs des Jacobins, il est déjà craint pour son extrémisme qui en fait un ennemi redoutable des révolutionnaires modérés ou hésitants et il siège depuis peu au Comité de Salut Public ; Redouté par beaucoup, on le considère comme l'un des grands dirigeants sous le régime de la Terreur, période tourmentée et sanglante qui suit immédiatement la révolution de 1789 et qui laisse voir une grande instabilité dans les institutions politiques . Prononcé en juillet 1794,quelques jours seulement avant son exécution, ce texte est avant tout un plaidoyer pour l'oeuvre accomplie par la Révolution et un réquisitoire contre tous les adversaires de la Révolution; Robespierre souhaite qu'on le juge sur ce qu'il a tenté de faire et il justifie ses prises de décision par l'urgence de la situation politique . Voyons comment son intervention est construite .. il y justifie , le plus souvent son action politique au nom de valeurs telles que la vérité et la Liberté et y montre ses adversaires sous un jour négatif comme des tyrans et des oppresseurs du Peuple; Il y prétend mener un combat qui le dépasse et nie toute forme d'ambition personnelle ; Il s'y montre comme le bras armé qui défend les intérêts du Peuple. Tyran malgré lui pour combattre la tyrannie: c'est là le paradoxe qui caractérise ces "ultima verba" .
Il s'agit avant tout de mettre le public de son côté et Robespierre va d'abord employer des techniques propres à tous les orateurs en jouant avec son public et en l'apostrophant à de nombreuses reprises ;
I Un discours éloquent : créer un lien avec le public
1) les adresses au public : l'ami du Peuple
A la ligne 12, l'orateur s'adresse à la foule tout entière avec le mot Peuple qu'il répète ensuite à la ligne suivante : Il lui demande de se souvenir de ce qu'il a fait et emploie l'impératitf ici à valeur exhortation; L'impératif a également pour fonction de rythmer le discours et de créer des répétitions: souviens toi, l 12 et l 14 ; le tutoiement est répété également aux lignes 13 et 14 ; Le Je qui est la personne dominante dans l'élocution cède de temps en temps la place au nous qui inclut ainsi le public : 24; 25 26 nous perdrions la patrie, la tyrannie règne parmi nous ; Dans son allocution, Robespierre ne cesse de s'adresser au peuple dont il se prétend l'ami et le défenseur : ta confiance et ton estime seront des titres de proscription pour tous tes amis ( l 20) . Le Tu marque ici à la fois une proximité et une complicité; Robespierre tent edu créer un lien fort avec l'auditoire de s'en faire un allié.
2) le jeu des répétitions
Le but des répétitions est de créer des rappels entre les différentes parties du discours , des échos sonores qui servent de points de repères auditifs pour l'auditoire . On retrouve également des répétitions avec sache16 et 17 ainsi qu'avec le verbe dire ; disons 26, 30 ; la répétition peut également affecter la structure des phrases : elle est alors moins visible mais on l'entend tout autant : toi que l'on flatte, que l'on craint et que l'on méprise : rythme ternaire ; Répétition de la subordonnée lignes 30 à 35 Qu'il existe une conspiration , qu'elle doit sa force à une coalition, que cette coalition; que les ennemis de la république ; que les membres ; que la coalition (35 ) ; Cette cascade de subordonnées instaure un lien cause conséquence très fort entre les arguments développés par l'orateur .
3) usage des questions oratoires
L'emploi des futurs associés aux formes interrogatives des questions rhétoriques contribue également à ponctuer et à structurer cette prise de paroles de Robespierre : souscrivons nous , 24, révélerons -nous 26, dénoncerons -nous 27 .. il englobe le public dans sa prise de parole et l'implique ainsi fortement.
Tous ces procédés fréquents dans les discours contribuent à créer entre la foule et l'orateur un lien qui lui permet ensuite d'impliquer son auditoire dans la défense de la cause qu'il soutient.
Ici il s'agit plus particulièrement d'attaquer ses adversaires et Robespierre emploie une stratégie volontairement offensive
II Les attaques : une stratégie très offensive
1. l'usage du lexique dépréciatif
Pour déprécier ses adversaires et réduire leur valeur, on va les critiquer ostensiblement en utilisant , par exemple, des mots dépréciatifs tels que : Hommes pervers 2 , oppresseurs du peuple 9, tyrans, 10, 22, 19, 40 dictateur 24, scélérats, fripons l 44 ; On constate que ces insultes touchent essentiellement deux domaines ; tout d'abord celui de l'oppression politique avec les mots tyrans et dictateurs qui sont les principales accusations lancées par Robespierre . Ce sont celles qu'il emploie le plus souvent pour montrer les abus de pouvoir des aristocrates notamment ou de ces opposants .Un autre domaine revient souvent: c'est celui celui de la mauvaise conduit morale : en effet, Robespierre fait souvent allusion à ces ennemis comme à de mauvais hommes, des criminels: Il les condamne ainsi pour leur absence de moralité. Ainsi le mot crime apparait à plusieurs reprises : ligne 7 carrière du crime, route du crime l 25 et dans sa conclusion: je suis fait pour combatte le crime l 40 qui donne ainsi de lui l'image valorisante d'un justicier, d'un homme de bien qui combat le Mal . En effet, il s'agit pour Robespierre de se justifier sur le plan politique et donc de montrer qu' en s'opposant à des criminels, il agit en homme de Bien au service du bonheur du peuple et de la Liberté.
