Une poupée de chiffon pas comme les autres (Valentine)

Une poupée de chiffon pas comme les autres

                                                     Et elle partit, tenant sa fille dans ses bras à la recherche, folle mais pas désespéré, d’un simple jouet d’enfant, d’une toute petite poupée en chiffon, dans ce monde cruel et obscur qu’était la guerre.

En quelques minutes, tout pouvait basculer. Les uns pensaient à leurs habitations tantôt en ruines, tantôt en cendres. Les autres eux, pensaient à leurs proches perdus là haut, dans ce grand linceul que dissimulait la brume épaisse accumulée au fil des combats. Que fallait-il faire ? C’était cette maudite question qui ne cessait de tourmenter la jeune mère… « Vais-je être assez forte, assez brave ? » dit-elle tout haut comme si quelqu’un pouvait lui répondre, lui dire qu’elle y arriverait certainement. Beaucoup de questions restaient dans sa tête, l’indécision était à son apogée. Dans ces moments, il n’était pas envisageable de concevoir un avenir, aussi paisible et heureux soit il… Tout ce que l’on pouvait faire était attendre, s’abriter, rêver… Rêver était la seule manière de s’échapper le temps d’une heure ou deux…

La femme courait… Elle jurait tel un charretier. On voyait dans ses yeux, son regard, la détermination sans fin dont elle faisait preuve. Jamais nul ne vit une battante comme elle ! Elle courait au milieu des pluies d’obus qui ravageaient le paysage et qui s’abattaient aussi facilement que la porcelaine pouvait se briser. Elle courait inlassablement, avec la même détermination. On voyait que elle ne serait satisfaite que lorsque la poupée de son enfant serait sienne.

Au loin, dans la brume épaisse, elle jeta son dévolu sur une petite maisonnette encore assez solide pour pouvoir s’y cacher. Elle prit sa fille par la main et partit sans attendre en direction de la petite maison. La femme était épuisée, après cette bataille acharnée contre les obus. La mère et la fille s’assirent quelques instants. Le feu flamboyait, les fusils grésillaient, les balles sifflaient et l’on entendait des gémissements venir de divers endroits. La mère crut percevoir parmi cette cacophonie de bruits si variés et plus horribles les uns que les autres, un gémissement qui semblait se rapprocher. Les deux réfugiés furent envahis par une terreur qui se traduisit par de forts tremblements et des larmes coulant le long de leur visage souillé de terre. Malgré cette peur bel et bien présente, toutes deux s’avancèrent doucement. La mère entendit les gémissements, et se dirigea vers un rideau cachant les fenêtres de l’habitation. Elle dit à sa fille de bien rester derrière elle afin que celle-ci soit en sécurité et elle tira d’un coup sec le rideau. Elle resta figé, muette, surprise. La peur ? Non plus à cet instant car ce qu’il y avait sous ce rideau c’était un chien. Il avait trouvé refuge là, derrière ce rideau à moitié déchiré. C’était une créature grande, musclée avec un air peu commun. La jeune femme le caressa à plusieurs reprises, puis les gémissements s’atténuèrent. Elle observa l’animal sous tous ses angles, son regard se posa sur son oreille gauche. Celle-ci était en lambeaux, probablement à cause des barbelés présents un peu partout… Elle prit son tablier et en déchira un morceau afin de stopper l’écoulement de sang qui ruisselait le long de son thorax. Puis, soudain, l’animal vint sentir la mère et son jeune enfant, il se dressa et commença à se diriger vers la porte de sortie. La mère décida de le suivre avec son enfant dans les bras. Elle avait espoir que le chien l’amènerait à l’endroit où sa fille avait perdu sa poupée. L’animal sortit de la maisonnette et s’élança à travers la brume épaisse qui recouvrait le paysage. La jeune femme ne distinguait que très vaguement la silhouette de la bête. Mais plus ils avançaient, plus le ciel se dégageait. Les obus continuaient à déferler et les mêmes bruits se faisaient entendre aux alentours. Le chien arriva à la lisière d’un bois. Juste avant ce bois, on distinguait les débris d’une ancienne habitation probablement détruite par les bombardements… L’animal s’arrêta face à cette ruine qu’était devenue l’ancienne demeure. La jeune femme juste derrière, se figea et tout à coup s’écroula à terre et fondit en larmes. Pourquoi ? Cette demeure ne lui était pas inconnue, elle lui était même très familière… Même en ruine elle était reconnaissable. Elle était tout bonnement retournée sur ses pas… Cette maison qu’elle avait délaissée à cause de cette guerre. La mère se releva et prit la main de sa petite fille, elle s’avança dans les décombres. Les larmes lui coulaient inlassablement et elle ne put rien y faire, une partie d’elle s’était envolée… La maison où elle et sa fille avaient grandi.

Tout à coup, au milieu des débris, la jeune fille montra du doigt un morceau de tissu rouge. La mère s’avança avec l’enfant et découvrit avec effroi une petite fille blonde aux yeux clairs. Elle était vêtue d’une petite robe rouge en soie. La jeune enfant était inerte sur le sol. A ce moment là, la fille de la jeune femme la pointa du doigt et dit « La poupée ! » La mère comprit à ce moment que sa fille depuis le début ne cherchait non pas sa poupée de chiffon, mais quelque chose qui lui était bien plus cher, bien plus précieux. Il s’agissait de sa meilleure amie, qui devait venir la voir et jouer avec elle durant l’après midi. L’enfant se précipita à côté du corps sans vie et le serra fort dans ses bras avant de le reposer délicatement sur le sol. La jeune femme s’agenouilla pour consoler son enfant qui pleurait. La scène continua longtemps…

Presque cent ans après, à ce même endroit repose trois corps, Lesquels ? Ceux de trois personnes ayant essayé de faire face à cette guerre en étant solidaires, braves et téméraires… Deux d’entres elles étaient de simples enfants. Ces trois tombes sont recouvertes de rose rouge, avec une inscription que l’on pouvait lire au loin : « Elles n’auraient jamais dû mourir si jeunes… ».