Plusieurs thèses s'opposent : Rousseau pense, par exemple, que l'homme est naturellement bon et que la société le corrompt en faisant naître la jalousie, l'envie des richesses et la cupidité. Voltaire s'oppose à cette idée en montrant qu'il est possible de vivre heureux , en communauté , à condition de renoncer à certains vices; dans Candide, il illustre cette hypothèse avec l' Eldorado (chapitre 19 de Candide ) , une contrée utopique où les habitants sont hospitaliers et se désintéressent totalement de l'or et de l'argent qu'on trouve pourtant en  abondance sur leurs terres.

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Voltaire s'est sans doute d'ailleurs inspiré de la Bétique de Fenelon  inventée 60 ans plus tôt : cet univers paradisiaque qui évoque le jardin d'Eden: climat tempéré, fruits à profusion, fertilité exceptionnelle des sols et habitants à l'image de leur terre. Précepteur du futur roi, Fenelon s'efforce de former l'esprit de son royal élève en inventant des fictions qui facilitent la réflexion et l'appropriation des valeurs philosophiques qui prônent la modération et la simplicité. Le bonheur paraît à portée de mains pour les gens qui vivent simplement, sans besoin superflu et en accord avec les ressources naturelles de la terre. Ils ne sont ainsi pas esclaves de leurs passions ni de leurs désirs . Cet idéal philosophique se retrouvera au siècle suivant avec les philosophes des Lumières ou leurs précurseurs qui prônent déjà  la tempérance et se méfient des passions .

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Montesquieu, par exemple, se livre à une critique des parisiens en montrant leurs moeurs corrompues par les yeux de deux étrangers, des persans exilés  à Paris, fort étonnés de ce qu'ils constatent. Le romancier invente alors le mythe des Troglodytes, un peuple ancien qui a su conserver un mode de vie simple et qui trouve son bonheur dans un esprit de partage et une piété sans faille . Il dénonce ainsi les dangers d'un Progrès qui négligerait la dimension humaine et d'une dérive vers une société où les valeurs individuelles l'emporteraient sur l'idéal  d'harmonie collective. Ce danger est illustré par Voltaire avec son personnage de sage oriental, qui doit servir de modèle et nourrir la réflexion des lecteurs; dans un monde où règne la guerre et où les luttes politiques sont meurtrières, le sage se doit de demeurer à l'écart pour y trouver la sérénité; et il lui importe alors de cultiver son jardin . Le bonheur ici passe par un idéal de société où chacun se contente du ce qu'il peut produire et fait fructifier ses talents; les compétences des individus sont mises au service de la collectivité dans une forme d'autarcie , rempart contre le désordre du monde. 

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Ces trop textes obéissent donc au même principe  : plaire et instruire ;

Mots clés : apologue, conte philosophique, utopie, critique implicite, argumentation indirecte, fiction, réflexion. 

Ci -dessous un modèle de corrigé officiel  pour les 4 sujets : la synthèse et les 3 sujets d'écriture . En pièce jointe, d'autres sources de corrigé sur le net.

 Un monde isolé  et clos
- un pays qui semble béni des dieux : « Le fleuve Bétis coule dans un pays fertile et sous un ciel doux, qui est toujours serein ».
- un univers hors des atteintes du monde extérieur et de ses lacunes : « Le pays a pris le nom du fleuve, qui se jette dans le grand Océan, assez près des Colonnes d’Hercule et de cet endroit où la mer furieuse, rompant ses digues, sépara autrefois la terre de Tharsis d’avec la grand Afrique ». Un havre de paix face aux incertitudes de la nature.
- la terre elle-même est porteuse de modération : « Les hivers y sont tièdes, et les rigoureux aquilons n’y soufflent jamais. L’ardeur de l’été y est toujours tempérée par des zéphyrs rafraîchissants, qui viennent adoucir l’air vers le milieu du jour » (peut-être évocation du climat de l’Andalousie ?).
- la terre est source de vie ; personnification du paysage (« dans les vallons et dans les campagnes unies ») et métaphore filée de la fertilité : « Ainsi toute l’année n’est qu’un heureux hymen du printemps et de l’automne, qui semblent se donner la main. La terre, dans les vallons et dans les campagnes unies, y porte chaque année une double moisson ». - univers hors du temps, mythique et placé sous le signe d’un plaisir sain : « Ce pays semble avoir conservé les délices de l’âge d’or ». Le présent semble abolir le temps dans l’éternité ; récurrence des adverbes « toujours » et « jamais ».

2. Le paradis sur terre

- La nature elle-même est un pays de Cocagne préservé de toute atteinte et qui pourvoit en abondance à la subsistance de ses habitants : procédé de l’accumulation et usage du pluriel suggèrent la profusion : « Les montages sont couvertes de troupeaux. » Surenchère : « une double moisson ». Vitalisation de la nature.

- la négation restrictive exclut tout accident : « Ainsi toute l’année n’est qu’un heureux hymen du printemps et de l’automne, qui semblent se donner la main ».
- topos du locus amoenus ; mention d’éléments types : le fleuve et l’eau ; la brise (« zéphyrs rafraîchissants ») ; les fruits (« grenadiers ») les fleurs (« arbres toujours verts et fleuris », « lauriers, jasmins » qui confirment par leur présence la douceur du climat).

- la description fait voir un lieu où tout n’est qu’agrément pour le regard : appel aux sens donc et fusion heureuse des quatre éléments. Aspect merveilleux d’un Eldorado où l’on trouve en abondance des mines d’or et d’argent. Dimension esthétique du tableau : la poésie est aussi une peinture (« ut pictura poesis »), une ekphrasis : « peindre, c’est non seulement décrire les choses, mais en représenter les circonstances d’une manière si vive et si sensible que l’auditeur s’imagine presque les voir. » Fénelon, Dialogue sur l’éloquence.


 

II Un modèle de société

1. Le lieu, métaphore de l’être

-cadre pastoral : l’innocence et la bonté naturelle des personnages se fondent dans le décor. - l’évocation des lieux sert en fait de métaphore à la perfection des habitants à travers leurs propriétés et réalisations.
- procédés de la louange, marques d’évaluation, en particulier adjectifs et adverbes : « un pays fertile, un ciel doux, toujours serein ».

- rapport privilégié avec la nature, harmonie des hommes et des lieux; inutilité de l’urbanisme ; êtres d’avant la Chute, marqués par l’innocence originelle.
- une société de pasteurs et d’agriculteurs presque primitive.

2. Un idéal de société et de vie

- idéal de modération, de frugalité, de raison.
- vie rustique et rudimentaire ; des bergers : une Arcadie retrouvée ? Physiocratie caractéristique de l’époque des Lumières.
- mépris du matérialisme, malgré les tentations offertes par la configuration des lieux : « il y a plusieurs mines d’or et d’argent dans ce beau pays ; mais les habitants, simples et heureux dans leur simplicité, ne daignent pas seulement compter l’or et l’argent parmi leurs richesses : ils n’estiment que ce qui sert véritablement aux besoins de l’homme.
- symboliquement, l’or est employé à la construction d’outils agricoles : l’agriculture est ainsi placée au dessus de toute richesse. On privilégie ce qui est utile, l’argent n’est pas une fin en soi.
- défense de la vertu et de la morale comme fondement d’une société qui se veut à la fois rationnelle et idéaliste.
- dénonciation de l’illusion et de la vanité humaine, danger de l’hybris, recherche d’une « vie simple et frugale ». Une vision qui est l’œuvre d’un moraliste.

