Robespierre  commence  une technique qui a fait ses preuves : rassurer l'auditoire : le verbe complèter l 1 sous-entend que sa théorie de la propriété vient juste s'ajouter à celle admise par la majorité des députés alors qu'en réalité son discours vise à modifier la conception même de la propriété.  Il fait d'ailleurs état à la ligne 2 de l'inquiétude supposée de la foule  et anticipe ainsi sur les arguments de ses adversaires ; c'est un excellent moyen de désamorcer leurs appréhensions . Le subjonctif ici a une valeur d'exhortation : il exerce ainsi une pression sur l'auditoire et les met dans de bonnes  conditions pour écouter la suite; L'adresse au public : âmes de boue  l 2 contient pourtant  une forme de provocation ; Le style imprécatif est  néanmoins souvent employé pour créer un contrat avec le public ; L'orateur se sert ici de la fonction phatique du langage: et instaure la communication . Anticipant la défiance et un rejet éventuel de la part des riches propriétaires, Robespierre emploie le mot trésors au lieu du mot argent et rend ainsi quelque peu ridicule l'amour de l'argent dont font preuve les propriétaires ; A la ligne 3 , il rend explicite l'une des principales accusations qui vont permettre la réforme du droit de propriété : l'origine douteuse des richesses acquises, souvent octroyées lors de la période féodale par le roi pour récompenser la valeur militaire des aristocrates qui se battaient pour le royaume; En effet, pendant des centaines d'années, le pouvoir royal a utilisé comme principale rétribution pour les vassaux de la couronne, les terres du royaume et les paysans se sont ainsi retrouvés sans ressources propres, obligés, pour pouvoir exploiter la terre , de payer un loyer à leurs seigneurs  sous forme d'impôts qui ne cessent d'augmenter . Robespierre entend ainsi souligner les abus commis par la royauté. L'adjectif impure a des connotations négatives et rabaisse ainsi ceux qui  ont obtenu des richesses de cette manière.L'orateur se sert ensuite d'images fortes pour qualifier une réforme politique qu'il combat: la loi agraire ;  (l 3) Il la qualifie de fantôme ce qui souligne son caractère inconsistant et quasi irréel et précise qu'elle émane de fripons; Il contribue par l'usage de ce terme péjoratif  à disqualifier ces adversaires; cette technique qui consiste à rabaisser ses adversaires a un nom: il s'agit d'argument ad hominem c'est à dire d'arguments qui s'attaquent à la moralité de vos ennemis; On va ainsi  particulièrement utiliser les insultes ; C'est le cas ici avec fripon, renforcé par le terme imbéciles  ('l 4 ). Souvent les arguments ad hominem sont peu efficaces mais ils jettent un doute dans l'esprit du public et surtout visent à rabaisser ceux qui soutiennent la thèse inverse de celle que l'on défend . De plus, en utilisant le terme épouvanter , Robespierre sous entend que ses adversaires sont peureux car ils craignent des chose qui n'existent pas : les fantômes. Nous ne sommes plus ici dans le domaine rationnel ni logique. 

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Il rappelle ensuite une évidence au public en rétablissant un lien causal direct entre les inégalités de richesses et les malheurs du pays et y précise le rôle de la révolution; En effet, Robespierre est l'un de ceux qui pensent qu'il faut avant tout s'attaquer aux cause des phénomènes pour les faire disparaître et il met en évidence ainsi la nécessité de réduire "l'extrême disproportion " des fortunes;  ( 5 ) En employant l'adverbe d'intensité extrême , il montre que la marge d'action est importante et continue à rassurer les nantis. Le parallélisme de construction  qui introduit la restriction dans la seconde partie de la phrase à l'aide de l'expression nous n'en sommes pas moins convaincus ...reflète ici l'équilibre de la pensée ; Robespierre ne veut pas l'égalité des biens  pour tous car il dénonce le caractère utopique d'une telle idée en la qualifiant de chimère (6 ) ; Une chimère est une créature mythologique monstrueuse et légendaire et  au sens figuré, désigne un rêve insensé ,  un but impossible à réaliser . L'orateur rappelle ensuite qu'il défend avant tout l'intérêt général en faisant passer la félicité publique (7 )  avant le bonheur privé ; Il anticipe ici sur les éventuels conflits politiques  entre la défense  de l'intérêt général et la défense des  intérêts particuliers . Le terme félicité , quelque peu archaïque ,fait référence  à la Rome antique et prépare la comparaison avec les arguments des orateurs romains .

