Pour compléter le corpus de poèmes étudiés en classe, vous pouvez lire ces quelques poèmes du XIXe siècle qui développent le motif du poète oiseau pour la plupart, sauf celui de Corbière où le poète est transformé en crapaud.

Leconte de Lisle, « Le Sommeil du Condor », Poèmes barbares, 1862

 


Par-delà l’escalier des roides Cordillières,


Par-delà les brouillards hantés des aigles noirs,


Plus haut que les sommets creusés en entonnoirs


Où bout le flux sanglant des laves familières,


L’envergure pendante et rouge par endroits,


Le vaste Oiseau, tout plein d’une morne indolence,


Regarde l’Amérique et l’espace en silence,


Et le sombre soleil qui meurt dans ses yeux froids.


 

La nuit roule de l’est, où les pampas sauvages


Sous les monts étagés s’élargissent sans fin ;


Elle endort le Chili, les villes, les rivages,


Et la mer Pacifique, et l’horizon divin ;


Du continent muet elle s’est emparée :


Des sables aux coteaux, des gorges aux versants,

De cime en cime, elle enfle, en tourbillons croissants,


Le lourd débordement de sa haute marée.


Lui, comme un spectre, seul, au front du pic altier,


Baigné d’une lueur qui saigne sur la neige,


Il attend cette mer sinistre qui l’assiège :


Elle arrive, déferle, et le couvre en entier.


Dans l’abîme sans fond la Croix australe allume


Sur les côtes du ciel son phare constellé.


 

Il râle de plaisir, il agite sa plume,


Il érige son cou musculeux et pelé,


Il s’enlève en fouettant l’âpre neige des Andes,


Dans un cri rauque il monte où n’atteint pas le vent,


Et, loin du globe noir, loin de l’astre vivant,


Il dort dans l’air glacé, les ailes toutes grandes.

Question : quelle image du poète et de la poésie apparaît dans ces textes ?

 

Paul Verlaine, « Je ne sais pourquoi… », Sagesse, 1881

 

Je ne sais pourquoi


Mon esprit amer


D’une aile inquiète et folle, vole sur la mer,


Tout ce qui m’est cher,


D’une aile d’effroi


Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?


 

Mouette à l’essor mélancolique.


Elle suit la vague, ma pensée,


À tous les vents du ciel balancée


Et biaisant quand la marée oblique,


Mouette à l’essor mélancolique.


 

Ivre de soleil


Et de liberté,


Un instinct la guide à travers cette immensité.


La brise d’été


Sur le flot vermeil


Doucement la porte en un tiède demi-sommeil.


 

Parfois si tristement elle crie


Qu’elle alarme au lointain le pilote


Puis au gré du vent se livre et flotte


Et plonge, et l’aile toute meurtrie


Revole, et puis si tristement crie !


 

Je ne sais pourquoi


Mon esprit amer


D’une aile inquiète et folle vole sur la mer.


Tout ce qui m’est cher,


D’une aile d’effroi


Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi ?

 

Tristan Corbière, « Le Crapaud », Les Amours jaunes, 1873

Un chant dans une nuit sans air…


La lune plaque en métal clair


Les découpures du vert sombre.


 

… Un chant ; comme un écho, tout vif


Enterré, là, sous le massif…


– Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre…


 

– Un crapaud ! – Pourquoi cette peur,


Près de moi, ton soldat fidèle !


Vois-le, poète tondu, sans aile,


Rossignol de la boue… – Horreur ! –


 

… Il chante. – Horreur !! – Horreur pourquoi ?


Vois-tu pas son œil de lumière…


Non : il s’en va, froid, sous sa pierre.


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Bonsoir – ce crapaud-là c’est moi.


Ce soir, 20 Juillet.


Stéphane Mallarmé, poème appelé communément le « Sonnet du cygne », Poésies, 1899 (1887 pour la première publication)


Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui !

Un cygne d’autrefois se souvient que c’est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n’avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l’ennui.

Tout son col secouera cette blanche agonie
Par l’espace infligée à l’oiseau qui le nie,
Mais non l’horreur du sol où le plumage est pris.

Fantôme qu’à ce lieu son pur éclat assigne,
Il s’immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l’exil inutile le Cygne.