III Valeur pédagogique de l’utopie

1. Un miroir inversé du monde réel
- L’existence d’un locus amoenus laisse sous-entrendre l’existence en filigrane d’un locus terribilis qui ne tarde pas à être évoqué plus explicitement au moyen d’une accumulation extrêmement négative : « Au contraire, ils doivent être jaloux les uns des autres, rongés par une lâche et noire envie, toujours agités par l’ambition, par la crainte, par l’avarice, incapables des plaisirs purs et simples, puisqu’ils sont esclaves de tant de fausses nécessités dont ils font dépendre tout leur bonheur. » Mise en évidence d’un paradoxe : l’homme moderne, croyant se libérer ne fait que construire les chaînes de son aliénation.
- critique déjà rousseauiste du luxe qui déstabilise les sociétés : « Ce superflu amollit, enivre, tourmente ceux qui le possèdent : il tente ceux qui en sont privés de vouloir l’acquérir par l’injustice et par la violence. Peut-on nommer bien un superflu qui ne sert qu’à rendre les hommes mauvais ? » Tableau satirique et antithétique d’une société absurde, mondaine, faussée, celle que Fénelon et ses contemporains ont sous leurs yeux à la Cour et qui déstabilise l’ensemble de la société.
- une leçon : le discours direct traduit l’évidence de cette conception du monde ; série de questions rhétoriques pour suggérer l’absurdité d’une autre façon de vivre par l’usage systématique de la comparaison « Les hommes de ces pays sont-ils plus sains et plus robustes que nous ? Vivent-ils plus longtemps ? Sont-ils plus unis entre eux ? Mènent-ils une vie plus libre, plus tranquille, plus gaie ? » Progression du propos : d’abord préoccupation physique ensuite morale.


 

2. Un univers chimérique
- danger d’uniformité d’un univers hautement utopique : « Ils sont presque tous bergers ou laboureurs ». Tous proposent la même vision du monde, ce qui est la condition pour que cette société puisse continuer à fonctionner harmonieusement.
- refus de l’industrie dont la créativité est pourtant suggérée par l’accumulation et les pluriels et les termes laudatifs : « des peuples qui on l’art de faire des bâtiments superbes, des meubles d’or et d’argent, des étoffes ornées de broderies et des pierres précieuses, des parfums exquis, des mets délicieux, des instruments dont l’harmonie charme ». Danger régressif.
- en fait, ce qui est gênant, ce n’est pas la création industrieuse en elle-même, c’est l’usage immodéré qu’en font les hommes et son absence de finalité humaine.
- risque de l’autarcie : « ils ne faisaient aucun commerce au-dehors ».
- la véritable richesse tient à la qualité du cœur des habitants proches de la figure mythique du « bon sauvage ». C’est une élite morale capable de se discipliner et de s’autogérer. Caractère improbable et hautement chimérique du lieu. Le plaisir du rêve est étroitement lié à celui de la pensée politique.


 


 

Commentaire de texte rédigé avec indication du plan

 

Introduction

L'utopie, genre créé au xvie siècle par Thomas More, présente un lieu imaginaire afin de donner l'image d'une société idéale et, par contrecoup, une critique du monde réel. Ce genre connaîtra encore un grand succès au xviiie siècle, repris par exemple par Montesquieu ou Voltaire. Fénelon, déjà, à la fin du xviie siècle, en propose une dans son roman Les Aventures de Télémaque. Au cours du septième livre, Télémaque et son précepteur Mentor rencontrent un capitaine de navire dont le frère Adoam leur décrit un pays merveilleux : la Bétique. Dans cette contrée reculée et imaginaire, les habitants mènent une vie frugale et heureuse, éloignée de toute corruption et de tout vice, générés selon eux par le superflu. Comment cette description d'une société utopique se révèle-t-elle porteuse d'une dimension argumentative ? Nous étudierons tout d'abord le portrait idéalisé de la Bétique brossé par le narrateur, puis celui des habitants de ce pays. Enfin, nous montrerons comment ce texte offre une critique de notre société.

I. La Bétique : un pays utopique

1. Un monde isolé

La Bétique est présentée d'emblée comme un pays isolé du reste du monde, un lieu clos et éloigné. En effet, il est bordé d'une part par les « Colonnes d'Hercule » et d'autre part par « la mer furieuse […] [qui] sépara autrefois la terre de Tharsis d'avec la grande Afrique ». Le pays est donc situé spatialement à la charnière entre l'Europe et l'Afrique, mais ces précisions évoquent surtout son caractère plutôt inaccessible. D'un point de vue temporel, la Bétique semble également bien éloignée du monde du lecteur, même contemporain de Fénelon. Cette contrée est ancrée dans un univers antique et même mythologique. Les expressions utilisées pour le situer géographiquement appartiennent à l'Antiquité et, surtout, ce récit est adressé à Télémaque, le fils du héros de la mythologie grecque, Ulysse. De même, le pays est présenté au début comme ayant « conservé les délices de l'âge d'or ». D'ailleurs, toute la description est menée au présent et semble s'inscrire dans une temporalité immuable et impossible à dater : comme éternellement « le fleuve Bétis coule dans un pays fertile ». La Bétique affirme ainsi sa différence par son caractère éloigné à la fois spatialement et temporellement. Ce premier trait propre à l'utopie est accentué par l'abondance qui caractérise par la contrée.

2. Un pays d'abondance

La Bétique est une terre riche et propice aussi bien à l'agriculture qu'à l'élevage. On peut d'ailleurs remarquer la présence des quatre éléments, dont l'union harmonieuse est source de fertilité pour tout le pays. Ainsi, la région est irriguée par « le fleuve Bétis », le feu et l'air se modèrent mutuellement : « L'ardeur de l'été y est toujours tempérée par des zéphyrs », et : « La terre, dans les vallons et les campagnes unies » est travaillée. Ainsi, la végétation de la Bétis est luxuriante, comme en témoigne l'accumulation de végétaux dans la phrase suivante : « Les chemins y sont bordés de lauriers, de grenadiers, de jasmins et d'autres arbres toujours verts et toujours fleuris », la répétition de « toujours » accentuant encore l'impression que cette fertilité est immuable. La régularité de cette abondance est notable, puisque la terre produit « chaque année une double moisson ». De même, l'hyperbole « les montagnes sont couvertes de troupeaux » souligne la prospérité du bétail. D'autre part, même si les habitants s'en désintéressent, le sous-sol lui-même se caractérise par sa grande richesse, puisqu'il « y a plusieurs mines d'or et d'argent », l'association de ces deux métaux précieux étant d'ailleurs répétée trois fois dans le texte. Cependant, ce ne sont pas ces richesses qui comptent dans ce pays, mais la fertilité de la nature, qui, par sa constance, apparaît comme idéale.

