Habituellement présent au sein des tragédies antiques , le choeur représente un collectif de citoyens : formé d'une catégorie de population (des femmes, des jeunes filles, des vieillards) , il représente également  la présence sur scène et dans le spectacle, du spectateur ; Il s'adresse aux acteurs par l'intermédiaire d'un personnage qu'on nomme le coryphée ; Ce dernier dialogue avec les différents protagonistes  et commente les actions ou les paroles des personnages . On distingue ainsi des choeurs de pleureuses qui ont pour fonction de faire entendre la douleur collective, des choeurs de colère ou des choeurs qui soutiennent le héros et l'encouragent ou le mettent en garde contre les dangers de l'hubris. Anouilh a choisi de reprendre cet aspect de la tragédie de Sophocle en mettant en scène un choeur qui fait à cette occasion sa première apparition sur scène ; Dans la mise en scène de Briançon, c'est l'acteur qui interprète le rôle du prologue qui récite le texte du choeur .L'entrée du choeur dans la tragédie antique marquait le passage d'un épisode à un autre et se nomme la parodos ; Les épisodes chantés se nomment des stasima (un stasimon au singulier ) .

L'extrait peut être étudié en relation avec différentes problématiques mais toutes ont en commun les tentatives de  définition de la tragédie et de son déroulement . 

Introduction possible : En 1944, en choisissant un sujet antique , le destin tragique de la jeune Antigone, fille d'Oedipe, le dramaturge Jean Anouilh, décide d'évoquer par le biais de la mythologie , la situation de la France occupée,  qui doit choisir entre la résistance ou la collaboration avec le gouvernement d'occupation. Le personnage d' Antigone représente souvent la révolte contre l'ordre établi et lorsqu'elle enfreint la loi de la Cité , c'est selon elle, pour rétablir la dignité de son frère mort privé de sépulture.    Situé juste avant le face à face entre Antigone et son oncle Créon , ce passage , marqué par l'apparition du choeur sur scène, peut marquer la fin de la parodos comme dans la cérémonie tragique antique. Le choeur tente d'y définir le fonctionnement de la tragédie et l'oppose au drame qui permet à l'homme de conserver une forme d'espoir.

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Le choeur débute sa longue tirade par un jugement plutôt fataliste " et voilà..maintenant le ressort est bandé" Le dramaturge exhibe ici les mécanismes du tragique qui met en tension les spectateurs en créant une attente ; Cette mécanique est imagée par un champ lexical  qui peut s'apparenter à la mécanique justement  comme ressort bandé ' ( l 1) , "bien huilé " "ça roule11 ça démarre 5 ) et qui peut avoir des effets comiques par sa trivialité avec une expression comme "on donne un petit coup de pouce l 4 . Cette dimension mécanique renforce le côté inéluctable de la fatalité tragique vue comme un engrenage que rien ne peut arrêter mais la trivialité de certaines expressions tente justement à minimiser la gravité de l'enchainement des faits

Le choeur tente de faire comprendre ce qui vient de se mettre en place avec l'arrestation de la jeune fille et sa future confrontation avec le roi et cette sorte de réflexion sur le déroulement de la pièce qui peut constituer une forme de mise en abîme, se traduit également par l'emploi du lexique du cinéma: "on dirait un film dont le son s'est enrayé" l 22 ; cette comparaison modernise la tragédie en évoquant le parallèle avec un film ; Anouilh établit alors une opposition entre le vacarme et le silence ; La tragédie est le lieu où "les éclats, les orages " (14 ) voisinent avec "les silences, tous les silences" . Cette manière de définir la tragédie nous fait prendre conscience qu'elle comporte des moments où la parole semble inutile, presque dépassée; Ce qui est paradoxal car au théâtre, les acteurs portent justement cette parole. 

