Exemple d’introduction :  Le courant romantique apparait au début du dix-neuvième siècle et il se fonde notamment sur  le lyrisme personnel ; Toutefois dès 1840, le Parnasse préconise  de restreindre l’expression des sentiments au profit du culte de la Beauté, et de la forme  et tend vers l’impassibilité du poète.   Dans la communauté des hommes, ce dernier  occupe souvent une place particulière. Sa vision aiguë et douloureuse de l’humanité en fait à la fois sa victime et son bienfaiteur. Dans Le pin des Landes poème  d’inspiration plutôt romantique tiré du recueil « Espana, »  Théophile Gautier tente de définir, au moyen de symboles, la condition du poète. Quelle  est l’image du poète dans ces quatre quatrains d’alexandrins ?  Nous évoquerons d’abord le poète transformé en arbre; nous verrons ensuite  comment se manifeste  sa souffrance  et ce qu’elle représente.

pin3.jpg
 

Comme l’Albatros  de Baudelaire le poème de Gautier est construit à partir d’un réseau de comparaisons et de métaphores; Si le pin apparaît dans le premier quatrain , au dernier vers et si ses bienfaits sont rappelés au vers 10, ce n’est qu’au vers 13 que l’analogie est complète : le pin désigne bien le poète : «  le poète est ainsi  dans les landes du Monde »  écrit Gautier ; L’expression « Landes du monde » rappelle le premier vers du premier quatrain. Il faut donc lire poète à la place de pin et France ou pays à la place de Landes.».     La dernière strophe fait  ainsi écho à la première. Le poète y établit la comparaison et donne les clés nécessaires pour comprendre le sens du poème.


          L’auteur recourt aussi à une véritable personnification de l’arbre qui s’accentue au fur et à mesure des strophes.
     Il lui donne des attributs humains; physiques d’abord avec « flanc » au vers 4 , puis « larmes de résine », expression qui mêle les caractéristiques propres à l’arbre, la résine, et celle de l’homme, les larmes. Plus loin, la résine sera aussi comparée à du « sang qui coule goutte à goutte ». Théophile Gautier attribue aussi à l’arbre des sentiments tels que le regret « sans regretter », la volonté « qui veut », le courage « Comme un soldat blessé qui veut mourir debout » et des sensations, notamment la douleur « tronc douloureux ». L’arbre est personnifié de bout en bout .

 

pin2.jpg
 

Mais cet arbre n’est pas le seul élément de décor ; en effet, il est placé à l’intérieur du désert et  sa présence peut sembler incongrue; On note tout d’abord qu’il a surgi , au vers 3 : il est le seul arbre à pouvoir apparaître dans de telles conditions; Son unicité et son caractère exceptionnel sont marqués par l’expression d’autre  arbre que « : dans la phrase, le complément d’objet  est séparé du  verbe voir par presque 3 vers ; cette séparation syntaxique confère un caractère d’apparition encore plus net à l’arbre miraculeux. 

             Examinons un peu l’environnement du pin :  les Landes  sont présentées comme un endroit désert et aride : le nom « Sahara » renvoie explicitement au caractère désertique et menaçant  tandis qu’« herbe sèche »  possède plutôt des connotations négatives; Rien ne semble pouvoir pousser dans un tel milieu aride . Gautier utilise une allitération  en « s » pour matérialiser cette sècheresse ambiante synonyme de stérilité pour toute forme de vie 

Transition : .Le pin acquiert ainsi un statut d’exception et surtout il connote la force, la résistance puisque sa naissance et sa vitalité démontrent qu’il  a su triompher du désert. 


     « On ne voit, en passant par les Landes désertes,
     Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,
     Surgir de l'herbe sèche et des flaques d'eaux vertes »

      Le poète campe un cadre pittoresque et fait appel à  nos sens. La vue, grâce à l’évocation des couleurs « sable blanc » ou « eaux vertes » et à l’expression « On ne voit ». Les sensations tactiles sont également  avec « poudre » et « sèche ».

     Dans la deuxième strophe, il nous fait même  entendre le bruit de la scie contre l’arbre « Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon » avec une allitération en « r ».
« Car pour lui dérober ses larmes de résine,
L'homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu'aux dépens de ceux qu'il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon
! »

     Pour suggérer le « sang qui coule goutte à goutte », le poète utilise une répétition de sonorité ce qui rythme le vers. On entend alors le rythme régulier du liquide qui tombe. « Le pin verse son baume et sa sève qui bout »
De plus, toute la strophe est parcourue par une allitération en « s » qui rappelle le sang.
     « Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
     Le pin verse son baume et sa sève qui bout,
     Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
     Comme un soldat blessé qui veut mourir debout. »

         Le paysage  symbolise donc l’humanité et le pin symbolise le poète. 