3. Un pays serein et constant

Le climat de la Bétique se présente comme tout à fait remarquable et se distingue par sa grande douceur. En effet, les saisons perdent leurs caractéristiques extrêmes et se modèrent de façon harmonieuse : l'hiver, « les rigoureux aquilons n'y soufflent jamais » et la chaleur de l'été est « toujours tempérée par des zéphyrs rafraîchissants ». L'antithèse entre « jamais » et « toujours » accentue encore la constance immuable de ce climat. Un champ lexical de la douceur est par ailleurs développé dans le texte, avec des termes comme « doux », « tièdes », « tempérée » ou « adoucir ». Le climat se fait donc doux et régulier pour favoriser les cultures et la vie des habitants de la Bétique. Cette impression de douceur est renforcée par la personnification des saisons révélée par la métaphore suivante : « […] toute l'année n'est qu'un heureux hymen du printemps et de l'automne, qui semblent se donner la main. » Ce mariage des saisons évoque de façon très suggestive la fécondité de cette terre véritable alma mater et souligne aussi la concorde et l'harmonie qui règnent naturellement dans ce pays à l'image de la population elle-même. Cette nature utopique, fertile et sereine, se fait à la fois écrin et miroir d'une société idéale.

II. Une société idéale

1. Le bonheur simple des habitants

La Bétique, pays d'exception qui prête au rêve, abrite une population elle-même remarquable. Ses habitants se caractérisent tout d'abord par leur grande simplicité et par leur mode de vie frugal. En effet, l'adjectif « simple » est répété et apparaît même sous forme de polyptote dans l'expression « les habitants, simples et heureux dans leur simplicité ». Surtout, le narrateur insiste sur le fait que cette société a cerné ses besoins et ne cherche à satisfaire que ceux-ci, renonçant à tout ce qui n'apparaît pas comme essentiel. Ainsi, une formule presque identique est reprise à quelques lignes d'intervalle : « ils n'estiment que ce qui sert véritablement aux besoins de l'homme » et « ils ne veulent souffrir que les arts qui servent aux véritables nécessités des hommes ». Dans les deux cas, la négation restrictive souligne bien l'extrême modération des habitants de la Bétique, qui distinguent absolument besoins véritables et désirs superflus. Cette frugalité est à l'origine du bonheur de cette population. En effet, le champ lexical du bonheur, associé d'ailleurs à la nature comme aux habitants, jalonne tout le texte avec des termes comme : « serein », « délices », « heureux » – qui est répété – « tranquille » ou « gaie ». Ainsi, le narrateur donne l'image d'une société heureuse, dont le bonheur est fondé sur un idéal de simplicité et de modération. Cette société rurale vit simplement en harmonie avec la nature.

2. Une société rurale uniforme

Se contentant de ce que leur offre la nature et ne recherchant que ce qui est leur est véritablement nécessaire, les habitants de la Bétique refusent tout matérialisme. Ils n'ont aucune considération particulière pour l'or et l'argent, qui sont, pour eux, des métaux ordinaires « employés aux mêmes usages que le fer ». Ils ne sont pas perçus comme des biens en soi mais comme de simples outils. L'exemple surprenant et éloquent donné par le narrateur, ces métaux sont utilisés « pour des socs de charrue », souligne de façon très symbolique que l'or et l'argent sont « rabaissés » et sont aux pieds de l'agriculteur dont le métier apparaît alors comme primordial. Les habitants de la Bétique se consacrent uniquement aux travaux agricoles, culture et élevage, c'est-à-dire aux « arts nécessaires pour leur vie simple et frugale ». Cette vie rustique adoptée par tous renvoie bien au mythe de l'âge d'or dont il est question au début du texte mais révèle aussi l'uniformité de cette société utopique. En effet, aucun individu ne se distingue dans cette population, puisqu'ils « sont presque tous bergers ou laboureurs » et sont toujours évoqués par le narrateur au moyen du pronom « ils », même en répondant à Adoam. Ainsi, les habitants de la Bétique mènent une vie simple et rustique, gage de bonheur et de sérénité, et offrent au lecteur l'image d'un monde idéal, d'un modèle de société bien éloigné de sa réalité, évoquée d'ailleurs de façon très critique.

III. La critique du monde réel

1. L'opposition entre les deux mondes

Le narrateur dresse un portrait très rapide et plutôt élogieux de sa propre société aux habitants de la Bétique. Ce tableau du « monde réel » est constitué d'une énumération de différentes réalisations humaines associées chaque fois à des termes mélioratifs. Le narrateur parle ainsi « des bâtiments superbes, […] des parfums exquis, des mets délicieux, des instruments dont l'harmonie charme ». Cette énumération des différentes richesses fournies par l'art ou l'artisanat peut d'ailleurs rappeler les réalisations fastueuses du Versailles de Louis XIV. Cependant, elle ne provoque que le rejet de la part des habitants de la Bétique. Leur critique est d'ailleurs rendue plus sensible encore par l'usage du discours direct pour rapporter leurs paroles. Ces habitants opposent ce monde à leur propre société, notamment par le biais d'une série de questions rhétoriques visant à comparer les deux populations. « Vivent-ils plus longtemps ? Sont-ils plus unis entre eux ? Mènent-ils une vie plus libre, plus tranquille, plus gaie ? » La suite de comparatifs utilisés dans ces différentes questions souligne bien la qualité de leur mode de vie, par opposition au mode de vie moderne européen. Le contraste est également perceptible avec la reprise du terme « nécessités », cette fois associé à « fausses » en ce qui concerne les mœurs de ces peuples. Les habitants de la Bétique leur reprochent surtout d'être corrompus par leur goût du superflu.

2. Le blâme du superflu

Le discours qui vient clore l'extrait se présente comme un blâme très net du matérialisme et des richesses. En effet, ce « superflu » apparaît ici comme la source du vice et du malheur, comme le souligne bien l'exclamation initiale : « Ces peuples sont bien malheureux d'avoir employé tant de travail et d'industrie à se corrompre eux-mêmes ! » ou encore l'inquiétante gradation des verbes dans l'expression suivante : « ce superflu amollit, enivre, tourmente ceux qui le possèdent ». De façon générale, tout le discours des habitants de la Bétique condamne le superflu en l'associant au vice et même aux péchés capitaux, puisqu'il « amollit », « enivre », provoque la « violence », « l'envie » et « l'avarice ». L'accumulation dans la dernière phrase d'adjectifs ou de participes passés connotés de façon très négative, « jaloux », « rongés », « agités » et « incapables », forme une gradation remarquable et insiste bien sur l'ampleur des ravages provoqués par ce superflu. Ainsi, ce peuple étranger porte un regard très sombre et critique sur notre société matérialiste et nous incite à mettre à distance ce désir d'obtenir et d'accumuler des richesses qui n'ont rien d'essentiel et ne sont que de « fausses nécessités ». Avec un certain bon sens, les habitants de la Bétique pointent un paradoxe éloquent : « Peut-on nommer bien un superflu qui ne sert qu'à rendre les hommes mauvais ? » La simplicité de ce peuple utopique nous pousse à porter un regard distancié et critique sur notre monde.

