Quant à La Pérouse , Gide se désole d'avoir raté son portrait ; Dix mois plus tard, dans son Journal cette fois en date du 3 novembre , il écrit : "les meilleures parties de mon livre sont celles d'invention pure . Si j'ai raté le portrait du vieux Lapérouse, ce fut pour l'avoir trop rapproché de la réalité;je n'ai pas su, pas pu perdre de vue mon modèle. Le récit de cette première visite est à reprendre. La Pérouse ne vivra et je ne le verrai vraiment que quand il aura complètement pris la place de l'autre. Rien encore ne m'a donné tant de mal;Le difficile c'est d'inventer là ou le souvenir vous retient."  

Le sujet retenu pour cette dissertation était double : tout d'abord il faisait référence à ce sentiment de ratage exprimé par l'écrivain; Il fallait donc se demander dans un premier temps pourquoi Gide avait le sentiment d'avoir raté ce personnage et ensuite établir un lien avec le fait que ce vieux Lapérouse peut être considéré d'un certain point de vue comme un raté . 

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La seconde difficulté du sujet consistait donc à relier les deux éléments qui forment la problématique et de les associer dans une réflexion autour de la notion de ratage ; beaucoup d'entre vous ont eu accès à un travail publié sur digischool qui porte sur la construction du personnage de La Pérouse (ce document intégral  en trois volets est reproduit et  commenté par mes soins ) ; ce travail extrêmement complet ne permettait de répondre qu'à une dimension de la question: celle des ratés de la vie du personnage; mais attention , un personnage n'est pas une véritable personne et vous devez donc vous demander non pas pourquoi a-t-il raté sa vie mais pourquoi l'écrivain a choisi de construire ce personnage et quel rôle joue-t-il dans le roman ?  Un roman est une sorte d'édifice dont vous ne percevez parfois qu'une façade ou un pan: tentez d'enlever le personnage de Lapéroues des Faux-Monnayeurs et vous constaterez que l'économie du récit est profondément altérée : plus d'intrigue avec Boris , plus de départ à Saas-Fée , plus de diatribe contre Dieu te Diable qui trompent tout le monde , plus de modèle de couple au stade terminal , plus de victime à la pension Vedel du gang des FM... ce qui vous le voyez bien, modifie les lignes narratives du roman et même son architecture. 

Comment pouvait -on s'en sortir ? 

Reprenons les élements donnés par les recherches sur internet et essayons de les exploiter en les mettant en relation avec le sujet proposé..

Je vous reproduis ici les documents ...que j'annote en rouge pour pouvoir exploiter leurs informations en lien avec le sujet de dissertation 

Le personnage de La Pérouse n'apparaît pas, a priori, comme l'un des personnages les plus importants des Faux-Monnayeurs d'André Gide... En effet, il apparaît moins  à six reprises seulement et nous ne le rencontrons que par l'intermédiaire de la narration d' Edouard extraite de son Journal, parfois même lue par Bernard . Pourtant, ce protagoniste du vieux professeur de piano joue un rôle crucial dans le roman.Quelle est l'importance du personnage de La Pérouse ? Comment ce personnage est-il construit ?

Le premier document répond  uniquement à la question : Qui est La Pérouse ?. Il est donc incomplet pour répondre à la  question posée dans la dissertation 

Le personnage de La Pérouse

La Pérouse est le vieux professeur de piano d'Edouard. Il réside à Paris, dans un petit appartement près du boulevard Haussmann, en compagnie de son épouse, Madame de La Pérouse, avec qui il entretient des relations très tendues. Le vieil homme vit dans le dénuement.La Pérouse souffre de solitude, étant donné qu'il ne s'entend plus avec sa femme ; il souffre également de la perte de son frère et de son fils, ainsi que de l'absence de son petit-fils, Boris, qu'il n'a jamais vu : il demandera à Edouard de lui ramener Boris. Dans la troisième partie du livre, La Pérouse a retrouvé Boris, mais ne semble pas s'entendre avec son petit-fils : il assistera d'ailleurs, impuissant, à son suicide. ( à retenir : un vieillard, ami d'Edouard triste, se sent seul et inutile , pauvre et dont la vie paraît ratée ; les traits du personnage valident vraiment  l'idée du raté) 

Présence du personnage de La Pérouse dans le roman

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Le personnage de La Pérouse est présent dans deux chapitres de la première partie du roman, et dans quatre chapitres de la troisième partie du roman.

Partie I, chapitre 13, page 118 à 125

Citation en exergue du chapitre : "On tire peu service des vieillards" – Vauvenargues. ( à exploiter dans la dimension symbolique du personnage ) Le récit de la rencontre d'Edouard avec La Pérouse est raconté dans le journal d'Edouard, et lu par l'intermédiaire de Bernard, qui lit indiscrètement le journal du romancier, trouvé dans la valise qu'il a récupérée à la consigne. Cette rencontre entre Edouard et La Pérouse est datée du 8 novembre.Edouard se rend pour la première fois dans le nouvel appartement du couple La Pérouse, un appartement en entresol, plutôt dénué. Le vieux professeur vit dans le dénuement, il confesse ne plus avoir beaucoup d'élèves, et ne pas se faire payer par les élèves avec qui il aime travailler, comme cette élève qu'il prépare au conservatoire. Il sous-entend qu'il mettra fin à ses jours prochainement.La Pérouse avoue ne plus s'entendre avec son épouse, et confie à Edouard l'existence de son petit-fils, Boris, fils de son fils et d'une de ses élèves russes, qu'il ne connaît pas.Edouard part après lui avoir promis de revenir le voir souvent.

