Voyons comment ce passage est construit et quel regard la romancière élabore autour de ce personnage de la mère ..rappelons tout d'abord que les romancier contemporains ne suivent pas précisément les codes de fabrication des personnages hérités des techniques réalistes (lire l'article du blog sur le réalisme) : en effet, ils construisent leurs personnages à partir de leurs voix et ne donnent qu très peu d'indications sur leur passé, leur identité, leur physique; Chaque personnage est saisi dans la vérité de l'instant comme une sorte d'instantané photographique  et le roman se forme à partir de ces saisies partielles. On parle souvent de vision kaléidoscopique pour montrer que les romanciers juxtaposent des états sans chercher à créer une continuité d'ordre chronologique ou psychologique. 

 Annonce des axes de lecture : Marianne est un personnage qui se caractérise par le lien qu'elle a tissé avec Simon: c'est une mère frappée par la douleur d'avoir perdu ce fils qu'elle aimait : la romancière fabrique une dimension pathétique autour de ce personnage de mater dolorosa ce que nous verrons dans une première partie avant de démontrer que la romancière fabrique également  un passage fantastique en évoquant d'abord la mystérieuse relation enter Marianne et Simon et ensuite en faisant disparaître le personnage au profit d'une sorte de rêve éveillé qui montre le coeur de Simon dans l'espace. 

1 Une image pathétique de la mère 

Le cadre tout d'abord est important : il fait nuit et Marianne ne parvient pas à dormir  il va être minuit : 23 h 50 exactement la précision de ce détail  rend la scène d'autant plus vraisemblable ; la douleur est personnifiée et agit avec violence comme le montre le verbe défonce; il appartient à un registre de langue familier et peut s'employer pour désigner  l'état d'une personne qui se drogue ; être défoncée, c'est perdre le contact avec la réalité et Marinent est comme dans un état  second ; L'analogie avec la drogue se poursuit avec l'expression "c'est là qu'elle peut tenir "; Notons que dans certains cas et pour certaines pathologies, les médecins plongent des patients dont la douleur est trop forte en coma artificiel afin que leur cerveau ne puisse transmettre cette douleur .

L'intervention du narrateur ou l'art de raconter  : ce passage montre un narrateur  à la fois témoin des faits mais qui semble ne pas tout savoir sur les personnages  "on s'en doute " peut être analysée de deux manières : dans une certaine mesure, cette intervention brise les codes de l'illusion réaliste dans la mesure où elle montre au lecteur la voix de celui qui écrit l'histoire (le narrateur ) et qui de ce fait est distinct du personnage ) ; mais d'un autre côté, cette intervention créée également une complicité avec le lecteur car ce on qui est mentionné, l'inclut lui aussi et le rend , en quelque sorte, partie prenante de l'histoire en train de s'écrire. Le point de vue du narrateur apparait également avec  'on la voit qui se redresse" : le point de vue ici est bien celui d'un narrateur témoin de la scène mais qui se contenterait de la filmer sans forcément tout savoir .

 C'est d'ailleurs le but des questions rhétoriques qui frappent le lecteur car elles introduisent à la fois une forme d'incertitude (le narrateur feint de ne pas savoir ce que pense le personnage donc il adopte un point de vue limité sur la scène ) mais en même temps il émet des hypothèses pour expliquer le sursaut Marianne : "se peut-il qu'elle ait capté l'instant où .." "se peut-il qu'elle ait eu l'intuition ' ? ; ces hypothèses font naître la dimension fantastique du passage qui va ensuite être construite avec l'image du coeur de Simon, relique sacrée qui effectue un voyage dans l'espace . Ces mêmes questions métaphysiques reviendront à la fin du passage et Marainne finira par leur donner une réponse rassurante : "il est irréductible: c'est lui ; elle ressent un calme profond " ; La mère peut repenser alors à son fils comme à un être qui ne peut se réduire à sa matière charnelle " Le choix de l'adjectif "irréductible " prouve que , bien qu'on ait côté au corps de Simon certains organes, il peut demeurer entier en présence dans l'esprit de sa mère .  Les questions se transforment elles aussi en "cerceaux bouillants " et vont ainsi se transformer les "linéaments magnétiques " dans son imagination : ces linéaments vont maintenir les liens indestructibles qui la relient à son fils 

