Elinor et la poupée (Inès)

Elinor et la poupée

 

Et elle partit, tenant sa fille dans ses bras à la recherche, folle mais pas désespérée, d’un simple jouet d’enfant, d’une toute petite poupée en chiffon, dans ce monde cruel et obscur qu’était la guerre.

La petite avait l’air paniquée et, dans les bras de sa mère, elle balançait sa tête de gauche à droite et de droite à gauche, à la recherche de Julie, la poupée de chiffon mais à la tête, aux mains et aux pieds de porcelaine. Elinor s’endormait, bercée par les mouvements de la course de sa mère, la tête dans le cou de cette dernière, le visage mouillé par les larmes de la tristesse d’une enfant, au milieu de la guerre qui avait perdu son doudou et sans lequel sa vie changerait à tout jamais. C’était son doudou, son confident celui à qui elle disait tout : ses secrets, ses peines, ses peurs mais aussi ses bonheurs.

Dans l’obscurité, Maria cherchait une précieuse poupée du nom de Julie, qui était de petite taille et vêtue de rouge. Elle n’avait jamais déçue sa fille et ce n’était certainement pas le moment où elle allait commencer. Elle chercherait la petite sœur muette imaginaire de sa fille, même au milieu des obus éclatants de toutes parts.

Dans sa maison en ruines, elle cherchait une poupée. Elle trouvait de tout, un téléphone, des couverts, des assiettes, des bouts de fauteuils, des fleurs recouvertes de cendres, des draps salis, des jouets et encore pleins d’autres affaires mais aucune poupée.

La guerre avait été dure mais pas autant que ce jour où elle risquait de décevoir sa fille. Elle courait partout en cherchant la poupée mais elle ne la trouvait nulle part. Elle posa sa fille sur son lit dans sa chambre sans toit et elle continua sa course folle à travers les éclats d’obus.

 

Elle échappa de peu à un obus dont l’impact la projeta au sol. Lorsqu’elle se releva, elle crut voir la poupée Julie mais lorsqu’elle s’approcha pour l’attraper, elle disparut aussitôt. « C’était un mirage. » se dit-elle.

Et, dans l’espoir que la poupée réponde elle l’appela :

-         « Julie ! Julie ? »

La folie la rattrapait, elle ne voulait pas décevoir sa fille mais il semblait qu’il n’y avait plus d’espoir. Tout comme l’espoir de la fin de la guerre s’estompait, l’espoir de retrouver la poupée l’avait quitté. La poupée blonde était, d’après les souvenirs de la mère, dans un recoin de la maison, mais impossible de se souvenir où. Peut-être était-ce dans le salon, dans la cuisine, ou bien dans la chambre d’Elinor…elle n’en avait plus aucune idée.

 

La nuit tomba après cette première journée de recherches sans résultat. Pendant la nuit, elle dormit par terre dans la chambre de sa fille et rêva qu'Elinor partait dans sa robe blanche, la poupée à la main et les yeux d'un rouge étincelant comme une meurtrière. Elle se réveilla en sursaut, face à elle un petit muret au ras du sol qui dessinait les contours d’une maison détruite. Elinor était debout dans la pièce à côté la tête en direction du ciel, bleu, pour la première fois, depuis la guerre mais cela ne dura pas car rapidement des nuages vinrent l'assombrirent. Maria s’approcha d’Elinor et lui dit :

-         « Elinor, te rappelles-tu où étais la dernière fois que tu as joué avec Julie ? »

Elle secoua la tête en signe de négation et à ce moment là, la pluie commença à tomber doucement, la boue n’avait même pas eu le temps de sécher depuis la veille, mais étant donné qu’elle était dans sa maison, sans toit, elle enleva ses chaussures et les posa. Ensuite elle alla avec sa mère dans le sous-sol et toutes les deux, elles cherchèrent où est-ce que la poupée avait été oubliée. Ne l’ayant toujours pas trouvée, Maria se dit que peut être Elinor l’avait oubliée chez ses grands-parents, à deux pâtés de maisons.

Elinor alla chercher ses chaussures et les remit. Elle avait les pieds trempés mais cela ne l’importunait aucunement. Le soleil était revenu et la journée semblait démarrer dans le calme, mais alors qu’elle s’apprêtait à mettre le premier pas dans la boue, un sifflement vint du ciel, et sans réfléchir, Maria plaqua sa fille au sol en la protégeant. Dix minutes après l’explosion, Elinor toussa et se retira de dessous sa maman, qui elle, ne bougeait plus.

