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Le XVII°siècle, siècle du classicisme voit le théâtre devenir un art majeur qui a les faveurs d’un public de plus en plus nombreux. . En effet, la comédie avec Molière, mais également la tragédie connaissent un véritable succès populaire. La tragédie renoue avec ses origines historiques grecque en tentant de suivre les règles instituées par Aristote, règles qui tiennent compte des contraintes scéniques de ce genre et que Boileau va redéfinir avec précision dans son Art Poétique qui paraîtra en 1674 quelques années après les premières représentations de la tragédie mythologique de Racine :Andromaque..Lorsqu’on évoque les règles du théâtre classique, on pense tout d’abord à la règle dite des 3 unités , à celle de la bienséance et à celle, plus controversée , de la vraisemblance. Imitant les préceptes d’Aristote héritsé de l’Antiquité, la tragédie classique met en scène des personnages nobles, ou des êtres légendaires poursuivis par un implacable destin ou victimes de leurs passions . Dès sa première représentation en 1667 la pièce évoque immédiatement pour le spectateur le mythe des Atrides et les conséquences de la Guerre de Troie, narrées par Homère dans l’Illiade .Tout en s’inspirant fortement du récit homérique, le dramaturge français modifie certains points de al légende en maintenant notamment en vie le fisl d'Hector et d’Andromaque, le petit Astyanax qui n’a que quelque années . Dans cette écriture versifiée, Racine nous livre l'histoire dela jeune veuve troyenne d'Hector tué par les grecs lors de la guerre de Troie. La dimension pathétique est suggérée doublement : d’une part par la défaite du camp troyen et le massacre de la famille d’Andromaque ; d’autre part par le destin malheureux de cette ancienne princesse devenue captive du fils de celui qui a tué son époux. 
La scène 1 de l'Acte 1 s'ouvre sur les retrouvailles entre deux amis grecs. Leur dialogue est l'occasion pour le dramaturge de communiquer au spectateur les informations nécessaires pour saisir les enjeux des conflits dans ledrame qui va se jouer . Autrement dit, la conversation entre Pylade et Oreste joue le rôle de scène d'exposition : c’est l’un des procédés le plus souvent utilisé.
Nous montrerons dans un premier temps que cette scène remplit parfaitement sa fonction d'information en posant les éléments essentiels à la compréhension de l'histoire. Puis nous verrons dans un second temps que cette scène 1 de l'Acte 1 lance le début de l'action tragique créant ainsi s les premiers échanges sur scène ,des attentes de résolution chez le spectateur ou le lecteur.


Une scène de présentation : personnages, cadre et action tragique 


La présentation des personnages sur scène


Une scène de retrouvailles entre amis 
Oreste et Pylade sont présents sur scène dès lelever du rideaucomme en témoigne la didascalie relative aux noms des personnages en scène. Ils sont nommés dès le vers 6par Oreste « Présenteraitd'abord Pylade aux yeux d'Oreste». Dans cettdidascalie interne, le spectateur a la révélation immédiate de leuridentitérespectives. Leur manière de s'adresser l'un à l'autre informe le spectateur sur leur relation. Dès le vers 1, on apprend que ce sont deux amis fidèles. Ce lien amical réciproque est confirmé par les noms que chacun d'eux utilise. Ainsi, Pylade au vers 16 fait référence à sa triste amitié. Quant à Oreste, il dit à Pylade au vers 39 «Ami, n'accable point un malheureux qui t'aime». 

Le personnage du confident : un rôle important 

On comprend que leur amitié s'inscrit dans le temps puisqu'au vers 7 Oreste précise que cela fait plus de six mois qu'il l'avait perdu de vue. Et l'emploi de l'adverbe « jamais» au vers 40 laisse supposer qu'ils se connaissent depuis longtemps et qu’isl ont partagé beaucoup de choses ; Pylade joue , en quelque sorte pour son ami , le rôle d’un confident .Ils évoquent des souvenirs partagés notamment les début sue l'amour d' Oreste .
En outre , il s'agit d'une amitié sincère au vu de l'adverbe d'intensité « si »utilisé dès les premiers mots par Oreste pour qualifier la fidélité de son ami au vers 1.
Comme le ferait un ami, Pylade se soucie véritablement des états d'âme d'Oreste. L'anaphore « combien ai-je souffert ..combien à vos malheurs ai-je versé de larmes » aux vers 1et 14marque la vive inquiétude de Pylade pour Oreste dont on pressent le destin malheureux. De même la répétition du verbe «craindre» aux vers 15 et 19 ou l'emploi du verbe « redouter » au vers 17 ainsi que les gestes d'amitié décrits aux vers 48 et 50 « prêt à suivre partout le déplorable Oreste » « et de moi-même enfin me sauver tous les jours » attestent de l'intérêt réel qu'il porte à cet ami qu’il s’efforce de protéger et qu’il mettra, justement en garde contre les dangers de l’amour . 