Conclusion

La Bétique offre le tableau d'un monde champêtre idéal, peuplé d'une société au mode de vie plutôt rudimentaire. La frugalité et la modération de celle-ci apparaissent ici comme sources de bonheur et s'opposent fortement au monde réel, et en particulier à la vie à la Cour au temps de Fénelon. L'auteur dépeint une sorte d'âge d'or, antérieur à la corruption et au vice générés par les richesses et le raffinement des mœurs. Cependant, cette utopie, d'où l'art est présenté comme absent, offre aussi l'image d'une société uniformisée et repliée sur elle-même : en tant que telle, elle peut présenter des aspects quelque peu inquiétants et affirme en tout cas son caractère irréel, dont la vertu est surtout de nous pousser à porter un regard distancié sur notre monde.

 

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/revision-du-bac/annales-bac/francais-premiere/corpus-fenelon-montesquieu-voltaire_1-frde44.html#2ZuyZxGPkcYFSSF7.99

 

Idées et plan à rédiger

  • Amorce : ancienneté des « utopies » : récits qui se déroulent dans un monde idéal qui n'existe pas ou plus : descriptions de l'âge d'or chez les Anciens – notamment Hésiode –, époque où l'homme vivait dans le bonheur et la paix ; Utopia de Thomas More…
Le texte : à la fin du XVIIe siècle, Fénelon, dans Les Aventures de Télémaque – imité de l'Odyssée et de l'Énéide –, s'inscrit dans cette lignée. Télémaque, fils d'Ulysse, rencontre Adoam qui lui décrit un pays extraordinaire : la Bétique. Cette description idyllique vise à dépayser le lecteur mais aussi – c'est un apologue – à l'édifier (but pédagogique, didactique)  il pose le problème de la différence entre la nature et la culture.

  • Problématique : d'où vient l'efficacité argumentative de cet apologue ?

  • Annonce des axes : 1. Le pittoresque de l'utopie bétique : un paradis merveilleux ; 2. derrière ce tableau, un dessein didactique et pédagogique : un éloge de la société et de la vie naturelles ; 3. la critique efficace des bienfaits de la civilisation.

I. Le pittoresque de l'utopie bétique : un pays merveilleux, un « âge d'or » à l'antique

1. La localisation géographique et temporelle : un pays entre réel et imaginaire

Le XVIIe siècle est nourri des textes de l'Antiquité (notamment des épopées ; voir titre de l'œuvre) : Fénelon présente ce pays apparemment merveilleux selon le mode des Anciens, d'où une double réécriture : à l'intérieur d'une réécriture d'épopée (Les Aventures de Télémaque), réécriture du mythe de l'âge d'or, traité par Hésiode, Ovide et Virgile.

  • Situation géographique apparemment précise (et réelle ?), mais renvoyée dans les temps anciens

    • Dans « le grand Océan assez près des Colonnes d'Hercule » (référence mythologique) : périphrase à l'antique qui désigne une région d'Espagne (Andalousie, sans doute) proche du détroit de Gibraltar ;

    • « la terre de Tharsis » = dénomination antique de la péninsule ibérique ;

    • « qui commerce avec les Grecs (« faire notre commerce chez ces peuples »).

  • Cependant l'ancrage dans la réalité est très mince et très flou.
À la manière de l'épopée antique, Fénelon donne l'étymologie du nom du pays : « la Bétique » (« le pays a pris le nom du fleuve »).
 Dépaysement dans le lieu et le temps : un âge d'or.

  • Un pays hors du temps : un temps indéfini et comme suspendu

    • Le présent semble avoir aboli le temps dans l'éternité (« coule, se jette… »).

    • Récurrence des adverbes « toujours » et « jamais ».

    • Pas de vrai cycle des saisons : absence des saisons, qui sont confondues (métaphore de « hymen » + notations des « arbres toujours verts, toujours fleuris »).

2. Une région « tempérée » et clémente : le juste milieu et l'harmonie

Le XVIIe siècle privilégiait le juste milieu et l'harmonie : la Bétique répond à cette attente.

  • Des conditions climatiques douces

    • Vocabulaire du juste milieu : « (hivers) tièdes », « (ardeur) tempérée ».

    • Métaphore filée poétique à l'antique (un petit air d'Homère…) : « toute l'année n'est qu'un heureux hymen du printemps et de l'automne qui ­semblent se donner la main » (les saisons sont personnifiées = divinités). Noter qu'il s'agit de demi-saisons.

    • Clémence suggérée par la mention des vents (toujours à l'antique) : « zéphyrs » (vents doux et agréables) ; la rigueur (« rigoureux ») de « l'aquilon » est niée (« n'y soufflent pas »).
(Cf. la fable du « Chêne et le Roseau » [La Fontaine, Fables, I, 22] : « Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr ».)

    • La négation restrictive exclut tout accident : « ainsi toute l'année n'est qu'un heureux hymen ».

  • La nature elle-même est porteuse de modération : un univers hors des atteintes du monde extérieur et de ses tourmentes, un havre de paix face aux incertitudes de la nature

  • Un relief varié et harmonieux
Harmonie qui s'étend tous les aspects du lieu, à la région entière : « les vallons et les campagnes unies » ; « montagnes ».
Tout cela concourt à renvoyer à l'Andalousie, mais le pays est peint comme un lieu fictif et merveilleux.

3. Une région idyllique : une nature généreuse : l'abondance

Impression de profusion donnée par :

  • La mention de tous les « règnes »

    • Minéral : sous-sol riche en métaux précieux : « mines d'or et d'argent ».

    • Végétal : une végétation luxuriante (« double moisson »), énumération des différentes sortes d'arbres (« lauriers, grenadiers, jasmins »), description à valeur esthétique (« verts et fleuris »), arbres fruitiers (« grenadiers ») + suggestion d'odeurs agréables  cadre méditerranéen.

    • Animal : « troupeaux »/« laines ».

  • La mention de tous les éléments naturels qui font partie de la représentation traditionnelle du paradis : eau (le « fleuve », « la mer ») ; air (les vents) ; terre (« montagnes »).

  • La nature semble produire d'elle-même

    • Sensible dans la syntaxe : les « montagnes » (sujet du verbe) nourrissent « les troupeaux » (sujet du verbe « fournissent ») qui semblent produire la laine d'eux-mêmes.

    • Métaphore filée qui suggère la fertilité à travers « hymen ».

  • La nature produit à profusion

    • Accumulation des expansions du nom (adjectifs, compléments du nom…).

    • Répétition de « toujours ».

    • Vocabulaire qui connote l'abondance : « bordés de », « couvertes de ».
 La nature subvient aux besoins en nourriture et en habillement (les besoins élémentaires).

II. Une société idéale idyllique

Les adjectifs « serein » (l. 2) et « heureux » (l. 10, rappelé l. 17) et l'image « se donner la main » (l. 11) suggéraient déjà l'idée de bonheur et de concorde : les relations entre les habitants sont annoncées par le climat fusion nature-homme suggérée.