2. Le combat du Bien et du Mal : un combat éthique
Le discours de Robespierre oppose ainsi volontairement et parfois au moyen d'antithèses le Bien au mal; Ces oppositions apparaissent sous plusieurs formes et sont présentes dès le début du discours avec l 1 la première opposition entre les vices et les vertus . Face à ses détracteurs, Robespierre se présente comme un homme pur et intègre qui doit combattre dans le voisinage impur d'hommes pervers; Cela revient à opposer sa droiture morale et sa pureté à la perversité des gouvernants qu'il combat ( l 2) ; Il indique d'ailleurs cherché lui aussi la ligne de démarcation entre le Bien et le Mal .( 6 )
3. Seul contre tous : la théorie du complot
Au fur et à mesure de son réquisitoire , Robespierre se pose en victime et en homme seul face au reste du monde : à la ligne 10 il évoque la ligue des tyrans, image qui montre la force de la coalition formée par l'ensemble de ses adversaires et montre qu'elle a beau jeu d'accabler un seul homme. On a ainsi l'impression d'assister à un combat fortement déséquilibré. Il se présente également comme le seul ami du peuple , un homme qui s'élève pour "défendre ta cause et ta morale publique." Il utilise également le mot horde ligne 43 pour montrer la force de ses adversaires ici implicitement comparés à des bêtes sauvages. A la ligne 31, il évoque également la coalitition criminelle et il détaille l'ensemble de ses ramifications ; il existe des traîtres selon lui partout ; Au sein de la Convention ( 31 ) dans le Comité de Sureté Générale ( 32 ) , dans les principaux bureaux et même au sein du Comité de Salut Public ( 33 ) Il évoque ainsi un vaste complot qui menace et cherche , selon ses mots à "perdre les patriotes et la patrie " l 34 . On peut entendr des accents de paranoïa dans cette manière de montrer des adversaires omniprésents qui l'encerclent et , en quelque sorte, le mettent à mort . Robespierre apparait ainsi comme une victime expiatoire qui paye de sa personne pour sauver la Révolution.
En effet ,à la fin de son discours, l'orateur évoque sa mort prochaine sans trembler et se proclame , une fois de plus du côté de la Raison "que peut -on objecter à un homme qui a raison et qui sait mourir pour son pays ? ( 41)
4. Devenir un tyran pour sauver la Patrie ?
Seul face à ces forces menaçantes, Robespierre propose ce qu'il nomme un remède contre le Mal , conservant ainsi l'allure , aux yeux du public , d'un sauveur de la Patrie. Il emploie le verbe épurer à plusieurs reprises: on reste bien ici dans un contexte moral car épurer signifie d'abord, ôter les parties impures, rendre pur . Il termine avec une tonalité particulièrement menaçante en évoquant l'idée d'écraser ses ennemis ( 38 ) avec le poids de l'autorité nationale. On voit bien qu'il se sert de l' Etat et du pouvoir conféré par ses fonctions pour entreprendre de terrasser ses ennemis ; C'est la définition même de la tyrannie : un pouvoir autoritaire et sans contrôle qui est donné temporairement à un homme pour sauver l'Etat de la ruine. C'est ainsi que la plupart des tyrans ont justifié leur coup d' Etat ou leur prise de pouvoir .On aboutit donc , de manière paradoxale à l'idée d'un tyran qui cherche à lutter contre la tyrannie des ennemis de la Patrie. La violence de l'affrontement est suggérée au moyen de certains mots comme "empire des tyrans armé contre nous " (22) "chaînes " qui entravent le Peuple " et qui évoquent l'esclavage (15 ) "élever sur leurs ruines la puissance de la justice de la liberté " image de la destruction d'un monde corrompu (38 ) . Robespierre conserve ainsi son image de combattant pour la liberté : il fait figure de Résistant contre l'Oppression et le Mal, qu'incarnent à ses yeux , ses ennemis .
