Un portrait peu flatteur des courtisans : Hugo les montre tout d'abord médisants ; ils ne cessent de se jalouser les uns les autres et de dire du mal des absents, de soupçonner des secrets inavouables et des complots : Ainsi ils admettent mal être dirigés par une femme (la reine ) et soupçonnent cette dernière d'être sous la coupe de Don César.  Ils font de César un portrait caricatural : ce dernier serait un être singulier qui vit dans le noir, entouré de serviteurs muets et qui a la réputation d'avoir été "le plus grand fou que la lune eût vu naître " ; les ministres rappellent alors sa vie dissolue "il changeait tous les jours de femmes, de carrosses" et imaginent des secrets peu avouables qui pourraient justifier sa fortune ;  ils sont en réalité extrêmement jaloux de son ascension fulgurante car il est devenu leur maître :" le voilà secrétaire universel, ministre et puis duc D'olmedo": on mesure ici toute la rancoeur des propos tenus par le Comte de Camporeal . Pour le public qui connaît les origines du personnage de Ruy Blas devenu Duc, les soupçons des conseillers créent un effet dramatique car le secret de ce dernier risque d'être découvert; On obtient même un effet comique quand il est question de sa "grande race " selon l'intervention de Don Ubilla . Les spectateurs mesurent alors l'erreur commise par les conseillers et réfléchissent  aux compétences de Ruy Blas ainsi qu'à son rang social ; Quelles sont les qualités indispensables pour bien gouverner ?

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Tel est l'enjeu de ce passage de la pièce . Pour les ministres, la réussite de ce récent Duc d'Olmedo serait liée à la préférence que la reine lui accorderait et l'expression "on le sert derrière le rideau " au début du passage, sous- entend qu'il obtient des faveurs  intimes de la part de la souveraine. De plus, lorsque Ubilla prend sa défense pour expliquer qu'il le croit "homme probe" ; les autres conseillers se moquent de lui et de sa naïveté  ; la cour apparaît alors comme un lieu où règne la médisance et les courtisans ne sont pas de modèles d'honnêteté : loin de là !

Entre eux, ils se querellent et se jalousent et s'invectivent à plusieurs reprises ; Les didascalies externes indiquent clairement que le ton monte par moments : les groupes d'hommes causent "à voix basse " , signe qu'ils ne veulent pas être entendus par tous; les apartés sont fréquents comme l'indique bas; Covadenga est montré "s'échauffant"  et Montazgo "se récriant " ; les rires moqueurs entrecoupent les prises de paroles à trois reprises : " éclatant de rire " par exemple pour marquer l'intervention du Comte de Caporeal; la scène se termine par une sorte de brouhaha où note le dramaturge:  "tous se lèvent et parlent à la fois, se querellant

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Le conseil privé du roi prend alors des allures de marché, une véritable foire d'empoigne  et les tractations entre les ministres nous paraissent sordides : l'Espagne est alors comme un gâteau dont chacun chercherait à se tailler la meilleure part.

La cupidité des conseillers est mise en évidence par de nombreux indices et il est en effet, beaucoup question d'argent dans cette scène; nous notons d'abord que ,des sommes précises  sont rappelées comme par exemple le coût de l'entretien des gens au service de la reine : "six cent soixant quatre mille soixante -six ducats " et ce montant est prononcé "en appuyant sur les chiffres ";  ce pactole est considéré comme une proie dont on chercherait à s'emparer; la métaphore "jeter le filet à coup sûr "désigne l'idée selon laquelle Ruy Blas serait intéressé par la fortune de la souveraine; le Comte du Caporeal poursuit sa réplique en ajoutant une sorte de maxime : "eau trouble, pêche claire " qui discrédite les intentions du Duc d'Olmedo, qualifié implicitement ici d'homme vénal; ce type de commentaire traduit, en fait , pour les spectateurs, la cupidité des ministres qui sont présentés comme avides d'accroître leurs richesses personnelles au détriment de l'intérêt public; Tous les moyens leur semblent indiqués pour augmenter leurs privilèges : le népotisme est mentionné . Montazgo cherche à placer son neveu à un poste d'alcade et il a payé pour cela Ubilla , ou plutôt ce dernier a détourné de l'argent public à des fins personnelles. La corruption est pratiquée à tous les échelons du royaume : Ubilla, en échange attend en retour la nomination de son cousin, à un poste de bailli. Ces emplois publics étaient rémunérés grassement et ne pouvaient s'exercer sans l'intervention d'un parent , d'une personne ami haut placée. 

Le lecteur a l'impression d'assister à la mise à sac du royaume d'Espagne comme si ce dernier était totalement morcelé; les hommes se déchirent pour obtenir la plus grosse part ; les énumérations vous indiquent déjà clairement l'importance des biens possédés : " Camporeal reçoit l'impôt des huit mille hommes, l"almojarifazgo, le sel, mille autres sommes; le quint du cent de l'or, de l'ambre et du jayet. " Lorsque Covadenga se plaint de ne rien avoir, il est aussitôt traité de "vieux diable " par le Comte de Camporeal , celui là même qui possède de très nombreux biens et qui l'accuse de prendre "les profits les plus clairs" ; Chacun jalouse donc la fortune de ses concurrents et s'estime lésé, à tort; Le dramaturge montre par ces énumérations et ces disputes la grande cupidité des conseillers et leurs tractations s'achèvent symboliquement par le poison  (celui là même qui va tuer Ruy Blas ) et les esclaves considérés comme de vulgaires marchandises : " Donnez-moi l'arsenic, je vous cède les nègres. " C'est à ce moment que Ruy Blas va intervenir pour fustiger l'attitude des courtisans. 

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Hugo fait donc ici un portrait critique des ministres qui n'ont aucun sens de l'intérêt collectif et mettent à sac les richesses du royaume en cherchant uniquement à placer les membres de leur famille à des postes clés; montrés comme cupides, oisifs et querelleurs, ils représentent un danger pour le peuple ; Hugo rejoint ainsi la tradition du portrait critique des courtisans et l'intervention de Ruy Blas va représenter l'introduction du peuple en politique; en effet, ce dernier qui n'est pas né noble , va prendre la défense des classes laborieuse qui sont écrasés par les impôts et dont la sueur enrichit les Grands.