Annelyse

Et elle partit, tenant sa fille dans ses bras à la recherche folle mais pas désespérée, d’un simple jouet d’enfant, d’une toute petite poupée en chiffon, dans ce monde cruel et obscur qu’était la guerre. ( … )

   C’est ainsi qu’une mère portait sa fille, en titubant, dans la rue encore abasourdie par la destruction de sa maison renfermant tant de souvenirs. Elle tentait de lutter contre le peu volonté qu’il lui restait. Elle devait rester forte. Oui, elle le devait pour sa fille. Si le monde perverti qu’était la guerre la rongeait de l'intérieur, elle ferait tout pour que ces horreurs ne parviennent pas  à cet être innocent et pur.

   Elle avançait, les paupières à moitié fermées, le regard cherchant la poupée. Elle tenait fermement sa fille contre sa poitrine et rien ne lui ferait lâcher son enfant.

   Tout autour d'elles, la panique était totale. Pourtant, elles restaient indifférentes. Comme si le monde dans lequel elles marchaient était opposé à celui dans lequel elles se trouvaient actuellement. Un monde où une mère et sa fille marchaient dans une direction précise, vers un virage qui paraissait si loin... La poupée était une obsession pour la mère. Plus rien d'autre ne l’intéressait, plus rien d'autre n'avait d’intérêt sauf le jouet de sa fille.

   Une personne affolée les bouscula et ne se retourna même pas pour s'excuser. A croire qu'elles étaient invisibles au milieu de cette pagaille. La mère prit le choc sur son dos pour protéger au mieux la fillette et se releva avec difficultés devant porter deux poids au lieu d'un seul. Ses jambes tremblaient, sans doute de froid, de peur ou simplement de fatigue. La petite fille sanglotait. Inquiète, la mère demanda :

-         «  Quel est le problème Eliza ? »

 Eliza se força à parler en articulant le plus possible :

-          « Maman... elle renifla et reprit : ton cou... saigne beaucoup ».

   La mère tâta sa nuque et sentit une crevasse. Elle passa son doigt sur la fente qui se terminait à quelques centimètres de sa trachée. Le sang abondait. Elle se contenta de sourire pour la rassurer et répondit :

-          « C’est une simple plaie, rien de grave, ne t'inquiète pas ».

 

Les larmes lui montaient aux yeux, le temps lui était compté. Elle allait mourir et laisser sa fille sans rien. A ce moment précis, quelque chose dans son cœur se brisa : l'estime envers les autres, l'espoir de reconstruire sa vie et la joie de vivre.

   Elle détestait la guerre, les gens qui ne pensaient qu'à eux-mêmes, elle venait de radicalement changer de caractère. Elle qui était si calme et tolérante, était à présent prête à tout pour  protéger sa fille, même s’il fallait pour cela,  être odieuse envers les autres et les blesser.

   La ville brûlait de tous les côtés. On ne voyait que le chaos et des habitants perdus, c’était un véritable tableau d'horreur. Au milieu de la rue, deux êtres avançaient, ignorant la détresse des autres. Le bruit des bâtiments qui s’effondraient, étaient parfois recouverts par des cris et des pleurs. Les gens se bousculaient, se piétinaient les uns les autres pour fuir. C'était lors de ces situations que la cruauté humaine et l'égoïsme des gens ressortaient le plus.

   Un cadavre jonchait le sol et son sang se répandait rapidement entre les jointures du pavé. Les proches ne semblaient pas avoir encore acceptés sa mort et tentaient de le sauver bien qu'il fût déjà trop tard. Une jeune femme agrippait la jambe des passants en les suppliant, le bras gauche amputé :

-         « Pitié ! Sauvez-le ! Sauvez mon mari, Aidez-moi ! »

 Certains passants gardaient la tête détournée de la blessée pour ne pas affronter son regard plaintif tandis que d'autres la fixaient avec compassion et répondaient un timide : désolé.