2. Une liaison mère/fils fantastique : la connexion au delà de la mort ?

Le narrateur laisse entendre que ce qui relie ces deux personnages est de l'orde du surnaturel et il crée des images pour essayer de rendre concret et visible cette connexion. D'abord nous remarquons le verbe connecter et l'image des "linéaments magnétiques " Le mot linéament s'emploie plutôt dans un contexte géologique ou géographique car il désigne les lignes qui marquent les accidents de surface  des roches qui provient des mouvements dans l'écorce terrestre ; sur une carte, les linéaments désignent le relief des sols et dans le roman, on comprend que ce mot désigne des sortes de fils, un peu comme des arcs électriques  qui traverseraient l'espace-temps pour maintenir le lien mère-fils; L'imagination de la romancière est nourrie ici des images des failles de l' espace temps où les ondes électromagnétiques renvoient à une activité cérébrale ou simplement électrique; On peut aussi rapprocher ces linéaments du fonctionnement du cerveau et rappeler que ce sont des  machines électriques qui maintiennent le corps de Simon en vie et qu'elles  vont être débranchées ; la romancière veut nous faire percevoir que le cerveau de Marianne enregistre en fait , comme par intuition , ce qui est en train d'arriver à Simon. La relation mère-fils est qualifiée de proximité impalpable : avec l'allitération en p, on voit ici les liens se former avec espace, profondeur et temporel .La mère veut se raccorder , rester raccrochée à son fils et pénètre dans cet espace interdit qui forme comme une zone de veille ; La romancière veut sans doute ici évoquer par cet euphémisme "espace interdit " les mystères de la mort " et la "zone de veille" peut peut- être rappeler l'une des fonctions maternelles par excellence : celle qui consiste à veiller sur son enfant , à le protéger, à le rassurer. A noter que dans le roman, cette fonction maternelle est occupée , parmi le personnel soignantt, par Thomas Rémige qui va prendre , dans le milieu médical, le relais de la mère auprès de Simon; Il va le rassurer en lui passant le casque avec la musique choisie par Juliette, en lui récitant les noms de tous ceux qui pensent à lui, en prenant soin de son corps avec la toilette et le chant de la mort pour l'aider à franchir cette mystérieuse frontière entre le monde des vivants et celui des morts. Frontière qui justement s'efface dans les rêves ....

3. L'effacement du personnage au profit du rêve 

A mi -chemin du rêve et de la réalité, la romancière va utiliser le personnage de Marianne pour être le point de départ d'un passage onirique du roman où elle imagine  les pensées de la mère, ses rêves et le coeur de Simon qui vole. Cette sorte de rêverie métaphysique manifeste  la  croyance  éternelle et ancestrale en une forme de vie après la mort , dans le souvenir de ceux qui ont aimé les défunts. La rêverie s'organise elle aussi à partir d'un cadre : cette nuit polaire qui forme un décor fantastique comme une apparition lumineuse, une sorte d'étoile filante qui illumine l'espace: ainsi pour préparer cette apparition,   les nuages  se "déchirant" , "le ciel opaque se dissolve" ; le coeur de Simon est comme l'étoile polaire : celle qui dans les légendes guide les hommes vers Dieu ou les met sur la bonne voie; par analogie et comme par glissement, le coeur se transforme en relique sacrée : (la relique était le reste d'un corps de saint qu'on adorait et qu'on venait prier : cela pouvait être une main , un morceau de squelette et bien évidemment le coeur qu'on conservait  précieusement ) Ainsi à cette apparition de l'étoile dans le Ciel coïncide ce voyage du coeur dans son "caisson " et le narrateur note que le plastique de la paroi "brille dans les faisceaux de lumière électrique " ; Un lien est donc clairement établi entre les deux voyages, celui de l'étoile observée par la mère et celui du coeur de Simon transporté par Virgilio . 

La vision du personnage dans l'appartement a donné naissance à ce voyage réel d'abord du coeur de son fils dans la voiture et ensuite à un voyage imaginaire et mythique qui nous plonge au Moyen-age à l'époque où on convoyait "les coeur des Princes " dans les cités; Simon devient ainsi un personnage de légende lui aussi, à l'instar de ces souverains d'autrefois dont les dépouilles étaient vénérées et devant lesquels les gens se recueillaient "on se signait en silence pour regarder passer ce cortège extraordinaire" Le personnage de Simon obtient ainsi grâce à ces comparaisons une dimension sacrée

Attention j'ai coupé une partie de cette description du voyage médiéval dans vos passages dactylographiés...

La fin du passage nous ramène à Marianne et aux questions métaphysiques qu'elle se pose et que tous les lecteurs peuvent également partager : "que subsistera t-il dans cet éclatement de  l'unité de son fils" : cette interrogation pose le problème des liens entre le corps et l'âme ; l'esprit est un et indivisible alors que le corps peut être morcelé ; Notre unité est avant tout spirituelle et n'est pas liée à notre enveloppe corporelle : du moins pour ceux qui croient à l'existence de l'âme ; pour certaines religions, âme et corps ne peuvent être séparés et donc les parents refusent les dons d'organes par peur de perdre l' âme de leur enfant 

 En conclusion ,la romancière donc  imaginé pour ce passage important  qu'au moment où on opère son fils mort pour lui prélever ses organes et les envoyer un peu partout en France,, Marianne , sa mère  perçoit du fond de sa peine, une sorte de lien indestructible en pensée entre elle son fils et elle est soulagée de sentir sa présence irréductible ; le personnage de Simon acquiert ainsi une dimension sacrée, mythique en se transformant en étant comparé aux  souverains défunts des temps anciens