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Le contraste est saisissant entre "les cris de la foule" 20, la clameur ( 24 ) et la solitude du héros tragique qui se traduit par un silence au moment de sa mort "quand le bras du bourreau se lève à la fin " l 16 ou lorsqu'il est vainqueur et qu'on l'acclame ( 21 ) alors qu'il est déjà paradoxalement "vaincu " 25. De nombreux paradoxes nous signalement cette curieuse alliance du silence tragique qui alterne avec des moments d'agitation qu 'Anouilh qualifie en utilisant des métaphores climatiques comme "orages " l 14. Il tente en fait de saisir l'essence même de la tragédie en énumérant d'un part ses ingrédients " la mort, la trahison, le désespoir sont là , tout prêts " l 13 et en détaillant d'autre part, ses mécanismes. 

Il établit alors une distinction fondamentale entre le drame et la tragédie qui renvoie à l'histoire de l'évolution des genres théâtraux; au début du vingtième siècle,  en effet, de nombreux dramaturges utilisent le mélange des genres dans leurs pièces comme Ionesco, Beckett , Giraudoux ou Anouilh justement  qui réécrit ici une tragédie antique en la modernisant et en y intégrant des passages "comiques ". Que cherche t-il à conserver dans ce qu'il nomme tragédie ? "un côté "propre " au sens pur, une sorte d'acceptation du destin avec par exemple l'adjectif "sûr "l 28. "On est tranquille" (l 35 ) , "c'est reposant" ( l 27 ) : Anouilh emploie ici deux expressions pour le moins étonnantes  qui valorisent et banalisent cette dimension inexorable de la fatalité tragique.  L'angoisse légitime, cette terreur qu'évoque pourtant  Aristote se transforme, semble-t-il ,  en un sentiment d'apaisement . Cette manière dont le dramaturge valorise l'absence d'espoir peut sembler déroutante dans la mesure justement où il entoure cet espoir de connotations péjoratives  : " "le sale espoir " (l 41) ;  "on est enfin pris comme un rat avec tout le ciel sur son dos " Cette expression imagée montre le héros tragique comme un rongeur avec l'idée d'être pris au piège et la référence à la transcendance s'exprime ici au moyen d'une métonymie burlesque ( le ciel sur son dos ) . Le dramaturge fait bien sûr référence au fonctionnement de la tragédie classique dont il semble admirer le côté implacable et pourtant inhumain; En effet, dans la tragédie grecque, les Dieux jouent avec le destin des hommes et leur supériorité n'est jamais mise en cause

Le drame , à ses yeux, rend la mort "épouvantable " car elle dépend de nombreux facteurs humains voir accidentels ; Il utilise d'ailleurs le terme "accident" pour la qualifier l 32 et les phrases au conditionnel passé évoquent les issues potentielles comme autant d'échecs : "on aurait peut -être pu se sauver ..arriver à temps " Le côté fatal  semble alors lié à la victoire du camp des méchants sur celui des bons et l'univers devient manichéen en mettant face à face des "méchants acharnés " face à une "innocence persécutée" . (29) Anouilh montre bien ici que dans Antigone nous ne trouvons pas dans ce type de face à face : il n'est pas question de caractère mais de "distribution"  des rôles; Antigone doit mourir car elle est faite pour ça et le roi doit se montrer inflexible car il représente la loi. Les enjeux du conflit dépassent largement les caractères qui les incarnent et les personnages ne sont que des illustrations d'un conflit entre l'humain et le divin , l'individuel et le collectif. 

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Anouilh reprend ensuite les caractéristiques de la tragédie antique qu'il a conservées dans sa pièce : "c'est pour les rois " dit -il et "on est entre soi" ; pas de lutte des classes ou de revendications populaires comme dans le drame romantique de Hugo par exemple ;  dans l'histoire du théâtre, la tragédie se caractérise très longtemps par l'appartenance des personnages à des catégories sociales supérieures comme les rois ou les princes: ce que rappelle ici Anouilh;  . Il est intéressant de constater que le dramaturge refuse notamment le registre des lamentations et la dimension pathétique pourtant omniprésente dans le spectacle tragique  " pas à gémir, pas à se plaindre " l 45 mais "gueuler à pleine voix ce qu'on avait à dire " . Une fois encore ici le recours à un vocabulaire trivial permet de moderniser la dimension tragique . La tragédie devient un moyen d'exprimer enfin des vérités et de le faire "pour rien: pour se le dire à soi, pour l'apprendre soi " l 48.