   Cette scène exécrait la mère au plus haut point. Pour elle, il semblait évident que l'homme était mort alors, pourquoi continuer à chercher de l'aide ? Elle passa tout de même son chemin mais la pauvre femme l'agrippa à son tour et dit d'une voix tremblante :

-          « S'il vous plaît... Je suis désespérée... »

 La mère lui lança froidement :

-          « Comment peut-on être aussi stupide ? Il est mort. Alors fuyez au lieu de faire perdre du temps aux autres. »

 La jeune femme s’arrêta net et tourna lentement sa tête vers son mari immobile et au fur et à mesure qu'elle le regardait, elle réalisa qu'il n'était plus vivant. Son visage se décomposa, ses yeux s'écarquillèrent et on put entendre un « «Non... » qui montait d'un ton à chaque fois qu'il était prononcé à nouveau. Puis, elle se mit à hurler et se tint la tête entre les mains. La mère repartit laissant la femme crier de désespoir. Ses cris, étrangement, retentissaient à peine dans toute cette agitation.

   Brutalement, les cris cessèrent, la femme se redressa et s'époumona :

-         «  Un jour, votre manque d'humanité vous coûtera cher ! Et ce jour-là, vous prierez le ciel en demandant pourquoi ! »

 La mère ignora ses propos, elle était condamnée alors pourquoi avoir pitié ?

 La fillette se blottit contre sa mère :

 -«  Maman, cette dame me fait peur… »

 La mère lui caressa délicatement les cheveux. Leur errance continua ainsi jusqu’au bout de la rue qui semblait interminable. Elles prirent le virage et quelques mètres plus loin, elle apparut.

   Une modeste poupée, un simple bout de chiffon faisait sourire Eliza et sa mère. La petite fille se mouvait dans les bras de sa mère, trépignant d’impatience de courir récupérer son bien. Sa mère ne la retint pas et la posa. Aussitôt, l’enfant se précipita vers son jouet. La mère, elle, demeura, en arrière, en souriant. L’innocence de sa fille lui rendait son côté humain. Mais ses forces la quittaient et elle chancelait de temps à autre. Sa vue se troublait par moment, c’était bientôt la fin. Tout se passa si vite… Un mot résonna :

 - « ELIZABETH ! »

 La petite fille, la poupée dans les bras, se retourna brusquement, en fixant sa mère inquiète. Elle n’eut le temps de dire que «  Maman », avant qu’un obus ne s’abatte sur la maison à sa droite et explose violemment. Une nuée de fumée noire s’éleva dans les airs. Une frêle silhouette se dessina vaguement dans l’épais nuage. Elizabeth, dont la robe était auparavant blanche, était à présent rouge de sang. Un bout de bois pointu  transperçait son estomac et annonçait une mort douloureuse et lente. Elle pleurait et dit avec peine :

 -  « J’ai…si mal… Maman… »

 Son corps s’inclina sur le côté, la cheville se tordit et la petite chuta, tendant sa main vers sa mère pour qu’elle la rattrape mais celle-ci était trop loin.

   Le choc du corps sur le pavé provoqua une ouverture du crâne et une mort immédiate. C’en était trop… La mère ne pouvait plus encaisser. Elle se traîna avec ses forces restantes jusqu’à sa fille de huit ans décédée et s’agenouilla auprès d’elle. Elle hurla sa rage, cria son prénom pour qu’elle lui revienne. Son ange maintenant couvert d’une couleur écarlate, couvert de saleté, tordu de douleur, la poupée tachée de sang dans les bras, ne sourira plus jamais. La mère leva la tête vers le ciel gris et maussade et s’exclama :

 - « POURQUOI ?! Pourquoi m’as-tu pris la seule qui me restait ? La seule chose qui comptait pour moi ? »

  Elle semblait devenir folle à crier contre le vent, espérant inlassablement qu’on lui réponde. Finalement, elle se résigna à vivre le peu de temps qui lui restait. Elle essuya son visage, prit son enfant dans ses bras, la serra contre elle et se laissa mourir.

 

   La Guerre détruit, la Guerre tue, la Guerre n’est que violence et aujourd’hui deux personnes l’ont vécu. Personne n’est épargné.

 Une personne éplorée s’avança vers deux corps inertes. L’un était celui d’une adulte, l’autre celui d’une pauvre enfant qui tenait une poupée de chiffon dans ses bras. L’individu les regarda, prit la poupée, la jeta au feu et ajouta :

-         « J’avais bien  dit que ça vous retomberait dessus ».

 

FIN