Ombres du passé

          Allie Sheridane était une jeune orpheline de seize ans, habitant chez sa tante au cœur du parc de Yosemite. Elles vivaient toutes les deux, seules, dans une petite maison entourée de séquoias géants. La ville la plus proche se trouvait à cinq kilomètres.
Un soir de novembre, alors qu’Allie revenait, fatiguée, d’une fête chez sa meilleure amie, elle monta directement dans sa chambre, sans faire de bruit pour ne pas réveiller sa tante.
Devant son miroir, elle s'observa dans sa belle robe rouge. C'était une grande fille brune d’environ un mètre soixante-dix, mince, aux yeux noirs et aux lèvres pulpeuses. Elle s’assit sur son lit et frotta ses yeux qui commençaient à la piquer.
« Ce doit être la fatigue » se dit-elle.

          Soudain, elle entendit un bruit à l’extérieur. Le silence de la forêt avait été rompu par des craquements de branches de plus en plus proches. Allie, intriguée, s'approcha de la fenêtre et scruta l'obscurité. Elle sentit alors comme une présence familière, mais ne vit rien. Elle descendit doucement les escaliers pour ne pas réveiller sa tante et sortit par la porte de derrière. Sur le chemin, elle vit des empreintes de pas dans la terre mouillée, qui se dirigeaient vers la forêt. Malgré son inquiétude, elle les suivit très prudemment. Elle eut l’impression d’entendre des chuchotements au loin, puis les voix se rapprochèrent.

Tout à coup, une vive lumière rouge l’éblouit, puis disparut. Ses yeux la brûlèrent quelques secondes. Allie était terrorisée. Elle sentit alors que le gros médaillon qu’elle avait hérité de sa mère et qu’elle portait toujours autour de son cou, commençait à chauffer. Elle le prit dans ses mains et aperçut son reflet dans le métal. Ses yeux étaient devenus rouges! Ses pupilles étaient de la même couleur que la robe qu’elle portait ce soir-là!
Allie sentit son sang se glacer dans ses veines.

    

          Quand ses yeux se réhabituèrent à l’obscurité, elle se mit à distinguer trois silhouettes étranges, de tailles différentes, qui s’approchaient d’elle en murmurant son nom.
« Allie, … Allie, … tu nous as abandonnés … Allie, viens nous rejoindre, … Allie … »
Les deux plus grandes créatures avaient des voix rauques et éraillées. De la plus petite silhouette sortaient des sons perçants et saccadés.
Pétrifiée par la peur, Allie ne pouvait plus bouger. Elle était à la fois horrifiée par ces créatures qui se déplaçaient lentement et péniblement, mais aussi intriguée et attirée par ces êtres monstrueux qui connaissaient son nom. Elle voulut s’enfuir, mais ses jambes ne répondirent pas.

          Soudain, son médaillon s’illumina. Il projeta des faisceaux de lumière en direction des créatures, révélant ainsi leur immonde visage. La pâleur de leur peau était telle qu’ils paraissaient cadavériques. Des lambeaux de chair arrachée pendaient de leur cou. Sur leurs gencives trônaient quelques dents pointues et jaunies. Leurs corps étaient difformes et couverts de plaies. Leurs vêtements étaient déchirés et tâchés de terre. Lorsque le regard d’Allie se posa sur la plus petite silhouette, elle remarqua qu’elle tenait une peluche qui lui sembla vaguement familière. A ce moment là, leurs regards se croisèrent et Allie revécut l’accident … Elle se trouva projetée dix ans en arrière. Elle se revit en voiture avec ses parents et sa petite sœur qu’elle aimait plus que tout, par un soir pluvieux, sur la route qui menait à leur maison de vacances. Une forme indistincte s’était soudainement dressée au milieu de la route obligeant son père, dans un élan de panique, à tourner le volant violemment. La route était glissante et la voiture fit des tonneaux. La dernière vision d’Allie fut celle d’horribles créatures s’éloignant de la voiture et trainant avec elles les corps inanimés de ses parents et de sa petite sœur chérie qui serrait encore contre elle son doudou, un petit lapin tout usé auquel il manquait un oeil. Une semaine après l’accident, Allie s’était réveillée sur un lit d’hôpital, partiellement amnésique et sans aucun souvenir de l’accident. Sa tante lui avait expliqué que la voiture de ses parents avait percuté un arbre et que sa famille était morte sur le coup. Allie, sous le choc de tous ces souvenirs ressurgissant si brutalement, était tombée sur le sol.

          Quand elle rouvrit les yeux, elle vit les trois créatures penchées au-dessus de son visage.
Elle se mit à hurler. Son corps était secoué par de violents spasmes. Comment était-ce possible ? …Allie dévisageait les abominables créatures qui commençaient à ouvrir leur larges bouches à l’haleine fétide, horrifiée à l’idée que cela puisse être ses parents et sa petite sœur … Pourquoi seraient-ils revenus ? … Pourquoi avait-elle été épargnée lors de l’accident ? … Qu’avait-elle de particulier pour avoir échappé au pire dix ans auparavant ?
Allie n’eut pas le temps de finir de se poser toutes ces questions car les créatures se jetèrent sur elle, prêtes à la mordre. Elle sentit leurs dents pointues rentrer dans sa chair et leurs ongles aiguisés lui lacérer la peau. Elle avait l'impression que des milliers d'aiguilles la transperçaient de l'intérieur. Elle sentit alors son médaillon la brûler à nouveau, si fort, qu’elle fut obligée de l’arracher de son cou. Mais la douleur était telle qu'elle perdit connaissance … à moins qu'elle ne fut en train de mourir ???Ce fut sa dernière pensée.

           Mais Allie n'était pas morte. Quand elle ouvrit les yeux, elle se trouvait dans sa petite chambre, calme et tranquille. Elle était allongée sur son lit et portait encore sa belle robe rouge, juste un peu froissée. Le soleil était déjà haut dans le ciel. Tout paraissait absolument normal autour d’elle. Dans la cuisine, elle pouvait entendre sa tante préparer le déjeuner. Allie se redressa et se remémora les événements de la nuit. Après un long moment de réflexion, elle tira comme conclusion qu'elle avait fait un horrible cauchemar, mais elle garda au fond d'elle un sentiment de doute et de tristesse.

           Quelques jours plus tard, Allie et sa tante décidèrent d'aller ramasser des champignons dans la forêt. Alors qu'elles marchaient sur un petit sentier, Allie vit une tâche beige et rose au milieu des feuilles mortes. Elle s'approcha et dégagea délicatement une petite boule de poils sales du sol humide. Elle tenait dans sa main un lapin en peluche habillé d'une salopette rose et auquel il manquait une oreille. Elle eut soudain une vision. Elle revit son dernier souvenir de l'accident avec ses parents et plus précisément, l'image de sa petite soeur, emportée par d'horribles créatures et qui serrait encore contre elle son doudou, un petit lapin tout usé auquel il manquait un oeil. Cauchemar ou réalité … comment était-ce possible ...?


Emma-Louise Marin & Hélène Tournier
4ème2