Partie I, chapitre 18, page 156 à 163

La rencontre entre Edouard et La Pérouse est relatée dans son nouveau journal, en date du jeudi, 7 heures.Le conflit entre les époux La Pérouse est étalé au grand jour : Madame de La Pérouse ouvre la porte à Edouard, et se plaint de son époux, qui mange à toute heure du jour et de la nuit, et se relève la nuit pour lire en pleurant des lettres de feu son frère. Monsieur de La Pérouse les interrompt et se plaint de son épouse : elle ouvre toujours les fenêtres, elle mange trop, elle a séparé les meubles entre eux.La Pérouse parle à nouveau de son suicide prochain, et remet à Edouard un titre de rente qu'il veut voir remettre à son petit-fils Boris.Edouard promet d'aller à Saas-Fée, en Suisse, où réside le petit Boris, pour l'amener à La Pérouse avant sa mort.L'ancien élève et le vieux professeur se quittent après une conversation sur l'art : La Pérouse a détesté assister à une représentation d'Hernani de Victor Hugo il y a peu, il décrie également la musique moderne, dissonante, à laquelle il préférerait un accord parfait continu : "Un accord parfait continu ; oui, c'est cela : un accord parfait continu... Mais tout notre univers est en proie à la discordance" (p. 162)

Troisième partie, chapitre 1, pages 221 et 222

Dans le journal d'Edouard en date du 22 septembre : Edouard raconte avoir laissé le petit Boris chez son grand-père ; lorsque Madame Sophroniska est revenue le chercher une heure plus tard, l'enfant boudait seul dans un coin. Edouard note que c'était une erreur de les laisser seuls. (peu utile ) 

Troisième partie, chapitre 3, pages 240 – 247

Journal d'Edouard en date du 29 septembre. Visite d'Edouard à La Pérouse, qui paraît très abattu. Il révèle qu'il a tenté de se suicider le mercredi dernier, après avoir vu Boris, mais qu'il n'a pas trouvé le courage d'appuyer sur la gâchette. Madame de La Pérouse est partie en maison de retraite, mais il lui en veut toujours, notamment d'avoir brûlé les lettres de feu son frère. Edouard propose à La Pérouse d'aller vivre à la pension Azaïs, près de Boris, et annonce qu'il reviendra le chercher le lendemain.

Troisième partie, chapitre 15, pages 342 à 346

Narration extérieure, puis récit d'une visite d'Edouard à La Pérouse, à la pension Vedel, extrait du Journal d'Edouard.La narration extérieure nous informe que La Pérouse, à présent devenu surveillant d'étude à la pension Vedel, est moqué par les élèves de la pension.Edouard trouve que le vieux professeur de piano est affaibli. Il se plaint d'entendre, la nuit, un bruit dans le mur de sa chambre, et de ne pas avoir réussi à lier de véritable relation avec Boris. Il semble craindre les élèves. (dégradation du personnage pour mimer la dégradation de la vieillesse ?

Troisième partie, chapitre 18

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Poussé par ses camarades, Boris se suicide en pleine étude, avec le pistolet de son grand-père que les autres élèves lui ont fourni, et alors que La Pérouse surveille l'étude. Edouard raconte alors sa rencontre suivante avec le vieil homme : La Pérouse ne lui a pas parlé du suicide de Boris ; mais il vivait une crise mystique, se demandant qui, de Dieu ou du Diable, parle, est le moins cruel.Cet épisode clôt quasiment le livre : c'est dire l'importance du personnage dans l'économie du roman (remarque fondamentale ) 

Les modèles du personnage de La Pérouse

Qui a inspiré André Gide pour la création du personnage de La Pérouse ?( ces informations sont importantes pour évoquer les ressemblances avec des modèles qui existent mais elles en sont pas indispensables pour traiter le sujet : il suffit de mentionner les difficultés de Gide à créer ce personnage ) 

Pas Saint-Simon : Gide réfute cette hypothèse (passez assez vite sur ce point peu d'intérêt d'encombrer votre mémoire )

Tout d'abord, notons que dans deux lettres présentées en appendice du Journal des Faux-Monnayeurs, André Gide rejette une source possible du personnage de La Pérouse : le modèle qu'aurait été Monsieur le Prince, tel qu'il est décrit par Saint-Simon dans ses Mémoires. (un premier modèle littéraire En effet, une lectrice, Suzanne-Paul Hertz, écrit à Gide dans ces termes : "L'analogie frappante qui existe entre le mal dont est atteint La Pérouse dans les dernières années de sa vie, et celui dont souffrait Saint-Simon dans ses Mémoires, prouve que Saint-Simon vous a fourni la matière du chapitre III de la troisième partie de votre livre Les Faux-Monnayeurs" (JFM p. 109)Gide reproduit également la réponse qu'il donne à cette lettre, en niant l'influence de Saint-Simon sur la construction du personnage de La Pérouse, et en affirmant que ce personnage a été forgé sur le modèle de son professeur de piano : "Le cas de Monsieur le Prince offre en effet une saisissante analogie avec celui de mon vieux La Pérouse, mais c'est la réalité qui m'en avait fourni le modèle. La Pérouse a été inspiré, et jusque dans son suicide manqué, par un vieux professeur de piano, dont je parle longuement dans Si le grain ne meurt (...)" (JFM pp. 111 – 112)

L'image de Marc de Lanux, le professeur de piano (à citer , modèle plus intéressant) 