A retenir :Dans la tragédie classique, les scènes d’aveu sont facilitées par la présence sur scène d’un ami proche du héros , serviteur fidèle ou confident auquel il n’hésite pas à se confier .

Le cadre dramatique

La première didascalie externe précise l’emplacement de la scène :  Buthrote une ville d’Epire , région de la Grèce antique et nous noutrouvondans le palais de Pyrrhus, fils d’Achille . Le spectateur s’attend donc à voir des personnages vêtus avec des costumes antiques et l’action est imaginée pour pouvoir se dérouler dans l’Antiquité . La Guerre de Troie et ses conséquences seront évoquées sur scène au moyen de récits imagés qui permettent au spectateur de se représenter ce qu’il ne voit pas . Le hors -scène au théâtre est pris en charge par des récits souvent de messagers qui assurent le lien entre les événements vus sur le plateau et les événements qu'on ne peut pas montrer sur scène . 

Un début in medias res 

Cette technique consiste à plonger le public au coeur d’une action en cours .

Dès sa première réplique, Oreste fait référence à un changement qui intervient dans sa situation  sans d’ailleurs préciser s’il s’agit d’une évolution positive ou négative « ma fortune va prendre une face nouvelle " au vers 2 ; cette annonce est volontairement ambiguë ; la fortune désigne ici l’avenir, le destin d’un personnage et « la face nouvelle"  est une périphrase pour indiquer un changement ; de plus , Oreste mentionne le courroux  c'est à dire la colère d’une femme qui les a rejoints dans cette ville et dont le public ignore totalement l’identité. Les informations sont données directement au moyen de la conversation et de l’échange, le plus naturel possible , des deux acteurs figure des retrouvailles amicales.
 

La situation initiale 

Le spectateur apprend qu’Oreste aborde un « rivage à mes vœux si funeste » au vers 5 et donc attend de savoir ce que représente cette ville pour lui et qui elle abrite. L’identité de la femme « funeste » ne sera révélée qu’au vers 43 par Pylade : il s’agit d’Hermione, fille du roi Ménélas et fille d’Hélène. Nous apprenons tout d’abord qu’Oreste a été très malheureux ( vos malheurs v 14 cette mélancolie v 17 ) avant d’apprendre que son chagrin est la conséquence d’un amour malheureux pour Hermione qui a repoussé ses avances . Pylade pensait que son ami avait réussi à se défaire de ce sentiment et s’était mis à détester la jeune fille qui a été promise à Pyrrhus par son père pour le remercier d’avoir combattu à leurs côtés ; Pyrrhus, en effet, est considéré comme le « vengeur de la famille » après avoir tué le prince troyen Hector. Racine ici confond la figure d’Achille et celle de Pyrrhus car , selon le récit homérique, c’est le père de Pyrrhus Achille qui a tué Hector alors que dans l’intrigue de la pièce, Pyrrhus et Achille ont des rôles identiques. 

