Une photo inédite d'Arthur Rimbaud

Cette photographie a été retrouvée il y a peu, comme le signale cette dépêche :

Une photo inédite d'Arthur Rimbaud, âgé d'une trentaine d'années, la seule de bonne qualité de lui adulte, prise à Aden en Abyssinie, a été découverte par deux libraires qui doivent la présenter ce jeudi soir au Salon du livre ancien. Jusqu'à présent, on ne connaissait que huit photographies d'Arthur Rimbaud, dont quatre à l'âge adulte.

La photo, qui n'est pas précisément datée, a été prise à Aden, vers 1880, sur le perron du fameux Hôtel de l'Univers. Ce portrait faisait partie d'un lot d'une trentaine d'autres prises à Aden et découvertes lors d'une brocante par les deux libraires, Jacques Desse et Alban Caussé, deux jeunes quadras passionnés de découvertes sur l'histoire des livres et dont la librairie se trouve dans le 18e arrondissement de Paris.

Le  propriétaire de la photo était l’Alsacien Jules Suel, beau-frère de ce Dubar qui avait engagé Rimbaud, à son arrivée à Aden, dans la factorerie que dirigeait Alfred Bardey. «On voyait ce visage, ce type à l'oeil clair qui a l'air d'un extraterrestre au milieu des autres, un peu comme s'il était là et en même temps ailleurs», a raconté Jacques Desse.

«L'endroit où nous l'avons acquise et son prix importent peu. L'extraordinaire c'est que c'est un peu le chaînon manquant entre la célèbre photo du poète de 17 ans d'Etienne Carjat et quatre autoportraits réalisés dans des conditions très mauvaises avant sa mort en 1891», ajoute-t-il. Pour authentifier le cliché (9,6 x 13,6 cm), les deux libraires ont fait appel à Jean-Jacques Lefrère, spécialiste de Rimbaud et auteur d'une correspondance posthume sur le poète qui paraît jeudi chez Fayard.

Cet ouvrage, «Sur Arthur Rimbaud, Correspondance Posthume», montre comment toute la correspondance au sujet du poète, après sa disparition, a contribué à créer le mythe, alors qu'il était totalement oublié au moment où il est mort, selon la maison d'édition. Après de nombreux recoupements avec d'autres photos, des lettres et un travail minutieux de deux années, consistant notamment à vieillir la photo de Carjat et à analyser entre autres l'implantation des cheveux de Rimbaud, le cliché a été authentifié avec certitude.

(Source AFP)


Rimbaud se tient assis, sur le perron du Grand Hôtel de l'Univers, lors de son séjour à Aden, en Abyssinie. Rimbaud est assis à droite, près de la femme © ADOC / Chez les libraires associés

L'image vaut en tant que seule image que nous ayons de Rimbaud adulte. 

Cet article du Figaro vous précise les circonstances dans lesquelles la photographie a été retrouvée:

C'est la première fois que l'on voit si nettement le visage du poète adulte. Histoire d'une découverte extraordinaire. 

C'était il y a deux ans, dans une brocante comme la France en compte des milliers. Dans un lot, au milieu de livres, de cartes postales, les badauds peuvent brasser des photos datant de la fin du siècle dernier représentant des bourgeois moustachus et des femmes strictement apprêtées. Rien d'original. Au dos de l'une d'elles, toutefois, une inscription : Hôtel de l'Univers.

 

 

Alban Caussé et Jacques Desse, deux libraires d'anciens, sont tombés par hasard sur ce lot. Seule la mention au dos de la photo a retenu leur attention - et pour cause : cet hôtel est celui où un certain Rimbaud séjourna à Aden. Ils ont acheté le lot en pensant : «Il faut regarder de près».

Deux questions brûlent les lèvres : Où était cette brocante ? Et combien a été acheté ce lot «miraculeux» ? La réponse des heureux acquéreurs a été visiblement préparée : «Où ? Quelque part en France !» Combien : «Un prix raisonnable.» On n'en saura pas davantage de la bouche de ces libraires qui se qualifient joliment de «chasseurs de trésors» et rappellent qu'une chasse n'est pas toujours fructueuse.

Sitôt la photo en leur possession, les chasseurs se muent en membres de la police scientifique. Quel lien entre ce cliché et Rimbaud (qui vécut à Aden durant les dernières années de sa vie). Qui est cet homme assis qui regarde l'objectif ? Ne serait-ce pas... ? Les premiers signaux sont positifs : la période, le cadre, les détails, les personnages.

 

Les experts entrent en jeu 

 

 

 

Désireux de s'octroyer l'aide d'experts es Rimbaldie, ils entrent en contact avec Jean-Jacques Lefrère, biographe de Rimbaud et spécialiste incontesté. Quand ils le rencontrent, celui-ci travaille à un ouvrage monumental, une «correspondance posthume» regroupant des lettres, documents et articles mentionnant Arthur Rimbaud, de sa mort en 1891 jusqu'à 1900 (Il paraît aujourd'hui chez Fayard.) Jean-Jacques Lefrère étudie à son tour le document, et sa conviction est rapidement faite : c'est bien le poète des Illuminations qui figure sur cette photographie. En comparant avec les portraits de l'adolescent que l'on possède, on le reconnaît trait pour trait, même regard, même expression. Mais une intuition même fondée ne suffisant pas, Le frère et les deux libraires se livreront encore à un minutieux travail de recoupements, de comparaisons avec d'autres clichés. Ce faisant, ils font une autre découverte essentielle : cette photo permet, par voie d'agrandissement d'obtenir pour la première fois un portrait de Rimbaud à l'âge adulte. Les autres clichés du poète devenu négociant, pris à Harar ou à Aden, montrent davantage une silhouette qu'un visage.

Jean-Jacques Lefrère et Jacques Desse concluent ainsi l'article qu'ils consacrent à cet extraordinaire aventure dans le numéro d'Histoires littéraires (1) : «Comme dans Coin de table de Fantin-Latour, où il figure à côté de Verlaine, Rimbaud apparaît ici parmi des assis d'Aden. (…) Tout son être paraît protester contre son intégration à ce rituel bourgeois de la séance du portrait de groupe, auquel, pourtant, il n'échappe pas. Il ne considère que le spectateur, comme en une muette interpellation, qui n'attend pas de réponse. Il nous regarde, il n'a rien à nous dire.»

Il avait tout dit durant les vingt premières années de sa vie, loin d'Aden : «Que comprendre à ma parole ? Il fait qu'elle fuit et vole».

(1) À lire «Un coin de table à Aden», le récit détaillé de cette recherche et l'étude de la photo retrouvée d'Arthur Rimbaud. www.histoires-litteraires.org

La photographie sera présentée pour la première fois ce jeudi 15 avril au Grand Palais, où se tient le Salon du livre ancien.

Mohammed Aissaoui

Publié le 15 avril 2010 par Mme Vadelorge