1. La poésie de l'aube

Aux XVI et XVIIe siècles, les poètes rivalisent de talent pour traiter le thème de l’aube, appelée « la belle matineuse ». 
  • Texte 1 Joachim Du Bellay, L’Olive (sonnet 83).

Déjà la nuit en son parc amassait

Un grand troupeau d’étoiles vagabondes, 

Et pour entrer aux cavernes profondes, 

Fuyant le jour, ses noirs chevaux chassait ;

 

Déjà le ciel aux Indes rougissait,

Et l’Aube encor de ses tresses tant blondes, 

De ses trésors les prés enrichissait,

Faisant grêler mille perlettes rondes,

 

Quand d’occident, comme une étoile vive,

Je vis sortir dessus ta verte rive,

Ô fleuve mien ! une Nymphe en riant.

 

Alors voyant cette nouvelle Aurore,

Le jour honteux d’un double teint colore 

Et l’Angevin, et l’Indique orient.

 

  • Texte 2 Ronsard, Amours, sonnet XCV (1552-1553)

 

De ses cheveux la rousoyante Aurore 

Éparsement les Indes remplissait,

Et jà le ciel à longs traits rougissait 

De maint émail qui le matin décore,

 

Quand elle vit la Nymphe que j’adore 

Tresser son chef, dont l’or, qui jaunissait, 

Le crêpe honneur du sien éblouissait, 

Voire elle-même et tout le ciel encore.

 

Lors ses cheveux vergogneuse arracha, 

Si qu’en pleurant sa face elle cacha, 

Tant la beauté des beautés lui ennuie :

 

Et ses soupirs parmi l’air se suivants, 

Trois jours entiers enfantèrent des vents, 

Sa honte un feu, et ses yeux une pluie.

 

  • Texte 3 Vincent Voiture (1598-1648)

Des portes du matin l'Amante de Céphale,

Ses roses épandait dans le milieu des airs,

Et jetait sur les cieux nouvellement ouverts

Ces traits d'or et d'azur qu'en naissant elle étale,

 

Quand la Nymphe divine, à mon repos fatale, 

Apparut, et brilla de tant d'attraits divers, 

Qu'il semblait qu'elle seule éclairait l'Univers 

Et remplissait de feux la rive Orientale.

 

Le Soleil se hâtant pour la gloire des Cieux 

Vint opposer sa flamme à l'éclat de ses yeux, 

Et prit tous les rayons dont l'Olympe se dore.

 

L'Onde, la terre et l'air s'allumaient alentour 

Mais auprès de Philis on le prit pour l'Aurore, 

Et l'on crut que Philis était l'astre du jour.

  • Texte 4 Claude de Malleville (1597-1647)

Le silence régnait sur la terre et sur l'onde ; 

L'air devenait serein et l'Olympe vermeil,

Et l'amoureux Zéphyre affranchi du sommeil 

Ressuscitait les fleurs d'une haleine féconde.

 

L'Aurore déployait l'or de sa tresse blonde

Et semait de rubis le chemin du Soleil ;

Enfin ce dieu venait au plus grand appareil 

Qu'il soit jamais venu pour éclairer le monde,

 

Quand la jeune Philis au visage riant,

Sortant de son palais plus clair que l'Orient, 

Fit voir une lumière et plus vive et plus belle.

 

Sacré flambeau du jour, n'en soyez point jaloux ! 

Vous parûtes alors aussi peu devant elle

Que les feux de la nuit avaient fait devant vous.

  • Un tableau impressionniste: Impression, soleil levant de Claude Monet (1872, huile sur toile, 48x63 cm, Musée Marmottan Monet, Paris)
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800px-Claude_Monet__Impression__soleil_levant.jpg, sept. 2017
  • Texte 5: Arthur Rimbaud, Illuminations

« Aube »

J'ai embrassé l'aube d'été.

Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombre ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.

Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.

Alors, je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.

En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.

Au réveil il était midi.

  • Texte 6 Philippe Jaccottet, Airs, 1967, coll. Poésie, éd. Gallimard. 
Aube

On dirait qu’un dieu se réveille,

regarde serres et fontaines

Sa rosée sur nos murmures

nos sueurs

J’ai de la peine à renoncer aux images

J’ai de la peine à renoncer aux images

Il faut que le soc me traverse

miroir de l’hiver, de l’âge

Il faut que le temps m’ensemence

2. Poésie du soleil couchant : 

  • Tableau: Le Lorrain, Port de mer au soleil couchant (1639, huile sur toile, 103x137 cm, Musée du Louvre, Paris)
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800px-F0087_Louvre_Gellee_port_au_soleil_couchant-_INV4715_rwk.jpg, sept. 2017
  • Texte 1: Victor HUGO, « Soleils couchants », poème VI, Les Feuilles d'automne (1831)

 

Le soleil s'est couché ce soir dans les nuées. 


Demain viendra l'orage, et le soir, et la nuit; 


Puis l'aube, et ses clartés de vapeurs obstruées; 


Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s'enfuit !

 

Tous ces jours passeront; ils passeront en foule 


Sur la face des mers, sur la face des monts, 


Sur les fleuves d'argent, sur les forêts où roule 


Comme un hymne confus des morts que nous aimons.

 

Et la face des eaux, et le front des montagnes, 


Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts 


S'iront rajeunissant; le fleuve des campagnes 


Prendra sans cesse aux monts le flot qu'il donne aux mers.

 

Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête, 


Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux, 


Je m'en irai bientôt, au milieu de la fête, 


Sans que rien manque au monde, immense et radieux !

