Aimé Césaire, par sa pensée et sa poésie, influence des intellectuels africains et noirs américains dans leur combat contre le colonialisme. Inscrit au Parti communiste, il est élu maire de Fort-de-France en 1945, puis devient député, En désaccord avec le PC sur la question de la déstalinisation, il quitte le parti en 1956 et crée deux ans plus tard le Parti progressiste martiniquais (PPM) qui revendique l'autonomie de la Martinique. Aimé Césaire demeure maire de Fort-de-France jusqu'en 2001. Retiré de la vie politique, Aimé Césaire s'insurge cependant contre la loi du 23 février 2005 sur les "aspects positifs de la colonisation" qu'il faudrait évoquer dans les programmes scolaires. Aimé Césaire meurt le 17 avril 2008.

Essayons d'analyser  ensemble le discours de Césaire .

 Tout d'abord ,quelle thèse soutient -il  dans son discours ?  Il veut prouver que la colonisation n'est pas la meilleure façon de mettre en contact des peuples et de créer des échanges entre eux mais la pire manière  car elle anéantit la culture de celui qui est opprimé et qui doit s'assimiler à la culture du dominant. Dans son discours , il assimile la colonisation à un mensonge et tente de définir tout ce qu'elle n'est pas au moyen d'une longue énumération ; il réfute ainsi tous les arguments des colons qui prétendent apporter la parole de Dieu, agir ainsi par amour des hommes ou par  amour de l'humanité ou encore parce qu'ils en ont le droit . Le discours repose sur de nombreux procédés oratoires comme les questions rhétoriques, les adresses au lecteur, les impératifs, les présentatifs, les répétitions . L'auteur se sert également d'illustrations  historiques comme l'exemple des colons espagnols Cortez et Pizarre qui massacrèrent les Incas et Marco Polo en Chine . Le discours est structuré et convaincant grâce aux nombreux connecteurs logiques :  et puisqu'aujourd'hui ....cela revient à dire ..poursuivant mon analyse..Cela réglé ..mais alors qui rendent la démonstration logique. Mais le polémiste recourt également aux métaphores qui imagent ses arguments et les rendent plus frappants comme celle de l'échange qui est un sorte d'oxygène pour les peuples , qui leur permet ainsi de respirer et de devenir un "redistributeur d'énergie"  

cesaire3.jpg
 

Pour défendre sa thèse, Césaire montre d'abord que la colonisation repose sur le mensonge des colons qui prétendent agir pour le bien des peuples qu'ils oppriment  et que ce mensonge est relativement récent ; il est pour lui nécessaire d'admettre que l'entreprise coloniale repose sur des motifs économiques et qu'elle utilise la violence, la force (celle du pirate, du chercheur d'or..) 

Comment pouvait-on continuer ce discours ? Il s'agissait d'imaginer la suite du discours de Césaire et de répondre à la question qu'il posait en préambule de sa démonstration : la colonisation était-elle la meilleure manière d'établir le contact ? Je vous livre ici les paroles de Césaire 

Mais parlons des colonisés. (…)

Sécurité ? Culture ? Juridisme ? En attendant, je regarde et je vois, partout où il y a, face à face, colonisateurs et colonisés, la force, la brutalité, la cruauté, le sadisme, le heurt et, en parodie de la formation culturelle, la fabrication hâtive de quelques milliers de fonctionnaires subalternes, de boys, d’artisans, d’employés de commerce et d’interprètes nécessaires à la bonne marche des affaires.

J’ai parlé de contact.

Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies.

Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l’homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote et l’homme indigène en instrument de production.

À mon tour de poser une équation : colonisation = chosification.

J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes.

Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées.

On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer.

Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse.

cesaire2.jpg
 

 

Avant tout poète, Aimé Césaire s’est engagé jusqu’à la fin de sa vie (2008) en politique.. Son Discours sur le colonialisme, écrit en 1950, est un véritable pamphlet : c’est un des premiers textes où le poète met son art au service de la cause civile et populaire.

 

Pour ceux qui souhaitent en savoir plus sur le commentaire littéraire, vous pouvez lire l'analyse suivante 

Nous nous demanderons donc comment le poète fait œuvre politique

 

  1.  

