En effet, l'homme affronte un ennemi puissant et ce combat peut revêtir différents aspects. Dans l'Horloge , le poète se sent menacé et il devient la cible du temps qui lui "plante " ses aiguilles dans son "coeur plein d'effroi" . Dans L' ennemi le combat semble déjà avoir eu lieu et s'être soldé par la défaite du poète  car il a été ravagé et il reste en son jardin "bien peu de fruits vermeils" ; Enfin dans Chant d'Automne , le poète sent son esprit "pareil à la tour qui succombe" signe d'une défaite imminente ; Le temps est assimilé à une arme redoutable: "un bélier infatigable et lourd"  . Les dégâts apparaissent sous plusieurs formes : le jardin endommagé est déformé car "l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux" dans L'Ennemi et dans l'horloge l'homme est dévoré et font par mourir au dernier vers .

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Salvador Dali 

La présence du champ lexical de la mort atteste le point culminant de cette souffrance : l'homme est d'abord effrayé; on retrouve le mot "effrayant " et "effroi" dans L'Horloge; on voit le poète frémir dans Chant d'Automne et être gagné par le froid qui annonce "la tombe avide" mais il semble avoir un sursis et pouvoir goûter un peu de douceur avec la consolation de l'amour qui n'est pas aussi présent dans les autres poèmes, plus sombres. Enfin dans L'Ennemi, la souffrance prend la forme d'un orage dévastateur et s'exprime surtout dans le dernier tercet avec la répétions de Douleur précède d'un O lyrique . Baudelaire y décrit le Temps comme un Vampire qui "nous ronge le coeur et du sang que nous perdons croit et se fortifie" .

Ce paradoxe final annonce une personnification courante du temps en monstre dévorateur et particulièrement sous l'aspect d'une créature vampirique. Ce vampirisme est mêlé à la figure du dieu cruel dans L'Horloge, un dieu dévorateur qui ressemble à un insecte qui "pompe ta vie avec ma trompe immonde" ; vampire et monstre également dans L'Ennemi comme nous l'avons vu avec "le temps mange la vie."  Seul Chant d'Automne dénote sur ce point avec des images plutôt de pétrification "mon coeur ne sera plus qu'un bloc rouge et glacé" et le symbolisme des saisons y est peut être plus utilisé que dans les autres poèmes avec les froides ténèbres qui symbolisent l'approche de l'hiver et de la mort et cette lumière disparue de l'été qui marque la fin de la jeunesse ou du bonheur . 

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Pour représenter la fuite du Temps et le combat de l'homme confronté à son vieillissement et à la peur de la mort, Charles Baudelaire a eu recours à des symboles classiques comme les Saisons ou la personnification du Temps en monstre dévorateur et chacun de ces trois poèmes illustre bien une facette de son Spleen et de sa souffrance existentielle. Chant d'Automne est le plus mélancolique et le registre élégiaque s'y entend de manière feutrée alors qu'on ressent une dimension plus tragique dans l'Ennemi et dans l'Horloge.