Si  le personage de Milady d'Alexandre Dumas arrive en  tête de tous les classements , c'est sans doute, pour différentes raisons : tout d'abord, elle est celle qui renouvelle sans cesse  la trahison ; la liste est longue de tous ceux qu'elle a trahis avant même d'agir à la solde du cardinal de  Richelieu et de devenir une espionne pour affaiblir la monarchie française.   Elle a voulu nuire à ses fiancés, ses maris et ses amants  dont elle a tenté de se débarrasser . Elle va même jusqu'à empoisonner une de ses rivales et son exécution à la fin du roman est décrite certes dans un registre pathétique mais semble être l'aboutissement logique du destin de cette femme perfide qui  est l'incarnation de la trahison . Le second roman de Dumas, Le Comte de Monte-Cristo comporte également  plusieurs personnages de traitres redoutables; L'auteur a choisi de peindre deux figures de traîtres qui agissent pour deux motifs différents : Fernand Mondego est amoureux de la même femme que Dantès et l'emprisonnement de ce dernier, accusé à tort d'avoir conspiré contre le gouvernement, lui permettra d'obtenir enfin l'amour de la femme convoitée en éliminant ce rival. Le second traître agit lui, par ambition et jalousie car il convoite le poste qui semble avoir été promis à Dantés; Tous deux, Danglars et Mondego  unissent leur désir de nuire au héros et les conséquences seront tragiques pour le personnage qui effectuera 18 ans de cachot avant de pouvoir s'évader pour accomplir sa vengeance. Milady et Mondego  jouent un rôle identique dans le roman : ce sont des opposants au héros et tous deux connaissent le même sort tragique. Dans le roman d'aventures , les rôles sont souvent assez manichéens : les bons contre les méchants . 

Les romans philosophiques du siècle des Lumières présentent plus de nuances et le courant libertin s'efforce d'éclairer les méandres du coeur humain. Laclos a choisi un couple manipulateur et cynique, défiant tout morale , pour en faire les héros noirs de son roman épistolaire. Ils sèment la trahison autour d'eux et séduisent leurs victimes en utilisant des stratégies dignes d'une guerre . Conquérir est leur but  avoué et ils ne reculent devant aucune hypocrisie, brisant les coeurs  pour satisfaire leur ego démesuré. Valmont va provoquer le désespoir des femmes qui tomberont amoureuses de lui et il peut même être considéré comme le principal acteur de la mort de la Présidente de Tourvel. Expert en mensonges de toutes sortes, il finit cependant par se laisser tuer comme une forme de rédemption pour ses nombreux péchés; à noter qu'il disparaît après avoir trahi sa complice la Marquise de Merteuil comme un ultime hommage à la trahison ! Particulièrement détestable, ce personnage parfois peut pourtant séduire les lectrices qui admirent sa rouerie. C'est en quelque sorte un prolongement du mythe de Don Juan, le séducteur éternel.

Dans la tragédie classique, les traîtres ne manquent pas et ils sont souvent associés aux origines de la tragédie : ainsi c'est à partir d'une trahison, celle de Jason,  que débute le conflit tragique dans Médée; cette princesse-sorcière fait passer son désir de vengeance au -dessus de son amour maternel et sacrifie ses propres enfants afin d'atteindre leur père . Le recours à la vengeance est un moteur de la tragédie et ce schéma réapparait chez Racine avec l'histoire de Phèdre presque aussi coupable , à vos yeux que Médée. Certes, Phèdre ne tue pas ses enfants ; D'ailleurs elle ne tue  directement personne mais elle est à l'origine de plusieurs catastrophes : en effet, elle provoque, par son mensonge , la mort de son beau-fils Hippolyte que son père a cru coupable et qu'il a maudit. A noter que Phèdre se termine par le suicide par empoisonnement de l'héroïne alors que dans Médée, l'une des versions de la tragédie , montre la fuite de l'héroïne. L'une comme l'autre sont les victimes de leur folie amoureuse et paraissent des femmes dénaturées, parfois monstrueuses. Ces deux tragédies illustrent avant tout les dangers de la passion et mettent en garde les spectateurs contre les débordements du coeur.

A un niveau inférieur, vous avez classé les personnages de Paul Dounat qui trahit son camp en temps de guerre mais auquel on peut trouver quelques circonstances atténuantes : à noter que ce personnage trouve la mort de manière assez affreuse et c'est aussi ce qui peut le rendre moins détestable aux yeux du lecteur. L'écrivain, à travers son cas , a souhaité  surtout montrer à quel point la guerre rendait les hommes capables de commettre l'irréparable ; Les résistants présentent son exécution comme nécessaire et obligatoire pour ne pas mettre d'autres vies en danger. En le tuant, on l'empêche de nuire. Il n'a même pas droit à un procès et subit son sort sans résister et sans protester comme s'il acceptait sa mort . 

La trahison de Roxane dans Les Lettres Persanes vous a paru , elle aussi, mériter des circonstances atténuantes, car cette jeune femme s'est révoltée contre un sytème inique: celui des harems où l'on emprisonnait les femmes . Elle a menti et trahi  un maître despotique et le lecteur ne peut que prendre son parti ; De plus, elle se punit elle-même en se donnant la mort comme le personnage de Phèdre  dans la tragédie de Racine . 

Quant à La Princesse de Clèves, elle fait preuve d'une très grande sincérité en dévoilant ses pensées les plus secrètes à son époux et si elle avoue ses sentiments pour le Duc de Nemours, elle restera  toujours fidèle à son mari, Le Prince de Clèves .  Cette trahison, d'ordre spirituel et sentimental, vous a semblé la moins grave de toutes en dépit du fait qu'elle cause la mort de son époux, chagriné de ne pas être autant aimé qu'il le souhaiterait. 

Un seul personnage est totalement innocent, il s'agit d'Hippolyte dans Phèdre; La Princesse de Clèves est très légèrement coupable comme Roxane . Phèdre a été emportée par une passion funeste. Quant à Médée et Milady ce sont des criminelles : l'une par amour directement et son crime atroce la rend odieuse, en dépit de sa souffrance pour les spectateurs  et l'autre par essence, véritable serpent qui sème la mort autour d'elle et que les lecteurs détestent . Entre les deux, des traitres de circonstances mus par leurs intérêts comme Mondego, Valmont qui tire du plaisir de ses impostures sentimentales et Dounat dans le roman de Kessel qui, d'un homme admirable , s'est transformé en traître presque sans le vouloir, par faiblesse désespoir

. Quant à notre dernier traitre , Tyrone Meehan , sa trahison demeure  vraiment  une énigme pour le lecteur; il a trahi un pays qu'il aime par- dessus tout en pensant sans doute le servir et faire cesser les morts autour de lui. Au final, le lecteur ne saura vraiment jamais pourquoi ni ce qu'il a fait au juste.  Il est le héros du roman Un traitre et celui de Retour à Killybegs où cette fois, c'est son point de vue qui domine. Tous  ces personnages paient leur trahison d'un prix important : la mort pour presque tous ; mais elle peut être  choisie par eux-même ou orchestrée par leurs victimes qui ainsi se vengent  .

Face au châtiment d'un traître, le lecteur peut ressentir soit une forme de justice soit un certain malaise dans la mesure où cela l'oblige à considérer le personnage comme une victime désormais. Souvent