Nous sommes au début du roman juste après ce  tableau de la Cour de France à l’époque des Valois, cour où règnent l’observation permanente, les intrigues, la galanterie, la dissimulation et le paraître.  Mme de Lafayette s’est arrêtée un instant sur le duc de Nemours pour en peindre les qualités exceptionnelles juste avant d'évoquer son projet de mariage avec la reine d'Angleterre.. Elle nous propose maintenant celui de la future Princesse de Clèves, tout autant extraordinaire, et le lecteur, même à ce stade du roman, ne peut s’empêcher de rapprocher les qualités des deux personnages .Le portrait qui nous est proposé  va précéder lui aussi un projet de mariage ; il est  quelque peu surprenant par rapport à celui des autres personnages dans la mesure  où l’on s’attendait surtout  à une description physique et morale de l’héroïne mais on va davantage trouver l’évocation des qualités de  sa mère et des références précises à  l’éducation particulière qu’elle lui a donnée. Quels sont les éléments de ce portrait ?

Un personnage exceptionnel

Il parut alors une beauté à la cour . Sans surprise, Mademoiselle de Chartres est avant tout une beauté car on s'accorde à penser que pour un portrait féminin, il s'agit de la qualité essentielle et première , celle qui domine de loin toutes les autres . Il s'agit également d'un cliché qui définit la femme idéale selon des canons qui varient historiquement.Mme de Lafayette fait ressortir le caractère exceptionnel de son personnage également à travers la tournure impersonnelle « Il parut alors une beauté » qui marque une rupture dans le récit par la présence du passé simple et permet de retarder l'identité de cette personne encore désignée à travers la métonymie « une beauté ». → En outre, les hyperboles telles « les yeux de tout le monde », « si accoutumé à voir de belles personnes » s'enchaînent pour mettre en valeur le personnage et ses qualités attendues mais  mais l'auteure  traduit aussi l'importance de l'apparence à la cour par le champ lexical du regard « yeux », « admiration », « voir ». Le personnage, en effet, devient le centre de toutes les attentions avec "attira les yeux de tout le monde " Elle passe sans transition de l'anonymat à la lumière .
 Enfin, la narratrice fait état de sa filiation qui la situe à un rang très enviable parmi les Grands  « de la même maison que le Vidame de Chartres » .Le superlatif
« une des plus grandes héritières de France » fait entrevoir le projet de mariage qui se dessine.  Elle devra préserver les intérêts de sa maison. Le rapprochement avec son oncle le Vidame,montre aussi les alliances qui se profilent. D'avance elle sera détestée de la maîtresse du roi et on devine les dangers qui la guettent. Un premier élément plutôt inattendu c'est la mention de  Mme de Chartres , sa mère ; cette dernière est présentée assez précisément et vient interrompre le portrait qui est effectué de sa fille. Décrite comme "une femme dont le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires" , elle permet d'introduire la dimension morale . 