1. Des habitants à l'image de la région et en harmonie avec le décor

L'évocation des lieux sert en fait de métaphore à la perfection des habitants :

  • procédés de la louange : marques d'évaluation, en particulier adjectifs qui peuvent s'appliquer aux hommes : « (un ciel) doux, toujours serein » ;

  • la personnification des saisons qui se « donnent la main » annonce dès le début la concorde entre les habitants qui vivent dans une totale communion (autre thème de l'âge d'or antique) ;

  • cadre pastoral : l'innocence et la bonté naturelle des personnages se fondent dans le décor.
 Rapport privilégié avec la nature, harmonie des hommes et des lieux.

2. Une société primitive

Activités en relation avec la nature :

  • société de pasteurs et d'agriculteurs : « Ils sont presque tous bergers ou laboureurs » (une Arcadie retrouvée ?) ; « la plupart des hommes […] étant adonnés à l'agriculture ou à conduire des troupeaux » ;

  • champ lexical de l'agriculture et de l'élevage : « terre », « moisson », « soc de la charrue », « troupeaux » (deux fois).
 Référence à la tradition pastorale biblique (êtres d'avant la chute, marqués par l'innocence originelle).

  • Société restée à l'âge du troc (pas de monnaie, rappel du reproche biblique adressé à l'argent).

  • Inutilité de l'urbanisme.

  • Symboliquement, l'or est employé à la construction d'outils agricoles : agri­culture placée au-dessus de toute richesse : l'argent n'est pas une fin en soi.

3. Des qualités exceptionnelles : un idéal de vie : un éloge

  • Mépris du matérialisme
Malgré les tentations offertes par la configuration des lieux : « ne daignent pas seulement compter l'or et l'argent parmi leurs richesses ».

  • Idéal de modération, de frugalité
Cette société privilégie ce qui est utile :

    • abondance de négations surtout restrictives : « n'estiment que », « ne faisaient aucun », « n'avaient besoin d'aucune », « ne (veulent souffrir) que », adverbe qui exprime la parcimonie : « peu (d'artisans) » ;

    • vocabulaire de l'utilité « servir » (deux fois) ;

    • vocabulaire de la nécessité/l'essentiel/l'indispensable : « besoin(s) » (deux fois), « nécessités », « nécessaires » 

    • intensifié par les mots : « véritablement », « v&
acute;ritables ».

  • L'insistance sur la « simplicité »
Répétition du mot :

    • « encadre » la description des habitants (l. 17-29) ;

    • clôt le paragraphe (groupe binaire équilibré : « simple et frugale ») ;

    • redondance : « simples et heureux dans leur simplicité ».

  • Dénonciation et de la vanité humaine et de l'illusion, danger de l'hybris.
 La vision d'un moraliste.

III. La stratégie argumentative de Fénelon : l'autre volet du diptyque

Souci pédagogique et didactique : après le tableau idyllique (idéal de vie), la comparaison par contraste, technique du repoussoir : les « peuples qui… » = les Grecs.

Préparé dans le 1er paragraphe par la mention implicite des liens avec les populations voisines plus puissantes (« aucun commerce », « aucune monnaie », « peu d'artisans », « souffrir que les arts… » = techniques).

1. La technique du repoussoir et le regard de l'étranger : la société miroir

Tableau du peuple voisin en contraste avec celui de la Bétique.

  • Apparemment élogieux dans la bouche d'Adoam (qui représente un peuple civilisé) [l. 30-34] :

    • termes laudatifs : « superbes », « ornées », « précieuses », « exquis », « délicieux », « harmonie », « charme » ;

    • procédé de l'accumulation (rappel du 1er paragraphe) qui donne l'impression de profusion.

  • Mais tableau aussitôt contrecarré par le discours de l'habitant de la Bétique  procédé du regard de l'étranger :

    • termes très dépréciatifs en accumulation : « jaloux, rongés, lâche, agités, incapables, fausses (qui s'oppose à "véritables" du 1er paragraphe) » ;

    • métaphore (à tonalité antique) : « esclaves » ;

    • vocabulaire du malheur : « malheureux », « tourmente ».

2. Du tableau vertueux à la critique des voisins : reproches adressés aux peuples civilisés

Postulat de départ : « travail et industrie »  corruption (« corrompre »), développé par la suite du discours.

  • L'inutilité et la nocivité des arts, tout particulièrement des arts du luxe (« superflu ») : ameublement : « meubles d'or et d'argent » (rappel du 1er paragraphe), décoration, musique (« instruments »), joaillerie (« pierres précieuses »), parfumerie, gastronomie (« mets délicieux »), « l'art de faire des bâtiments superbes ».
 Critique déjà rousseauiste du luxe qui déstabilise les sociétés.

  • Critique (satire ?) de Versailles et de la cour de Louis XIV (reprise par ­Montesquieu au XVIIIe siècle dans les Lettres persanes) :

    • société absurde, mondaine, faussée ;

    • rôle néfaste de cette cour sur les autres classes sociales (« ceux qui en sont privés » : petite noblesse et bourgeoisie) rongées par l'envie ;

    • cour esclave de ses passions : elle a perdu le « bonheur » véritable de la mesure.

  • Mise en évidence d'un paradoxe : l'homme civilisé croit se libérer mais en fait il construit son propre « malheur ».

3. L'habileté et l'efficacité de la « leçon »

À ce procédé rigoureux et efficace du diptyque en contraste, Fénelon ajoute d'autres procédés qui donnent sa force à sa « leçon ».

  • Des moyens pédagogiques et didactiques efficaces
La mise en abyme : un discours qui donne la parole à l'étranger dans le récit d'Adoam (enchâssement) : irruption du discours direct, comme dans tout apologue.
Les procédés de la généralisation :

    • présent de vérité générale ;

    • pronom indéfini « on ».

  • Les vertus pédagogiques de la répétition insistant sur les termes essentiels de la démonstration : « simple/simplicité », « nécessaire/nécessités » ; de l'antithèse : « malheureux/bonheur » (dernier mot).
La force des images : détails visuels pour frapper l'imagination (dans les deux tableaux en contraste)  plus faciles à mémoriser.

  • Le regard d'un étranger primitif mais qui manie bien la rhétorique classique…
Habileté du réquisitoire en creux (rhétorique classique) :
Construction oratoire du discours : assertions sur le mode affirmatif + questions rhétoriques, suivies d'un mouvement en antithèse (« au contraire ») + envolée de la période (latine) finale.
Ton oratoire et solennel :

    • implication forcée du lecteur : les questions rhétoriques juxtaposées amènent le lecteur à se poser des question et à y répondre par lui-même ;

    • usage systématique de la comparaison : « plus sains et plus robustes (que nous) ? » ;

    • recours au groupe ternaire oratoire : « amollit, enivre, tourmente », « plus libre, plus tranquille, plus gaie », « par l'ambition, par la crainte, par l'avarice » ;

    • procédé de l'accumulation (dernière phrase) ;

    • progression étudiée : du physique au moral (« sains »/« libre/gaie »).