Un amour malheureux au premier plan 

La tragédie se place immédiatement sous le signe de l’amour malheureux : le mal d’amour dont souffre Oreste est évoqué à de nombreuses reprises : Pylade fait état de sa   « mélancolie » au vers 17 ; ce terme signifie une tristesse profonde et un mal de vivre  ; étymologiquement, il désigne l’humeur noire dont certains hommes sont atteints ; Oreste a même failli mettre fin à ses jours comme le rappelle son ami : « je craignais que le Ciel par un cruel secours /ne vous offrît la mort que vous cherchiez toujours » au vers 20 . Les tourments de la passion sont ensuite décrits par Oreste ; Hermione est présentée comme inhumaineet cet amour a commencé par une flamme : cette métaphore, au vers 41,désigne le sentiment qui s’empare du coeur et sa souffrance est comparable à une brûlure ; Les soupirs au vers 41 également sont la marque d’un sentiment non partagé et l’amour dans les tragédies se caractérise à la fois par sa puissance et le fait d’être non réciproque ; Le soupirant souffre et éprouve des symptômes physiques visibles . Il lutte contre cet attachement qui le rend malheureux et s’apparente à un prisonnier ; l’amour est alors vu comme une chaîne au vers 45 qui apporte des ennuis, au sens de malheurs . Oreste a cru avoir réussi à sortir cet amour de son coeur mais lorsqu’il apprend que Ménélas s’inquiète du sort de sa fille car Pyrrhus se montre , au final, peu sensible à ses charmes et peu pressé de l’épouser, alors il réalise qu’il l’aime toujours « de mes feux mal éteints je reconnus la trace » ; nous retrouvons au vers 87, l’aveu de sa passion toujours sous la forme métaphorique de la flamme et des feux de l’amour. Que va -t-il es passer lorsqu’Oreste va revoir Hermione ? Le spectateur est en tension et attend les retrouvailles entre les deux personnages. 

 

L’homme esclave de sa passion

La peinture du sentiment amoureux dans la tragédie montre les hommes en proie à leur passion ; Pylade révèle que l’âme de Pyrrhus est « à l’amour en esclave asservie » ; Il insiste sur sa souffrance «  tant de tourments souffert » au vers 21 et la métonymie de la chaine est ici rappelée par l’image des fers « Pouvez-vous consentir à rentrer dans ses fers ? » au vers 22 ; A travers cette question , Racine interroge le public sur la force et la toute puissance de la passion . Jusqu’où faut-il laisser l’amour gouverner nos vies ? Pylade représente, au sein du dialogue, la voix de la sagesse et de la raison alors qu’Oreste est tout entier, sous l’emprise d’une passion funeste. La tragédie montre aussi à quel point l’homme se trompe et pense être délivré de l’amour parce qu’il éprouve de la haine « je me trompais moi-même »  avoue Oreste à son ami au vers 38 « je fis croire et je crus mavictoire certaine / je pris tous mes transports pour des transports de haine » ; L’homme combat alors ses sentiments et livre bataille : le champ lexical de l’affrontement , de la guerre est très présent pour suggérer cette lutte intérieure ; et il est fréquent dans l’univers tragique de passer , sans intermédiaire de l’amour à la haine ; les derniers mots d’Oreste , à cet égard, sont révélateurs : «  Je sentis que ma haine allait finir son cours / ou plutôt je sentis que je l’aimais toujours »Le dramaturge montre ici à quel point l’amour et la hainesont proches. L’absence de sentiment s’apparente au calme et l’homme amoureux est toujours montré comme troublé. 

A retenir :Cette conception de l’amour fatal qui mène l’homme à sa perte prévaudra dans l’univers tragique mais la passion n’est pas seule responsable du malheur des individus : il faut également évoquer la naissance de la tragédie politique .

 

Un conflit politique qui s’annonce 

Si la passion malheureuse d’Oreste pour Hermione annonce un des leviers principaux de la tragédie, le dramaturge prend soin également de présenter la trame de l’intrigue politiqueLes faits qui constituent la matière de la légende homérique sont alors brièvement rappelés au public Oreste est un envoyé en mission ; les Princes de la Grèce sont rassemblés (vers 60 – car un danger les menace ( vers 61) . Ilsont appris qu’Andromaque a effectué une ingénieuse substitution et que c’est un autre enfant que le sien qui a péri lors du siège de la ville. (vers 73 à 77 ) Ils savent que Pyrrhus élève l’enfant de la troyenne et veulent s’assurer de sa loyauté envers le camp Grec. Ménélas veut s’assurer que ce mariage aura lieu enter sa fille et Pyrrhus et surtout les Grecs veulent qu’Astyanax ne représentent plus une menace pour leur avenir, sans doute en le faisant éliminer . Les fils de l’intrigue politique se mettent en place : comment l’émissaire grec sera-t-il accueilli par le roi d’Epire ? Et Andromaque doit-elle redouter de perdre son fils ? L’exposition présente les grandes lignes du déroulement de l’intrigue qui s’annonce donc double ;

A retenir : la tragédie est placée sous le signe de l’amour et de la politique ; cette double inscription caractérise le théâtre de Racine qui illustre à la fois les conflits intérieurs entre amour et raison et les luttes politiques.