22 octobre 2012

Britannicus aux Amandiers

Les avis des élèves de seconde 9 sont partagés sur la représentation de Britannicus de Jean Racine.

Mise en scène de Jean-Louis Martinelli, Théâtre Nanterre-Amandiers, Le 6 octobre 2012.

par Carole-Anne FAULLIMMEL et Louise DENNIEL.


Au premier abord, le décor frappe par sa simplicité et son dépouillement. Mais on sent une réelle recherche : le décor est ouvert en demi-cercle, un impluvium en occupe le centre comme dans les domus romaines. Autour de celui-ci, un plateau tourne. Le metteur en scène a sûrement voulu faire référence à la salle à manger de Néron, qui d’après les récentes recherches d’archéologues français et italiens, était tournante. Au lever du rideau, la pluie y tombe et donne une impression de lourdeur dès le début de la pièce : l’ambiance paraît déjà tragique. Les hauts murs et les arcades nous transportent dans l’architecture des palais romains et donnent une impression de grandeur et de froideur. Au fond, un haut mur de briques rouges et un drapé tranchent avec les couleurs froides de l’avant-scène.
Les costumes sont très recherchés pour les rôles féminins, Agrippine, Albine et Junie, et au contraire plus sobres et minimalistes pour les rôles masculins, le tout répondant à une esthétique assez discrète. Le costume de Néron nous montre dès son entrée sur scène son statut, c’est-à-dire empereur romain.
La mise en scène est rigoureuse, simple et met particulièrement en valeur l’intensité des passions. Le jeu de lumière renforce tout au long de la pièce l’atmosphère dramatique.
L’attention se focalise d’autant mieux sur le jeu des acteurs, percutants, dont la diction claire et classique respecte parfaitement le sens et le rythme des vers de Racine.
Agrippine, jouée par Anne Benoît, avec son timbre de voix si particulier et une gestuelle soigneusement étudiée, nous transporte dans le drame dès le début. À la fois subtile et passionnée, elle est plus que crédible dans son rôle de mère abusive et avide de pouvoir. Sa confidente Albine, interprétée par Agathe Rouiller, la complète bien. Il y a une véritable complicité entre elles.
Alain Fromager en Néron est un empereur inquiétant et noir, en lutte permanente entre sa faiblesse et sa volonté de s’affirmer. Son jeu scénique rend parfaitement les passions qui l’animent.
Le personnage de Britannicus, joué par Éric Caruso, est plus effacé. Son interprétation de personne victime et naïve est en parfait accord avec Anne Suarez dans le rôle de Junie, une victime très convaincante, à la fois accablée de douleur mais forte.
Burrhus, dont le rôle est tenu par Jean-Marie Winling, est malheureusement un peu difficile à entendre sur ses fins de vers mais est pourtant parfait dans le rôle de conseiller rompu à l’exercice du pouvoir, dur et solide mais qui laisse voir qu’il est ébranlé dans ses certitudes par cette tragédie.
Seul point négatif : Narcisse, personnage noir de duplicité, traître et perfide, n’est pas très convaincant : le comédien Grégoire Oestermann n’est pas très machiavélique et ne semble pas être rentré entièrement dans ce rôle.
On ne peut qu’apprécier cette version de Britannicus par Jean-Louis Martinelli, qui en respecte l’esprit tout en introduisant des aspects plus modernes pour rendre intemporel le thème politique du sujet. Tout au long de cette représentation, le public est séduit par la mise en scène, l’intensité du jeu des acteurs et les passions qui se déchaînent sous leurs yeux.

pour Mark Gondoin et Herbot Mesnard.

