Comment Antigone fait-elle son apparition dans le roman ? 

Samuel est invité, en tant que metteur en scène, a un festival de théâtre à Vaisonla Romaine ( p 37 ) et on y représente Antigone d'Anouilh mis en scène par gérard Dournel; A cette occasion, Samuel montre à Georges ses propres indications de mise en scène car il envisage de remonter Antigone et il brandit le live comme un poing levé.(p 38 )  Il commente le prologue ed'Anoulh qu'il trouve très beau " c'est le dépouillement, la beauté pure "  Les acteurs sont déjà en scène protégés par le quatrième mur : " une façade imaginaire que les acteurs construisent en bord de scène pour renforcer l'illusion. Une muraille qui protège leur personnage. Pour certains un remède contre le trac. Pour d'autres , la frontière du réel.   "

Au fur et à mesure de leurs discussions, Samuel tente à plusieurs reprises  de convaincre Georges que la violence est une faiblesse mais ce dernier charrie de la fureur et  il y a tellement de colère en lui qu'il l'expulse par les combats physiques ; Un soir après une violente altercation, il se réfugie chez Sam qui écoute le requiem de Durufle accompagné par les paroles d'Antigone à la fin de la pièce : je ne sais plus pourquoi je meurs. " ( p 74 ) Georges réalise alors que le théâtre a permis à son ami de répondre à la guerre : au lieu de continuer à se battre, il a transformé ses résistances en gestes artistiques sur scène. Depuis 1979 il travaille à son projet de monter Antigone à Beyrouth pour donner deux heures de paix à la guerre  mais en janvier 1982, le cancer le bloque à l'hôpital et il place tous ses espoirs en Georges ; "Depuis toujours Sam voulait monter la pièce noire d'Anouilh dans une zone de guerre; Offrir un rôle à chacun des belligérants."  Il choisit finalement Beyrouth après un premier massacre dans le bidonville palestinien de la Quarantaine, suivi de représailles sur un village chrétien de Damour (p 89 )Il multiplie les contacts et finit par recruter des acteurs  qui acceptent tous de le recevoir en 1976. "le casting a duré 2 ans ; Antigone était palestinienne et sunnite; démon son fiancé un Druez du chouf. Créon un maronite de Gemmayzé." (95) Sam ne souhaite qu'un seule représentation dans un "lieu qui parle de guerre, labouré de balles et d'éclats."  Samuel Akounis luttait pour la vie d'Antigone.Georges accepte immédiatement et affronte la peur de sa femme Aurore qui juge sévèrement leur projet : "aller dans un pays de mort avec un nez de clown" s'exclame-t-elle , furieuse . ( 100 )  

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Créon et Antigone 

Dans le chapitre 9, Georges note ses commentaires après une lecture de la pièce qui le bouleverse. Il note que Créon est ému et tente d'épargner la vie de sa nièce mais la jeune fille refuse, souhaite la mort et l'attend. Après sa lecture, Georges es sent prêt à "accueillir en moi cette victime choisie par le destin." "je ne connaissais d'elle que son refus de vivre; Je ne savais de moi qu mon envie de vivre . " (105) Le personnage est encore loin de se douter que leurs trajectoires , la sienne et celle de la petite maigre, vont  tragiquement se rejoindre . 

Samuel a indiqué ses souhaits de mise en scène ; Pour les costumes: "la pièce doit parler  au présent" ; Les acteurs devront donc porter des tenues de leur époque; Georges découvre peu à peu leurs lettres de motivation, leurs photos et entre en contact d'abord avec Imane, sa future héroïne.Mais il ment à Samuel à l'hôpital en lui laissant croire que les répétitions se déroulent parfaitement alors qu'en réalité, il ne sait même pas si les acteurs vont accepter de venir répéter. Arrivé à Beyrouth, la guerre semble à Georges la plus forte et au milieu des salves qui claquent,  il imagine "Antigone était dos au mur,fusillée par la ville entière." ( p 128 ) Il rencontre Imane et elle le fait assister à une répétition d'un poème de Mahmoud Darwich, Identité qu'elle a fait apprendre à ses élèves et dont les paroles font référence à l'identité palestinienne : "pas de haine pour les hommes, que je n'assaille personne mais si j'ai faim je mange la chair de mon usurpateur , gare à ma fureur " Le lendemain , Georges et Imane se rencontrent dans un café de Beyrouth: il va ensuite trouver un phalangiste chrétien, frère de Charbel alias Créon,  afin d'obtenir un cessez-le feu de deux heures. Durant cette nuit, en compagnie des snipers, Georges sent une peur qui monte en lui et qui n'est pas celle de la mort mais celle de la fascination de la guerre (160) Georges assiste ensuite chez Marwan à la répétition de Hémon ; pour son père il a "le plus beau rôle, le plus grand de tous. qu'il incarnait l'exemple, l'espoir, la vie. Que dans cette pièce il mourrait par amour de la liberté et de la justice. Et aussi par amour d'un femme belle comme celles de leur montagnes." (176) 

