Les figures de clercs apparaissent souvent dans la littérature comme cible privilégiée sur laquelle les auteurs exercent leurs moqueries parfois acerbes. Avec « Le Curé et le Mort » tiré de ses Fables, La Fontaine ne déroge pas à cette satire anticléricale .  Cet apologue découpé en deux parties, le récit et la morale, présente en effet un curé accompagnant un mort à sa dernière demeure ; la cérémonie est alors l’occasion pour le clerc de se réjouir des bonnes choses qu’il pourra se procurer avec les dons et autres salaires qu’il tirera de l’enterrement.
Aussi pouvons-nous nous intéresser à la manière dont ce décalage entre la situation macabre et les rêveries agréables du curé permet au fabuliste de montrer le rôle de l'imagination qui révèle ici les véritables pensées du curé, dissimulées derrière son apparente piété; La satire démasque ici les faux -semblants .
 

La fable  débute  en créant une atmosphère macabre attendue d'après le sujet choisi  mais quelque peu déroutante " un mort s'en allait tristement "  On remarque que le fabuliste donne vie au défunt en le rendant sujet d'un verbe : on imagine ainsi le cercueil se déplacer ; L 'utilisation de l' euphémisme « dernier gîte », peut être interprétée comme une forme de  pudeur à évoquer la mort qui témoigne  soit d’une certaine tristesse soit d'une volonté de la nier.  Toutefois le verbe s'emparer dénote dans ce cadre car on l'associe plus souvent à l'avarice et à la volonté de prédation . La Fontaine rend donc ce mort étrangement vivant et le  présente comme le  premier personnage de l'histoire. Mais  le récit lui-même , vient rompre ensuite la monotonie et la tristesse attendues. .  Ces deux premiers vers contrastent , en effet , avec l'apparition  joyeuse du prêtre  "un curé s'en allait gaiement " Tristement et gaiement sont deux opposés: le Curé semble es réjouir pour une raison inconnue  ;  Tout ceci paraît bien mystérieux. On retrouve également  des indices qui montrent que ce curé est pressé : "au plus vite" : ces détails aiguisent la curiosité du lecteur . Qu'est-ce qui presse ce curé ? Eh bien la réponse ne va pas tarder : il se réjouit de l'argent qu'il va toucher grâce à la cérémonie d'inhumation. La fable décrit ensuite les conditions de transport du défunt, très vite comparé à une marchandise dont on va tirer profit; Il est "bien et dûment empaqueté " et autre détail qui va devenir crucial, il voyage sur le toit d'un carrosse; On a fixé son cercueil  sur le toit  du charriot pour pouvoir le transporter au cimetière. On rapatrie son corps en quelque sorte et La Fontaine continue à en faire un personnage à part entière en décrivant sa "robe " . Le terme bière désigne le cercueil dans lequel on dépose les défunts qu'on a auparavant revêtus d'un linceul . Ces allusions, au vers 9, à la robe "que les morts ne dépouillent guère " peut être une référence aux robes que le curé va acheter pour les jeunes femmes dans l'espoir qu'elles les enlèvent  . On pense aux cotillons du vers 28 qui sont des "jupons de paysanne" . Le vers 10 nous donne un premier aperçu de ce qui est attendu dans ce genre de situation : le pasteur doit cheminer à côté du défunt et "récitait à l'ordinaire maintes dévotes oraisons et des psaumes et des leçons et des versets et des répons. " L'accumulation ici alourdie par les 5 répétitions du et donne une impression d'accélération comique ; Un peu comme un dessin animé qui passerait les images en accéléré , on imagine ce prêtre en train de réciter des prières à toute vitesse; Et on se souvient qu'au début de la fable, il voulait justement "enterrer ce mort au plus vite " La Fontaine dénonce ici l'appât du gain, du profit qui pousse le curé à bâcler son travail ; Pire, on peut penser qu'il récite mécaniquement des prières sans véritablement être concentré sur sa foi. Au vers 15, le fabuliste traduit la pensée du curé avec trois vers au style direct qui pourraient révéler justement ses pensées secrètes .  Au vers 17, le mot salaire est à double sens car d'une part, il désigne les prières comme la récompense offerte aux défunts  par les vivants: on dit des prières en leur honneur, pour eux. Mais ce mot désigne aussi l'argent que les prêtres touchent pour célébrer une cérémonie  religieuse destinée à  une famille; A l'occasion d'un décès, les parents du défunt doivent, en effet, donner de l'argent au curé afin qu'il célèbre une messe d'enterrement; A l'époque de La Fontaine, la plupart des messes étaient payantes; De nos jours encore, certaines familles font dire des messes pour certaines occasions comme l'anniversaire d'une disparition, et elles rémunèrent le prêtre .