Mais Robespierre ne se contente pas d'attaquer ses ennemis, il va également tenter d'imposer son raisonnement en utilisant des procédés rhétoriques qui ont fait leurs preuves .
III Un raisonnement logique puissant
La force d'une argumentation repose la plupart du temps sur le choix et la valeur des illustrations et des citations; Robespierre convoque l'Histoire romaine et la figure d'un des plus grands orateurs de l'Antiquité: Cicéron, homme politique romain, issu de l'ordre équestre , qui combattit les privilèges des sénateurs et prit une part active contre la corruption des hommes politiques de son époque tourmentée elle aussi (premier siècle avant JC ) . Cicéron s'illustra notamment dans la lutte contre la concussion (crimes commis par des politiques dans le cadre de leurs fonctions ). Robespierre va donc tenter d'incarner un Cicéron de la révolution au service du Peuple et de la Patrie.
.1. Robespierre, un nouveau Cicéron ?
D'ailleurs il traite ses accusateurs de Verres et de Catalina , deux hommes politiques corrompus qui cherchaient uniquement à s'enrichir et qui, dans la rome antique, ont fait l'objet de deux célèbres mises en accusation menées par un avocat -magistrat qui s'appelait Cicéron. Robespierre fonde donc son raisonnement ici sur des arguments d'autorité en citant ces noms célèbres à titre d'exemples. Catalina fut jugé en 63 av JC pour avoir conspiré contre la République romaine ; Quant à Verrés, en tant que gouverneur de la Sicile, il fut accusé par la plupart des cités sous son mandat, de pillages, destruction d'oeuvres d'art et vols en tous genres; En face de lui, un jeune consul l'accusa et lui demanda de répondre de ses actes ad populum (face au peuple ) ; Marcus Tullio Cicero plus connu sous le nom de Cicéron obtint un grand succès avec son réquisitoire contre Verres qui est aujourd'hui encore cité comme un modèle d'éloquence. Robespierre se met ainsi à la place du jeune consul romain et devient un nouveau Cicéron. Cette référence historique lui donne un peu de la gloire de son illustre modèle .
2. La force de la logique : des oppositions révélatrices
Pour donner davantage de poids à ses arguments et à ses attaques, l'orateur construit des séquences fondées sur une organisation logique : il orchestre les oppositions en utilisant principalement les Mais et les au lieu de .. ; il rappelle tout d'abord les vilenies commises par les révolutionnaires corrompus qui se partagent la France comme un butin au lieu de la rendre libre et prospère (5 ) ; Robespierre insiste également sur l'opposition entre le passé et les promesses effectuées (naguère ) et la dureté du présent : dés ce moment je leur lègue l'opprobre et la mort ; le châtiment qui frappe les oppresseurs apparaît ainsi nécessaire et justifié car lié à une promesse que Robespierre va s'efforcer d'honorer . Il rappelle qu'il s'agit de son devoir de mourir "en défendant la cause du genre humain " (11 ) .
Lorsqu'il s'adresse au Peuple, il précise qu'on le traite en esclave alors qu'il devrait être souverain reconnu (15 ) et montre que ce sont les passions des magistrats qui règnent au lieu de la justice (15 )
Il orchestre ses propos en fabriquant un jeu de questions -réponses dans le troisième paragraphe . Il répond ainsi à chacun des questions au moyen d'hypothèse alarmistes qui peignent un futur catastrophique : "Nous perdrions la Patrie " . Le futur et le conditionnel caractéristiques de ce qu'on nomme dans les discours le ton prophétique sont employés pour décrire un avenir sombre . Robespierre ici est un messager qui prédit des catastrophes s'il n'est pas suivi . Il évoque ainsi les conclusions de son raisonnement ligne 39 .; j'en conclurai donc .. et termine en précisant que le temps n'est point arrivé (42 ) pour assurer la victoire de ses idées.
En conclusion, il s'agit ici d'un discours particulièrement éloquent dans lequel l'orateur , au seuil de sa condamnation, jette ses dernières armes dans une bataille de mots et une bataille d'idées où il se sait d'ores et déjà perdant. Il apostrophe le Public et tente de créer une solidarité avec lui et invective ses adversaires en démontrant que ce sont des bandes de criminels qui se propagent dans tous les organes de l'Etat .Il parait seul contre tous et se pose dans le rôle d'une victime qui fait son devoir: celui de se sacrifier pour le Peuple. Il apparaît ainsi comme une sorte de Justicier qui est prêt à mourir pour une cause qui lui semble juste; l'Histoire jugera sévèrement cet homme qui a commis de nombreux crimes et il semble paradoxal qu'il soit devenu un tyran dans la Mémoire collective alors que toute sa vie il a semblé lutter contre les tyrans de son époque.