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Petit Pays

Un grand concours d’écriture

Dès la rentrée scolaire, Le Livre de Poche lance un concours d’écriture auprès des classes de secondes et de premières.

Le sujet : Racontez à la 1ère personne, à la manière de Gaël Faye, un souvenir ou un événement marquant de l’enfance. Ce sera l’occasion            de porter un regard sur le monde des adultes.

Les contraintes  : • Texte réalisé collectivement (une classe entière). • Texte compris entre 5 et 8 pages, soit de 8 000 à 15 000 signes. • Textes dactylographiés.

22 juillet 2015, je sors de l'aéroport, bagages  en main et mes douloureux souvenirs en poche.  L'atmosphère est pesante. Des centaines de personnes sont rassemblées devant cet immense panneau d'affichage attendant toutes impatiemment l'heure de leur vol.  Les voyageurs sont heureux, comme tous ici d’ailleurs. Ils m’épient un par un d’un regard étonné, comme si je venais d'une autre planète. Je me sens, moi-même, étrange, mal à l’aise. J'arrive à distinguer plusieurs langues, toutes  incompréhensibles et différentes les unes des autres. Le regard des gens est différent ici ; ici ils ne se soucient de rien. Ils ne sont pas conscients de ce qui frappe mon pays. Leurs yeux me semblent amers, vides, sans émotion. Je vois des familles partir en voyage sans extase : ça leur  paraît si habituel ! Je vois même des enfants prendre le chemin inverse du mien, comme s'ils n'étaient pas au courant de ce cauchemar qui les attend là-bas 
            Mon taxi s'avance devant la porte. Un homme au teint blême  ouvre la fenêtre, un papier dans une main, le volant dans l'autre :"Mademoiselle Belami je présume ?"Je monte dans le véhicule le regard triste et je comprends alors que cet homme va me conduire vers ma nouvelle vie. Il démarre brusquement. Je regarde par la fenêtre cette ville qui m'accueille.
            Il fait gris, tout le contraire de mon pays,  où le soleil était présent à toute heure de la journée. Je regarde une dernière fois mon passé, comme si je n'allais jamais le retrouver. Je vais sans doute découvrir une nouvelle culture, un pays chaleureux, du moins je l’espère  mais mes souvenirs  d’hier restent fixés dans mon esprit. Tout au long du voyage, j'observe ces longues routes qui me paraissent interminables, oppressantes et ennuyeuses, tous ces arbres et ces lampadaires qui n'en finissent pas. Tout me semble  programmé pour  faire vivre une vie remplie de banalité, sans rebondissement. Tout est si différent ici. Tout est si froid et glacial ; même le ciel est recouvert d'un camaïeu de gris. 
            Un vent de tristesse m'envahit. Je repense alors aux doux parfums de mon pays et  aux  arbres fleuris qui ont bercé mon enfance. Des milliers de questions me trottent en tête ... Comment vais-je me débrouiller ici? Mes mains sont moites, toute cette atmosphère lourde et polluée m´oppresse.
            Maman avait l’habitude de m’emmener dans ce petit parc près du vieux pin. Les enfants jouaient avec les fontaines, les mères discutaient entre elles, les jeunes riaient à s’en tordre le ventre. C’était un endroit vibrant de partage qui me remplissait de joie. Comment tout cela a pu basculer ? Comment un tel bonheur peut disparaître en si peu de temps. Et si c’était à cause d’eux ? Et si c’était à cause de leurs idéologies et de leurs intenses convictions ? Et s’ils devenaient plus tolérants et moins violents, peut-être que tout deviendrait comme avant.
            Le taxi s'arrête devant le perron de l’immeuble de ma vieille tante dont j’ignorais jusque là l’existence. J’ouvre la portière et gravis les marches de pierres froides. Je dépose mes valises en cuir sur le béton humide du trottoir. Mes talons claquent sur le carrelage et résonnent dans le petit hall vide et froid. J’appuie sur les boutons usés et salis de l’ascenseur. Les portes métalliques s’ouvrent devant moi et m’accueillent brutalement.  Je ne peux plus retourner en arrière, un choix a été fait, ma nouvelle vie est tracée.
J’abandonne un  pays qui n’offrait plus de sécurité à ses enfants, un  pays qui devenait violent au fil du temps, qui oubliait la douceur de vivre ensemble. Les parois de fer se referment devant mes yeux et effacent tous mes souvenirs d’autrefois.
            Plusieurs mois ont passé et je me suis accommodée de cet environnement étranger. J’ai rencontré de nouvelles personnes, de nouveaux visages, de nouvelles mentalités. J’ai découvert une culture différente et riche. J’ai admiré des peuples venus d’ailleurs que je ne connaissais pas. En venant en France, j’ai la sensation d’avoir fait le tour du monde en quelque mois. Peut-être ai-je enfin trouvé un endroit où vivre dans une douceur retrouvée ,où reconstruire un espoir.
            J’ai d’ailleurs adopté quelques habitudes. Tous les vendredis après- midi, je n’ai pas cours, je suis donc seule à la maison. J’allume la télévision, espérant trouver ma série quotidienne. Mais ce jour là, ce n’est  pas le programme habituel.  Toutes les chaines  affichent la même chose. Les images défilent en boucle. Que se passe-t-il ?
            Des groupes de journalistes sont agglomérés devant la façade d’un café totalement ravagé par la haine. Des micros tendus, des témoins en pleurs, des enfants perdus et des victimes désespérées apparaissent à l’écran. Des secours arrêtés devant un théâtre, un match de foot qui …        Les bruits, les voix criardes et écorchées des journalistes qui s’égosillent pour  rapporter les informations, font renaître ces horribles images du passé.
Je ressens cette même angoisse d’autrefois, celle qui m’a fait tout quitter, celle qui me faisait trembler chaque fois que je passais dans le salon et voyais ma mère appeler toute la famille pour savoir s’ils allaient bien. Je me souviens de cette sensation d'insécurité omniprésente. Cette sensation d’être constamment suivie ou en danger. Je me souviens du regard apeuré des adultes face aux bulletins d’informations.
Je me souviens de leur voix grave et dure qui brisait le silence pesant. Je me souviens de tout ce qui s’est passé après cette horreur, de tout ce que cela a engendré.
Et aujourd’hui, cette période sombre frappe à nouveau.

