Dans cette lettre que le vicomte adresse à la marquise, le romancier dresse le  portrait d'un séducteur sûr de lui ,  qui part conquérir une femme comme un soldat qui s'apprête à livrer une bataille et qui prêche une nouvelle forme de religion : la gloire des conquêtes amoureuses. Un commentaire littéraire pourrait adopter le plan d'étude suivant : a) un conquérant b) sa religion : la séduction c) sa vision de l'amour . La lecture linéaire se base sur les 23 premières  lignes  de cette lettre.

Il s'agit de la quatrième lettre du roman:l'occasion pour le lecteur de décourvrir le projet de conquête du Vicomte : une femme à la réputation inattaquable. Plus sa victime sera difficile à conquérir et plus il en tirera de gloire. La première ligne peint sa relation avec son ancienne maîtresse: la Marquise de Merteuil  dont il critique finement de l'autoritarisme : en effet, il mentionne ses ordres et les associe, deux fois , à un adjectif mélioratif : "charmant ; leur relation se place donc sous le signe d'une rivalité qu'on distingue sous le badinage; " vous feriez chérir le despotisme " L'oxymore ici manifeste la contradiction entre un régime politique souvent détesté qui se fonde sur l'imposition de la force  et le verbe chérir qui évoque une forme de tendresse et de douceur . La seconde phrase révèle, plus en détails, la nature de la relation entre les deux libertins :  cetet relation s'est dégradée car elle le traite de "monstre " alors qu'elle lui "donnait des noms plus doux " c'est à dire des surnoms amoureux lorsqu'ils étaient amants ; Valmont rappelle ici, à dessein, leur passé commun car l'enjeu de son pari avec Madame ed Tourvel, c'est de reconquérir, d'une certaine façon, le coeur de la Marquise, de lui prouver qu'il est le plus fort et de la soumettre à nouveau .  Pour dépeindre leur relation, il emploie également le terme esclave , qui rappelle l'idée d'être esclave de ses passions. Or, justement, le but d'un libertin est de s'affranchir des passions et notamment de la passion amoureuse en exerçant sa volonté et en se montrant plus fort que ses propres sentiments, en cherchant en permanence à les contrôler ; Le Vicomte balaie d'un mot leur ancienne liaison en rappelant , avec un peu de mépris " de plus grands intérêts nous appellent ; ce comparatif de supériorité monter qu'il s'agit de son objectif principale, indiqué sous la forme d'une sorte de maxime " conquérir est notre destin . Le mot destin ici doit être compris , non pas dans le sens de fatalité mais dans le sens de but fixé. Et la volonté est manifeste avec l'expression, toujours impersonnelle: il faut le suivre " L'individu met donc toute son énergie dans la conquête et il ne la fait pas apparaître comme  un  simple projet personnel mais comme une force supérieure justement à sa volonté individuelle, une sorte de mission "divine "   . Il glisse ensuite une série d'allusions au libertinage de la marquise , et par provocation, il emploie des termes religieux;  Néanmoins, il tient à garder la première place dans leur "concours" comme l''indique la précision " vous me suivez au moins d'un pas égal " ; Il reste donc le numéro un et il sait que cela risque de froisser l'orgueil de la Marquise ; La précaution oratoire " soit dit, sans vous fâcher " montre ici son cynisme et traduit sa volonté de blesser l'amour-propre de Madame de Merteuil.  Il ironise ensuite sur les cause de leur séparation "pour le bonheur du monde " : ce sous-entendu évoque, par antiphrase , au contraire, tous les gens qu'ils vont rendre malheureux à cause de leur hypocrisie et de leurs mensonges. " Nous prêchons la foi chacun de notre côté " . Ce constat marque d'une part l'échec de leur couple : ils se sont séparés  car aucun deux ne voulait renoncer à sa liberté de conquête et on note ici , la perversion des valeurs religieuses ;