-         « Maman ! Réveille-toi Maman ! » cria Elinor.

Elle l’appela plusieurs fois, en vain. Après une vingtaine de minute, Maria revint à elle mais difficilement. Lorsqu’elle reprit ses esprits, elle vit sa fille unique qu’elle serra de tout son cœur.

Après des émotions aussi fortes, elles se remirent en route. Maria surveillait souvent le ciel, Elinor, avec ses yeux perçants comme un aigle, cherchait des cachettes pouvant leur être utiles pour se protéger : derrière des meubles, des débris, etc...

Marcher dans la boue, où s’enfonçait des cadavres, des armes, des éclats d’obus était un calvaire. Après trois heures et quart de marche éprouvante, elles  arrivèrent chez les parents de Maria.

Là-bas, un cauchemar les attendait, deux cadavres étaient à terre, les visages déformés par la terreur, les yeux grands ouverts. Maria commença par aller voir son père, puis sa mère. Il n’y avait plus rien à faire, ils étaient morts, probablement touchés par les éclats  d’obus, peut être de l’avant dernière explosion. Elinor restait, sans émotions visibles, à la porte, ou du moins ce qu’il en restait.

Après ce moment douloureux, Maria voulait recommencer tout de même la recherche de Julie, la poupée de sa fille mais avant il leur fallait se reposer.

Après ce repos bien mérité, elles reprirent les recherches et trouvèrent enfin la poupée, dans l’ancienne chambre de Maria, mais il manquait encore une chose. Il manquait la présence du mari de Maria à leurs côtés, il les attendait dans leur maison et elle marcha pour aller le retrouver, Elinor dans ses bras.

 En arrivant, elle fit descendre Elinor et marcha vers son mari. Il avait l’air perdu :

-          « Qu'est-ce qu’il y a » ? demanda-t-elle.

-          « Tu es là ! J'ai cru que tu étais morte. »

-          « Tu ? NOUS sommes là ! »

-          « Quoi ? Il y a quelqu'un avec toi ? »

-          « Oui, notre fille, tu as perdu la mémoire et la vue » ?

-          « Chérie, je ne vois personne à part toi. »

Elinor pleurait, elle était fatiguée, mais heureuse à la fois. Ce n'était pas des larmes de tristesse mais des larmes de joie : Elinor, sa petite fille avait retrouvé sa petite sœur muette et elle ne la lâcherait plus jamais. Une enfant de 3 ans, pleurait de joie, sur un champ de bataille, au milieu d'éclats d'obus, de tirs ennemis, elle pleurait de joie parce qu'elle avait avec elle, sa poupée de chiffons rouge, aux mains, aux pieds et à la tête de porcelaine.

-          « Chérie, je te répète que tu es seule avec moi et que nous devons à tout prix nous mettre à l’abri ».

-          « Mais tu ne vois pas Elinor ?... Elinor ? Elinor ?!! »

Elinor avait disparu comme par magie.

-          « Oh, non ça recommence ! »

-          «  Quoi ? »

-          « Tes troubles psychologiques ».

-          « Des... troubles psychologiques ? »

Maria ne comprenait pas mais Elinor n'existait pas, elle n'avait jamais existé, Maria était simplement une femme désespérée qui, ne pouvant, pas avoir d'enfant, en avait inventé un, un enfant du nom d'Elinor. La poupée, elle, existait bien, c'était celle de Maria étant petite, un souvenir d'enfance.

Maria avait imaginé tout çela, elle avait passé deux jours à chercher une poupée pour quelqu'un qui n'existait pas. Elle avait passé deux jours à …

-        « Ma chérie je suis désolé mais Elinor n'existe pas. Tu ne peux pas avoir d'enfant. Tu es stérile... »

-        « Je ne comprends pas je l'avais dans mes bras... »

Lucien la prit dans ses bras et dans ce paysage qui était tout sauf romantique, ils s'enlacèrent. Maria pleurait, elle voyait Elinor qui lui disait au revoir et qui souriait, la poupée à la main. Elle avait la tête penchée et ses nattes volaient au vent, tout comme sa robe, dans ce paysage sombre et obscur de la guerre.

 






 

 



Inès LE GUILLOU 3²