Ce "vieux professeur de piano, dont [Gide] parle longuement dans Si le grain ne meurt" (JFM, p. 112), c'est Marc de Lanux. Plusieurs traits de La Pérouse sont inspirés directement de l'ancien professeur de piano de Gide : le "suicide manqué" du personnage, qui ne trouve pas le courage d'appuyer sur la gâchette ; mais aussi son trouble, lorsqu'il vit à la pension Vedel, et qu'il croit entendre un bruit dans le mur.Un autre épisode semble être en partie inspiré par l'histoire de Marc de Lanux : il s'agit de l'épisode des lettres brûlées par Madame de La Pérouse. En effet, La Pérouse se relève la nuit pour lire les lettres de feu son frère, et Madame de La Pérouse, exaspérée, décide un jour de brûler cette correspondance : "Savez-vous ce qu'elle a fait, avant de partir ? Elle a forcé mon tiroir et brûlé toutes les lettres de feu mon frère. Elle a toujours été jalouse de mon frère ; surtout depuis qu'il est mort. Elle me faisait des scènes quand elle me surprenait, la nuit, en train de relire ses lettres (...) On l'aurait dite pleine d'attentions ; mais je la connais : c'était de la jalousie. Elle n'a pas voulu me laisser seul avec lui." (p. 245)Cet épisode est inspiré de deux événements :Une expérience de Marc de Lanux : dans son Journal, Gide raconte que son professeur de piano aimait relire la correspondance qu'il entretenait avec son frère ; un jour, en trouvant les lettres en désordre, il se rendit compte que sa femme avait lu la correspondance, et il résolut de la brûler.Une expérience de Gide lui-même : au retour d'un voyage en Angleterre avec son amant Marc Allégret, Gide réalisa que son épouse, Madeleine, jalouse, avait brûlé toute leur correspondance ; il vécut cette révélation comme un drame.Le personnage de La Pérouse s'inspire donc du professeur de piano d'André Gide... Mais aussi d'André Gide lui-même ! En fait l'écrivain s'est servi d'anecdotes personnelles et a fondu en un personnages à la  fois des éléments de sa biographie et des souvenirs " Il a l'impression que c'est un portrait raté peut être parce que ce portrait reste trop marqué justement par les souvenirs mais pour le lecteur qui ignore les détails de le vie de l'écrivain, cet effet n'est pas du tout le même ; On pouvait donc construire une partie de la dissertation sur l'existence de ses ouvenirs personnels (le point de vue de Gide ) et ensuite le point de vue du lecteur 

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La Pérouse, héritier de Gide ? (les ressemblances entre le personnage et l'écrivain sont intéressantes à citer  mais on pourrait presque faire ce travail sur n'importe lequel des personnages du roman  en partant du principe simple qu'un auteur met toujours un peu de lui dans ses personnages ; Cette enquête a donc un intérêt limité ) 

En effet, le personnage de La Pérouse pourrait s'inspirer, au moins en partie, de l'auteur lui-même.Tout d'abord, rappelons l'épisode des lettres brûlées, qui, nous l'avons vu, est inspiré autant de Marc de Lanux que de Gide lui-même.De plus, comme le note Pierre Masson dans Lire les Faux-Monnayeurs, "La Pérouse (...) rêve que la vie soit "un accord parfait continu", un peu comme Gide qui, dépossédé de ses lettres, s'écriait : "Mon oeuvre ne sera plus jamais que comme une symphonie où manque l'accord le plus tendre"" (Masson, P. ; Lire les Faux-Monnayeurs, p. 19) : ainsi, chez Gide comme chez La Pérouse, on retrouve non seulement l'intérêt pour la musique, mais aussi l'adéquation entre le thème de la musique et celui de la vie.Enfin, comme le rappelle encore Pierre Masson, le mysticisme de La Pérouse à la fin du roman "pourrait rappeler celui que Gide ressentit pendant la guerre." ; On pourrait retirer cette partie : les ressemblances enter Gide et Lapérouse. 

La difficulté de créer un personnage nouveau= un leitmotiv dans le Journal 

Malgré les modèles du personnage de La Pérouse, Gide a également taché de créer un personnage indépendant ; en témoigne ce passage du JFM où il explique devoir réécrire le portrait de La Pérouse, pour le séparer davantage de ses modèles : "Si j'ai raté le portrait du vieux Lapérouse (sic), ce fut pour l'avoir trop rapproché de la réalité ; je n'ai pas su, pas pu perdre de vue mon modèle. Le récit de cette première visite est à reprendre. Lapérouse ne vivra et je ne le verrai que quand il aura complètement pris la place de l'autre. Rien encore ne m'a donné tant de mal. Le difficile c'est d'inventer, là où le souvenir vous retient." (JFM pp. 75 – 76) (ce travail finit donc sur la citation alors que votre dissertation prenait justement appui sur cette dernière ) 

La Pérouse second volet: ils abordent dans cette seconde fiche les échecs du personnage et ses liens avec les thème principaux du roman ...

La critique de la famille d'André Gide

Le thème de l'échec du modèle familial est très présent dans l'œuvre d'André Gide. Ainsi, il écrivait dans les Nourritures terrestres (1897) : "Familles ! Je vous hais ! Foyers clos ; portes refermées ; possessions jalouses du bonheur." Cette thématique est aussi présente dans les Faux-Monnayeurs : ainsi, Edouard envisage d'intituler l'un des chapitres de son roman "Le régime cellulaire", et se propose pour épigraphe : "La famille... cette cellule sociale" de Paul Bourget.Pour Gide, la famille est un endroit clos, dans lequel le bonheur ne peut s'accomplir. Ceci s'illustre chez nombre de personnages du roman, mais particulièrement, peut-être, dans le personnage de La Pérouse, qui échoue en tant que mari, en tant que père, et en tant que grand-père.