Laclos emploie, en effet, le champ lexical de l'endoctrinement : les libertins considèrent souvent la religion comme une forme de contrainte ; leur impiété est généralement le signe d'une révolte contre l'ordre social et la religion, qui fait partie des valeurs transmises par la société. Le romancier associe donc ici des mots comme "mission d'amour " "prosélytes " "ardente ferveur " "patronne " "saint " à des entreprise amorales de séduction . D'une certaine manière, on peut dire qu'il pervertit les valeurs religieuses.  On peut même évoquer une forme directe d'impiété avec  la référence de la ligne 9 " et si ce Dieu -là  comme l'autre nous juge sur nos oeuvres " ; Soit le vicomte remet en cause le jugement divin en se moquant des croyants qui pensent qu'on les juge sur leurs actions, soit il montre à quel point ils sont, tous deux , actifs dans le domaine de la séduction et mériteront d'être récompensés pour leurs faits glorieux; Notons que cette fois, il attribue la victoire à la Marquise mais la première place qu'il lui accorde demeure virtuelle comme on le voit avec l'emploi du futur " vous serez un jour la patronne de quelque grande ville  " Il relie ensuite ce vocabulaire religieux à son projet de séduire la Présidente : comme cette dernière est très pieuse, il doit jouer le rôle d'un homme épris de foi et de vertu afin de mieux la tromper. Pour s'entraîner à ce rôle de composition, il s'exerce donc à employer un vocabulaire religieux. Une fois de plus, il revient aux liens qui l'unissaient avec Madame de Merteuil en se prétendant " forcé de vous désobéir " . Il prépare , en effet, son annonce et multiplie, pour la rendre plus attractive, les adresses à sa destinataire  "ne vous fâchez pas, écoutez-moi " Ces adresses au lecteur rendent la lettre plus convaincante et en  même temps, touchent le le véritable lecteur qui se voit ainsi apostrophé, en lieu et place du personnage fictif . On a souvent dit que la structure particulière du roman épistolaire donne au lecteur le rôle d'un voyeur ; il connaît les secrets de tous les personnages et assiste à toutes leurs confidences; Il voit ainsi, les personnages naïfs comme la Présidente ou Cécile Volanges tomber dans les pièges que leur tendent les séducteurs . Ce qui accroit , en quelque sorte, la dimension pathétique et dramatique du récit.

A la ligne 14 , le personnage apparaît comme un "conquérant" et confie 'son plus grand projet "   Ce superlatif montre l'importance qu'il accorde à son objectif ; Il s'agit; non pas  d'une jeune fille  "qui n' a rien vu, ne connaît rien " ; On retrouve ici, l'un des principaux problèmes de société, entrevu avec La Princesse de Clèves  : l'absence d'éducation des jeunes filles confrontées dès leur sortie du couvent, à la galanterie des hommes. On se souvient que dans son roman, Madame de Chartres éduque, justement  sa fille pour la prévenir des dangers de l'amour et lui dresse un tableau effrayant des passions; Un siècle plus tard : le constat est le même; Les jeunes filles sont  encore des proies faciles pour les séducteurs de tous ordres; Valmont lui, dédaigne ce qui lui semble , une proie trop facile qui lui "serait livrée sans défense " comme il est précisé , à la ligne 16; Il décrit d'ailleurs, avec beaucoup de mépris la facilité avec laquelle on peut "perdre l'honneur d'une jeune femme;  Cela semble à la portée du premier venu comme il l'explique , ligne 17 " vingt autres peuvent y réussir comme moi ". Il tient justement à exceller et à se démarquer des autres, par orgueil. . Il décrit les étapes de la séduction en mentionnant  d'abord : "un premier hommage ne manquera pas d'enivrer " ; Ensuite, on aiguisant sa curiosité; En effet, les jeunes femmes, à qui personne n'a jamais parlé d'amour, veulent avant tout découvrir ce qu'est une relation ; Elles agissent plus par "curiosité " que par amour.  Valmont dédaigne donc la facilité et se fait une gloire d'atteindre un objectif beaucoup plus ambitieux.

