déc.01
Antigone mise en scène par Nicolas Briançon en 2003
dans la catégorie Première
Les metteurs en scène contemporains, lorsqu'ils adaptent des pièces qui mélangent le comique et le tragique (ce qui est le cas de très nombreuse créations de la première moitié du vingtième siècle ) ont souvent des choix à faire: quelle ambiance vont-ils privilégier ? Couleurs sombres pour le décor, plateau dépouillé à l'exception de trois portes, un banc et un bassin central où le garde va plonger la tête d'Antigone : le cadre est plutôt celui d'une tragédie.Quelques rires parfois dans le public mais ils sont assez rares.
Qui est le metteur en scène et acteur Nicolas Briançon. Acteur de cinéma mais passionné de théâtre, Nicolas Briançon est surtout connu pour ses mises en scène : de Shakespeare au théâtre contemporain, il aime la comédie, la fantaisie qui s’allie aux intrigues romantiques. Il a été récompensé en 2015 par un Molière et il se partage entre la scène et le grand écran.
Pour cette mise en scène d'Antigone, il a choisi tout d'abord de faire référence au contexte de création de la pièce , à savoir la France occupée par les allemands et al collaboration. Ainsi le jeune page qui accompagne Créon porte un uniforme nazi et le prologue est vêtu d'un imperméable qui peut rappeler ceux que portait la Gestapo. La tenue d'Antigone , une robe légère e fluide,atemporelle, portée près du corps et gris clair , contraste avec la tenue éclatante d'Ismène ; blanche tout d'abord et rouge ensuite. Quant à Créon, il porte du noir , vêtement de deuil et son fils , tout de cuir vêtu symbolise la fougue de la jeunesse; Le côté frondeur du blouson noir matérialise cette opposition entre l'élan de vitalité de la jeunesse éprise d'absolu et les compromissions de l'âge adulte.
Cette pièce, justement Jean Anouilh l'avait , croit-on, écrite après avoir vu une photographie représentant de jeunes résistants arrêtés. Bouleversé par ces visages juvéniles, il avait aussitôt songé à adapter, en la modernisant, l'« Antigone» de Sophocle (441 avant J.C.), en insistant sur l'opposition entre l'élan de la jeunesse et la « sagesse » de l'âge mûr, d'une part ; entre la révolte individuelle et les impératifs du pouvoir, de l'autre. En 1942, la censure avait accordé, un peu légèrement, son visa à la pièce, ce qu'elle devait regretter deux ans plus tard, en constatant l'accueil enthousiaste d'un public heureux d'y déceler des allusions à la situation du moment.
Qu'a-t-elle donc de particulier, cette Antigone ? « C'est, nous dit Anouilh, une enfant qui refuse les compromissions et les laideurs des adultes. » Soucieuse d'assurer une sépulture décente à son frère Polynice, elle viole délibérémentles interdits de son oncle, le roi Créon. Celui-ci, qui n'a rien d'un tyran, tente de la sauver mais peut-il enfreindre ses propres ordres ? Et Antigone n'est-elle pas simplement décidée à mourir, par crainte d'une vie pour laquelle elle n'était pas faite ? Barbara Schulz fait bien ressortir cette ambiguïté face à Robert Hossein, qui multiplie menaces et promesses.L'actrice adopte souvent une attitude de petite fille capricieuse et entêtée: elle fait la moue, pleure et crie sur scène; En face d'elle Robert Hossein joue un roi déterminé mais qui semble porter sur ses épaules la charge de ses obligations. Quant aux gardes qui jouent un rôle comique d'allègement de la tragédie, le metteur en scène a réduit leurs interventions et les a transfomés en gardes du corps avec lunettes noires, oreillettes et chewing-gum : ce qui pourrait laisser sous -entendre que ces agents secrets sont des soldats dans le monde d'aujourd'hui et qu'ils demeurent aux ordres du pouvoir.
Evoquons maintenant le rôle jsutement de Créon. Certes il est devenu le symbole de tous les pouvoirs autoritaires et de la tyrannie : violent et impulsif dans la tragédie de Sophocle,il semble pourtant qu' Anouilh ait souhaité le rendre plus proche de Pétain, le collaborateur qui a accepté l'armistice pour sauver la patrie que de la figure du nazi ;Qui est vraiment Créon, sinon un vieillard fatigué et las de la guerre, qui ne veut pour son peuple que la paix de Thèbes, qui tente désespérément et malgré elle de sauver sa nièce Antigone, qui a fait « don de sa personne » parce que "le sale boulot il fallait bien que quelqu’un le fasse ?" Briançon privilégie par certains aspects un Créon dur et cruel, semblable au Kréon de l’Antigone de Brecht. Et son fils, Hémon, subit les mêmes transformations : ce n’est plus le Hémon faible (car fou amoureux d’Antigone) et sensible de la pièce d’Anouilh, c’est un Hémon qu’on sent aller irrévocablement sur les traces de son père, qui apparaît dur et moins sensible au charme un peu sauvage d’Antigone,
L’adaptation de Briançon peut parfois sembler brutale à l'image des lumières sur le plateau : les projecteurs eux-mêmes, lorsque la pièce commence, s’éteignent de façon très violente). On regrette d'avoir un peu perdu l’ambiguïté du personnage de Créon qui fait mourir sa nièce tout en ayant tout fait avant pour tenter de la sauver ? Et l’ambiguïté d’Antigone, à la fois faible et courageuse, à la fois aimante et orgueilleuse ? N’y a t-il qu’un couple dans cette pièce ? Celui de la brute et de la victime ? On aurait apprécié un roi plus humain et une Antigone plus "rétive " .