La Pérouse : l'échec d'un mari

Le couple La Pérouse

La Pérouse dit avoir aimé sa femme, dans les premiers temps de leur mariage : "Les premiers temps de notre ménage avaient été charmants. J'étais très pur quand j'avais épousé madame de La Pérouse. Je l'aimais avec innocence... oui, c'est le meilleur mot, et je ne consentais à lui reconnaître aucun défaut. Mais nos idées n'étaient pas les mêmes sur l'éducation des enfants." (p. 123)C'est donc l'éducation de leur fils qui sépara les époux La Pérouse. Il est fait par La Pérouse un portrait très dur de son épouse : "Elle devient complètement folle. Elle ne sait plus quoi inventer" (p. 122). Le vieil homme fait à Edouard le récit de leurs disputes : Madame de La Pérouse espionnerait Monsieur de La Pérouse, lui reprochant de manger de nuit, tandis qu'il lui reproche de trop manger ; elle aurait partagé les meubles de l'appartement ; elle ouvre toujours les fenêtres en prétendant étouffer... et elle finira par brûler les lettres du défunt frère de La Pérouse. La rupture du couple est consommée dans la troisième partie du roman : Madame de La Pérouse part en maison de retraite, tout en pensant que son mari l'a faite enfermer dans un asile d'aliénés. Le portrait de Madame de La Pérouse est donc extrêmement péjoratif, d'autant qu'Edouard commente également : "Ses traits m'ont paru plus durs, son regard plus aigre, son sourire plus faux que jamais" (p. 156) (on note ici qu'Edouard prend le parti de son professeur de piano mise lecteur peut s'interroger sur son objectivité car la scène est toujours vue à travers son Journal ) 

La critique du modèle conjugal

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L'échec du couple participe à la critique du modèle conjugal, comme le commente Edouard : "Il reste que voici deux êtres, attachés l'un à l'autre pour la vie, et qui se font abominablement souffrir. J'ai souvent, remarqué chez des conjoints, quelle intolérable irritation entretient chez l'un la plus petite protubérance du caractère de l'autre, parce que la "vie commune" fait frotter celle-ci toujours au même endroit. Et si le frottement est réciproque, la vie conjugale n'est plus qu'un enfer" (FM, p. 157)Cette critique participe bien sûr du thème de la décristallisation de l'amour, présent dans le Journal des Faux-Monnayeurs : "Si la "cristallisation" dont parle Stendhal est subite, c'est le lent travail contraire de décristallisation, le pathétique ; à étudier. Quand le temps, l'âge, dérobe à l'amour, un à un, tous ses points d'appui (...)" (JFM, p. 35)

La Pérouse : l'échec d'un père

La Pérouse a échoué en tant que père. Son fils est absent du roman : il est déjà mort quand on parle de lui, un mystère semble entourer son existence, son prénom n'est pas mentionné, Edouard lui-même ignorait que son vieux professeur de piano ait eu un fils : "Je fis un geste d'étonnement, car je croyais le ménage La Pérouse sans enfants. Il releva son front, qu'il avait gardé dans ses mains, et, sur un ton plus calme : "Je ne vous ai jamais parlé de mon fils ? ... Ecoutez, je veux tout vous dire. Il faut aujourd'hui que vous sachiez tout. Ce que je vais vous raconter, je ne puis le dire à personne..." (FM, p. 123)Le fils de La Pérouse aurait conspiré contre lui, avec son épouse : "C'est maintenant seulement que je comprends que toute ma vie j'ai été dupe. Madame de La Pérouse m'a roulé ; mon fils m'a roulé ; tout le monde m'a roulé (...)" (p. 120) ; "Ils se concertaient contre moi. Elle lui apprenait à mentir..." (p. 123).Le fils de La Pérouse a entretenu une liaison avec l'une des élèves du professeur, une jeune Russe ; et le couple illégitime est parti en Pologne et a vécu avec elle plusieurs années, avant de mourir. 

La Pérouse : l'échec d'un grand-père

L'absence de Boris

La Pérouse est aussi un grand-père : de l'union entre son fils et son élève est né le jeune Boris, alors âgé de treize ans. Dans la première partie du roman, le vieil homme ne connaît pas son petit-fils, et il en souffre : "Ses yeux s'étaient de nouveau remplis de larmes ; il tendait la main vers la photographie, comme désireux de la reprendre vite" (p. 124)Aussi à la fin de la première partie du roman Edouard promet-il à La Pérouse de lui amener son petit-fils, dont il avait appris le lieu de résidence : à Saas-Fée, en Suisse.

