La poupée de chiffon (Sophie)

La poupée de chiffon

Et elle partit, tenant sa fille dans ses bras à la recherche, folle mais désespérée, d’un simple jouet d’enfant, d’une toute petite poupée en chiffon, dans ce monde cruel et obscur qu’était la guerre. Elle serrait encore et encore sa fille dans ses bras, elle avait eu si peur de la perdre lorsqu’elle avait entendu l’explosion, mais sa fille était là. C’était le principal. La jeune mère ne voulait pas reposer son enfant au sol, alors elle la gardait contre elle ou elle pouvait la sentir à proximité, en sécurité.

Leur maison brûlait doucement. Angeles, la jeune mère, fixa son regard dans les flammes qui semblaient engloutir leur ancien domicile et ainsi détruire leurs souvenirs autrefois heureux. Elle se détourna de cette vue qui lui faisait saigner le cœur. Finalement son enfant, sa petite Lola, était tout ce qu’il lui restait. Dans la rue, bien qu’on aurait pu s’attendre à entendre des hurlements, des cris d’effroi, de peur, il n’en n’était rien. La ville semblait dormir paisiblement. Les familles essayaient, en vain, de récupérer des objets. Elle, elle se contentait de sourire tristement, le visage inondait de larmes qui ne cessaient de couler, roulant le long de ses joues. Sa fille ne pipait mot et restait sagement dans les bras de sa mère. Angeles avait promis à sa petite de lui retrouver sa poupée, alors elle commença à chercher autour de la demeure enflammée. Contrainte d’attendre que les flammes s’éteignent, elle s’assit par terre, positionnant Lola sur ses genoux. Son enfant perdit, à son tour, son regard à présent vide d’expression, à force de regarder chez elle.

Deux heures passèrent, il ne restait que des débris calcinés mais Angeles était déterminée, et s’aventura, tout de même à la recherche de cette poupée de chiffon. Après quelques minutes à fouiller, elle finit par ressortir, déçue de n’y avoir vu que des objets dont on ne distinguait même plus l’utilité avec la déformation qu’avait produit le feu. Ses yeux bleus se posèrent sur le trou qu’avait produit l’obus dans la terre. Elle la vit. Sans savoir pourquoi, les larmes recommencèrent à couler. Elle s’agenouilla alors près de la petite poupée et lui caressa les cheveux. Elle essuya du bout des doigts ses joues, décidée à se montrer forte devant sa fille. Elle revint vers Lola qui n’avait pas bougé d’un pouce. Une pensée traversa l’esprit de la mère. Où allait-elle allé vivre avec sa précieuse enfant ? Elle ne pouvait pas vivre dans la rue, elle devait tout faire pour que Lola ne se rende compte de rien vis-à-vis de l’atrocité dans lequel le monde était plongé en ce temps de guerre. Angeles s’abaissa près de la petite, et la reprit dans ses bras.

«  - Maman, pourquoi tu n’as pas ma poupée ? Où elle est ? »

Le cœur de la mère rata un battement à cette question redoutée.

«  - En sécurité, mon cœur, en sécurité » répondit-elle simplement.

Elle n’avait pas envie de briser l’espoir de son enfant. Le père de cette dernière était déjà décédé pour la guerre sur le front, et comme ici, Angeles ne lui avait rien dit. Elle voulait se montrer forte, elle le devait. Pourtant, dès que la petite dormait paisiblement, Angeles pleurait.  Alors qu’elle était perdue dans ses pensées, ses pas la guidèrent vers une église. L’endroit où elle pouvait avoir du réconfort, où elles seraient à l’abri…

« - Regarde ma Lola, on va dormir dans une grande maison ! » souffla-t-elle à sa fille.

Cette dernière se contentait de sourire. Ce n’était pas plus mal, lorsque Lola parlait, Angeles avait l’impression de l’entendre d’une voix faible, lointaine, qui résonnait dans sa tête. Elles pénétrèrent dans l’église. Etrangement, c’était vide. Elles n’étaient que toute les deux.

Pendant des heures, Angeles joua à des jeux d’enfants avec Lola, comme cache-cache, et autres. Assez tard, elles se couchèrent sur un banc de l’église, aucune lumière n’était là pour les éclairer. Seul un rayon de la lune passait au travers de la fenêtre et s’écraser sur le carrelage glacé.

« - Maman, j’ai faim. »

Elle regarda sa toute petite puis lui embrassa le front ;

« - On mangera demain matin ma puce… »

Alors sa fille se tut et finit par s’endormir. Angeles, elle, était bel et bien réveillée. Elle ne dormait pratiquement plus et ce depuis des jours. La nuit lui inspirait des angoisses lui titillant les entrailles. Doucement, lentement, les secondes passèrent… Angeles resserra ses bras autour de sa fille et ses yeux commencèrent à papillonner puis se fermèrent. Sa respiration s’apaisa et sa poitrine oscilla au rythme de celle-ci, de moins, en moins vite, jusqu’à s’arrêter…

 

Trois jours passèrent. Une petite fille pénétra toute seule dans l’église. Cette enfant eut le regard attiré vers une masse sur le banc, en s’approchant, elle vit une jeune femme endormie apparemment profondément car elle ne bougeait pas d’un millimètre. La dame serrait dans ses bras une étrange petite poupée de chiffon… La petite fille prit le jouet et se précipita dehors vers sa mère en criant «  Maman ! Regarde ce que j’ai trouvé ! Je peux la garder ? ». Et sa mère hocha positivement la tête ignorant que la dame, Angeles, qui possédait juste avant la poupée était devenue folle en voyant son enfant, Lola, morte, et ne voulant pas se retrouver seule, avait prit cette petite poupée appartenant autrefois à son enfant comme si c’était sa fille. Sa vraie fille.