L'intervention du choeur se termine sur l'idée qu'il n'y a a plus rien à tenter " et que justement "voilà que ça commence "; Anouilh invite ici le spectateur à se concentrer sur la nature des propos échangés entre Antigone et son oncle et à ne pas trop se soucier de savoir si elle sera sauvée ou non. En la condamnant par avance, il libère ainsi le spectacle d'une sorte de dimension utilitaire ;Antigone ne se débat pas parce qu'elle espère s'en sortir : elle va juste se révéler à elle-même "c'est à dire "pouvoir être elle-même pour la première fois ". Lieu de la révélation et de l'affrontement sans vainqueur ni vaincu, la tragédie selon Anouilh , est avant tout révélation de soi-même. C'est en étant écrasé par son destin que l'homme peut enfin être vraiment lui-même sans se soucier du qu'en dira-t-on...

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Le décor de la première en 1944

L'intervention du garde qui termine la scène, prolonge cette idée que les dés sont jetés et que l'homme désormais s'en lave les mains : le garde ne veut entendre aucune explication et ne cherche pas non plus à comprendre pourquoi elle a  agi ainsi; Il ne cherche ni à excuser son geste ni même à entendre ce qu'elle a à dire : "je ne veux pas le savoir " répète-t-il à  deux reprises l 58 et l 65 ; Antigone a déclenché la tragédie parce qu'elle a agi : peu importe pourquoi. Ce ne sont plus les causes qui sont déterminantes nous explique Anouilh mais les gestes qui entrainent des actions : la tragédie c'est avant tout le passage à l'action...et l'attente de ce qui s'en suivra.Rien ne peut plus arrêter la mécanique tragique qui relève de l'enchainement obligatoire des actions: chaque geste a une conséquence qui à son tour entraîne une autre action.

 Dans cette apparition du choeur Anouilh  définit ce qu'il pense être l'essence même de la tragédie et explique son choix de réécrire une tragédie antique en conservant ainsi ce caractère "reposant " de la mécanique tragique qui se déroule sous les yeux du spectateur ; On ne peut s'empêcher d'y voir un lien avec l'actualité tragique de la France occupée ; Et si le moment était venu de passer à l'action , semble nous glisser à l'oreille, le dramaturge ..Il faudra être prêt à en assumer les conséquences . A la fin de la pièce, le choeur se manifestera à nouveau pour tenter de faire changer d'avis Créon et prendra le parti d'Antigone ; il essaie d'imaginer que la condamnation à mort se transforme juste en réclusion et évoque même l'idée de pouvoir la faire fuir . Le choeur pense qu'Antigone n'est qu'une enfant et qu'on pourrait plaider la folie . Le choeur commentera ensuite le départ précipité d'Hémon et viendra sur scène annoncer la mort d'Antigone et celle à venir des autres protagonistes " il va falloir qu'ils y passent tous " Il continue à jouer son rôle de commenter l'action et il est le seul présent sur scène pour le baisser de rideau : "Et voilà. sans la petite Antigone, c'est vrai, ils auraient tous été bien tranquilles. Mais maintenant, c'est fini. Ils sont tout de même tranquilles; Tous ceux qui avaient à mourir sont morts...morts bien raides, bien inutiles , bien pourris..seuls les gardes continuent à jouer aux cartes pendant que sur le plais vide, un grand apaisement triste tombe sur Thèbes et Créon, dans le palais vide, attend lui aussi  la mort.

Idées de regroupements possibles

le personnage du choeur ; ses interventions dans la pièce , le rappel de ses fonctions

la description de la mécanique tragique : dérouler, démarre, cela roule ..bien huilé, // film , cinéma

 la variété des situations tragiques : amour, honneur, question de trop et leur caractère implacable

opposition drame /tragédie : propre, sale /   reposant /épouvantable  // gratuit/utilitaire

les paradoxes tragiques : l'opposition cris et silences ; /  vainqueurs et vaincus

l'arrivée d'Antigone : voilà ça commence, désintérêt du garde pour les explications