 
Britannicus, tragédie de Racine, est l’histoire d’un conflit de pouvoir et d’amour qui oppose des personnages d’une grande famille romaine. Néron, empereur de Rome, enlève Junie, l’amour de Britannicus, et devient de plus en plus cruel au fur et à mesure de la pièce. Il est, en quelque sorte, un monstre en éclosion. Son changement devient apparent par les nombreux conflits qui l’opposent à sa mère, Agrippine, à ses conseillers, Burrhus et Narcisse, et, bien sûr, à son demi-frère, Britannicus. En reprenant un « classique » de Jean Racine Jean-Louis Martinelli, considéré comme étant l’un des meilleurs metteurs en scène de Racine, se lance dans la production d’une pièce où le héros n’est pas Britannicus (Éric Caruso) mais bien Néron (Alain Fromager). Nous avons assisté à cette pièce le 6 octobre 2012 au théâtre des Amandiers, à Nanterre. Celle-ci n’a ni été un grand succès, ni un véritable échec.
Cette tragédie dans laquelle figurent de nombreux « grands noms », tels Anne Benoît, Jean-Marie Winling (Cyrano de Bergerac) ou bien Grégoire Oestermann (Intouchables), est plus approprié pour un public mûr qui connaît déjà l’histoire, car le texte de Racine est compliqué et très mouvementé, avec de nombreux renversements de situation pour 2h10 ! Le Britannicus de Martinelli présente néanmoins certains aspects originaux, intéressants, qui rendent la pièce plaisante. La scène, largement dépouillée, était composée d’une plateforme rotative très lente, avec un petit point d’eau en son centre, et d’une chaise, le trône de Néron. La vitesse de cette plateforme était bien choisie, attirant le regard du spectateur et offrant plusieurs angles de vue pour une scène unique. Le point d’eau a agi comme point de séparation entre les deux moitiés de la scène, utile pour représenter deux personnages qui s’opposent par exemple.
Le choix des acteurs est un aspect plus délicat de la pièce. Ils ont pour la plupart rempli leur rôle en y apportant parfois une signification subtile et intéressante. Par exemple, Alain Fromager nous propose un Néron qui a déjà l’expérience du pouvoir, tandis que le personnage de Racine n’a que 17 ans. Anne Benoît (Agrippine) fait preuve d’autorité, semble forte et s’accorde donc avec le personnage manipulateur imaginé par Racine. Mais elle était par moments trop expressive et perdait donc en crédibilité. Burrhus (Jean-Marie Winling) nous a étonnés. Tout d’abord, il était l’acteur qui prononçait son texte le plus clairement, ce qui le rendait parfaitement compréhensible. De plus, il montrait sa subordination tout en prenant des libertés face à son maître, et s’accordait donc parfaitement au personnage de la tragédie de Racine. Au contraire, Narcisse (Grégoire Oesterman), malgré son jeu convenable, n’exprimait pas son texte assez clairement, et était de ce fait difficile à comprendre. Anne Suarez en revanche a très bien joué son rôle de Junie, surtout lors de son premier entretien avec Britannicus, où l’on a très bien ressenti les émotions qu’elle voulait faire passer.
Enfin la pièce manquait de vivant, et regarder six personnages jouer sur une grande scène dépouillée devenait lassant au bout de deux heures. L’apparition de quelques personnages en plus, comme des gardes par exemple, aurait pu pallier l’ennui.
La représentation de Britannicus a donc été une expérience intéressante, dans laquelle des idées originales nous ont ravis. Cependant, certains aspects de la pièce nous ont déçus. Les textes de Racines requièrent une expression et une articulation quasi-parfaite, ce qui n’était pas toujours le cas dans cette représentation de Britannicus. De ce fait, malgré de bons éléments, la pièce ne nous a pas entièrement captivés.

Interview de l’auteur québécois Olivier Kemeid

Le 1er octobre 2012, par Marine Février et Anne-Flore Leroi, élèves de seconde 9.

Olivier Kemeid est un auteur et un metteur en scène québécois. Parmi ses pièces les plus connues, citons L’Enéide, d’après Virgile, écrite en 2007 et traduite en plusieurs langues, puis Bacchanale en 2008. A l’occasion de sa venue en France pour le festival de la Francophonie, nous l’avons interviewé à propos de sa réécriture personnelle d’Œdipe Roi de Sophocle, que lui a commandé le Théâtre du Parc à Bruxelles et qui sera présenté en janvier 2013.

