bat.jpg
 

Le combat singulier des deux chevaliers est décrit comme admirable: le narrateur souligne à la fois la beauté de l'épreuve ( l 20 )  et la noblesse d'âme des chevaliers qui n'oublient pas de préserver leurs montures  (l 18 ) . A forces égales, le combat dure longtemps et le romancier loue la vaillance et l'engagement des adversaires ; "la durée de cette bataille si violente et si difficile est incroyable " (l 16); De la même manière , le jeune Fabrice admire Napoléon et ses soldats "d'une admiration enfantine " (l 26 )  ; Cependant lorsqu'il croise le célèbre Maréchal Ney, surnommé "le prince de la Moskova, le brave des braves", il  ne le reconnaît pas et ne voit que son autorité son air de réprimande et son embonpoint. Stendhal confronte ainsi le regard naïf de l'enfant avec la réalité de la guerre; perdu au milieu de l'assaut, Fabrice "n'y comprenait rien du tout" (l 45 ) . Il fait des efforts pour se comporter comme ce qu'il imagine être le devoir d'un soldat mais un conflit a lieu en lui entre songer "à la gloire du maréchal " et le "frisson d'horreur" qu'il éprouve ( l 7 )  face au champ jonché de cadavres; C'est donc un héros "fort peu héros " qui tente d'imiter des modèles héroïques mais qui est rattrapé par la réalité de la bataille .

1871.jpg
 

Nulle trace d'admiration dans la nouvelle de Maupassant : Walter Schnaffs représente le déserteur : couard, il se cache pour échapper à la bataille "un désir fou de détaler le saisit "  et se réfugie comme un animal , au fond d'un trou. Il est d'ailleurs comparé à un lièvre ( l 17 ) . Terrifié , il a même peur d'un oiseau sur une branche et Maupassant s'amuse à  montrer cette peur décuplée par les circonstances " pendant près d'une heure , le coeur de Walter Schnaffs battit à grands coups pressés;"  (l 24 ) . Pas d'admiration non plus chez le soldat de Claude Simon où on retrouve un regard critique sur la guerre : ce soldat , mu par son instinct de survie se transforme lui aussi  en un véritable animal : il est présenté comme à demi -conscient , agit comme un somnambule(l 7 ), avec des réflexes d'automate (l 7 ) , privé d'une partie de ses facultés et en quelque sorte déshumanisé". Il devient une bête, se transforme en chien et se laisse gouverner par son instinct animal qui lui permet de se mouvoir et de devenir indifférent à la mort de ses compagnons.

debacle.jpg
 

Chaque combattant a une sorte de révélation et se transforme sous l'effet des événements : les chevaliers de Chrétien de Troyes trouvent des ressources physiques pour continuer à se frapper violemment : Esclados se met à avoir peur uniquement  car il n'avait jamais reçu un coup aussi violent et " sous son casque ,il a la tête fendue jusqu'à la cervelle " ( l 22) ; Yvain se transforme alors en gerfaut ( l 27 ) , véritable  oiseau de proie qui cherche à rattraper son adversaire en fuite  et lui aussi a peur "d'avoir perdu sa peine " c'est à dire d'avoir combattu en vain , sans avoir réussi à ramener  Esclados au roi Arthur. Quant à Fabrice, il perd une partie de sa candeur face au spectacle horrible mais il reste "fort humain" et s'efforce par exemple de ne pas piétiner les cadavres ennemis avec son cheval . Précaution inutile qui trahit sa noblesse d'âme mais également son inaptitude à devenir "un vrai militaire " ; Stendhal démythifie la guerre en la montant avec le regard 'décalé " de Fabrice au final fort peu "héros ". Quant à Walter Schnaffs et au personnage de Claude Simon, ils ne présentent aucune caractéristique du brave soldat et sont montrés sans courage ; Le premier rêve même d'être fait prisonnier pour ne plus avoir à affronter cette "horrible vie d'angoisse d'épouvantes de fatigue et de souffrances " (l 26) que représente pour lui la vie militaire ; Et le dernier semble totalement dépassé par les événements et incapable d'obéir à sa volonté, il ne réussit qu'à courir par instinct pour survivre et échapper au bombardement.

yvain.jpg
 

Face à la mort , le héros fait l'expérience de ses limites : les chevaliers indomptables du Moyen-Age combattent sans peur jusqu'à l'issue fatale , par amour pour leur roi ou pour leur propre gloire;ils représentent dans notre imaginaire  un modèle idéal de force et de bravoure; l'époque moderne renie cet idéal en montrant le combattant démuni face au déchainement de la violence : il peine à trouver un sens à cette "boucherie héroïque"et parfois cherche à fuir pour survivre dominé par son instinct animal. En dévalorisant et en modifiant le modèle du héros épique, certains romanciers s'attaquent ainsi à la guerre en la montrant, non pas sous un jour glorieux mais comme un "affreux carnage "