mar.07
Le syndrome de Stendhal : un voyageur amoureux de l'Italie
dans la catégorie Première
Quand j'y entrai, un peu d'émotion de plus m'aurait fait trouver mal et fondre en larmes".
Stendhal Journal- 8 Septembre 1811
Certainement le théâtre lyrique le plus célèbre au monde, la Scala de Milan est en fait le troisième opéra que connut la ville. Le premier, Il Salone Margherita, la "salle Marguerite", ainsi baptisé en l'honneur de Marguerite d'Autriche (1522-1586), duchesse de Parme et de Plaisance, n'était qu'un simple bâtiment en bois construit dans les jardins du Palais Ducal, le Palazzo Ducale plus tard Palazzo Reale.
. Sous ses allures modestes, le lieu subventionné par les riches aristocrates de la ville fut cependant d'une extrême importance, car il permit la diffusion de l'opéra alors importé de Venise, et cela d'autant plus largement que l'entrée y était totalement libre. Détruit en 1695 par un incendie, le bâtiment fut alors reconstruit en pierre, constituant une aile du Palazzo Reale, et prit cette fois le nom de Teatro Regio Ducale. L'anglais Charles Burney, grand voyageur, en donne cette description:"Le théâtre est immense et tout à fait splendide... Avec 5 étages de loges, et 100 loges à chaque étage, chacune d'elles accueillant 6 personnes qui sont assises en vis à vis le long des parois latérales. Une large galerie court derrière ces loges, face auxquelles leurs propriétaires jouissent également d'une pièce privée avec une cheminée et toutes facilités pour cuisiner, se restaurer, se rafraichir ou jouer aux cartes. Aux deux extrémités du quatrième étage il y a une table de jeu de "faro" que l'on utilise pendant les représentations".
Une description qui illustre admirablement bien ce que pouvait être une soirée à l'Opéra aux siècles passés... le spectacle n'étant finalement qu'un simple prétexte à une réunion mondaine...
Lorsque le 2 Septembre 1816 Stendhal qui est alors en poste à Berlin apprend qu'il lui est accordé un congé de quatre mois, il est fou de joie à l'idée qu'il va pouvoir parcourir à nouveau l'Italie qu'il a découverte en 1800. Vingt jours plus tard il arrive à Milan et court immédiatement à la Scala où il se rendra presque chaque soir, car c'est pour lui le premier théâtre du monde où les habitudes surprennent le français qu'il est. Il décrit largement dans son Journal les prix des abonnements et l'organisation de ces soirées très conviviales durant lesquelles l'on s'invite et l'on se reçoit de loge en loge et dans lesquelles finalement les discussions tiennent plus de place que la musique...
"A Paris je ne connais rien de comparable à cette loge où chaque soir, l'on voit aborder successivement 15 ou 20 hommes distingués, et l'on écoute la musique quand la conversation cesses d'intéresser... Si je ne pars pas d'ici dans trois jours je ne ferai pas mon voyage en Italie, non pas que je sois retenu par une aventure galante, mais je commence à avoir quatre ou cinq loges où je suis reçu comme si l'on m'y voyait depuis dix ans", et il écrira plus tard: "Ce célèbre théâtre milanais a eu une grande influence sur mon caractère. Si jamais je m'amuse à décrire comme quoi celui-ci a été formé par les évènements de ma jeunesse, le théâtre de la Scala sera au premier rang".
(Nombre de scènes romantiques dans l'oeuvre de Stendhal se déroulent en effet dans les loges de l'Opéra milanais où ses héros se font l'écho de la violence des émotions portées par la musique).
Milan, 24 septembre 1816. J’arrive, à sept heures du soir, harassé de fatigue ; je cours à la Scala.»
Le voyage en Italie est, au début du XIXe, quasi obligé. Avec Stendhal il ne faut pas trop s’attendre à des descriptions de paysages: la peinture, l’opéra et les femmes le passionnent bien plus. Le voyage proprement dit n’est d’ailleurs pas tellement relaté dans le détail. Le nom des villes est bien indiqué, mais il n’y a pas toujours beaucoup de choses sur les sites. Nous ne sommes pas encore à l’époque du tourisme. Il y a bien quelques anecdotes sur les diligences, les voyageurs, les auberges et les bandits de grands chemins. Mais ça n’est pas le principal.
Quelques impressions éparses.
Sur le paysage: «Le caractère de la beauté en Italie, c’est le petit nombre des détails et, par conséquent, la grandeur des contours.» Ou sur un site remarquable: « Enfin, à un détour de la route, mon oeil a plongé dans la plaine, et j’ai aperçu de loin, comme une masse sombre, Santa Maria del Fiore et sa fameuse coupole, chef-d'œuvre de Brunelleschi.»
Stendhal vit beaucoup la nuit, dans ces villes d’un autre temps, et notamment à l’opéra: « Je vais dans huit ou dix loges; rien de plus doux, de plus aimable (...) Chaque femme est en général avec son amant.» Il sait décrire en quelques mots les traits de caractères. «Bologne a, ce me semble, beaucoup plus d’esprit, de feu et d’originalité que Milan ; on y a surtout le caractère plus ouvert.» Stendhal préfère voir «toujours absolument seul les monuments célèbres» et a une conception particulière du voyage: «j’ai si souvent regardé des vues de Florence, que je l’a connaissais d’avance; j’ai pu y marcher sans guide.»
La peinture et l’architecture sont évidemment les premières raisons du voyage en Italie. Les oeuvres d’art foisonnent et sont toutes des classiques. «La France n’a rien produit de comparable.» De plus: « Il ne faut pas des raisonnements pour trouver cela beau. Cela fait plaisir à l’œil» Il visite toutes les villas, tous les musées. On trouvera bien sûr, à la date du 22 janvier 1817, à Florence, les phrases à l’origine du «syndrome de Stendhal» : « En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur; la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber.»