  • On sent Fénelon derrière cet étranger qui annonce le vieux Tahitien du Supplément au Voyage de Bougainville

  • Une habileté qui fait oublier les limites de la « leçon »
L'habileté de l'apologue occulte les limites de la leçon : cet univers est bien chimérique et utopique, c'est-à-dire impossible :

    • danger d'uniformité d'un univers hautement utopique (« presque tous bergers ou laboureurs »)  uniformité – condition pour que cette société fonctionne harmonieusement – improbable ;

    • danger de régression : refus de « l'industrie », dont les bienfaits sont pourtant suggérés (accumulation et termes laudatifs, l. 30-33) ; en fait, le danger ne vient pas de l'industrie, mais de l'usage immodéré qu'en font les hommes ;

    • risque de l'autarcie (« aucun commerce au-dehors ») ;

    • la véritable richesse tient à la haute vertu morale des habitants (annonce le « bon sauvage), capables de se discipliner et de s'autogérer, ce qui est totalement improbable dans la réalité.

  • Donc Fénelon sait que cet âge d'or est irréalisable ; mais ce thème lui permet de parler en moraliste prônant une aimable austérité qui combine sagesse antique et modèle biblique.

Conclusion

  • Texte qui présente de multiples intérêts :

    • variation sur le thème littéraire de l'âge d'or : dépaysement ;

    • critique implicite de Louis XIV et de la vie à la cour ;

    • mais un enjeu plus important du moraliste.

  • Tout un faisceau d'idées qui alimenteront la réflexion des philosophes des Lumières : le luxe, le bonheur, nature et culture.

  • Mais, au XVIIIe siècle, les temps ont changé, les mentalités ne sont plus marquées par le goût classique du juste milieu et de la mesure et par le pessimisme de Fénelon.

  • Les Lumières choisiront :

    • tantôt de suivre Fénelon : multiplication des utopies (Troglodytes de ­Montesquieu, Eldorado dans Candide) ; satire de la monarchie et de la cour, des abus (Montesquieu) ; débat sur nature et culture (mythe du bon sauvage de Rousseau et du Supplément au Voyage de Bougainville de Diderot) ;

    • tantôt de s'en démarquer : Voltaire fait l'éloge du luxe dans Le Mondain, les « arts » et l'« industrie » sont à l'honneur.T

    •  

    •  

    • Consignes et suggestions des examinateurs pour la dissertation 

    •  

      I L’évocation d’un monde très éloigné du nôtre

      1. Les procédés du dépaysement

      - dépaysement géographique, voire spatial ;
      - « dépaysement » temporel ;
      - dépaysement vers des contrées improbables : création de système utopiques ;
      - dépaysement peut aller du lointain à l’imaginaire pur ; invite à découvrir des êtes différents, soit par leurs pratiques et leur représentations, soit même par leur nature (des géants, des lilliputiens, des animaux...).

      2. La fiction du regard éloigné

      - pour que ces univers puissent être évoqués, il faut mettre en œuvre un regard qui soit le support de la description : soit le regard faussement naïf de celui qui découvre, soit la perspective de « l’étranger » Persan, Huron, Inca, Tahitien, picaro...
      - l’antithèse entre le connu et l’inconnu est favorable à la mise en œuvre de l’intrigue ;

      - sur le plan de la fiction, le personnage qui découvre un univers très éloigné du sien donne à son voyage une valeur initiatique.

      3. Le caractère séduisant des univers lointains

      - dimension poétique et esthétique des descriptions inédites : il s’agit par exemple de faire voir des univers d’une beauté incomparable (procédé de l’ekphrasis), de laver le regard de ses scories, de le purifier ;
      - plaisir de la découverte ;

      - sur le plan de la réception, il s’agit d’amener le lecteur à rêver (le caractère merveilleux de l’Eldorado, la sensualité de l’Orient, la douceur de l’exotisme...) ;
      - donc séduire le lecteur au sens étymologique du terme.

      II Pourquoi ? Le monde très éloigné du nôtre nous parle néanmoins de nous

      1. Proposer de notre société un miroir inversé

      - renvoyer à notre société une image très différente de ce qu’elle est permet de lui faire prendre conscience de son vrai visage ;

       

      - il ne s’agit pas de faire advenir l’univers ainsi décrit mais de proposer d’autres possibilités, d’autres manières d’être que celle en usage, de faire voir des « contre-exemples » ;
      - mettre en évidence la relativité culturelle.

      2. Délivrer une leçon

      - corriger notre monde en lui faisant prendre conscience de ses défauts ;
      - proposer un modèle : politique, social, économique, religieux, philosophique ;
      - mettre en scène des figures qui incarnent sagesse et philosophie en ce qu’elles ont su se détacher des atteintes du monde ordinaire : valeur emblématique des personnages de vieillards, d’ermites ;
      - prévenir d’une menace : cas de la contre-utopie.

      3. Dimension réaliste prompte à revenir même dans ce qui semble le plus lointain

      - la réalité se rappelle à nous par les effets de similitude, des allusions, de l’ironie ;
      - l’univers lointain mis en place nous invite à une double lecture ;
      - il nous alerte sur le fait qu’il n’est qu’un outil et non une fin en soi, par l’usage des stéréotypes qui signalent son caractère artificiel.

      III Une stratégie du détour

      1. Démarche paradoxale

      - c’est en détournant l’attention de son lecteur qu’un auteur parvient paradoxalement à le conduire à ses véritables fins :
      - mise en œuvre d’une démarche dialectique qui permet à l’esprit de se mettre en mouvement : sortir de notre univers certes... mais pour mieux y revenir et y revenir plus riche de ce qu’on a découvert.

      2. Un lecteur qui participe à l’élaboration du sens

      - mettre en place un autre rapport au texte qui sollicite l’intelligence du lecteur par l’adoption d’une démarche inductive ;
      - le processus du décodage : l’univers inventé se présente comme un rébus dont il faut décrypter la signification ;

      - attitude ludique, complice du lecteur ; plaisir de l’élucidation.

      3. Fonction et valeur du détour

      - la stratégie du détour à travers le motif du voyage, du dépaysement ne vise pas à diminuer la portée de l’analyse critique mais au contraire à la renforcer.
      - ainsi, loin d’ « éviter la censure », le détour rend la charge plus visible et provocante et montre que la censure est condamnée à s’incliner devant la force des idées. On prendra garde à ce que la formulation de cet argument par les élèves évite les lieux communs vides de sens.

      - finalement, sous une forme métaphorique, la littérature est toujours la mise en œuvre d’un dépaysement qui permet une prise de distance et une découverte : « Par l’art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre, et donc les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune. » M. Proust

    • Exemple de copie rédigée .....

