Il dresse un portrait de lui en honnête homme et pas en criminel et rappelle qu'il est né sous le signe de Saturne qui est, pour Verlaine, la planète du malheur.  Depuis son premier recueil Poèmes Saturniens composé et publié à l'âge de 22 ans, Verlaine  se sent né sous une mauvaise étoile et  se bat pour une poésie musicale "De la musique avant toute chose  Et pour cela préfère l'Impair /Plus soluble dans l'air/ San rien en lui qui pèse ou qui pose."  Il est également partisan de la simplicité : sur le plan formel, il ne souhait pas renoncer à la rime parce qu'il la considère comme un bijou mais il plaide pour une variété des mètres et des formes .  Son idéal de poésie est la chanson grise , une poésie impressionniste où les mots n'ont plus tout à fait le même sens que dans le dictionnaire et où leurs associations créent de nouvelles images .  

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Comment la prison est-elle évoquée dans ce poème ? Le titre initial Promenade au préau fait état du cadre dans lequel se situe cette composition: les détenus sont saisis durant ce moment de détente, à l'air libre, hors de leur cellule et ensemble; Pour évoquer  l'ambiance qui règne durant cette promenade dans la cour de la prison, Verlaine procède par petites notations réalistes ; Il assoit un détail et compose un tableau, une composition d'ensemble animée  à partir de ces notations éparses . Les prisonniers arrivent dans la cour et le poète établit une analogie avec une composition florale : la métaphore "se fleurit" au vers 1 les associé à une fleur des champs : le souci dont Verlaine utilise une amphibologie, le fait d'utiliser un seul mot dans deux sens différents ; en effet, le souci marque également leur front , c'est à dire  qu'ils ont un air préoccupé, ils ne sont pas joyeux; Ainsi le poète utilise un seul mot pour traduire deux types de sensations; L'image suivante de la première strophe repose sur le même procédé: d'abord le poète fabrique  l'image du la ronde avec le vers 4 "vont en rond" ,  On peut alors penser à une danse enfantine et joyeuse qui est effacée dans le vers suivant par celle de la danse macabre avec la mention du fémur au vers 5 et du verbe flageolant. C'est un portrait pathétique ici des détenus qui ressemblent à des cadavres soit en raison de leur maigreur (on peut évoquer la malnutrition) soit parce qu'ils sont ankylosés; comme ils ne sortent pas assez, ils ont du mal à marcher et leurs muscles tremblent; ils tiennent à peine sur leurs jambes ; ce qu'indique très exactement le verbe flageoler.  L'allitération en f prolonge l'image de la faiblesse physique de ces prisonniers .

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Cette dimension pathétique est complétée par le mot débilité qui forme le vers 6. Il peut s'agir ici d'une critique du système carcéral qui contraint les prisonniers à marcher les uns derrières les autres et maintient , en quelque sorte, une sensation de prison, à l'intérieur même de la cour de promenade qui doit être de petite dimension. La notion de liberté est alors toute relative..

Le récit de l'expérience carcérale es double d'une réflexion sur le rôle de al prison au sein de la société : ces détenus sont  qualifiés de frères mais également de bons vieux voleurs ou de doux vagabonds au vers 34 . Le poète marque ainsi sa solidarité avec eux et sa désapprobation face au traitement qu'ils subissent; La prison apparaît davantage comme un lieu d'isolement qui écrase les individus dangereux et les empêche de nuire; Or, Verlaine marque bien le caractère inoffensif de ces prisonniers , essentiellement des pauvres gens ; la morale a été bafouée et la société se venge des offenses commises en punissant les coupables; L'emploi du verbe contrister au vers 29 va dans le sens d'une réflexion sur le rôle de la punition. Les détenus ne sont guère choyés en prison mais ils ne peuvent se plaindre de leur sort car ils ont commis des fautes et sont donc punis. L'avant dernier huitain marque l'acceptation du prisonnier : soumis d'ailleurs et préparé à tous malheurs. Les vers 26 et 27 attestent de ce sentiment dominant qui est la culpabilité: la notion de faute et de péché facilite l'idée qu'il faut accepter son sort; Cependant la dernière strophe dément en partie ce sentiment avec le recul de la philosophie qui peut traduire une forme de distance ironique du poète; la prison serait ainsi à l'image de cette société de la fin du dix-neuvième, très inégalitaire , qui protège mal les individus fragilisé par la pauvreté et qui ne traite la délinquance , sous toutes ses formes (vol, infractions à la loi et à la morale sexuelle ) que par l'enfermement. Les deux dernier vers évoquent, sans doute en partie ironiquement, le caractère paisible de ce séjour carcéral marqué par la douleur mais cette tentation lyrique semble combattue , à l'intérieur même du poème , par une forme de détachement philosophique proche du stoïcisme . La prison devient ainsi un espace de méditation et pourra permettre au poète de développer de nouveau thèmes d'inspiration.