 Une jeune femme bien éduquée

On comprend alors que c'est à travers l'éducation que la jeune femme a reçue, qu'elle est présentée. Ainsi, à la ligne 244, l'absence du père est évoquée mais très rapidement si bien que l'on comprend que Mme de Chartres s'est faite toute seule et a vécu plus librement que les autres femmes de son entourage mais loin de la cour ainsi qu'en témoigne la ligne 245 « sans revenir à la cour ».  Son éloignement de la cour est justifié par le temps qu'elle a accordé à l'éducation de sa fille. L'expression « avait donné ses soins » fait ressortir l'abnégation de cette femme et participe à la mettre en valeur. Elle se caractérise comme une mère indépendante, solide et austère. Il est intéressant de noter que l'auteure n'évoque à aucun moment la beauté de Madame de Chartres !  L'éducation donnée à  Mademoiselle de Chartres est présentée comme complète ainsi que l'indique la corrélation dans la phrase «mais [...] pas seulement [...] aussi » l. 248 Ainsi, « esprit », « beauté » et « vertu » sont présentés comme des piliers éducatifs. A noter que le substantif « vertu » est un terme clé car il met l'accent sur les qualités morales, la force avec laquelle l'individu tend au bien. On peut penser que beauté et esprit forment une sorte de capital à faire fructifier alors qu'il semble plus difficile d'implanter la vertu et de la "rendre aimable" ; autrement dit les efforts portent essentiellement sur la capacité à bien agir. Mme de Chartres est évoquée, à travers ce passage ,  comme une femme d'exception puisque  différente de la plupart des mères comme on le voit  ligne 249 . Sa méthode va à l'encontre des fausses idées qui consistent à penser que l'on nie ce dont on ne parle pas.  Madame de La Fayette souligne ici les défauts de l'éducation reçue par les jeunes filles de cette époque, jeunes filles auxquelles on ne parlait pas des dangers de la séduction et des pièges de la galanterie et qui, de fait , se trouvaient fort démunies à leur arrivée dans le monde .  En agissant différemment, Madame de Chartres est présentée comme allant à l'encontre des principes généraux de la Cour :  en effet, il est précisé que " Madame de Chartres  avait une opinion opposée " ( l 251) La métaphore « peintures de l'amour » sous- entend que tous les aspects de cette passion sont évoqués, illustrés, discutés mais aussi que Mme de Chartres s' emploie  à la formation de sa fille par tous les moyens  : elle « montrait » , « contait » , « faisait voir » La jeune fille a donc été mise en garde et paraît prête à entrer dans le Monde.La longue proposition qui débute à la ligne 257  semble montrer l'étendue de l'éducation prodiguée à sa fille et on imagine les longues discussions  qu'elles ont pu échanger durant ces années.  On voit apparaître , grâce à de nombreuses antithèses « agréable/dangereux », « d'éclat et d'élévation /difficile » une véritable complexité des sentiments amoureux . 

Les dangers de l'amour  : Les plaisirs ne pèsent que très peu en comparaison de leurs désagréments et des risques encourus : la construction de la subordonnée complétive "  elle lui montrait ce qu'il a d'agréable pour  la persuader plus aisément sur ce qu'elle lui en apprenait de dangereux"  ( 253) révèle le but de Madame de Chartres: former l'esprit de sa fille à la méfiance. On remarque  d'ailleurs que la vision de Mme de Chartres à l'égard des hommes est plutôt négative ainsi que le suggère l'énumération ternaire  « le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité »( 255)  ; Le tableau est  bien sombre ici et n'incite pas à croire les déclarations de ses Messieurs. Pour mieux convaincre la jeune fille, Madame de Chartres, en bonne pédagogue,  fait en sorte d'opposer au tumulte des passions amoureuses, la douceur de la vertu à travers une construction similaire en trois temps : « tranquillité », « éclat » et « élévation » sont les bénéfices qu'on tire d'une vie vertueuse.  L'idée est qu'il est préférable d'être admirée pour sa vertu que pour sa beauté .  Au milieu de cette peinture de l'amour, le risque est bien grand de sombrer "dans les malheurs domestiques " et on retrouvera, dans les dernières paroles de la mère mourante, ce risque de chute qu'elle veut à tout prix éviter à sa fille. Donc, le système éducatif de Mme de Chartres repose sur l'opposition des  aspects négatifs de la passion amoureuse, et de la galanterie et la mise en valeur des bénéfices liés à  la vertu   La méfiance apparaît comme un point essentiel également ainsi que l'indiquent les expressions hyperboliques « extrême défiance » ou encore « grand soin ». Ces expressions sont à mettre en relation avec la morale janséniste de l'époque qui s'oppose aux jésuites et à la cour. On voit que Mme de Chartres peint le mariage comme un amour mutuel et qu'il faut préserver ainsi que l'exprime le rythme binaire « aimer son mari et d'en être aimée ». On retrouve à travers cette idée l'idéal précieux du XVIIe s. : un amour réciproque et sincère à travers le mariage doit garantir le "bonheur" d'une femme et elle doit s'y tenir sous peine de déchoir.