Les explosions et les écroulements que je vis en direct à la télévision  m’effrayent comme avant.
Les journalistes qui parlent à une vitesse fulgurante, comme avant.
Les lignes coupées, comme avant.
Finalement tout est comme avant.
            Je prends alors conscience de l’atrocité de l’humain et de l’étendue des dégâts qu’il peut causer. Je me rends compte que les catastrophes existent partout et qu’elles ne touchent pas que les autres. J’aimerais pouvoir  mettre la main sur la télécommande afin d'arrêter ce flux continu d’abominations.
C’est impossible.
            Les gens commencent à s’affoler, les lignes téléphoniques sont tellement occupées que je ne peux contacter ma tante pour savoir si elle va bien car tout le monde veut s’assurer que les proches sont en sécurité. Les gens ont peur, et cèdent à la panique. Ils prennent peu à peu conscience de ce qui est en train de s’abattre sur eux. Seulement  savent-ils que tout ça est de leur faute ? Qu’ils détruisent les villes et les pays un par un, qu’ils détruisent le monde et qu’ils ravagent la paix ?
            J’éprouve le besoin de sortir  rejoindre les autres, de sortir dans la rue pour apaiser mon angoisse La solitude est absolument insupportable à cet instant précis. C’est comme si tout mon passé que j’avais réussi à mettre de côté revenait. 
Fuir, quitter ce qui m'était le plus cher pour retrouver la même chose ? Mais à quoi bon ?
Je mets  alors mes chaussures qui étaient au pied du canapé et enfile mon manteau posé sur la chaise de la cuisine. Je prends mes clefs et claque la porte pour courir loin de cette atmosphère pesante. Je m’engage alors dans la longue avenue qui mène à la grande maison de Carole, mon amie, quand soudain, je sens de lourds regards posés sur moi. Des hommes et des femmes me fixent  d’un air soupçonneux. Je ne cesse de me dire que je suis folle, que ces regards ne me sont pas destinés  pour essayer de me rassurer. Je continue d’avancer et cette même impression revient.  Seulement ce n’est pas une impression. Ces regards s’attardent sur mon visage, sur la couleur de ma peau, sur ceux  qui viennent comme moi d’ailleurs.
.           Comment peuvent-ils penser que nous faisons partie de la même famille que ces monstres, que ces assassins ?
Ce pays auquel je me suis adaptée et dans lequel j’ai envie de m’intégrer  me rejette. Je ne me sens plus en sécurité ici. Ce pays m’avait  promis et garanti une liberté et une protection que je perds une seconde fois .Aujourd’hui il m’abandonne, comme j’ai abandonné mon ancienne vie. Et je me sens bien seule dans ce monde sans refuge.

seconde 4 /groupe B