Dans cette lettre , Valmont tente de  se justifier auprès de la Présidente qui se considère trahie : elle lui avoue avoir eu tort de lui faire confiance et s'accuse de son propre aveuglement. Il tente alors de la rassurer et de regagner sa confiance. Nous examinerons la stratégie argumentative de Valmont : comment tente t-il de convaincre Madame de Tourvel qu'il ne l'a pas trahie ?

Notons tout d'abord qu'il s'efforce de faire naître sa pitié en utilisant un registre pathétique . Dès les premières lignes, on trouve des points d'exclamation qui traduisent son émotion . Le verbe frémir traduit, par exemple, l'intensité de ses sentiments et pourrait désigner , à la fois la peur mai également le frisson de l'amour. Valmont reprend point par point les reproches  contenus dans la lettre qu'il a reçue: Il évoque ainsi "l'affreuse idée" que se fait de lui la jeune femme pour mieux tenter de lui donner tort. Il concède tout d'abord un argument à la partie adverse en affirmant qu'il a eu des torts  mais il tente aussitôt de lire minimiser. Le modalisateur "sans doute " tend à réduire sa part de responsabilité . Cette une technique argumentative efficace  est appelée concession. Cette technique est  employée également aux lignes 6 lorsqu'il est question des apparences; Valmont concède qu'elles ont pu le desservir et donner de lui une image négative pour mieux tenter ensuite de réfuter cette idée et de se faire passer pour innocent.  

La syntaxe expressive fait ressortir l'indignation du vicomte grâce notamment aux parallélismes de construction et aux répétitions : " Qui moi vous humilier vous avilir " ( l 4 ) ; Ces deux verbes ont un sens critique très fort et la technique employée ici porte le nom de dénégation; l'accusé nie  en partie les faits et  se défend d'avoir voulu nuire à la jeune femme.  Cette fausse indignation est suivie d'une déclaration respectueuse : "quand je vous respecte autant que je vous chéris " ( l 4 ) On note le contraste entre les deux parties de la phrase et la conjonction de subordination quand  qui marque la simultanéité des deux actions a ici,  presque la avaleur d'une opposition ; On pourrait le traduire par : alors que. Le vicomte tente de donner de lui l'image d'un homme respectueux alors que les faits disent le contraire. 

Il fait appel aux sentiments de son amante en utilisant une question rhétorique ligne 7 " n'aviez vous  pas dans votre coeur ce qu'il fallait pour les combattre ? " Ici le mot coeur est une métonymie qui désigne à la fois le siège des sentiments, des émotions mais également le siège de l'intelligence et du jugement comme on le voit avec la phrase suivante : " vous m'avez jugé capable de ce délire atroce " . Valmont tente de retourner la situation en se faisant passer pour une victime et développe une argumentation dans ce sens ; "si  vous vous trouvez dégradée à ce point  par votre amour , je suis donc moi-même bien vil à vos yeux " La première partie de la phrase développe un système hypothétique qui fait dépendre la situation du Vicomte du simple jugement de sa maîtresse; Il se décrit comme dévalorisé par l'image négative que la présidente a de lui et qu'il s' efforce de corriger . Le registre pathétique réapparaît à de nombreuses reprises  notamment aux lignes 11 où le vicomte se prétend "oppressé par le sentiment douloureux " d'être mal jugé ; ou à la ligne  17 où il évoque un "événement cruel " et également "la crainte de vous déplaire ou de vous affliger " ligne 24. Le vicomte rejette  de manière habile en grande partie sa faute sur sa véritable victime  et se plaint de sa cruauté alors que c'est justement sa cruauté à lui qui est affichée par son attitude  ; C'est un habile retournement de situation que de se faire passer pour la victime alors que l'on est accusé à juste raison . 

La question rhétorique est souvent un moyen de persuasion dans la mesure où elle implique elle lecteur dans l'argumentation : celle de la  ligne 17 "cependant qui le croirait  ? "  marque un changement dans la stratégie argumentative du vicomte: après les reproches, c'est le moment d'exposer les faits sous un jour nouveau  et de tenter de faire douter sa maîtresse. Il avance tout d'abord la responsabilité de la présidente qui lui aurait fait perdre la tête et oublier ses obligations : " cet événement cruel a pour première cause le charme tout puissant que j'éprouve auprès de vous " C'est une manière habile de présenter les faits en rendant son amante responsable de ses agissements  et en rejetant la faute sur elle au lieu d'assumer un écart de conduite et une tromperie préméditée . L'amour de la Présidente  est donc ici qualifié de "charme tout puissant " comme pour lui rappeler le pouvoir et la domination qu'elle exerce sur son esprit alors qu'en réalité, c'est le Vicomte qui la manipule entièrement depuis le début en ne cessant de mentir . Il s'agit cette fois de reproches déguisés comme la phrase "je vous quittai trop tard " ( l 19 )  Le but est toujours de faire culpabiliser la jeune femme et on touche ici le comble de la mauvaise foi

En effet, le lecteur qui a connaissance depuis le début du roman de tous les mensonges de Valmont espère que la jeune femme ne continuera pas à être dupe de ses agissements et finie par découvrir la vérité sur ce séducteur sans scrupules .