Une rencontre stérile :  mais une fausse piste réussie 

Cependant, la rencontre entre le vieil homme et Boris se passe mal, ce qui est d'autant plus tragique que le vieil homme a attendu de nombreuses années ces retrouvailles, et a même reculé la date de son suicide, afin de pouvoir rencontrer l'enfant.Ainsi, Edouard a laissé seul le petit Boris avec son grand-père pendant une heure, pour leur première rencontre : "Sophroniska a trouvé le vieux assis devant une paire de dames ; l'enfant, dans un coin, à l'autre bout de la pièce, boudait. "C'est curieux, a dit La Pérouse tout déconfit ; il avait l'air de s'amuser ; mais il en a eu assez tout à coup. Je crains qu'il ne manque un peu de patience..." C'était une erreur de les laisser seuls trop longtemps." (p. 222) La distance entre Boris et La Pérouse ne cesse de croître, même lorsqu'ils habitent sous le même toit, puisque La Pérouse surveille l'étude de la pension Azaïs, où Boris étudie : "(...) Vous savez, il ne me parle pas beaucoup. Il est très renfermé... Je crains que cet enfant n'ait le cœur un peu sec" (p. 345). La Pérouse raconte encore comment son petit-fils ne se retourne pas pour lui dire au revoir, quand il part au lycée.L'échec de cette rencontre est d'autant plus tragique que La Pérouse semble n'être retenu à la vie que par Boris : ainsi, au chapitre III de la partie III, il prétend ne plus vivre, avoir voulu se suicider le jour de sa rencontre avec Boris, et seule cette évocation lui rend le sourire : ""Depuis mercredi soir, Monsieur de La Pérouse a cessé de vivre" (...) "N'est-ce pas précisément mercredi que le petit Boris est venu vous voir ?" Il tourna la tête vers moi ; un sourire, comme l'ombre de celui d'autrefois, au nom de Boris, éclaira ses traits (...)" (p. 241).

La mort de Boris

La mort du petit Boris est, en quelque sorte, le point d'orgue de l'échelle des valeurs familiales, incarnées dans le personnage de La Pérouse.

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Les circonstances de la mort de Boris : une responsabilité de La Pérouse ?

Tout d'abord, rappelons les circonstances de la mort du petit Boris : celui-ci se donne la mort, en pleine étude, poussé par ses camarades de la "confrérie des hommes forts."Si La Pérouse n'est pas directement responsable de cette mort tragique, mi-suicide, mi-meurtre, les circonstances accentuent une impression de culpabilité :Tout d'abord, La Pérouse surveillait l'étude lors de la mort de son petit-fils, et lui adressa les dernières paroles qu'il entendit : "La Pérouse se pencha. Et d'abord il ne comprit pas ce que faisait son petit-fils, encore que l'étrange solennité de ses gestes fût de nature à l'inquiéter. De sa voix la plus forte, et qu'il tâchait de faire autoritaire, il commença : "Monsieur Boris, je vous prie de retourner immédiatement à votre..." (p. 374)De plus, Boris met fin à ses jours avec son pistolet, le pistolet qu'il réservait à son propre suicide : "Mais soudain il reconnut le pistolet ; Boris venait de le porter à sa tempe." (p. 374)La Pérouse demeure immobile : "La Pérouse comprit et sentit aussitôt un grand froid, comme si le sang se figeait dans ses veines. Il voulut se lever, courir à Boris, le retenir, crier... Une sorte de râle rauque sortit de ses lèvres ; il resta figé, paralytique, secoué d'un grand tremblement" (p. 374)Enfin, rappelons que l'échec des relations entre La Pérouse et son petit-fils est également une des raisons du drame : si la communication avait été possible, peut-être le grand-père aurait-il réalisé les circonstances dans lesquelles Boris se trouvait (désespoir après la mort de Bronja, influence néfaste des camarades de classe).

L'ironie tragique de la mort de Boris

La mort de Boris pourrait relever de l'ironie tragique, c'est-à-dire qu'elle aurait pu être précipitée par La Pérouse... alors même que ses intentions étaient absolument contraires !La Pérouse voulait une véritable relation familiale avec Boris, mais l'échec de leur rencontre a renforcé la solitude et la vulnérabilité de Boris...... et surtout, La Pérouse a été incapable de mettre fin à ses jours alors qu'il le désirait ("Et je n'ai pas tiré. Je n'ai pas pu... Au dernier moment, c'est honteux à dire... je n'ai pas eu le courage de tirer" p. 243), et c'est finalement son petit-fils qui meurt, par l'arme qui devait être l'instrument de la mort de La Pérouse, alors même qu'il voulait préserver sa vie.(on peut y voir une réussite du diable et également de l'écrivain avec cette ironie tragique ) 

La Pérouse, anéanti par la mort de Boris

La mort de Boris sacre l'échec des valeurs familiales pour La Pérouse : il est anéanti par la mort de son petit-fils, non pas anéanti de douleur, mais bien anéanti en tant qu'homme.Ainsi, lorsqu'Edouard lui rend visite, La Pérouse ne lui parle pas du suicide de son petit-fils, alors même qu'il s'est produit sous ses yeux : il évoque la fin du bruit qu'il entendait dans le mur, et la lutte entre le divin et le démon.La Pérouse, personnage qui se définit régulièrement par ses relations familiales, est réduit à néant par leur échec. Le roman se clôture sur l'image du vieil homme détruit, soulignant ainsi son importance dans le roman.

Le personnage de La Pérouse représente donc l'échec des valeurs familiales traditionnelles : il s'agit donc bien volontairement de faire le portrait d'un homme quia raté sa vie familiale notamment et qui s'est montré incapable de nouer ou de conserver des relations avec son fils et son petit-fils ; l'échec de sa relation avec Boris redouble l'échec qu'il a essuyé avec son fils. La tentative de réparation avec la génération suivante  se solde à nouveau par un cuisant échec. De plus l'élement féminin dans le roman apparaît ici de manière presque caricaturale comme un facteur de séparation entre les hommes de la famille . Madeleine, la femme de Gide lui a fait plusieurs scènes terribles quand il l'a quittée pour vivre avec Marc Allégret. 

La troisième partie de cette étude aborde la dimension symbolique du personnage . 

