Ma fille dans le brouillard (Céline)

Ma fille dans le brouillard

 

   Et elle partit, tenant sa fille dans ses bras à la recherche, folle mais pas désespérée, d'un simple jouet d'enfant, d'une toute petite poupée en chiffon, dans ce monde cruel et obscur qu'était la guerre […]

 

  L'enfant et la femme s'engagèrent dans un brouillard recouvrant cette plaine retournée par les éclats d'obus. La terre volait dans tous les sens empêchant leur avancée, leurs pas s'enfonçaient lentement sous cette boue, cette cendre qui n'étaient que désastres.

 

Leur corps, leurs visages étaient recouverts de suie, de terre. Leurs vêtements étaient déchirés sales, ils empestaient la pluie, la boue, la mort. Elles étaient méconnaissables.

 

Elles avaient retrouvés l'espoir, la joie quand leurs regards s'étaient croisés. Malheureusement, il leur restait une tâche, finalement anodine, qui mettait leur vie en danger et ne méritait pas tous ces obstacles et tous ces enjeux. Elles risquaient leurs vies pour une poupée qui n'allait devenir que cendre et poussière.

 

Au milieu de cette grande plaine, qui était autrefois remplie de verdure et qui n'était réduite, à présent, qu'aux obus et aux explosions, se trouvaient des centaines de personne qui demandaient de l'aide. La femme essayait tant bien que mal de cacher toutes ces horreurs à l'enfant qu'elle tenait fermement dans ses bras. Mais le mal avait déjà été fait, l'enfant ne cessait de pleurer, traumatisée par cette guerre.

 

La femme essayait avec force et conviction de cacher ses émotions devant ses hommes et ses femmes qui imploraient ciel et terre pour ne pas mourir.

Elle voulait abandonner mais elle était déterminée à trouver cette poupée pour cette enfant qu'elle aimait tant. Elle voulait arrêter ses cris, ses pleurs, qui ne faisaient que raisonner dans sa tête.

Tout en avançant, elle essayait de rassurer sa fille mais en réalité, c'était elle-même qu’elle rassurait.

 

 

 

 

 

 

En dégageant les décombres qui jonchaient le sol, la mère pressentit qu'elles s'approchaient enfin de leur poupée, cette poupée tant sacrée pour la petite fille.

Le sourire aux lèvres, malgré les horreurs autour, elles s'élancèrent dans l'allée détruite par ce champ de bataille qu'était la guerre.

 

La petite fille courut attraper sa poupée dans le brouillard incessant. Elle en sortit, avec un homme à la main, la quarantaine, petit. L'homme s'approcha de la mère et prononça aussi fort que les bruits d'obus qui fusaient :

  « Qui êtes-vous ? Merci de m'avoir ramené mon enfant »