La balade sonore est une déclinaison de la visite sensible présentée ici. Elle privilégie un sens, l’écoute. Sébastien Branche, professeur de mathématiques, d’arts du son et d’histoire des arts au lycée J.Prévert, et musicien saxophoniste performeur, propose ainsi à ses élèves de faire des balades sonores dans Boulogne-Billancourt, et plus précisément entre le lycée et la base nautique sur l’Ile de Monsieur, à Sèvres. Pour les mener, il s’appuie sur le travail de R.Murray Schafer, théoricien, compositeur et pédagogue, à l'origine du concept de "paysage sonore" et sur son ouvrage100 exercices pour développer l’écoute et la production sonore (1992).

Ci-dessous une carte du parcours mené, et auquel j’ai pu assister, avec les différents points d’écoute.

Du lycée J.Prévert (Boulogne Billancourt) à l'île Monsieur (Sèvres)

Le point 1 est le point de départ, devant le lycée. S.Branche explique aux élèves la consigne : interdiction de se parler jusqu’à nouvel ordre. C’est donc un groupe muet de plus d’une vingtaine d’élèves qui se déplace désormais dans la ville, au grand étonnement des passants. Petit arrêt au point 2 dans le parc face au lycée. Il est 16h00. Arrivé au point une petite pause au bord d’une fontaine enserrée sur une petite place. Nous repartons en silence. Nous longeons une rue, il y a des travaux, nous sommes gênés par les échafaudages. Nous arrivons sur l’avenue du Général Leclerc, nous poursuivons. Arrêt 3 sur le Pont de Sèvres. Difficile de parler même si on le voulait, tant il y a du bruit. On sent les vibrations des camions sous nos pieds. Au point 4 changement d’ambiance : nous sommes désormais sur l’île Monsieur, tout proches de la ligne T2, face à la Seine et à Boulogne Billancourt. Nous reprenons enfin la parole, après plus de 30 minutes de silence. Le groupe s’assied dans l’herbe. S.Branche propose un debriefing : qu’avons-nous entendu, quelle expérience sonore avons-nous faite, pourquoi l’avoir faite. Il nous parle de R.Murray Schafer et de ses exercices. Nous en faisons deux. Le premier consiste à noter sur une feuille de papier tous les sons qu’on entend, pendant deux minutes. Nous comparons ensuite les bruits. Les élèves s’étonnent qu’un endroit aussi calme, au bord de l’eau, puisse être si sonore. Nous évoquons la Seine, qui porte les bruits. Nous nous rappelons de la fontaine (point 2) elle aussi si sonore, et dont le son régulier et répétitif, dans un espace clos et entouré de bâtiments, a gêné certains élèves. Ici, ce sont les bateaux, le bruit de la circulation sur le Pont de Sèvres, juste à côté, qu’on entend, mais aussi des bruits de pas, et le vent qui déplace les feuilles. Nous classons ensuite les sons, sons N (nature), sons H (homme), son T (machine, technologie), et les sons continus (C), répétés (R), uniques (U). Pour aujourd'hui on ne le fera pas, mais parfois, S.Branche propose aux élèves de cartographier ce son, reprenant l’exercice 3 de R.Murray Schaffer : « noter les sons forts (en haut de la page), doux (en bas). Noter les sons agréables (en haut de la page), désagréables (en bas). Dessiner un cercle de taille moyenne, y placer ses propres sons, les autres en dehors en fonction de la distance et de la direction. »

Nous faisons ensuite un deuxième exercice, qui est décrit ainsi par R.Murray Schaffer : « le meneur de jeu (maître ou élève) tient un son en se déplaçant (son, frappé, clés remuées, …) le groupe (yeux fermés) le suit du doigt. Compliquer avec 2 personnes et 2 sons (très différents). Le groupe suit avec 2 doigts.Compliquer avec 4 personnes et 4 sons. Suivre 1 paire de sons (autoriser à ouvrir les yeux pour vérifier) ».

Nous repartons enfin. Il est 17h15. Un dernier exercice avant de rentrer au lycée : du point 3 au point 1, les élèves partent de manière échelonnée, à bonne distance les uns des autres, et seuls. Nous nous retrouvons devant le lycée. Quelques semaines plus tôt, ils avaient expérimenté un autre exercice, marcher les yeux bandés, avec un de leur camarade pour guide.

Cette sortie marque les élèves. Ainsi, la classe de 2de7, inscrite en arts du son, en a laissé de nombreuses traces dans la carte sensible de Boulogne Billancourt (à découvrir ici, à explorer ). Ce qu’ils ont appelé le « squatt de Monsieur Branche » correspond ainsi au point 5 présenté plus haut (autrement dit la base nautique de l'île Monsieur).

Le "squatt de Mr Branche", extrait de la carte sensible de Boulogne Billancourt

 

On trouve également sur cette carte de nombreuses représentations du son : le bruit à l’entrée du Pont de Sèvres ou sur l’avenue du Général Leclerc, le bruit encore des travaux, ou le bruit du périphérique, Porte de Saint Cloud.

Le symbole qui matérialise le son du chantier

Le symbole qui matérialise le son de l'avenue du Mal Leclerc

Le symbole qui matérialise le son de l'aviron

Pour Sébastien Branche lui-même, ce bruit est un matériau, qu’il utilise pour produire des paysages sonores.  Si vous cliquez sur l’image ci-dessous, vous entendrez un extrait d'une de ses pièces. J'avais commencé par parler de composition, mais pour Sébastien Branche, il s'agit plutôt de l'extrait d'une pièce, "puisqu'il n'y a pas d'écriture au préalable, mais la construction d'une situation, puis une sélection dans les matériaux enregistrés de ce qui constituera au final une pièce".

Cliquez sur l'image pour écouter  

Voici comment il la décrit : « il s'agit d'un extrait d'un enregistrement réalisé il y a quelques années autour des lignes T2 et T3 du tram francilien. Une paire de microphones est posé en un point fixe, et j'ai la liberté de me déplacer dans l'environnement. L'intégration du saxophone se fait donc sur place, en direct, et il n'y a pas de retouches ou de montage. L'idée, comme souvent dans mon travail avec le paysage sonore, est d'inclure le saxophone dans l'environnement, afin d'en souligner, masquer, dévoiler des éléments, de créer des plans, de tester l'acoustique du lieu, d'en faire sonner des éléments invisibles ou muets. Ici, le passage du T2 vient masquer le son continu du saxophone, et les bruits de pas révèlent les cailloux du ballast autour des rails. Et toujours, le bruit de fond de la circulation qui rappelle qu'on est bien en ville... ».