Au passage, on notera à quel point sa vision des femmes est teintée de mépris. Son orgueil le conduit à priser la difficulté pour recueillir " la gloire et le plaisir " . On retrouve ici deux motivations essentielles chez les libertins : briller et prendre du plaisir ; Ce mélange d'orgueil et d'épicurisme marque,  le courant libertin et caractérise Valmont. Il qualifie sa future proie selon trois valeurs qu'il va s'empresser de défier :" sa dévotion, son amour conjugal et ses principes austères;", ligne 19. Dans l'ordre, la jeune femme est qualifiée de pieuse : elle croit en Dieu et sa foi devrait lui servir de barrière contre l'entreprise du Vicomte; Il s'attaque donc ici à  la religion  et va chercher à tester sa foi.D'autre part, elle avoue aimer sincèrement son époux : ce qui là aussi contribue à la protéger des tentatives d'un séducteur par crainte de l'adultère; Enfin, elle obéit à des valeurs morales nobles comme la vertu, le sens du devoir, le respect de la morale; Elle paraît donc la cible idéale pour tester les compétences du Vicomte ; Il termine en citant ,tout en les déformant , des vers de La Fontaine tirés de sa préface à Monseigneur le Dauphin;Le fabuliste y dépeint son projet au futur roi : chanter les aventures des animaux et faire des peintures légères pour instruire et  divertir . Il termine son épître par ces mots " et si de t'agréer je n'emporte le prix , j'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris." Il faut comprendre ici que Valmont craint de déplaire à la Marquise et il cherche à se prémunir contre les conséquences de sa désobéissance . Lorsqu'elle recevra sa lettre , la Marquise de Merteuil répondra en en le traitant d'insolent  car elle a bien compris qu'il n'agissait pas dans le but de lui plaire mais pour son propre plaisir et pour lui ravir un titre de gloire . D'ailleurs , elle tente de lui faire changer d'avis et dépeint la Présidente de manière très critique; On sent toutefois une pointe de jalousie chez elle et une très forte dose de cynisme . Voilà un extrait de sa réponse : " ici c’est bien pis encore ; votre prude est dévote, et de cette dévotion de bonne femme qui condamne à une éternelle enfance. Peut-être surmonterez-vous cet obstacle, mais ne vous flattez pas de le détruire : vainqueur de l’amour de Dieu, vous ne le serez pas de la peur du diable ; et quand, tenant votre maîtresse dans vos bras, vous sentirez palpiter son cœur, ce sera de crainte et non d’amour. Peut-être, si vous eussiez connu cette femme plus tôt, en eussiez-vous pu faire quelque chose ; mais cela a vingt-deux ans, et il y en a près de deux qu’elle est mariée. Croyez-moi, vicomte, quand une femme s’est encroûtée à ce point, il faut l’abandonner à son sort ; ce ne sera jamais qu’une espèce. "

En synthèse , quelques éléments du portrait d'un libertin  pour compléter le parcours Individu, Morale et Société  et  pour vous servir à constituer des éléments de conclusion   : source : site magister

  L'étymologie de ce terme (il vient du latin libertinus qui signifie affranchi donc qui cesse d'être esclave)  est précieuse pour comprendre la relation entre l'individu et la société ; Le libertin est celui qui s'affranchit des conventions sociales et de la morale . "Grand seigneur méchant homme" aux dires du valet de Don Juan, son activité va à l'encontre des valeurs communément admises. A travers Valmont et Merteuil, le romancier entend faire le portrait de deux libertins au sens de l'époque . A vrai dire, nos deux personnages sont plutôt des "roués", comme on disait à l'époque, c'est-à-dire deux hypocrites qui font du mensonge un signe aristocratique . Il n'a donc pas grand chose à voir avec le "petit maître" de la Régence, jeune débauché courant de conquête en conquête, ni surtout avec le libertin au sens philosophique qui prône l'impiété et se fait l'adepte d'une morale épicurienne.  Le vrai triomphe du libertin dépeint par Laclos est de s'assurer l'estime d'une société éprise de respectabilité tout en étant un parfait scélérat.

  • être protéiforme, le libertin peut endosser toutes les apparences que réclame une situation : ainsi Valmont qui,  simule la générosité et la charité pour séduire Madame de Tourvel , feint d'être "amoureux et timide" (lettre LVII) ou déguise dans ses lettres à Mme de Tourvel "le déraisonnement de l'amour"

  • comédien consommé, le libertin excelle dans la représentation, et le mensonge.

  • orgueil et mépris caractérisent également le personnage de Valmont. Il se place au-dessus du commun des hommes et célèbre la perfection de ses actions.
      Cet orgueil veut trouver ses signes manifestes : c'est d'abord l'assujettissement des faibles et le cynisme affranchi de toute valeur morale

  • la séduction est une guerre : il s'agit pour le conquérant de dissiper d'abord chez sa victime les scrupules de la raison. Cette séduction dépasse parfois la raison dans la fascination "serpentine" que Valmont exerce sur Mme de Tourvel