En effet, Robespierre s'inspire fortement des figures de l'éloquence antique et fait allusion à des personnages historiques pour servir d'illustration à ses propos. Fabricius  ( l 8) est un général romain devenu consul qui fut célèbre à Rome au troisième siècle avant JC par son refus des biens matériels et de l'argent  ; Il refusa par exemple les cadeaux des nations vaincues car il pensait que l'argent pouvait amener la corruption et mourut dans la plus garde pauvreté.Il est cité en exemple par le philosophe Jean Jacques Rousseau dans ses discours pour vanter les mérites de l'absence de vénalité et pour prouver qu'on peut être heureux sans posséder beaucoup de biens matériels ; En effet, Rousseau imagine que le consul vivait dans une chaumière (c'est le mot qu'il emploie dans le Discours sur les Sciences et les Art notamment en 1759 ) ; Robespierre reprend ici clairement les thèmes et les arguments de Rousseau qu'il admirait notamment pour ses réflexions sur le Contrat Social ; Rousseau pensait en effet que les nations devaient se doter d'un contrat moral entre les individus et l'état afin de soutenir l'intérêt commun contre les tentations d'abus des individus et que la loi doit protéger le collectif et servir au plus grand nombre . Quant à Crassus sénateur romain du premier siècle avant JC , il est célèbre pour ses richesses et on le considère comme l'homme le plus riche de Rome; Il s'et enrichi notamment par des spéculations foncières et les dons reçus lors des victoires militaires de ses légions. Il symbolise la cupidité et l'enrichissement qui découle la simple l'activité politique . Robespierre oppose ici ces deux symboles et choisit de se ranger dans le camp des hommes publics désintéressés ; Il tient à convaincre ses auditeurs de sa probité et de sa morale.  Il poursuit ce raisonnement en s'identifiant à un fils d'Aristide. Aristide, surnommé le Juste, est une figure politique symbolique de la démocratie athénienne du cinquième siècle avant JC qui se démarque de ses adversaires par sa probité et son refus de l'enrichissement : il est réputé dans la Grèce antique pour avoir soutenu l'intérêt  général de la Cité contre les tentatives des riches sénateurs de privilégier leurs intérêts . Alors que Xerxès est un empereur perse  de la même époque  (- 500 ) dont l ' Empire a été démantelé notamment à cause des guerres que se livraient ses fils . Comme il a opposé la chaumière au palais, Robespierre oppose ici un lieu où règne la vertu: le Prytanée à un lieu de vices, matérialisé par la fange  des cours qui conduit implicitement à  l'avilissement des peuples : deux termes aux connotations fortement péjoratives . Le paradoxe final "brillant de la misère publique " crée un lien implicite entre l'enrichissement des gouvernants et la pauvreté du peuple; l'adjectif brillant connote le luxe et l'or et montre ainsi de manière choquante le contraste entre le luxe et la misère. Robespierre dénonce ainsi les hommes politqiues qui s'enrichissent grâce à leurs activités et contribuent par leurs abus à rendre le sort du peuple encore plus précaire ; Double injustice en quelque sorte !

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Après ce détour par l'histoire antique et cette référence à Rousseau, l'orateur poursuit son raisonnement politique et revient à son intention première :  réformer le droit à la propriété et le moraliser . Il est donc logique qu'il emploie les illustrations en relation avec la moralité des hommes politiques antiques : il place ainsi l'argumentation sur le plan éthique : celui des valeurs morales et particulièrement du bien -agir; En effet, il s'agit ici de décider les députés à voter une loi qui moralise le droit à la propriété.  On retrouve également la notion de vices que s 'efforce de combattre Robespierre . Il oppose ainsi la bonne foi aux préjugés dont les hommes font preuve et se pose ainsi en défenseur de la vérité: Il est celui qui cherche à éclairer , ce qui métaphoriquement est rappelé par les nuages épais (l 13 ) image qui matérialise ce  qui empêche les hommes de voir clair . Robespierre se place ainsi dans la lignée des Lumières dont il réutilise le vocabulaire ;

Ses arguments se font plus précis et il s'attaque d'abord aux esclavagistes qu'il qualifie de "marchands de chair humaine " : cette expression se veut choquante et l'orateur poursuit avec des termes évocateurs comme la longue bière, périphrase  qui désigne le navire ; une bière est un cercueil et ici Robespierre sous- entend que les bateaux qui contiennent des esclaves sont pour eux des cercueils car ils effectuent les traversées dans d'horribles conditions. Les attaques contre l'esclavage reprennent celles des Lumières et de Voltaire notamment qui dans Candide , dénonce la cruauté des esclavagistes et les traitements inhumains qu'ils font subir à leurs esclaves, considérés comme des marchandises dans le Code Noir, texte qui légalise et dicte les règles de la traite des noirs. Pour dénoncer cette situation, Robespierre emploie des verbes  de parole à l'impératif comme des adresses à ses destinataires : demandez, ligne 14, interrogez, l 16 et 19 . De plus, il invente même les réparties de ses interlocuteurs en imitant ainsi la prosopopée ,procédé utilisé dans l'Antiquité par les orateurs et rendu célèbre par le philosophe  Jean-Jacques Rousseau dans son Discours sur les Sciences et les Arts qui donne la parole à un sénateur romain, Fabricius,  procédé d'éloquence repris par Robespierre. 

