Verlaine choisit de décrire la cour de la prison et présente l'endroit comme un lieu de regroupement pour les détenus qui y bénéficient d'une liberté toute relative. Le décor souligne la présence du mur v 7 , fou de clarté: comme si les rayons du soleil le meurtrissaient; Le mur marque ici la frontière entre le dedans et le dehors et souligne le caractère infranchissable de la lumière . L'idée est que le soleil ne parvient pas à dépasser ce mur qui ferme le cercle de la cour et enserre ainsi les prisonniers.

Ce décor est marqué , en effet, par l'omniprésence des cercles : les prisonnier forment une ronde au vers 4 : ils vont en rond, et le cercle infernal réapparaît sous la forme de la meule : cette meule au destin  par analogie avec les meules de pierre qu'on utilisait pour moudre le blé, semble écraser les prisonniers et en faire des victimes , des vaincus (vers 13) ; L'image de la meule destructrice est renforcée par la répétition de Tournez au vers 9 et 11; Ce mouvement incessant est repris également dans la figure de la piste du cirque au vers 25 . Les prisonniers tournent en rond comme des animaux en cage dans cette cour étroite et ruminent leurs soucis .

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Ils ont certes le droit de fumer comme en témoigne la notation réaliste pipe au bec au vers 20 mais doivent respecter le silence sou sein d'être punis : pas un mot sinon le cachot au vers 21. On imagine bien la frustration de ces détenus qui n'ont pas le droit de communiquer entre eux même durant cet espace de promenade quotidien. Le poète incite également sur l'apparence des prise,noirs , vêtus de pauvres souliers au vers 17 qui font un bruit sec. On imagine ici les sabots et leurs semelles en bois qui claquent durant la promenade. Le participe passé à valeur d'adjectif humiliés au vers 19 peut faire référence évidemment aux détenus sommés de se taire et surveillés par des geôliers peu amènes mais il peut également se lire comme un prolongement des souliers : on les a dévêtus de leurs habit civils pour leur faire enfiler des tenues de bagnards qui traduisent leur condition carcérale. 

Tout au long du poème , Verlaine utilise l'ambivalence liée à la proximité syntaxique du certains éléments de la phrase: amphibologie avec souci , fleur et préoccupation au vers initial, débilité au vers 5 qui peut s'associer aux détenus comme au système carcéral jugé inique , contristé au vers 29, en fleur au vers 35 qui reprend l'amphibologie initiale. Le monde carcéral appart ainsi comme un endroit où l'on souffre de plusieurs maux. 

Les éléments lyriques du poème sont disséminés à l'intérieur des huitains ; le ton de la complainte est parfois sous-jacent avec ces airs des chansons d'enfance qui sont rappelés de manière dérisoire et qui contrastent avec l'idée qu'on se fait de cet  univers  où règne la souffrance sous plusieurs formes. 

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La souffrance des prisonniers apparait tout d'abord avec leur aspect physique : les détenus sont amaigris et n'ont plus que la peau sur les os comme l'indique l'emploi du mot fémur au vers 4 , os de la jambe , pour désigner le fait qu'il peinent à se tenir debout. Ils flageolent et l'allitération en f mime leur faiblesse.  Ils ont l'air préoccupés comme l'indique dès le premier vers le souci sur leur front et leur supplice prend la forme de cette énorme meule qu'il semblent condamnés à faire tourner et qui va broyer leur coeur, leur foi et leur amour. Verlaine marque ainsi les étapes d'un processus bien connu des sociologues : la perte pour le détenu des repères et des valeurs . Ce dernier , isolé, fragilisé, se met à douter et à désespérer . (voir le billet qui évoque l'expérience carcérale de Verlaine)

En guise de conclusion : ce poème reprend des thèmes tels que l'ennui, la souffrance des prisonniers, leur solidarité et l'image de l'enfermement mais il ajoute également une dimension sociologique sur l'univers carcéral, lieu d'isolement et espace de réflexion  pour le poète. Transféré de Bruxelles quelques jours plus tard, après son jugement à la prison de Mons, Verlaine poursuivra son travail pour restituer les différentes facettes de l'incarcération. Dans Réversibilités,  Verlaine évoque les tristes décors, les mornes séjours et les rêves épouvantés, les grands murs blancs et les sanglots répété, fous et dolents ! la souffrance semble augmenter au fur et  à mesure des mois d'incarcération durant lesquels le poète se dit condamné à une mort lente : Tu meurs doucereusement,Obscurément, et  sans testament ajoute-t-il. Dans un poème adressé à sa femme, il décrit "ce pavé captif et "ce lieu de juste douleur " .  Il prétend ensuite gémir sur la paille humide des cachots , et réfléchir "dans le silence doux et blanc de tes cellules" De nombreux poèmes portent ensuite les marques de son péché et de son repentir: âme égarée, il cherche à se racheter et à laver ses fautes en retrouvant la foi. "  "Les écrevisse ont mangé mon coeur qui saigne " écrit-il dans une lettre à un mai  en 1873 pour rendre compte de ce qu'il ressent en cellule.