  2. Un pamphlet politique

    1. Un témoignage virulent
      Le poète parle en son nom, comme témoin, et avec force.
      • il utilise le pronom personnel « je » : « j’ai parlé », « j’entends », « moi je parle » : il se pose à la fois comme parti pris et comme témoin.
      • cela est possible parce qu’il est Martiniquais et qu’il fait partie de ceux qui ont subi la colonisation, mais aussi parce qu’il parle la langue des colonisateurs (les Français) ;
      • mais il parle aussi pour l’ensemble des peuples colonisés en Afrique, en Amérique, en Asie : il fait une généralité. « Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse. » 

      Ce pamphlet s’inscrit dans un contexte mondial précis : l’époque de la décolonisation.

    2. Une dénonciation de condition du colonisé
      Ce texte a pour objectif de dénoncer la soumission physique et morale du colonisé.
      • c’est l’argument principal : la colonisation est une oppression et une déshumanisation. Après la violence, Aimé Césaire résume cela dans une formule choc : « À mon tour de poser une équation : colonisation = chosification. »
      • il y a la simplification formelle de l’équation ;
      • c’est invoquer la logique mathématique, irréfutable et convaincante 
      • il utilise des arguments : « Sécurité ? Culture ? Juridisme ? » qu’il réfute :
        • à la « sécurité » fait écho « la brutalité, la cruauté, le sadisme, le heurt » ;
        • à la « culture », une « parodie de la formation culturelle » ;
        • au « juridisme », « la fabrication hâtive de quelques milliers de fonctionnaires subalternes, de boys, d’artisans, d’employés de commerce et d’interprètes nécessaires à la bonne marche des affaires.  

      Césaire réfute les arguments employés habituellement par des colonisateurs (notamment dans les années 50). C'est sa stratégie argumentative.

    3. La déshumanisation du colonisateur
      Mais le colonisateur est aussi touché par la déshumanisation.
      • c’est une idée forte qu’il faut souligner : le système colonial soumet le colonisé, mais aussi le colonisateur.
      • il y a retournement, ou plus élargissement de l’argument principal : le système colonial oppresse les colonisés, mais aussi les colonisateurs ! « des rapports de domination et de soumission qui transforment l’homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote 

      Le système colonial est mauvais pour tout le monde, il sert la machine et fait des hommes des rouages.

      La violence – et l’efficacité – du pamphlet  viennent non seulement des arguments employés, mais aussi – et surtout peut-être – de la valeur poétique du pamphlet.

  3. cesaire4.jpg

     

           L’écriture poétique

    Un pamphlet poétique  L’auteur, en tant que poète, privilégie la persuasion.
    1. paronomases (vol=viol), paragraphes sont courts → ressemblent à des strophes (à des stances)
    2. questions rhétoriques : « Sécurité ? Culture ? Juridisme ? » ;
    3. énumérations : « la force, la brutalité, la cruauté, le sadisme, le heurt », « en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote », etc ;
    4. Anaphores : « moi je » ;
    5. L’argumentation fonctionne selon deux modes : la conviction (par la raison) et la persuasion (par les sentiments). Nous avons vu que les arguments du poète étaient solides, mais il préfère toucher le cœur.
    6. Une poésie qui renoue avec l’oralité
      Cette écriture poétique se rapporte à l’oralité.
      • Césaire met en avant la tradition africaine de l’oralité, mais c’est aussi le discours politique du tribun, du parlementaire (qu’il sera) ;
      • questions rhétoriques, accumulations,
      • jeux d’alternance entre phrases courtes et percutantes, et phrases longues et lyriques (« j’ai parlé de contact. » comparé au paragraphe suivant).
      • nous avons des strophes qui s’apparente à des stances : nous sommes dans la poésie

      Contre le silence des Européens (l’écriture, l’invasion), il y a la musicalité africaine (oral, révolte)

      cesaire5.jpg

       

      Le concept de la négritude

    7. Contre la colonisation, l’auteur prône la négritude.

      La négritude est le concept majeur dans le processus de libération des populations noires ou colonisées. La négritude réunit toute la culture noire, longtemps considérée comme inférieure par rapport à l’Occident (et malheureusement encore aujourd’hui souvent déconsidérée).

      Concept de négritude : apparaît en 1933, Césaire et Senghor → montrer la grandeur et la fierté de la civilisation noire.

      « Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. » + « Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse. » → c’est la culture des pays africains.

Conclusion 

Aimé Césaire réunit poésie et politique dans un pamphlet qui reste d’une incroyable (et triste) actualité. La force polémique du poète-député passe par la conviction (arguments), mais surtout la persuasion (sentiments, poésie). Il met en avant les qualités de la culture africaine pour réfuter les idées européennes : la culture d’Afrique est l’égale de la culture européenne. L’Afrique fait autant partie de l’Histoire que l’Europe…