Qui dit reconnaissance dit forcément révélation et Oedipe se lance dans une reconstitution douloureuse de son identité; selon Platon la révélation passe d'abord par la reconnaissance , créant ainsi un mouvement en deux temps qui fait progresser de manière inéluctable la quête de la vérité . le héros détruit sur l plan émotionnel par chacune de ses découvertes , es reconstruit en fait sur le plan psychanalytique pour parvenir à la révélation ultime : enfant abandonné et sacrifié avant d'être enfant  trouvé, il n'est pas le fils de ses parents mais devient  le meurtrier de son père et l'amant  monstrueux de sa mère biologique . 

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Vivant dans l'ignorance de sa faute et méconnaissant ses véritables origines, Oedipe vivait dans un bonheur illusoire; le prix à  payer de la connaissance sera la souffrance pour le héros et la fin de son innocence. Cette structure  rappelle une vision chrétienne de l'existence au sein de laquelle la Connaissance a été acquise au prix d'une faute , celle d'Adam et  d'Eve qui ont cédé à la tentation du serpent diabolique et ont accepté de croquer la pomme de la connaissance; ils acquièrent  alors la possibilité de distinguer le bien du mal et aussitôt Dieu les punit en les maudissant et en les exilant du paradis terrestre; la femme doit alors , selon la Genèse , enfanter dans la douleur en guise de punition et l'homme est contraint de travailler pour gagner son pain à la sueur de son front ; on retrouve dans l'histoire d'Oedipe telle que Pasolini la tourne, l'influence de cette structure qui associe très fortement connaissance acquise et souffrance à venir .

Comment traduire en images cette construction ? Tout d'abord, on note que de nombreux plans se font écho comme des miroirs qui renverraient des reflets des mêmes images ; la mémoire visuelle du spectateur enregistre ainsi ce procédé de répétition , de duplication , qui produit un effet de boucle, de cercle dont on ne peut sortir . Comme Oedipe qui  est appelé à reproduire les fautes et les erreurs , le spectateur est lui aussi amené à  voir se reproduire les mêmes images: c'est en quelque sorte un moyen de forcer l'identification  entre le spectateur et  le personnage d'Oedipe . Ainsi les bornes spatiales qui indiquent le nom des deux villes : Corinthe la bienheureuse et Thèbes la maudite se font écho et renvoient à deux espaces distincts de perception mais l'un conduit inexorablement à l'autre. 

De même, le spectateur est confronté à une double image de la maternité à travers les  deux visages en gros plan des deux

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femmes : la mère biologique dans l'avant mythe et la mère adoptive dans le récit du mythe; on constate également que les images des jeux des adolescents au disque et au ballon sont similaires dans le récit de l'adolescence d'Oedipe et dans l'épilogue à Bologne où des jeunes garçons jouent au foot dans un espace indéterminé qui rappelle le terrain de sable de Corinthe.

On peut penser à une théorie mise en images : la nature contiendrait une part d'immuabilité et filmer des plans identiques dans deux espaces -temps différents , revient à nous en convaincre ; 

Toutefois, on peut distinguer différentes fonctions et différentes valeurs de la répétition des plans dans le film : elle peut servir de point de repère pour le spectateur (on parle alors de fonction adjuvante car elle simplifie la compréhension du langage de l'image ) mais elle peut également servir de signal d'alarme; lorsque des épisodes majeurs de l'intrigue se répètent , le public perçoit comme une anomalie et pense qu'il a déjà vu la même image précédemment dans le film; ce qui du coup attire son attention sur les liens entre les deux épisodes ; la répétition prend alors le statut de dysfonctionnement et corrobore l'erreur ; La répétition devient, par exemple, lors des scènes d'intimité entre Oedipe et Jocaste, le signe que l'erreur des personnages est persistante ; le fils Oedipe a pris par erreur la place dessin père et c'est d'autant plus frappant que c'est la même actrice qui interprète les deux rôles : celui de la mère du bébé dans l'avant-mythe  et celui de Jocaste dans le mythe ; on peut dire ici que la répétition est employée comme vecteur de la fatalité tragique . Elle montre le caractère fatal des épisodes dupliqués.

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Ainsi la répétition des mêmes images ou des mêmes plans en perturbant le récit chronologique nous installe dans une temporalité tragique au sein de laquelle , sous un ordre apparent, règne en fait le désordre; le cinéaste  s'emploie alors à brouiller les repères ,cette fois pour révéler l'ampleur des perturbations ; les plans du début du film montrent d'abord le pré verdoyant et ensuite le plan large de la bâtisse bourgeoise devant laquelle marchent deux hommes sous les statues des combattants; lors de l'épilogue, on reverra d'abord le plan large du monument avec Oedipe aveugle qui a posé sa main sur l'épaule d'Angelo le messager et le suit , imitant ainsi la position de son père qui marchait sous la statue dans l'avant mythe. 

Par ce jeu de répétitions du même, Pasolini rend compte de son travail  de cinéaste qui consiste à recréer la structure de la tragédie. Le message philosophique est celui de la fragilité des existences humaines, prisonnières des puissantes forces de la nature et soumises à une fatalité qui les dépasse et les surplombe. Ce principe de  duplication récurrente  a une double fonction au final : fonction dramatique qui structure le film,et fonction philosophique qui délivre l'idée d'une fatalité dominante.