La Pérouse, seul protagoniste d'homme âgé des Faux-Monnayeurs de Gide, est l'incarnation, dans le roman, de la vieillesse.

Le portrait de la vieillesse 

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La Pérouse est le seul personnage de vieillard du roman : il est caractérisé par son âge, et ce dès la première description dont il fait l'objet, dans le récit du mariage de Laura, où il joue de l'orgue : "Le vieux La Pérouse à l'harmonium ; son visage vieilli, plus beau, plus noble que jamais, mais son œil sans plus cette flamme admirable qui me communiquait sa ferveur, du temps de ses leçons de piano" (FM, p.101). La vieillesse de La Pérouse est rattachée à la noblesse, mais aussi à la perte de l'élan, du personnage. Dans son Journal, Gide caractérise également toujours La Pérouse par son âge : il l'appelle ainsi le "vieux Lapérouse" (JFM, p. 75), ou encore, plus affectueusement, "mon vieux" (JFM, p. 111). Enfin, la vieillesse de La Pérouse est soulignée par la citation mise en exergue au début du chapitre XIII de la première partie : "On tire peu de service des vieillards" (Vauvenargues, FM p. 118) ; une citation qui rappelle l'inutilité des vieillards dans la société ; ce que rappelle La Pérouse lui-même.Le personnage de La Pérouse souligne l'originalité qu'est la présence d'un personnage de vieux dans un roman, et explique cela par le désintérêt des jeunes, et donc des écrivains, envers la vieillesse : "Pourquoi est-il si rarement question des vieillards dans les livres ?... Cela vient, je crois, de ce que les vieux ne sont plus capables d'en écrire et que, lorsqu'on est jeune, on ne s'occupe pas d'eux. Un vieillard ça n'intéresse plus personne..." (FM, p. 120) En outre, La Pérouse met en scène cette vieillesse, en s'illustrant comme quelqu'un de véritablement conformiste : il raconte ainsi à Edouard avoir été scandalisé par l'immoralité d'une pièce de Victor Hugo à laquelle il a assisté, Hernani, une pièce qui avait été jugée immorale et choquante lors de sa première représentation en...1838. Ce personnage incarne donc également  un monde révolu et des valeurs désuètes qui appartiennent aux générations précédentes ; on peut souligner son originalité dans la mesure où les romans ne donnent généralement que très peu de place au vieillards ; Sur ce point on pourrait parler de réussite ; Gide a réussi à se montrer original en faisant  le choix de ce portrait de vieillard.

La déchéance physique Cette déchéance physique est marquée dès la première visite d'Edouard à son ancien professeur : la tenue de La Pérouse est très négligée : "Il était en bras de chemise et portait sur la tête une sorte de bonnet blanc jaunâtre, où j'ai fini par reconnaître un vieux bas (de madame de La Pérouse sans doute) dont le pied noué ballottait comme le gland d'une toque contre sa joue" (FM, p. 118). Cette déchéance se ressent, plus généralement, dans l'attitude du vieillard : il "trott[e] à petits pas" (p. 119).

La déchéance sociale Cette déchéance physique est à liée à une déchéance sociale : plus personne ne vient voir les époux La Pérouse. Ainsi, voici l'échange qu'il a avec Edouard, lorsque celui-ci le croise au mariage de Laura : "Il m'a dit un peu tristement, mais sur un ton où n'entrait nul reproche : "Vous m'oubliez un peu, je crois." Prétexté ne sait quelles occupations pour m'excuser d'être resté si longtemps sans le voir ; promis pour après-demain ma visite" (FM, p. 103)Edouard se rend compte de la solitude du couple La Pérouse : "C'est madame de La Pérouse qui est venue m'ouvrir. Il y avait plus de deux ans que je ne l'avais revue ; elle m'a pourtant aussitôt reconnu. (Je ne pense pas qu'ils reçoivent beaucoup de visites)" (FM, p. 156).

La déchéance professionnelleLa Pérouse n'a plus besoin de s'habiller ou de bien se tenir, car il n'a plus d'occupation professionnelle. Le professeur de piano a perdu ses élèves, ses méthodes d'enseignement sont démodées : "C'est comme pour les leçons que je donne : les élèves trouvent que mon enseignement les retarde ; elles veulent aller plus vite que moi. Elles me lâchent... (...)" Il ajouta à voix si basse que je l'entendis à peine : "Je n'en ai presque plus..."" (FM, p. 119) Cette déchance professionnelle amène La Pérouse à reconsidérer son utilité dans la société, et par conséquent à envisager le suicide : "Je sais qu'il sera temps bientôt. Je commence à gagner moins que je ne coûte ; et cela m'est insupportable. Il est un certain point que je me suis promis de ne pas dépasser" (FM p. 121)Effectivement, La Pérouse apparaît comme un homme profondément désespéré, voire dépressif – une situation à relier à sa vieillesse.

Un homme dépressif

La tristesse

Dans les Faux-Monnayeurs, La Pérouse est d'emblée qualifié de triste : "j'ai senti, dans le sourire qu'il m'adressait, tant de tristesse (...)" (p. 101), "il m'a dit un peu tristement (...)" (p. 103). La Pérouse est effectivement un homme profondément malheureux : lorsqu'Edouard lui rend finalement visite, il ne peut que constater son profond désespoir : "Le soir tombait. Je ne distinguais déjà presque plus les traits de mon vieux maître ; mais soudain a jailli la lueur du réverbère voisin, qui m'a montré sa joue luisante de larmes" (FM, p. 120).Cette tristesse est à rapprocher de la grande solitude de La Pérouse : il ne s'entend plus avec sa femme, il a perdu son fils, il n'a jamais connu son petit-fils Boris, dont on lui a longtemps caché l'existence... Après les retrouvailles avec Boris, la tristesse du vieil homme naîtra de leur impossibilité à s'entendre.