Texte écho : Cette position sera celle que défendra encore la présidente de Tourvel, dont le coeur est agité par les déclarations amoureuse du Vicomte de Valmont . Elle continuera à dépeindre la passion comme un orage, un tumulte, une tempête qui mène aux pires naufrages et vante les mérites des liens du mariage dans lesquels devoirs et plaisirs se rassemblent .

 Un projet à venir : Mlle de Chartres paraît à la cour pour y être mariée  : Le portrait , à travers l'emploi du substantif « héritière », envisage désormais l'ambition familiale des Chartres. D'ailleurs le démonstratif « cette » semble traduire les regards qui se posent sur elle car elle est convoitée à la cour : « proposé plusieurs mariages » (l. 246). L'expression hyperbolique « extrême jeunesse » (l. 245) fait écho à « extrême défiance » quelques lignes plus haut (l. 241) mettant en évidence sa singularité par rapport aux autres jeunes femmes du même âge beaucoup moins avisées qu'elle. On peut penser que la jeune fille devra rapidement affronter des situations pour lesquelles son éducation l'a  justement préparé. La narratrice fait ressortir la satisfaction que Mme de Chartres a de sa fille et à travers elle de l'éducation qu'elle lui a donnée et donc de sa propre image ainsi que le suggère l'adjectif « glorieuse » (l. 247). Ainsi la mère nourrit beaucoup d'orgueil et entend bien la marier au meilleur parti pour que cette union contribue à rehausser le prestige de la lignée des Chartres. Devenue le point de mire d'une cour où règnent les apparences et la galanterie, la jeune fille, âgée de 16 ans , parviendra-t-elle à appliquer ce que sa mère a tenté de lui transmettre ?  .

Cet extrait  qui nous dresse un portrait à la fois conventionnel et original de l'héroïne ,semble construit de manière circulaire puisque le but de cette présentation au lecteur et à la cour , c'est de voir en Mlle de Chartres la femme idéale : cultivée, belle et surtout vertueuse. Mlle de Chartres correspond aux canons de beauté de l’époque, à savoir la peau blanche et la blondeur. Le portrait physique attendu est finalement assez vague  voire même assez abstrait . C'est une jeune femme charmante avant tout  et c'est sans doute une volonté de Mme de La Fayette de laisser le spectateur projeter n’importe quelle image idéalisée.  Situé au début du roman,  ce portrait de l'héroïne la révèle à la cour d'Henri II . Le lecteur la découvre également pour la première fois. Son portrait s'inspire  encore de la préciosité par la perfection hyperbolique de la jeune fille mais il relève surtout du roman psychologique par l'importance accordée au portrait moral et surtout à l'analyse à laquelle se livre Mme de LAFAYETTE pour expliquer les vertus dont est dotée son héroïne. Pour autant, ce portrait laisse présager un destin compliqué voire tragique : Mlle de Chartres est jeune, inexpérimentée ; Dès sa première apparition dans le roman elle est présentée enfermée dans un ensemble d'obligations qui dirigent sa vie et lui montrent comment se comporter face aux hommes . L'insistance de la narratrice sur les principes de son  éducation et la peinture qu'elle fait d'une cour dominée par les aventures galantes, aiguille le lecteur sur l'intrigue du roman. Le dilemme majeur  pour l'héroïne est  déjà présenté en filigrane : céder à la  passion amoureuse et se perdre   ou suivre le difficile chemin de la  vertu et s'élever moralement . Mlle de Chartres va pouvoir mettre les enseignement de sa mère à l'épreuve, juste après son mariage avec le Prince de Clèves, lors de sa rencontre avec Nemours.