Un grand homme (Caroline)

Un grand homme

 

Et elle partit, tenant sa fille dans ses bras à la recherche, folle mais pas désespérée, d’un simple jouet d’enfant, d’une toute petite poupée en chiffon, danse ce monde cruel et obscur qu’était la guerre.

La ville était remplie de tas de cendres et de flammes, l’enfer était tombé sur Verdun. La petite soulevait tout débris susceptible de cacher sa poupée.

L’atmosphère était calme et morbide. Les habitants étaient semblables à des morts-vivants : ni tout à fait l’un ni tout à fait l’autre, coincés entre deux mondes. En revanche, la ville était détruite et elle était aussi victime de cette guerre.

 

La guerre… respectueuse d’aucune population, les soldats victimes de la monstruosité des combats, les villes englouties par cet ogre des temps nouveaux. Que resterait-il de cette horreur ?

Soudain elle se réveilla de ses pensées lorsque l’enfant dit : «  Je crois qu’elle est morte. »                                                                                                        

Sa mère lui rétorqua : «  Mais non on va la retrouver ! »                                                          

« Mais non maman dit-elle en pleurant, la dame là elle est morte ! »                                                     

La mère aperçut la femme dont il était question, son ventre bombé telle une charpente déformée par le feu ne laissait aucun doute ; elle était enceinte, de déjà quelques mois. Devant cette scène atroce, la mère terrorisée emporta sa fille et courût le plus loin possible.

Elles se réfugièrent dans une partie de maison encore intacte.                                                             

« On ne les retrouvera jamais n’est-ce pas ? » dit l’enfant.                                                  

« Qui donc ? » réplique sa mère.                                                                                            

« Toutes les personnes qu’on aime, papa et ma poupée. »                                                      

La femme eut un moment de réflexion…

Foutue guerre se dit-elle, une petite aussi jeune plongée dans l’atrocité de l’humanité. Elle aurait dû avoir une vie meilleure…

 

Un bruit assourdissant interrompit ses pensées. La ville agonisait, victime suprême des bombardements massifs et de la folie des Hommes.

Puis soudain, des bruits de bottes cadencés. Une nouvelle armée arriva en ville, se dirigeant vers les tranchées de la Triple Entente.                                                                                  

« 23ème compagnie ! Halte ! » dit une voix d’un ton autoritaire. La 23ème compagnie… « Albert » s’écria la mère, « Albert ! Albert ! »                                                    Elle courut, tenant sa fille par la main et aperçut la 23ème compagnie. Elle scanda le nom de son mari à maintes reprises : « Albert Morin ! »                                                   

« -Mort » lui répondit une voix, l’homme lui montra la médaille militaire de son mari. « Je l’ai récupérée sur son cadavre » rétorqua t-il, les yeux dans le vague.      La femme submergée par un flot de larmes s’effondra. La 23ème compagnie reprît marche.

Le silence retomba…ce silence qui règne sur le champ de bataille après l’assaut quand les morts regardent le ciel sans le voir.                                                                 Veuve se répéta la mère.                                                                                                                 

Abandonnée se répéta la petite.

Plus les jours passaient et plus le chagrin les noyait. La douleur de la perte du mari et du père constituait une double peine, omniprésente et tenaillait l’esprit de la femme et de sa fille.

Comment leur serait-il  possible d’être à nouveau heureuses un jour après avoir perdu un être aussi cher ?

Quelques fois dans la journée, on entendait des tirs et des hurlements. C’était les pelotons d’exécution que l’armée organisait afin de punir les soldats déserteurs qui n’en pouvaient plus de mourir dans leurs épouvantables tranchées. Ces braves gars avaient au moins eu un moment de révolte et de remise en question quant à leur sort.

Un matin, la mère et la fille se levèrent, dans un désespoir analogue à celui de la veille. Elles partirent à nouveau à la recherche de la poupée de chiffons. Tout à coup, Lena, prise d’une folie sans douté désespérée se mit à courir en hurlant : « Papa ! »

La mère, lasse de simplement vivre encore, la suivit en la raisonnant : « Ma chérie, papa n’est pas… » Sa phrase demeura en suspens, comme le Monde autour d’elle ; elle se sentit défaillir. Avant de perdre conscience elle aperçut une silhouette fantomatique dans la fumée des incendies survivants.

Lorsqu’elle se réveilla, son mati était auprès d’elle. Il lui fallut un long moment pour comprendre que ce n’était pas un rêve, qu’il était bien vivant auprès d’elle, un être de chair dont le cœur faisait battre le sien à l’unisson.

Il lui expliqua que l’un de ses camarades avait obtenu une permission pour voir son fils qui venait de naître, là-bas en Provence, loin des combats. La veille de son départ, le jeune avait littéralement été déchiqueté par un tir d’artillerie ennemie. Il ne restait d’Edouard Daladier que des lambeaux d’os, de chair et de tissu bleu horizon maculé de boue. Horrifié, déterminé à en finir avec cette abomination du quotidien, Albert Morin avait arraché sa plaque militaire et l’avait jetée sur les misérables restes de ce qui avait était jadis un homme et avait ainsi échangé son identité en s’appropriant la plaque couverte de sang de son malheureux compatriote. Il avait déserté l’armée mais retrouvé sa vie.