    • Introduction

       

      La découverte des Indes occidentales à la fin du xve siècle a ouvert le champ de la littérature au thème du voyage, en même temps qu'il a fait prendre conscience aux hommes de la possibilité d'un ailleurs où vivent des sociétés plus proches de la nature, aux mœurs plus frustes, peut-être, mais moins corrompues. Pour certains philosophes comme Montaigne ou Diderot, le « bon sauvage » mythique et le monde dans lequel il vit mettent en évidence le degré de corruption et le manque de relativisme de nos « nations policées ». Sans pour autant prôner un retour à l'état de nature, de nombreux écrivains ont, par la suite, dépeint des contrées, souvent imaginaires, très éloignées des nôtres, à des fins didactiques. En quoi l'évocation de ces univers permet-elle de faire réfléchir sur la réalité de notre société ? En d'autres termes, quels éléments propres à la peinture de sociétés parfaites, très différentes des nôtres, nous renvoient, paradoxalement, à une perception plus aiguë et plus critique de notre propre civilisation ? Nous montrerons en premier lieu la capacité de séduction qu'offre la peinture des univers exotiques. En deuxième lieu, nous verrons en quoi cette peinture renvoie, en creux, à notre propre monde. Nous tenterons en dernier lieu de mettre en avant l'efficacité et la force critique d'une argumentation qui passe par le détour de l'utopie.

      I. L'évocation d'un monde très éloigné du nôtre transporte le lecteur dans un ailleurs séduisant

      1. Elle dépayse totalement le lecteur

      La littérature est peuplée de mondes très éloignés du nôtre. Cet éloignement conduit à un dépaysement, qui peut être géographique ou temporel. Dans Candide, conte philosophique de Voltaire, le pays d'Eldorado est situé en Amérique du Sud, une région qui, au xviiie siècle, est associée à la mystérieuse civilisation inca, mais aussi au Pérou et ses mines d'or. Dans l'imaginaire du lecteur, ce voyage est de toute façon en rupture évidente avec la civilisation occidentale. Les romans de science-fiction jouent souvent sur un dépaysement dans les deux dimensions, en présentant des mondes extraterrestres, dans un contexte de conquête intersidérale. Il appartient alors à l'écrivain de donner une cohérence à cet univers, en évoquant non seulement l'espace géographique lui-même, mais aussi les mœurs de ses habitants, leur système de pensée, leur rapport au temps, ou à l'argent. Dans Les Aventures de Télémaque, Adoam évoque par exemple le peuple de Bétique, et son rapport aux arts, dont « ils ne veulent souffrir que [ceux] qui servent aux véritables nécessités des hommes ». L'invention peut aller jusqu'à concevoir une nouvelle forme de vie, où l'infiniment grand croise l'infiniment petit. Ainsi, Voltaire n'hésite pas à créer le personnage de Micromégas, habitant de Sirius, et géant de quelque trente-deux kilomètres de hauteur ; dans Le Voyage de Gulliver, l'écrivain anglais Jonathan Swift imagine au contraire la rencontre du héros avec le peuple des Lilliputiens, êtres aussi grands que le pouce. Transportés dans ces contrées improbables, dans lesquelles les repères référentiels sont totalement bousculés, le lecteur est implacablement confronté à l'expérience de l'Autre, expérience d'autant plus séduisante qu'elle est mise en scène le plus souvent dans un cadre parfait.

      2. La peinture de mondes exotiques est souvent séduisante

      La plupart des évocations de mondes éloignés a un évident caractère séduisant. Pour l'auteur, il s'agit de soumettre au lecteur un modèle d'univers indépassable, incomparable, un monde parfait, dominé généralement par l'idée d'harmonie et de profusion. Ainsi, Adoam dans Les Aventures de Télémaque évoque les chemins « bordés de lauriers, de grenadiers, de jasmins et d'autres arbres toujours verts et toujours fleuris », les collines « couvertes de troupeaux », ou encore la douceur du climat. À l'image de Baudelaire, l'écrivain peint une véritable « Invitation au voyage » : « Là tout n'est qu'ordre et beauté. » Cette invitation est magnifiée par la poésie de la forme, où l'harmonie des lieux est rendue sensible par le rythme équilibré des phrases, telles que celle-ci, au rythme ternaire régulier : « Ce pays semble avoir conservé les délices de l'âge d'or. » Il s'agit d'amener le lecteur dans un espace rêvé, dans une réalité nouvelle, vierge de toute impureté, et de l'étonner à chaque phrase par des descriptions incroyables. L'évocation du monde éloigné, en effet, ne craint pas le spectaculaire, à l'image du pays d'Eldorado, dans lequel Voltaire accumule les hyperboles et les énumérations pour dire l'abondance, la richesse ou la démesure d'un monde habité, à l'inverse, par des hommes tout en modération. Fénelon, avec la description de la Bétique, est plutôt dans la retenue pour évoquer les possessions et les désirs des habitants ; cependant, il souligne la fertilité de la nature, capable de produire une « double moisson », nous donnant ainsi l'impression d'entrer dans un véritable paradis terrestre. Au fond, le plaisir du lecteur est surtout celui de la découverte ; nous pénétrons dans un monde nouveau et notre plaisir consiste à faire l'épreuve de la différence radicale, en même temps que d'évaluer l'imagination de l'écrivain. Cependant, pour radicalement différent que soit ce monde éloigné, il renvoie à notre société.

      II. L'évocation de mondes très éloignés renvoie à notre propre monde

      1. Elle se construit par le regard étranger à ces mondes

      La peinture des univers utopiques renvoie à notre propre monde. En effet, lorsque le lecteur découvre un monde imaginaire, c'est pratiquement toujours par le relais d'un personnage étranger : celui qui décrit met en place sa description en fonction d'un système de références communes, partagées par le lecteur. C'est ainsi que le monde de Bétique est décrit de manière lyrique par un personnage extérieur, Adoam. Commerçant lui-même, il est très étonné que la société de Bétique puisse fonctionner sans monnaie. En fait, ce narrateur est en quelque sorte un relais, un médiateur avec le lecteur ; ses étonnements, ses marques de surprise sont les nôtres, même si le narrateur de Candide se plaît souvent à adopter la focale des habitants de l'utopie eldoradienne, et feint de trouver ordinaires des pratiques et des coutumes qui ne le sont pas pour nous. Parfois, le récit peut être fondé sur l'idée que ce monde très éloigné… c'est le nôtre, mais perçu par un regard étranger ou naïf. On pense aux héros des Lettres persanes de Montesquieu, qui posent sur notre société un regard nouveau et critique ; les mœurs des Français prennent soudain une teinte d'exotisme ridicule. Ce procédé n'est pas neuf : La Bruyère a déjà mis en scène « Le regard d'un Huron » ; plus tard, Voltaire écrira L'Ingénu, conte philosophique organisé autour des péripéties d'un Indien découvrant les mœurs de notre pays. Il s'agit dans tous les cas, par le biais d'une perspective particulière, de nous donner à voir l'inconnu et, dans le même temps, de nous tendre un miroir critique de notre société.