Au vers 18 la satire pressentie devient cette fois explicite avec l'expression "couvait des yeux son mort " ; Le Curé considère ce défunt comme sa propriété et il y tient dans la mesure où il va lui permettre de gagner de l'argent; C'est pourquoi , au vers suivant, le mort est qualifié de "trésor "; On retrouve forme de  satire fréquente dans les fables: celle de la vénalité: les gens qui ne pensent qu'à l'argent ; Le curé est ainsi assimilé à un vulgaire marchand qui prend soin de sa marchandise et craint qu'on la lui vole comme l'indique le vers 19 "lui ravir ce trésor " . La Fontaine fait à nouveau parler le prêtre en réutilisant le discours direct. Il s'adresse cérémonieusement au mort en l'appelant, avec déférence , Monsieur , au vers 21 ,mais il le considère surtout comme une source de revenus et imagine ce qu'il va lui rapporter en argent ( le salaire versé par la famille ) et en cire ( l'argent qu'on met dans les troncs des églises pour payer les cierges qu'on achète )  Cette opposition entre le contexte de la cérémonie mortuaire et le ton joyeux sur lequel est fait le récit crée alors une distorsion à l’effet comique. Cette distorsion est repérable également entre l'air affiché par le Curé et ses véritables pensées, dévoilées par le style direct qui ,rappelons le ne correspond, dans le récit , qu'à de simples "regards" comme au vers 20.

  Le travail de l'imagination du Curé débute au vers 24 par le verbe "fondait là-dessus"  qui fait référence aux bénéfices escomptés. La désinvolture du curé accentue ainsi le comique de cette fable. La Fontaine , en effet, nous prépare à certaines allusions grivoises qui rappellent l’univers de la farce. D’une part  le nom  qui sera précisé au vers 31 « Messire Jean Chouart réfère au personnage de Rabelais qui lui aussi, critique vertement l' Eglise pour la dépravation de ses prêtres.  ». D’autre part, les  centres d'intérêt du curé sont pour le moins étonnnants pour un religieux ; Il imagine d'abord une grande quantité de vin ; Cette précision du vers 25 montre quel sera son premier achat avec l'argent de la cérémonie; Et son second centre d'intérêt  est défini  avec  "une certaine nièce assez proprette" qui a tout l'air d'une maîtresse  qu'il entretient et sa chambrière Pâquette; Ce prénom est surtout donné à des prostituées;  Noter curé n'est donc pas un philanthrope mais plutôt un bon vivant qui aime le vin et les plaisirs de la chair.  En effet, le mot « cotillons » situe l’intérêt du curé un peu en dessous des réflexions sur la condition humaine auxquelles nous nous attendrions lorsqu'un religieux accompagne un convoi mortuaire; On s'attendait à ce qu'il réfléchisse à la vanité de la condition humaine .  Loin de faire preuve de la gravité attendue dans de telles circonstances , ce curé est plongé dans une "agréable pensée"
 
 Mais son bonheur imaginaire sera de courte durée car, en bon moraliste, La Fontaine, met fin à son existence , et par là même à ses pensées.  On peut comparer l'accident du convoi au saut de Perette , sur le chemin qui la mène au marché  ; L'action est très rapide : "Au vers 31, c'en est fini du Curé "Voilà Messire Jean Chouart qui du choc de son mort a la tête cassée " La chute est brutale dans tous les sens du terme.   Le comique de la scène transparaît également avec ce que l’on pourrait appeler l’ironie du sort puisque la fin de la fable nous propose un renversement de situation pour le moins inattendu. Alors que nous avions « un mort » et « un curé », qui marche « à [ses] côté[s] », bien dissociés par l’article indéfini et le point-virgule du deuxième vers,  on constate qu'ils partagent désormais le même sort « Tous deux s’en vont de compagnie » à la fin du récit. Le curé meurt et rejoint le mort dans l’au-delà. Le fabuliste montre , de manière comique, que le mort est responsable de la mort du curé : "le paroissien en plomb "  est une périphrase comique qui désigne le défunt  et il entraîne son pasteur , dans sa chute justement.L’ironie se fait encore ressentir de façon grinçante avec l’évocation du nom « Chouart » qui rappelle  le verbe choir qui signifie tomber en ancien français ; On pense aussi, dès le début, d'ailleurs, à la chute de la laitière au Pot au lait et surtout, à la chute du curé dans la mort. Le comique de la fable permet de rendre plus acceptable la satire du clergé. La morale qui clôt le récit tient en trois vers et nous fait réfléchir aux dangers de l'imagination lorsqu'elle semble nous déborder . La dimension tragique n'est pas absente du dénouement  avec l'idée énoncée par La Fontaine, au vers 36 et 37  que notre vie ressemble à ce personnage : nous nous réjouissions, parfois à tort et dissimulons nos véritables pensées aux autres ; Peut être veut-il nous avertir qu'il n'est pas prudent de se réjouir du malheur des autres et de se lancer dans des "projets imaginaires"  ! Mieux vaut garder les yeux grand ouverts , les deux pieds sur terre et l'esprit clair !

En conclusion, La Fontaine parvient à  critiquer le clergé dans cette fable en dévalorisant le curé, en pointant son attachement aux biens et aux plaisirs terrestres, puis  il introduit la dimension morale lui en faisant payer le prix fort de son inconscience.     Si cette fable constitue un diptyque avec « Perette et le Pot au lait » car elle présente des similitudes de construction , elle évoque en plus de la précédente, une satire anticléricale très répandue dans la littérature  d'idées du XVIe siècle et qui perdure au siècle suivant . Cependant, La Fontaine se met en partie à l'abri des critiques ,en proposant une morale qui s’adresse au commun des mortels et non pas seulement aux hommes d’église. L'imagination du curé révèle sa véritable nature et démasque son hypocrisie .