 

  • Texte 2 – Charles Baudelaire, « Harmonie du soir », Les Fleurs du mal (1857)

 

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige


Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;


Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;


Valse mélancolique et langoureux vertige !



 

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;


Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige ;


Valse mélancolique et langoureux vertige !


Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.


Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige,


Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir !


Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;


Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.


Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir,


Du passé lumineux recueille tout vestige !


Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige...


Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !

  • Texte 3 - Paul VERLAINE, « Soleils couchants », Poèmes saturniens (1866)

 

Une aube affaiblie


Verse par les champs


La mélancolie


Des soleils couchants.


La mélancolie


Berce de doux chants


Mon cœur qui s'oublie


Aux soleils couchants.


Et d'étranges rêves


Comme des soleils


Couchants sur les grèves,


Fantômes vermeils,


Défilent sans trêves,


Défilent, pareils


À des grands soleils


Couchants sur les grèves.

 

  • Texte 4 – Jules Laforgue, « Persée et Andromède
 ou le plus heureux des trois », Moralités Légendaires (1887) Une parodie des textes sur le coucher de soleil

 

III

Encore un soir qui tombe, un couchant qui va faire le beau; bilan classique! bilan plus que classique!... 


[...]

Silence et horizon! Après toutes les folies de cette après-midi, l'air est dans l'accalmie et se recueille devant la retraite classique de l'Astre. 


L'Astre!... 


Là-bas, à l'horizon miroitant où les sirènes retiennent leur respiration, 


Les échafaudages du couchant montent; 


De phares en phares, s'étagent des maçonneries de théâtre; 


Les artificiers donnent le dernier coup de main; 


Une série de lunes d'or s'épanouissent, comme les embouchures de buccins1 rangés dont des phalanges de hérauts2 annonciateurs fulmineraient! 


L’abattoir est prêt, les tentures se carguent3; 


Sur des litières de diadèmes, et des moissons de lanternes vénitiennes, et des purées et des gerbes, 


Endiguées par des barrages de similor4 déjà au pillage, 


L'Astre Pacha, 


Son éminence Rouge, 


En simarre5 de débâcles, 


Descend, mortellement triomphal, 


Durant des minutes, par la Sublime Porte!6... 


Et le voilà qui gît sur le flanc, tout marbré de stigmates atrabilaires7. 


Vite, quelqu'un pousse du pied cette citrouille crevée, et alors!... 


Adieu, paniers, vendanges sont faites!... 


Les rangées de buccins s'abaissent, les remparts s'écroulent, avec leurs phares de carafes prismatiques8! Des cymbales volent, les courtisans trébuchent dans leurs étendards, les tentes sont repliées, l'armée lève le camp, emportant dans une panique les basiliques occidentales, les pressoirs, les idoles, les ballots9, les vestales10, les bureaux, les ambulances11, les estrades des orphéons12, tous les accessoires officiels. 
Et ils s'effacent dans un poudroiement d'or rose. 


Ah, bref, tout s'est passé à merveille!... 


 

1. buccin : instrument à vent utilisé par l'armée romaine 2. phalanges de hérauts : dans l'Antiquité, soldats en ordre de bataille 3. les voiles se replient contre le mât 4. similor : alliage de cuivre et de zinc qui imite l'or 5. simarre : longue robe d'apparat 6. la Sublime Porte est le nom de la porte d'honneur monumentale du grand vizirat à Constantinople ; elle est donc l'entrée vers l'empire Ottoman et l'Orient. 7 ; atrabilaires : pleins d'atrabile, bile noire à l'origine selon les anciens de l'humeur triste et irritée et de la mélancolie 8. prismatiques : évoquant les couleurs du prisme optique 9. ballots : petits sacs de marchandises emballées 10. vestales : prêtresses de la déesse Vesta, chargées d'entretenir le feu sacré de la déesse et vouées à la chasteté. 11. ambulances : services d'hôpital temporaire, par exemple sur un camp militaire. 12. orphéon : instrument ancien à clavier et à cordes.

  • Texte 5: Jacques Réda, "Rose framboise ardent...", Les Ruines de Paris, 1977

Rose framboise ardent mais d’un rose de sorbet – de sorbet tombé de son cornet qui roule dans la poussière – le soleil est en proie à une dilatation qui ferait peur, s’il n’y avait en plus cette couleur de fond de jour de fête, et bientôt de soie ancienne qui s’effrite au lieu de craquer. L'indifférence des passants est totale, je ne comprends pas. Il me semble qu'on devrait s'assembler en rond sur la terrasse, danser, pousser des cris, ou bien observer au contraire un silence hiératique, en ne bougeant pas d'un cil. Qu'adviendrait-il d'ailleurs si je grimpais sur la balustrade, les bras ouverts en signe de consécration ou d'adieu ? Peut-être me prendrait-on pour un exhibitionniste mystique, pour un arpenteur ahuri, mais on se tracasserait peu. Toutefois j'évite ces manifestations même dans la solitude. Un soir seulement j'ai officié en haut d'un tertre aztèque dans les Yvelines, au bout d'un terrain de golf désert. Assez vite j'ai senti que je désapprouvais mon théâtre. Alors que me faut-il ? Ça, le saisissement bref quand on sort des Tuileries, et que dans cette seconde on ne se sait plus quelqu'un voyant cela qui n'a plus le nom de soleil happant le mystère qu'est l'obélisque, et l'on reste figé dans l'énormité rose par rien qui ressemble à de l'extase ou de la terreur.