déc.09
Antigone 82 : Beyrouth à Eaubonne
dans la catégorie Réservé aux lycéens
Ce vendredi 8 décembre , nous attendions avec impatience d'assister à la représentation de Antigone 82, une pièce mise en scène par Jean-Paul Wenzel et tirée de l'adaptation , réalisée pour la scène , du bouleversant roman de Sorj Chalandon: Le quatrième Mur . Et bouleversés, nous l'avons été , à plusieurs reprises. Au premier regard, le rideau déchiré attire notre attention ; En son centre , un écran blanc qui servira à projeter les images des acteurs hors scène, effaçant ainsi partiellement les frontières entre ici , l'espace scénique, et là-bas, ailleurs, loin parfois comme le visage d'Imane au téléphone, une sorte de skype géant qui nous permet de voir l'actrice pour la première fois . Comment Arlette Namiaud a-t-elle choisi de faire débuter la pièce ?
La guerre semble rattraper les acteurs un peu comme la maladie rattrape Sam: physiquement la prestation de Pierre Gaffieri est impressionnante ; Georges veut es laver de la guerre en retirant sa chemise et pleure longuement dans les bras de Marwan qui était pour l'occasion interprété par Jean-Paul Wenzel himself. La ssène qui m'a le plus touchée est celle de la première rencontre entre les acteurs sur la ligne de démarcation au coeur de Beyrouth ; Chacun doit renoncer à son identité, retirer son brassard pour endosser son rôle et permettre à la représentation de se dérouler . Les acteurs s'avancent tour à tour et présentent leurs personnages mais lorsque c'est au tour de la jeune palestinienne, elle rompt le pacte avant de se rétracter et d'accepter de disparaître au profit de la petite maigre. Le personnage d'Imane dans sa robe rouge sang incarne cette Antigone butée, mauvaise presque qui revendique le droit de mourir pour ses idées . L'adaptation fait la part belle au collectif et restitue les étapes essentielles du parcours d'homme de Georges qui ,de l'envie de vivre insufflé par sa paternité , comme contaminé par Antigone, finit par ne plus désirer que la mort comme on désire la terre promise. Le moment où il appuie sur la détente et exécute Joseph-Boutros, lui même assassin de Nakad, le fils de Marwan plonge le théâtre dans le noir et le silence du coup de feu est assourdissant.
L'émotion est palpable mais nous ne sommes pas véritablement dans une ambiance de tragédie : les passages qui nous font sourire ne manquent pas comme les concessions de Georges qui vend Créon en calife au cheik chiite, sa maladresse avec l'épisode où arrêté à un barrage , il se trompe de laisser-passer et les conseils pragmatiques de son guide pour positionner ses visas à côté de son coeur, dans ses poches ou dans son porte-feuille , les protestations de Khadijah qui ne veut pas mourir sur scène et le consentement du metteur en scène déclenche alors une réplique amusée de Charbel qui joue Créon : " Et Antigone s'en sort aussi ?" ; Le jeu totalement faux et outrancier de Madeleine qui a choisi dans son rôle de nourrice le passage où elle surprend Antigone qui rentre au petit matin a même fait rire ouvertement le public comme une respiration avant le drame imminent : l'attaque des avions israéliens sur ce quartier de Beyrouth. Le choix de l'adaptation respecte la chronologie et la mention des indications de lieux et de dates , imitation des lettres roulantes qui s'affichent dans les aéerport pour simuler les vols de Georges, facilite les repérages des spectateurs .
Bien sûr, la présence physique des acteurs, la voix rauque d' Imane, la musique que jouent Nakad et un autre acteur et le fait que les 8 acteurs présents endossent plusieurs rôles chacun, donnent une véritable présence aux questions posées par le roman et qui sont pour la plupart reprises dans l'adaptation ; On regrettera simplement de ne pas avoir vu plus longtemps le coeur de ce roman: à savoir les répétitions de la pièce d'Anouilh ; même si Georges explique le choix d'Antigone et ce qu'elle représente, le metteur en scène est passé assez vite sur son travail de mise en scène justement , alors qu'il tenait là une occasion de mise en abîme de son propre travail autour du roman. On aurait ,en effet, aimé voir Georges devenir véritablement le metteur en scène de cette nouvelle Antigone qui aurait du être jouée en 1982 et qui s'est effondrée sous le poids des événements historiques . Oui vraiment la guerre sort vainqueur de ce face à face avec Georges ; Antigone est bien morte deux fois : la première fois avec l'assassinat de l'actrice et la seconde fois avec le sacrifice du metteur en scène dans une rue de Tripoli un an plus tard .
Une soirée de communion qui a relié Eaubonne à Beyrouth le temps de la représentation !