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Une enquête sur l'incarcération d'Apollinaire A la Santé
dans la catégorie Première
Lorsque le poète est incarcéré en 1911, il passera six jours et six longues nuits en prison et son incarcération sera commentée dans la presse écrite de l'époque notamment dans le Journal de Paris auquel il collaborait. Après sa libération , il évoquera les conditions de sa détention et ajoutera en 1913 à son recueil Alcools, ces six poèmes courts auxquels il donnera comme titre A la Santé.
Dans ces petits poèmes aux tons variés, il donne certains détails réalistes sur son emprisonnement et la tentation était grande de vérifier si les plans de la prison de la Santé en 1911 correspondaient aux indications données par le poète.
Les détails relevés et vérifiés concernent tout d'abord l'emplacement de sa cellule ; le 15 de la onzième (v 11 et 12) ; Elle se situait probablement sur le chemin de ronde des gardiens ce qui explique que le détenu entendait le bruit des clés (29 et 30 ) ; La fontaine de la cellule voisine (28 et 32) désignerait le robinet dont l'établissement avait doté les nouvelles cellules qui contenaient , en outre, un tabouret attaché avec une chaîne au mur (40) une table et un lit. Le poète était seul dans sa cellule (56) et sortait effectuer une promenade quotidienne dans la cour de la Santé qu'il compare à une fosse ( 21 et 22) On lui aurait donné de quoi écrire ( v 15 et 36 ) et cela peut supposer que le poème a été rédigé en partie durant sa détention . La position de sa cellule à proximité de la rue Jean Dolent a même été vérifiée (50 ) : il était au premier étage et avait donc une cellule au dessus de la sienne ( 19 et 20) .
Ce court séjour en prison sur laissé des traces sur le poète qui reprend les thèmes majeurs de l'incarcération (solitude, ennui, laideur du cadre, tristesse) sur un ton un peu décalé et sans grandiloquence dans l'émotion.
Lisez l'Enquête sur les cellules de la maison d’arrêt de la Santé (1898) menée par Franck Balandier
...Les meubles de la cellule se composent d’un lit en fer dont une partie est fixée au mur et dont l’autre est mobile de façon à pouvoir s’appliquer contre le mur pendant le jour, d’un escabeau retenu au sol par une chaîne en fer, d’une table fixée au mur et d’un rayon placé au-dessus de la porte...
Ce quatrain est fondamental pour la vérification d’un certain nombre d’hypothèses concernant la localisation de la cellule 15 de la 11ème. D’abord, on peut affirmer définitivement que la cellule 15 se trouve au rez-de-chaussée de la division : “je ne vois rien qu’un ciel hostile”… Nous avons tenté l’expérience. Nous sommes entrés dans la cellule présumée du poète. Nous avons pu vérifier que la fenêtre située en hauteur ne donnait à voir, même en levant les yeux, qu’un bout de ciel. Les “murs nus” représentent le mur d’enceinte dont le poète est seulement séparé par la largeur du chemin de ronde.
De l’autre côté du mur, se trouve la rue Humbolt, aujourd’hui rue Jean Dolent. Depuis la cellule 15, fenêtre ouverte, on peut écouter, en pleine après-midi, les bruits de la rue étouffés. On peut imaginer les roues des fiacres sur le pavé, les sabots des chevaux, les pétarades des premières voitures, les cornes, les sonnettes, des voix peut-être. Guillaume s’est tenu là, tout près de cette liberté.
Ainsi, les dernières incertitudes tombent : sa cellule donne bien sur le chemin de ronde.
Mes prisons
Dans Mes prisons, l’article que Guillaume Apollinaire écrivit pour Paris Journal deux jours après sa mise en liberté provisoire, des indications de lieux supplémentaires, des confirmations et des précisions viennent encore éclairer, un peu, ce que fut l’incarcération du poète.
Assurément, Apollinaire fut privilégié. Incarcéré à la Maison d’arrêt de La Santé dans la nuit du jeudi 7 au vendredi 8 septembre 1911, il bénéficia, dès le lendemain, des services de la bibliothèque (les services sont fermés durant le week-end). C’était le signe d’une faveur personnelle (l’avait-il, lui-même, sollicitée ? ) ou l’indice d’une détention préventive qui risquait d’être longue. En tout cas, cet élément semble contredire certains journaux qui affirment à l’époque que “Guillaume Apollinaire […] s’éveille à l’aube dans une cellule nue où il a des plumes, de l’encre, du papier mais pas un livre”…
J’eus une émotion […] en lisant quelques vers naïfs laissés par un prisonnier […]. J’en composais aussi …
On sait aujourd’hui ce que fut cette composition. Et si le poète posséda bien le nécessaire à écrire dans sa cellule (comme précisé ci-dessus), la question reste posée de déterminer ce qui y fut réellement composé. Le poète prit-il des notes, ébaucha-t-il quelques vers ou rédigea-t-il l’intégrale de cette suite ?
Le poète signe le 15 de la 11ème. Il date ce passage du 9 septembre 1911, soit du samedi, deux jours après le début de son incarcération. En haut, à gauche au-dessus du texte, le poète a inscrit le mot “Santé” entouré. A droite, au-dessus du texte, le chiffre “5” est dessiné.