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Un face à face tendu 

La répétition a lieu le 24 février 1982 dans un théâtre en ruines qui a également servi de salle de cinéma: un reste du décor antique est éparpillé à terre et les obus ont troué les murs . Georges note des indications qu'il destine à Sam : " une  tenture rouge. Un voile qui draperait tout l'arrière...Ce lieu serait celui du pouvoir."  Simone arrive la première et évoque le massacre de Damour durant lequel son petit fils de 18 mois  a été égorgé: Charbel arrive à son tour suivi par Imane accompagnée des femmes qui jouent Ismène et la nourrice. Avant même de jouer, les acteurs cherchent leur personnage en eux : "Deux acteurs se mesuraient. Des personnages de théâtre; Antigone te Créon. Elle le narguait. Il la défiait. Elle irait jusqu'à mourir. Il irait jusqu'à la tuer. "' ( 188) 

Georges commence à diriger la répétition: il place sur scène une photo de la générale de la pièce en 1944, 38 ans ans plus tôt  et installe les acteurs sur scène; il évoque ensuite les conditions difficiles de la représentation en France à cause de la guerre et demande aux acteurs d'oublier leurs religions et le conflit mais la chiite qui joue Eurydice ne souhaite pas mourir car "elle disait que jouer une femme qui se suicide c'était devenir cette femme " . Georges cède à sa requête ; Charbel poursuit en expliquant comment il a compris le personnage de Créon avec ses deux neveux morts pour rien dans une bataille absurde et son mensonge pour préserver l'honneur de la famille. Imane rompt l'accord en se présentant d'abord comme une palestinienne et seulement ensuite elle reprend ce qu'elle a conservé dans le personnage d'Antigone : " celle qui dit non. Qui refuse les ordres, les consignes, les conseils. Celle qui ne met pas sa couverture comme les autres.; qui va hurler que c'est elle. Qui va refuser le bonheur avec Hémon. Et qui va choisir la mort pour ne pas se trahir. " (197) 

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Le soir de la générale à Paris en février 1944
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Le narrateur raconte l'ambiance en février 44 pour la première de la pièce d'Anobli qui fut un triomphe; Anouilh a eu l'idée de cette pièce en 41 après avoir vu les affichettes rouges placardées par les nazis sur lesquelles ils affichaient le nom des terroristes  -résistants qui commettaient des attentats contre des collaborateurs ; En représailles les allemands fusillaient des otages ; Le  27 août 1941 un jeune ouvrier de 21 Paul Collette a ouvert le feu contre Pierre Laval ; il avait agi seul de son plein gré ; Torturé, il n'a pu avouer que son propre nom à la gestapo. Ce jeune résistant  lui a fait penser à Antigone . Les réactions de  la critique sont pourtant  partagées ; Pour la presse clandestine, cette pièce encourage la collaboration en tuant ceux qui s'y opposent ; Pour d'autres , au contraire "Antigone était une incarnation du refus. Offrant sa vie, elle condamnait Créon à la solitude des hommes perdus. Sa mort à elle serait sa chute à lui. Elle faisait de son royaume le lit de la colère. elle décimait la famille du bourreau, le laissait seul,avec trois gardes qui le tueraient bientôt après avoir acclamé la première poigne venue. " ( 199) Le public se lève bouleversé  pour acclamer les acteurs et 17 jours plus tard seront fusillés les compagnons de Missak Manoukian, rassemblés sur l'Affiche rouge des allemands et  qui diront face à leurs bourreaux : "je meurs en soldat régulier de l'armée française de la libération" . Quant à Antigone, dans la pièce, elle dit qu'elle ne sait plus pourquoi elle meurt. 