La méfiance envers les autres

Si La Pérouse est un homme seul, cette solitude est encore accentuée par la méfiance qu'il entretient envers les autres : ainsi, il est persuadé d'une conspiration générale envers lui. "C'est seulement maintenant que je comprends que toute ma vie j'ai été dupe. Madame de La Pérouse m'a roulé ; mon fils m'a roulé ; tout le monde m'a roulé ; le Bon Dieu m'a roulé..." (FM, p. 120). Il sombre alors dans une paranoïa qui es rapproche de la folie et qui motivera les hallucinations auditives dans la pension. 

Un comportement caricatural

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La Pérouse met en scène son mal-être avec un comportement pour le moins caricatural, qui s'illustre à plusieurs reprises dans le roman. Ainsi, lorsqu'Edouard lui rend visite après lui avoir amené le petit Boris, La Pérouse s'obstine à parler de lui-même à la troisième personne, comme s'il était quelqu'un d'autre, et en prétendant être mort – à tel point qu'Edouard doit "entrer dans son jeu", comme s'il était un enfant, pour communiquer avec lui : ""Monsieur de La Pérouse n'a pas de fièvre. Il n'a plus rien. Depuis mercredi soir, Monsieur de La Pérouse a cessé de vivre." J'hésitais si le mieux n'était pas d'entrer dans son jeu" (p. 241).Cette mise en scène caricaturale de son mal-être ne fait que s'accentuer dans la troisième partie du roman : par exemple, lorsqu'Edouard lui rend visite au chapitre XV, il montre son mal-être physique en assurant aller très bien :"Il s'est replié sur un des bancs, tout de biais, après de vains efforts pour introduire sous le pupitre ses jambes trop longues. "Non, non. Je suis très bien, je vous assure." Et le ton de sa voix, l'expression de son visage, disaient : "Je suis affreusement mal et j'espère que cela saute aux yeux ; mais il me plaît d'être ainsi ; et plus je serai mal, moins vous entendrez ma plainte."" (p. 343 ) Il continue à se comporter ainsi avec Edouard : "J'ai taché de plaisanter, mais n'ai pu l'amener à sourire. Il affectait une manière cérémonieuse et comme gourmée, propre à maintenir entre nous de la distance (...)" (p. 343). Ce comportement caricatural ne cessera de s'accentuer jusqu'à la crise mystique de La Pérouse, dans le dernier chapitre du roman.Gide a réussi à construire la dégradation du personnage pour aboutir à cette crise mystique essentielle dans le roman . 

Le désir de la mort : un thème essentiel 

En outre, le mal être profond du personnage s'illustre également dans son désir de mettre fin à ses jours.

La volonté de se suicider

Le thème du suicide parcourt les Faux-Monnayeurs, mais c'est La Pérouse qui l'introduit. Ce désir de mort est la conséquence du sentiment dépressif du personnage.Ainsi, dès qu'Edouard lui rend visite pour la première fois dans les FM, La Pérouse évoque son suicide prochain, en s'interrogeant également sur sa moralité : "Est-ce que vous trouvez, vous aussi, que c'est mal ? Je n'ai jamais pu comprendre pourquoi la religion nous interdisait cela" (FM p. 121).Dans la troisième partie du roman, La Pérouse raconte à Edouard ne pas avoir eu le courage de se suicider, alors même qu'il avait arrêté la date de sa mort ; suite à cela, Edouard demande à ce qu'il lui remette ses pistolets, mais La Pérouse s'y refuse, prétextant le souvenir de son frère : "Vous n'avez plus de crainte à avoir. Ce que je n'ai pas fait ce jour-là, je sais que je ne pourrai jamais le faire. Mais ils sont le seul souvenir qu'il me reste à présent de mon frère, et j'ai besoin qu'ils me rappellent également que je ne suis qu'un jouet entre les mains de Dieu" (FM p. 246) Ces paroles rappellent l'ironie tragique du dénouement du roman, puisque c'est finalement Boris, le petit-fils bien-aimé de La Pérouse, qui mettra fin à ses jours devant son grand-père, avec ces mêmes pistolets. Des trois personnages ayant un lien avec le suicide dans le roman, La Pérouse est le seul qui ne met pas en acte ses pensées suicidaires – Olivier fait une tentative de suicide ratée, Boris meurt d'un suicide qui est aussi un meurtre – et pourtant, c'est bien lui le plus malheureux.

L'étrange maladie

Dans le Journal des Faux-Monnayeurs, André Gide rapproche la tentative de suicide de La Pérouse du mal dont il souffre à la fin du roman – en rappelant que les deux éléments, qui rappellent la déchéance du vieil homme, viennent du personnage de Marc de Lanux. En effet, La Pérouse entend un bruit dans le mur, près de son lit, qui reste inaudible à Edouard : "On dirait un grignotement. J'ai tout essayé pour ne plus l'entendre" (FM, p. 345)Ce n'est qu'après la mort du petit Boris que La Pérouse cessera d'entendre ce bruit.

