Comment le romancier nous présente-il la mort du héros ? Tout d'abord il s'agit d'une mort tragique qui prend une dimension symbolique et qui est mise en scène par le romancier en faisant directement référence à la tragédie d'Anouilh Antigone, qui joue un rôle très important dans le roman. Axe possibles ; une mort annoncée, Une mort mise en scène, une mort tragique, une mort théâtralisée, une mort qui entre en résonance avec d'autres morts ...

La dimension symbolique : Georges meurt accompagné d'un  nouveau personnage qui représente la durée de cette guerre enter Israël et la Palestine; Ce combattant est issu de Bethléeem (17) : une ville de Cisjordanie peuplée essentiellement de palestiniens musulmans; située au sud de Jérusalem, elle est également la ville où le Christ est né et  donc occupée à l'origine par une population juive. Un autre symbole important c'est la terre de Jaffa : en effet, Georges offre un peu de la terre de Jaffa qu'il a reprise dans la maison d'Imane tuée sauvagement  lors de l'attaque du camp; cette terre représente pour le palestinien un peu de sa patrie perdue et cette terre vient de Samuel qui la destinait aux palestiniens : "j'ai versé la poussière au creux de ses rides noires " (20) ;

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Ce don a beaucoup de valeur : il représente une identité perdue ; Avant de se lever et de mourir, Georges met sur sa tête la kippa  (44 ) de son ami Samuel, celle qu'il devait porter lors de la représentation d'Antigone car il jouait le rôle du choeur . Il aurait ainsi représenté sur scène" le juif" et le personnage collectif antique témoin du déroulement de la tragédie. D'ailleurs le personnage  du choeur apparait à la fin du roman comme pour prendre le relais du personnage de Georges au moment où ce dernier s'apprête à franchir le quatrième mur (69) ;cette image désigne à la fois le passage du monde des vivants au monde des morts mais aussi le passage de la réalité à la fiction de la scène. Un autre symbole important c'est la clé de Jaffa que Georges garde sur lui. Cette clef représente à la fois l'origine de la guerre car ce conflit a débuté en 1948 juste après la création de l' Etat d' Israel qui a entraine l'exode massif des populations de Jaffa; ces palestiniens se sont donc retrouvés privés de terre, sans patrie; beaucoup sont restés attachés à leurs origines et cette clef rappelle l'importance de nos origines; mais cet objet symbolique peut également être considéré comme ce qui va permettre d'ouvrir le passage entre les vivants et les morts ; d'ailleurs dans l'Antiquité, les Anciens possédaient de nombreux rites de passage dont s'inspire ici le romancier. Saint Pierre détient par exemple les clés du paradis et on l'appelle parfois le portier 

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La mise en scène de la mort : le romancier met soigneusement en scène la mort de son personnage principal; Elle intervient au terme de son parcours de personnage et avait été longuement préparée, dès le premier chapitre comme nous l'avons constaté en lisant le roman. Cette mort attendue, redoutée également par le lecteur a des allures de tragédie au sens où on savait déjà ce qui allait se produire; elle est dramatisée par la mort de Marwan et par cette dernière rencontre avec Mahdi: rencontre qui se transforme en un dialogue de théâtre comme nous pouvons le voir avec la mention des prénoms des personnages (MAHDI/ GEORGES/ ) et surtout l'apparition du choeur qui rappelle à la fois celui de la tragédie mais également celui de la pièce d'Anouilh , qui intervient dans l'épilogue. La mort de Georges correspond à une sortie de scène : il a traversé le quatrième mur ( 69) mais le romancier refuse de la décrire "la mort l'a pris comme ça" (70): il ne nous donnera aucun autre détail à l'exception des objet qu'il portait : " une kippa sur la tête et une clef dans la main " On se souvient de l'importance des objet symboliques dans le roman: le chandelier qui représente l'amour entre Aurore et Georges, la nippa de Samuel, le foulard d' Imane; Chaque objet est un peu de l'identité du personnage . 

 Une mort avant tout tragique : Cet épilogue comporte de nombreuses références directes à la pièce d'Anouilh : en plus des noms des acteurs et du choeur, il est fait mention de passages empruntés au texte d'Anouilh ; la tragédie est décrite comme "commode, reposante" (60) et comparée au drame qui lui est "utilitaire et ignoble parce qu'on espérait s'en sortir " (63) Georges devient donc un personnage à part entière de tragédie et cela lui confère une sorte de majesté "c'était pour les rois la tragédie " (66), une forme de noblesse dans l'acceptation de ce destin ; Les lignes finales sont particulièrement émouvantes avec une sorte du chemin de croix accompli par le héros qui est sorti de sa cachette : "Deux fois Georges est tombé. Il s'est relevé " (67) Ce parcours fait penser  au calvaire du Christ qui a du porter sa croix et qui est tombé à plusieurs reprises en chemin vers la mort. L'image finale semble adoucir la réalité de cette mort et le romancier fait disparaitre son personnage un peu comme un fantôme. Pour clore son récit, Chalandon a repris intégralement l'épilogue d'Anouilh qui donne une résonance particulière  à sa propre fiction : "toux ceux qui avaient à mourir sont mots; ceux qui croyaient une chose et ceux qui croyaient le contraire -même ceux qui ne croyaient en rien et qui se sont  trouvés rapidement pris par l'Histoire " cette citation s'applique bien sur au contexte de la seconde guerre mondiale et rappelle certains poèmes de résistance notamment celui d'Aragon intitulé la Rose et le Réséda qui met en scène des combattants réunis dans le même camp au delà de leurs différences initiales. On notera ici la parenté des expressions : ceux qui croyaient au Ciel et ceux qui n'y croyaient pas " avec ceux qui croyaient une chose et ceux qui croyaient le contraire " (voir le poème d'Aragon en pj )

Cette citation  peut tout aussi bien désigner le conflit au Moyen -Orient ; en effet, Marwan est mort, le frère de Charmel est mort, Imane a été sauvagement tuée; aucun d'entre eux n'appartenait au même camp; leur mort atteste de l'impossibilité de réunir les hommes des factions ennemies sur scène pour jouer une même pièce qui justement représente des conflits insurmontables ; C'est la guerre qui a triomphé et non la bonne volonté des hommes ; Antigone demeurera éternellement tragique mais la guerre l' est encore plus.

Avant de mourir Georges dit qu'il n'est plus rien,  ( 48)  qu'il n'est plus de nulle part qu'il n'appartient plus à aucune terre, aucune patrie; la guerre lui a pris ses racines, lui a volé son identité mais lui a fait rencontrer des frères d'armes et de sang; pourtant il rentre chez lui comme si la mort était désormais son unique refuge; ses dernier mots sonnent comme un adieu et résument une sorte de fatalité tragique   : "personne ne quitte ce monde vivant "  (52)