La première rencontre des acteurs et du metteur en scène est terminée et il leur donne rendez-vous le 4 juin pour la répétition dans un lieu plus facile d'accès ; Imane a  finalement accepté de n'être plus qu'Antigone et de renoncer à se présenter comme une palestinienne  "nous portons des masques de tragédie, dit Hussein, et ils nous permettent d'être ensemble; Si nous les enlevons , nous remettons aussi nos brassards est c'est la guerre. " (201) 

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Georges regrette alors de rentrer en France : il ne comprend pas pourquoi il ne reste pas là et il songe dans l'avion, en regardant sa photo entouré de sa femme et de sa fille, aux changements opérés en lui: " Après avoir lutté en compagnie des autres, après avoir  espéré avec  eux, souffert avec eux, il avait quitté le combat sans un mot. Il ne se doutait pas que le monde continuait sans lui. Il avait oublié sa propre colère. Son poing était devenu main ouverte. " Une fois à Paris, il se rend à l'hôpital et raconte à Sam la rencontre des acteurs.

La seconde rencontre a bien lieu le 04 juin 1982 au centre culturel grec et chaque acteur a apporté un accessoire : Imane un foulard le keffieh noir et blanc , Charbel une canne à pommeau d'argent qui fait office d'épée : "la faiblesse la toute-puissance " Ils vont lire la pièce durant 3 jours et prévoient de se retrouver mi-septembre afin de préparer l'unique représentation  fixée le 1 octobre 1982. Les acteurs ne sont pas d'accord sur le sens de la pièce ; Pour Hussein, "Antigone est une gamine sans autre cause qu'elle même " alors que pour Imane c'est un appel à la rébellion et pour Nakad une preuve d'amour. Georges leur rappelle que le texte a été écrit pendant une période noire de l'histoire et que chacun peut y puiser des forces . Il leur précise comment il entend jouer son rôle " Je suis le Choeur. Je viens de Grèce antique. Je suis ce qu'Anouilh a conservé de Sophocle; Je suis en marge. Je suis le narrateur. Je présente les personnages, je raconte, j'anticipe. Je suis à la fois le messager de la mort et la voix de la raison. Je vais tournoyer au milieu de vous mais vous n'y prêterez aucune attention. Vous parlez aux autres personages alors que je m'adresse au public. Je suis le seul à briser le quatrième mur. Le seul à accepter le caractère fictionnel de mon rôle...." (219) Sur scène, explique Georges, le public doit voir les personnages se déplacer comme des pièces d'échiquier. A la demande des acteurs, Georges tente de leur faire saisir leurs personnages;  "Le garde n'est pas idiot juste totalement investi dans sa fonction. C'est le théâtre de boulevard qui cogne contre la tragédie."   La force de ton personnage c'est que rien ne l'atteint. Boulot-boulot ajoute le metteur en scène à l'intention de Nabil le jeune chiite qui interprète l'un des gardes.  Pour Imane, Georges tente de définir Antigone " Elle est jeune, exaltée, ébouriffée mais pas folle: elle est forte; c'est celle qui dit non.   Son refus du bonheur doit paraître incompréhensible et séduisant; Elle veut tout, tout de suite ou rien, jamais plus. Antigone c'est à la fois notre courage, notre obstination et notre perte. " Georges termine par le personnage de Créon : personne n'a jamais su si c'était un salaud ou un héros; Chacun se débrouillait avec le Créon qui régnait à sa porte.  Charbel décide alors qu'Antigone mourra malgré lui et pas à cause de lui et Imane lui dit qu'il a le beau rôle. C'est à ce moment que le premier avion israélien se fait entendre à 15 h 11 et  bombarde Beyrouth...la répétition est terminée . Chacun se met à hurler en arabe et s'enfuit.. Le livre d'Anouilh  comme les acteurs, se retrouve éparpillé sur le sol .Vous pouvez lire la suite dans l'étude de l'extrait n° 2 ...