De plus, Robespierre établit un rapprochement entre les esclavagistes et les membres des familles royales qui ont régné pendant des centaines d'années sur l'Europe;  Il raisonne ainsi par l'analogie. Par ce biais, il assimile,dans le paragraphe qui suit, les membres de la "dynastie capétienne"  ( l 19) à des esclavagistes  qui , ont eu, selon lui, le droit héréditaire "d'opprimer, d'avilir " les populations; Ce sont ici deux termes aux connotations négatives qui dénoncent les abus de la monarchie. On retrouve ici les principales critiques des Lumières envers les Grands et leurs caprices; en effet, les Lumières n'ont cessé de dénoncer les effets dévastateurs des guerres de successions sur les paysans et les populations les plus démunies, guerres menées simplement pour les caprices et l'orgueil démesuré des Princes qui souhaitaient agrandir leurs territoires et étendre leur domination; Voltaire notamment, dans l'article guerre de l'Encyclopédie, dénonce les caprices des Princes; on retrouve cette idée dans le discours de Robespierre avec la mention, ligne 22 , du bon plaisir des capétiens. Cette expression présente, en effet, leur manière de gouverner comme obéissant simplement à leurs envies personnelles . Or, pour Robespierre, un dirigeant est responsable du bien -être de se concitoyens et a des devoirs envers les plus faibles.  En s'appuyant sur le principe du droit héréditaire cité ligne 20 , les familles royales disposent ainsi de la propriété du pouvoir : la plus sacrée des propriétés (l 20 ) On sent ici tout l'ironie de l'orateur quad il ajoute "sans contredit "; Il montre ainsi que les partisans de la monarchie n'admettent pas qu'on ne puisse pas partager leurs idées et sont donc intolérants . 

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Arrivé à ce point de son discours, Robespierre va maintenant développer sa thèse en reprenant d'abord celle de ses adversaires : "aux yeux de tous ces gens là, la propriété ne porte sur aucun principe de morale " ; il entend justement démontrer qu'il faut renoncer à cette manière de penser sous peine de ressembler à toux ceux qui ont commis des abus; Il sait qu'il doit convaincre, parmi les députés , les riches propriétaires terriens qui ne vont pas renoncer facilement à leurs propriétés . Il se fonde alors sur la déclaration des droits de l'homme qui définit la constitution du nouveau gouvernement et établit un parallèle entre l'énoncé dd droit fondamental à l liberté , qui repose sur des valeurs morales dans la mesure où la liberté de chacun a pour bornes les droits d'autrui et que la liberté est un droit sacré que l'homme "tient de la nature " ; Par analogie, si la propriété ,  en tant que droit ,comme la liberté ,est garantie par la Constitution alors nul ne peut s'en arroger la détention et en priver les autres hommes. C'est ainsi que Robespierre entend réformer le droit de propriété et il énumère ensuite les articles qui lui semblent essentiels . Il déclare , une nouvelle fois, agir au nom de la Vérité pour combattre les Vices . (31)  Il termine son argumentation en reprenant les critiques contre les abus des nantis ; En effet, il juxtapose les termes riches, qui ne possède pas de connotation négative, avec accapareurs, agioteurs qui désignent des gens qui utilisent l'argent gagné à des fins personnelles et sont poussés sur l'appât du gain :ce deux termes  possèdent de fortes connotations négatives; Mais surtout, il place en fin d'énumération le terme tyrans qui lui est sans rapport direct avec l'argent mais dénonce simplement les abus liés à l'exercice autoritaire du pouvoir; Il recrée donc un lien analogique dans son argumentation entre abus des riches et abus des politiques ; ce qui par simplification revient à identifier abus des riches et abus politiques . 

Le discours prend alors la forme d'une proposition de réforme de la constitution et les députés devront ensuite voter l'adoption du texte ou le rejeter, ou alors en amender certains articles .  

En conclusion, Robespierre a déployé dans ce discours , toutes les ressources l'éloquence antique et reprend la plupart des idées déjà défendues par les Lumières dans la génération précédente ; En réformant le droit à la propriété , il entend pouvoir l'étendre à un grand nombre de citoyens qui jusqu'alors en avaient été écartés; On peut ainsi dire qu'il a été un des pionniers du combat pour l'accès à la propriété (et notamment au logement ) des classes les plus  modestes, Etre propriétaire de  son habitation, par exemple, ou des terres, que l'on cultive, peut ainsi contribuer à faire reculer la misère dans les campagnes et dans les villes et contribuer au Progrès  de l'ensemble de la Nation .