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100315olivier-kemeid_p1.jpg, juin 2013

Avez-vous tout de suite accepté la demande du théâtre ?

Non, j’ai hésité avant d’accepter. J’ai déjà adapté L’Eneïde de Virgile sur le mode contemporain et le Théâtre du Parc m’a proposé de faire le même travail avec Œdipe. J’ai été touché par cette demande qui m’honore, mais  retranscrire le mythe d’Œdipe est un projet exigeant. Au début, j’avais peur de me faire écraser par l’importance du mythe. Œdipe est un mythe universel qui a déjà été réécrit de nombreuses fois. C’était donc un travail difficile.

Avez-vous publié toutes les pièces que vous avez écrites ?

Non, je n’ai pas publié mes textes tout de suite. J’ai écrit mes quatre premières pièces avec un autre auteur et je ne me sentais pas prêt à les publier. L’Eneïde est la première pièce que j’ai écrite seul et que j’ai publiée. Il est très difficile de publier un texte car on ne peut plus le modifier, on ne peut plus y revenir. Or on n’a jamais vraiment terminé une pièce…comme disait Paul Valéry, « on ne termine jamais un roman, on le quitte ».

Où puisez-vous votre inspiration ?

L’inspiration est infinie. Elle peut nous venir au cours d’un voyage, pendant que l’on marche… Elle ne se commande pas. Il ne faut pas trop penser, il faut laisser libre cours à son imagination. Mais il faut aussi savoir y mettre des limites ! Il faut aussi lire pour écrire.

Pourquoi avoir choisi l’écriture en vers libres ?

Cette écriture s’est imposée à moi. J’ai écrit toutes mes pièces en vers libres. Ils créent un rythme, une musique, sans ponctuation ou très peu. Ils correspondent à mon environnement. C’est, pour moi, une liberté d’écrire de cette façon plutôt que d’écrire en alexandrin.

On remarque que dans les autres versions du mythe, la vérité est révélée à Œdipe par le devin ou le berger. Mais dans votre pièce, Jocaste a plus d’importance : c’est elle qui dit la vérité à Œdipe. Pourquoi ce choix ?

Ce n’est pas vraiment elle qui lui dit la vérité. D’ailleurs il n’est pas question dans ma pièce de vérité, mais d’une rumeur : « on dit que, on dit… ». Jocaste ne révèle pas clairement la vérité à Œdipe car elle croit, elle persiste à croire jusqu’à sa mort qu’Œdipe n’est pas son fils. On finit par croire qu’Œdipe est son fils à cause de la rumeur. Il ne faut pas oublier que le drame de Jocaste est énorme. En effet, on dit qu’elle a épousé son fils et que c’est lui qui a tué son mari ! Mais si Œdipe n’était pas son fils ? Qui me dit que l’Oracle dit la vérité ? Mon but est davantage de poser des questions plutôt que d’apporter des réponses.

Cette scène qui confronte Jocaste et Œdipe est très violente. Comment expliquez-vous cela ?

J’ai choisi de représenter cette violence pour que l’on puisse comprendre le suicide de Jocaste. En effet, dans ma version de la pièce, elle finit par se suicider car elle est répudiée par l’homme qu’elle aime. Je voulais faire comprendre le destin de cette femme, qui persiste à croire qu’Œdipe n’est pas son fils. En cela ma pièce est très différente du texte original.

Interviendrez-vous dans la mise en scène de la pièce ou laisserez-vous au metteur en scène une liberté totale ?

Le metteur en scène prend toutes les décisions concernant la représentation. Il a choisi le cadre du vingt-et-unième siècle : les acteurs seront placés dans un contexte très actuel. Il peut représenter la pièce en extérieur ou en intérieur. Cependant il doit me demander quand il veut effectuer une modification sur le texte. J’espère que le metteur en scène saura faire de cette pièce une belle mise en scène, et pourquoi pas un succès.

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