La Pérouse incarne, également  dans le roman, le thème de la vieillesse ; vieil homme triste et solitaire, il sombre dans la dépression tout au long du roman. Pourtant, si la tristesse montrée par La Pérouse touche parfois à la caricature, le vieux professeur de piano n'accomplira pas son désir de suicide : c'est Boris, la seule lumière dans la vie du vieil homme, qui, ironiquement, se suicidera sous ses yeux. André Gide clôt le roman les Faux-Monnayeurs sur une description de La Pérouse, qui semble avoir perdu tout sens de la réalité, puisqu'il n'évoque même pas la mort terrible de Boris, et qu'il paraît être en proie à un délire mystique. La déchéance du vieil homme s'est donc poursuivie tout au long du roman. Le portrait ne semble pas du tout raté pour le lecteur; Au contraire, il a pu entrevoir à travers le personnage les thèmes essentiels du roman et un certain nombre de réflexions philosophique sur la relation de l'homme avec sa mort et les conséquences du très grand âge, la décristallisation amoureuse , la difficulté des relations familiales ; C'est un portrait particulièrement réussi pour le lecteur car il concentre véritablement la plupart des thèmes du roman qu'il montre à leur paroxysme.   Le vieux Lapérouse illustre à la fois L'homme face à sa famille, l'homme face à l'amour et l'homme face à Dieu là où justement la plupart des personages gidiens n'incarnent qu'un de ces trois aspects;, en 6 apparitions et  à lui seul, il réunit les trois dimensions . 

Voilà un plan détaillé possible 
 I Le personnage La Pérouse peut sembler à Gide un portrait raté ...car (recherche des causes ..) 

1, Il n' apas totalement réussi à s'affranchir des modèles 

s'est inspiré de son prof de piano et de certains de se souvenirs (citer ce que vosu pouvez )  : n'a pas réussi à se détacher, à innover suffisamment 

2. il n'a pas réussi à créer un personnage indépendant : n'est qu'un liant avec Edouard 

Les rencontres ne sont vues que par Edouard , dans son Journal et le personnage n'a pas d'existence autonome ; il est juste imbriqué dans une narration qui  ne relate que des bribes éparses de son existence ( narration de la visite d'Edouard , crise mystique ) ; il ne laisse pas vraiment de souvenir marquant pour certains lecteurs qui le détestent 

3. Il n'a pas réussi à créer un personnage auquel on s'attache (discutable ) 

personnage agaçant, pathétique mais dépressif et geignard : mésentente conjugale sordide, a des côtés d'enfant capricieux ; la dimension pathétique est parfois concurrencée par une forme de comportement caricatural qui laisse peu de place à l'émotion 

 II En fait c'est vraiment le portrait total  d'un immense ratage , un véritable naufrage voulu par Gide pour les besoins de sa démonstration 

1. Une vie entièrement marquée par les échecs ; 

(citer tous les échecs )  

le domaine professionnel, (n'a plus d'élèves et ensuite en sera pas respecté mais moquée il  est devenu manifestement impropre à ce qu'on attendait de lui (phrase très dure à la fin du roman quand les parents retirent leurs élèves de la pension ) 

  le domaine familial : mari aigri, couple qui traduit la décristallisation , père et grand-père qui échoue à nouer le lien 

2. un homme dégradé par sa vieillesse 

Gide a surtout réussi le portrait d'un homme rongé par la vieillesse : c'est une longue dégradation pour le personnage et une réflexion sur la place des vieux dans la société; un portrait original car rare dans les romans (citation de Vauvenargues) 

3. un homme tenté par le désir d'en finir 

il rate son suicide (encore un échec peut être mai peut- être pas ) car cela peut aussi  être le signe que la vie le retient pourtant en dépit de ses malheurs ; Gide très préoccupé par cette question qui es reflète dans le roman .

III Et c'est pour cela que c'est une véritable réussite d'avoir concentré autant de choses importantes dans un seul personnage mineur 

1. Lapérouse est un concentré des thèmes essentiels du roman : 

on le voit peu mais il véhicule des idées essentielles au yeux de l'auteur notamment l'ironie du sort avec la scène du suicide de Boris sous ses yeux : il réunit à leur paroxysme des interrogations sur la famille et la difficulté des relations intergénérationnelles; le thème du batârd est également convoqué avec les circonstances de la naissance de Boris  

2. C'est un instrument déterminant pour la construction du récit : 

la visite d'Edouard génère le départ à Saas-fée  et le changement de cadre, l'arrivée de nouveaux personnages et le retour à Paris avec le passage obligé par la pension Vedel qui devient alors centrale dans l'intrigue   : il éclaire le personnage d''Edouard d'un jour nouveau et sera l'instrument du destin ; son rôle dans l'architecture narrative est primordial ; 

3; c'est le personnage de clôture qui rappelle le rôle  central du démon 

la crise mystique qui marque le dénouement nous rappelle que l'auteur l'a choisi lui  pour le final : il  a donc le mot de la fin alors que Bernard et même Edouard passent au second plan ; il considère que son petit-fils a été plus courageux que lui ..il est devenu manifestement impropre à ce qu'on attendait de lui mais il sourit quand Edouard vient le retrouver à la pension après la mort de Boris (Edouard s'attendait à des larmes ) ; là encore Gide a réussi à éviter l'évolution prévisible du personnage (thème de la fausse piste ) ; Lapérouse semble apaisé dans le silence : il s'exprime comme un musicien "Nous n'avons pas d'oreilles pour écouter la voix de Dieu ..le diable et le bon Dieu ne font qu'un ..il s'amuse avec nous comme un chat avec la souris qu'il tourmente.La cruauté voilà le premier des attributs de Dieu .. Edouard y voit "une indirecte expression de sa douleur, trop étonnante pour pouvoir être contemplée fixement " Cette dernière phrase à elle seule atteste de l'importance du personnage