      2. Elle tend un miroir critique de notre société

      Évoquer un monde imaginaire, c'est tendre au lecteur un miroir, mais au reflet inversé. Ce que nous découvrons, en creux, à travers toutes les beautés, la douceur du monde décrit ou celle des mœurs de ses habitants, ce sont les aspects les plus haïssables de notre société, ses défauts, ses travers. L'utopie propose un autre champ de possibles, nous invite à relativiser le bien-fondé de nos choix de société, à comprendre qu'en matière de civilisation, nous pouvons toujours, sinon nous réformer complètement, comme le suggère Fénelon à travers les mœurs des habitants de Bétique, du moins nous améliorer. Les Troglodytes des Lettres persanes, comme d'ailleurs les habitants de la Bétique, ont ainsi un mode de vie très rudimentaire, réduit à leurs besoins vitaux ; le pays d'Eldorado ne possède pas de prisons, et dispose d'un extraordinaire matériel de mesures scientifiques. Dans tous les cas, il s'agit de proposer un système, des idées, des visions amplifiées et magnifiées de ce vers quoi devrait tendre notre société. Certains récits, à travers des contre-utopies, descriptions de mondes effrayants et cauchemardesques, cherchent au contraire à nous mettre en garde. Dans Le Meilleur des mondes, roman écrit en 1933, l'écrivain Aldous Huxley peint un monde dans lequel les humains ne sont plus conçus naturellement et sont déterminés dès leur « naissance » à servir la société, selon qu'ils sont l'élite de la nation ou de simples opérateurs. À travers ce récit, le romancier nous alarme contre les dérives possibles d'une science dont les progrès sont alors d'une rapidité foudroyante. L'évocation de ces mondes plus ou moins improbables est donc une leçon, dont nous comprenons d'autant mieux la portée que, constamment, elle nous ramène à notre propre monde.

      3. Elle est un monde « impossible » qui nous ramène à nos propres usages

      Les mondes imaginaires sont souvent émaillés de notations réalistes qui, plus ou moins subtilement, nous ramènent à nos propres mœurs. Dans le monde de la Bétique, par exemple, Adoam fait intervenir les habitants du pays, qui, devant l'évocation des richesses de notre monde, pointent les contradictions de la société, sous forme de questions : « Les hommes de ces pays sont-ils plus sains et plus robustes que nous ? Vivent-ils plus longtemps ? » De même, lorsque Candide est accueilli par le roi d'Eldorado, il demande si, pour le saluer, il faut se mettre à plat ventre ou lécher le sol. Cette ironie est une manière, pour le narrateur, d'entretenir avec le lecteur, sur le mode plaisant, une complicité, tout en étayant la charge critique. Il faut également noter que la description de mondes utopiques prend généralement place dans un récit plus large. Le plus souvent, il n'est qu'une étape dans le périple initiatique du héros, et non un aboutissement. Ainsi, la découverte du pays d'Eldorado se situe exactement au centre du conte de Voltaire, indiquant par là que, si ce lieu a une place centrale dans la formation du jeune naïf, il constitue un endroit dont il faut sortir. Le narrateur de Candide le suggère d'ailleurs à travers le caractère stéréotypé et artificiel de son évocation : si la mention de fontaines de cannes à sucre a quelque chose de séduisant au premier abord, elle est, à la réflexion, quelque peu écœurante. L'utopie nous invite donc à opérer un mouvement de retour, de réflexion au sens premier du terme. Elle se présente donc comme une argumentation indirecte, dont la force critique est indéniable.

      III. Une argumentation indirecte : quand le voyage vaut le détour

      1. Donner matière à réflexion au lecteur sans lui imposer une thèse : le détour du monde lointain

      Le monde dépeint au lecteur est une « forêt de symboles » qu'il s'agit de décrypter. N'oublions pas que Fénelon, en bon didacticien, a l'intuition, en créant Les Aventures de Télémaque, que la meilleure façon d'éduquer le jeune duc de Bourgogne est de passer par le détour de la fiction. Ainsi, dans la peinture de la Bétique, même le climat, qui est pourtant une donnée non maîtrisable par l'homme, renvoie à l'idéal classique de modération, que l'on retrouve ensuite, de manière plus explicite, à travers l'évocation des pratiques frustes des habitants. Le lecteur est invité, plus que dans une forme d'argumentation directe, à participer à l'élaboration d'un sens, à travers tout un subtil et prolifique réseau de significations. Dans Candide, la découverte d'Eldorado est pour le lecteur, comme pour le personnage, un moyen radical de porter un nouveau regard sur le réel. C'est ainsi que la scène de l'esclave de Surinam nous est d'autant moins supportable que nous venons de quitter l'utopie. Ce passage dans un monde extraordinaire, paradoxalement, donne au héros une lucidité nouvelle ; pour la première fois, il définit négativement la philophie optimiste : « C'est la rage de soutenir que tout est bien quand tout est mal. »

      2. Détour fictionnel : un potentiel philosophique exploité par la littérature moderne

      Le thème du voyage et de la découverte d'une terre inconnue est d'une force et d'un potentiel critiques tels que la littérature moderne s'en est elle-même emparée. Ainsi, Jacques Sternberg, écrivain hédoniste et « misanthrope », en fait ainsi le thème central de son recueil de nouvelles intitulé 188 contes à régler. Relayé soit par le procédé du regard étranger – extraterrestre –, soit par le regard du Terrien sur un monde autre, il se plaît ainsi à dénoncer férocement et ironiquement la violence des hommes, ou à rêver tout haut de son idéal d'humanité. Le conteur explique que, pour les « Agrages », peuple indolent, ignorant toute notion de commerce et de profit, « s'aimer entre eux, se griser d'eau et de brise, rêvasser, se laisser dériver au fil du temps ou se divertir paraissaient leurs uniques préoccupations ». On voit par là que l'utopie moderne est porteuse d'un message pacifiste, à une époque où la barbarie humaine a franchi l'impensable. Certains écrivains, cependant, vont plus loin dans l'exploitation du thème, à l'image de Michel Tournier et sa réécriture de Robinson Crusoë intitulée Vendredi ou les Limbes du Pacifique. Ce roman, qui nous projette dans une île quasi déserte, cherche moins à dénoncer les dérives consuméristes de la société moderne qu'à mettre en scène l'expérience radicale de la vie sauvage vécue par un homme pétri de certitudes et de principes. L'écrivain, à travers ce cheminement, place le personnage face à cet autre qui est lui-même. Le détour fictionnel a donc cette vertu de nous permettre non seulement de rêver à une possibilité d'un monde différent, mais aussi, de nous faire accéder, par le biais d'un récit captivant, à des réflexions philosophiques profondes sur les rapports de l'homme avec le monde qui l'entoure, et dont, trop souvent, il croit être le maître.

      Conclusion

      Ainsi, le sentiment de dépaysement plaisant qu'éprouve le lecteur qui découvre un monde très éloigné peut le conduire subtilement à reconsidérer le sien avec un œil critique et distancié. « Meilleurs des mondes impossibles », ces mondes imaginaires, en se présentant comme des horizons inatteignables où s'écoulent des printemps éternels, jettent un puissant éclairage sur les travers de notre civilisation. Loin de chercher à contourner, par ce biais, la censure, l'utopie rend celle-ci inopérante : il n'y a pas de discours, pas d'idées imposées, juste la force des idées en mouvement dans un scénario de monde rêvé. Finalement, cette terra incognita, cet ailleurs, cet espace exotique, n'est-il pas, métaphoriquement, le monde de la littérature, qui offre chaque fois au lecteur une expérience inédite de dépaysement ?

       

      En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/revision-du-bac/annales-bac/francais-premiere/corpus-fenelon-montesquieu-voltaire_1-frde44.html#2ZuyZxGPkcYFSSF7.99

       

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