     L’arbre poète nous est tout de suite présenté avec comme un être souffrant : il porte en effet, à la manière du Christ ,  « une plaie au flanc ». Sa souffrance est mise en lumière par un fort champ lexical de la douleur « blessé, entaille profonde, douloureux, larmes, mourir… ».

     Cette souffrance n’est pas le fait de la nature mais plutôt de l’homme. L’homme « avare bourreau de la création » « dérobe » et « assassine ». Ces mots aux connotations violentes brossent le portrait d’une humanité brutale et cruelle comme les marins de Baudelaire, cet équipage cruel qui martyrise l’oiseau -poète sur le pont du navire . Le poète est donc en butte aux malversations des hommes qui s’attaquent à lui .

     Le dessein de Théophile Gautier n’est pas de dénoncer les outrages faits à la nature par des bûcherons peu scrupuleux  mais d’utiliser des images qui révèlent la brutalité du monde et des hommes  à l’égard des poètes. C’est au poète que l’humanité est accusée de « dérober ses larmes » « dans son tronc douloureux » comme en atteste ici les adjectifs possessifs. Le poète se sacrifie car il donne son sang pour sauver les hommes en quelque sorte ; L’image du poète en Christ mis à mort et salvateur est un cliché de la poésie romantique. 

     Mais pour Théophile Gautier,  comme pour la plupart des poètes romantiques ,la souffrance du poète est cependant nécessaire à l’accomplissement de son destin et sans souffrance , pas de poésie. En effet,  

« Lorsqu'il est sans blessure, il garde son trésor.      Il faut qu'il ait au cœur une entaille profonde      Pour épancher ses vers, divines larmes d'or ! »

La poésie permettrait ainsi de transformer la souffrance contenue en chacun de nous en « divines larmes d’or « ; La métaphore montre comment la poésie transforme la douleur en beauté. Cette alchimie de l’opération poétique est formulée différemment selon les poètes. Baudelaire, par exemple, se sert de l’image de la boue qui devient de l’or .

 Gautier mentionne l’origine de cette blessure : une entaille profonde ; cette plaie est mortelle et le pin devient une sorte de martyr des hommes ce qui est fortement suggéré par la comparaison au vers 12 « comme un soldat blessé qui veut mourir debout . »
    Le poète utilise l’image du sang versé et l’agonie de l’arbre est dépeinte en termes réalistes et suggestifs  « Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte ». Les larmes  renvoient bien sûr à la tristesse « larmes de résine » mais le poète demeure un créateur comme l’indique la présence de la « sève qui bout » pour symboliser son œuvre ; le verbe bouillir  indique ici l’énergie de la création et la sève , c’est aussi le liquide de vie pour l‘arbre , qui irrigue le tronc et les branches un peu comme le sang de l’arbre.   Pas de création donc sans souffrance : Gautier reprend ici le credo romantique du poète pour lequel les chant les plus beaux sont aussi les plus douloureux.
    Mais  Théophile Gautier souligne également à quel point la poésie est nécessaire à l’humanité. Ce sang, ces larmes que verse le poète composent le baume dont les hommes ont besoin pour survivre à la brutalité de leur société. Et c’est donc volontiers qu’il consent à souffrir pour apaiser la douleur du monde. Un baume , en effet, c’est ce qu’on répand sur les blessures pour les soigner.     

    Le cruel destin du poète qui finit exsangue  s’explique par la dépendance des hommes aux bienfaits qu’il leur prodigue. L’œuvre du poète répond donc à des besoins humains qui donnent en retour un sens à sa souffrance et la rendent acceptable.

     Le poète est donc décrit comme une victime sacrificielle mais consentante de l’humanité. Il accepte sa douleur et la supporte avec vaillance.
     « Et se tient toujours droit sur le bord de la route,      Comme un soldat blessé qui veut mourir debout. »
     « droit » et « debout »  ont des connotations nettement valorisantes et font référence à sa volonté de faire face sans fléchir malgré les blessures. Il veut garder force et courage dans ce combat, cette guerre  qu’évoque l’image du soldat qui symbolise aussi le devoir. 

En conclusion , Gautier fait un réel éloge de la condition de poète, revendiquant son utilité  face au monde. et son caractère exceptionnel.  Il se sert de la transformation symbolique du poète en pin. . La condition de l’artiste est mise en valeur par le contraste entre la violence de l’humanité et la générosité de sa victime.   Homme, seul, différent des autres  hommes et mal intégré, le poète doit souffrir pour s’adonner à la création poétique. Présenté comme indispensable à l’humanité et courageux, Théophile Gautier fait du Pin des Landes un éloge de tous les poètes. Il est rejoint en cela par Baudelaire qui choisira lui un autre animal, l’Albatros pour dépeindre le statut de poète victime de la  brutalité des hommes