Au lieu d'exposer les faits et d'avouer qu'il a retrouvé une de ses anciennes maîtresses nommée Emilie, Valmont rend ainsi  la présidente responsable de tout ce qui s'est passé. Il va même jusqu'à vouloir justifier le fait d'avoir voulu dissimuler la présence de la courtisane par "crainte de vous déplaire ou de vous  affliger " et évoque ainsi, de sa part "une précaution de la délicatesse " .( l 25 ) ; Nous voyons ainsi qu'il donne de lui l'image d'un amoureux transi qui craint d'être jugé "coupable " ; alors qu'il s'est mal conduit, il persiste à se trouver des excuses qui semblent toutes plus ridicules les unes que les autres : il aurait rencontré la demoiselle par hasard et elle lui aurait demandé de la déposer chez elle . 

En effet, la culpabilité du vicomte  ne fait aucun doute dans l'esprit du lecteur et c'est ce qui rend cette lettre particulièrement comique ou tragique selon le points de vue. De plus , ce même lecteur ne va pas tarder à connaitre  une autre  version de cette rencontre, cette fois du point de vue de Valmont lorsqu'il  raconte, deux lettres plus tard, ce même événement  à la Marquise. Dans cette lettre, il ridiculise volontairement la Présidente .  Alors qu'il tente , pour justifier sa tromperie,de faret passer sa maîtresse pour une sorte   de bourreau , de juge impitoyable, il se moque d'elle un peu plus tard  " je sentis sur le champ que vous seriez portée à me juger coupable " l 23: cette phrase  a l'allure d'une sentence et parait très sévère . On retrouve à cette occasion un des reproches que les libertins adressaient à la société qui les entourait : elle les jugeait amoraux et donnait d'eux une image négative. 

Valmont va même jusqu'à accuser la femme qui l'accompagnait en évoquant une sorte d' abus de pouvoir : à travers ses propos, il laisse deviner qu'il méprise Emilie qu'il qualifie de "fille" ce qui sous -entend qu'elle n'est pas mariée et il  lui reproche, à elle aussi, d'avoir voulu profiter de cette occasion si éclatante " (l 27 ) . Il prend alors, à nouveau la position de victime en évoquant sa "peine cruelle " et en  renouvelant à l'intention de sa destinataire, son "amour et son respect" . Cette lettre a clairement pour but d'éviter une rupture avec une femme dont , bien qu'il s'en défende, il commence à tomber amoureux : ce qui entre en opposition avec son libertinage . 

Le vicomte  cherche également à culpabiliser la présidente en faisant appel à son intelligence , à sa raison ; Il cumule ainsi des techniques de persuasion fondées sur l'usage de sentiments avec des techniques de conviction qui se basent sur l'usage du raisonnement . Cette lettre déploie des trésors d'éloquence mais le lecteur n'est pas dupe des techniques employées par ce séducteur. il devra toutefois attendre encore deux lettres pour comprendre l'étendue des mensonges et  de l'hypocrisie du personnage.  La cruauté de Valmont atteindra son paroxysme avec la fameuse lettre de rupture qui va suivre . Cette  lettre de rupture terriblement cruelle  a été écrite par Madame de Merteuil et sera recopiée, puis envoyée par le vicomte. Dans cette  lettre  particulièrement humiliante, Valmont déclare qu'il ne l'a jamais aimée. Cette révélation provoquera, à moyen terme, la mort de la jeune femme, victime de ce duo de séducteurs sans scrupules .

Pour les libertins, l'amour  véritable est considéré comme une faiblesse et la Marquise se moque de Valmont lorsqu'elle comprend qu'en dépit de toutes ses dénégations, il éprouve des sentiments pour la Présidente . C'est elle qui va le pousser à la rupture par jalousie .Valmont apparait ici hypocrite et fourbe; Dans  la lettre suivante, Valmont se moque ouvertement de Madame de Tourvel qu'il qualifie d'austère dévote et lorsqu'il mentionne cet épisode, il avoue avoir souhaité rejoindre Emilie, avoir passé la nuit chez elle . De plus, il sait que Madame de Tourvel a  fait envoyer chez lui un messager qui est revenu en mentionnant que le vicomte passait la nuit à l'extérieur .

La lettre  que nous avons étudiée montre une sorte de tentative de reconquérir le coeur et la confiance de la présidente en comptant sur sa naïveté et sur la force des mensonges "admirables " .Le vicomte est ainsi pris au piège ; d'un côté; la Marquise de Merteuil  continue à lui faire croire qu'elle acceptera de devenir sa maîtresse s'il exécute sa volonté : rompre définitivement avec Madame de Tourvel. D'un autre côté, Valmont aimerait prolonger sa laissions car il éprouve un véritable attachement pour la Présidente . Cette lettre cruelle  mettra définitivement un terme aux illusions de la présidente et révélera toute la noirceur de l'âme de Valmont   La fin tragique du roman est enclenchée :  la jeune femme trahie et blessée se retirera du monde ,  et mourra de chagrin et de remords quelques mois plus tard . Valmont se laissera tuer en duel par le chevalier Danceny et la Marquise, défigurée par la petite vérole  et ruinée par un procès, devra quitter la France définitivement . 

La morale de ce roman est mentionnée dans la dernière lettre "Qui pourrait ne pas frémir en songeant aux malheurs que peut causer une seule liaison dangereuse ! et quelles peines ne s’éviterait-on point en y réfléchissant davantage ! Quelle femme ne fuirait pas au premier propos d’un séducteur ? " Pour ne pas avoir réussi à fuir et pour avoir cru aux mensonges de Valmont , de nombreuses femmes ont souffert . 

Quelques exemples d'axes de lecture : 

une réthorique du mensonge : les fausses accusations (, concession et dénégations ) et les explications .

le registre pathétique :  se faire passer pour une victime, se plaindre et culpabiliser l'autre

rejeter la faute sur l'autre : hypocrisie et libertinage.