Je fus réveillé par le son régulier d’un électrocardiogramme. L’odeur aseptisée me fit tout de suite penser à un hôpital. Une voix me demanda : « Comment vous sentez-vous ? ». Je n’eus pas la force de répondre tout de suite. Je décidai d’ouvrir les yeux, pour les laisser s’habituer à la lumière. Je me sentais étrangement calme.
« Bonjour, comment vous sentez-vous ? 
- Ou suis-je ? Qui êtes-vous ? J’ai faim. »  Il me sourit, puis m’apporta un sandwich.
« Tenez, mangez, vous avez faim à cause de l’anti-douleur que l’on vous a injecté, mais pas de panique, un bon sandwich et tout ira mieux ! Je suis Ivan, au fait.
- Ou suis-je ? 
- Vous êtes sur l’Oasis, une cité indépendante et secrète ou l’organisation de la société a été repensée pour assurer une existence parfaite à ses habitants. Je suis ici pour passer la journée avec vous et vos amis, pour déterminer si oui ou non vous êtes aptes à être intégrés à notre société, seulement si vous le voulez bien entendu. 
- Il y a d’autres survivants au naufrage ? 
- Oui ! Vos trois amis ont également survécu au naufrage. Pour tout vous dire, c’est nous qui avons provoqué cette tempête. 
- Pardon ?!
- En fait, elle nous évite les voyageurs indésirables qui seraient tentés de dérober notre technologie qui, en de mauvaises mains, pourrait faire plus de mal que de bien. Cependant, nous avons vite compris que vous n’étiez que des plaisanciers, et nous vous avons donc ramenés sur l’île, et soignés.
- Bon, j’imagine que je peux quand même vous remercier… Mes amis, ils sont réveillés ? 
- Oui, ils sont dans une chambre à côté, voulez-vous les rejoindre ?
- Je ne peux pas trop marcher…
- Aucun problème, demandez à votre lit de vous amener ! 
- Euh… Lit ? 
- Oui monsieur ? répondit une voix sortie de nulle part. J’étouffais un cri de surprise.
- Hum hum, euh... tu peux m’emmener dans la chambre de Pierre ? 
- Bien sûr, répondit la voix. » 
Le lit commença à glisser sans heurts vers la porte. Je passais la tête par-dessus le rebord, et vit qu’il lévitait quelques centimètres au-dessus d’un rail métallique. Il sortit dans un couloir entièrement vitré. Devant et derrière moi, d’autres patients me regardaient avec intérêt. 
« Dis-moi, monsieur lit, qu’est-ce que c’est que cet endroit ?
- L’Oasis a été fondée en 1945, par des milliardaires rescapés du conflit international. En effet, plusieurs riches investisseurs avaient perdu leurs héritiers pendant la guerre, et ils se retrouvèrent avec des sommes faramineuses, un désir de paix croissant, et des scientifiques brillants qui partageaient leur avis. Ainsi naquit l’idée de l’Oasis. » 
Pendant qu’il parlait, des hologrammes illustraient ses propos, flottant autour de moi. Il continua son monologue jusqu’à ce que nous arrivions devant une porte circulaire, qui coulissa à notre arrivée. 
« - Bonjour, porte ! lançais-je avec enthousiasme. 
   - Celle-ci est automatique, monsieur.
   - Oh…  
   - Vos amis ne se sont pas encore réveillés, monsieur. Voulez-vous les attendre ici, ou préférez-vous profiter de ce temps d’attente pour discuter avec Ivan, l’évaluateur ? 
   - Je préfère discuter avec Ivan ! 
   - Je le préviens tout de suite, monsieur. »
Je profitais des quelques minutes d’attente pour observer plus en détail la ville qui s’étendait à mes pieds. J’étais visiblement sur un gratte-ciel, vu la hauteur me séparant du sol. Je remarquais que les maisons étaient toutes semblables, seule leur couleur différait. 
« - Pourquoi les habitations sont-elles toutes semblables ? demandais-je intrigué.
   -  Cela permet d’assurer une égalité parfaite à tous nos citoyens, et ce peu importe le métier que chacun exerce ! répondit non pas mon lit, mais Ivan, qui venait d’arriver.
   - Oh ! Re-bonjour Ivan ! Mais chaque travail ne rapporte pas le même salaire, si ? 
   - En fait, l’argent n’existe pas sur l’Oasis. Ainsi, nous choisissons uniquement nos métiers par passion. 
   - Mais comment achetez-vous à manger ? Ou si vous voulez une plus grande maison ? 
   - Et bien nous allons au centre alimentaire choisir la nourriture dont nous avons besoin pour préparer le repas du jour. Et nos maisons sont conçues pour être parfaitement agréables, alors elles nous conviennent telles quelles.
   - Mais pourquoi travaillez-vous alors ? 
   - Et bien chacun travaille pour que les autres puissent profiter du fruit de son travail. Ainsi, chacun donne autant qu’il reçoit. »
Nous continuâmes le jeu des questions-réponses jusqu’au réveil de mes deux amis. Après une brève explication de la situation, et une injection de tonifiants pour nous remettre sur pieds, nous fûmes prêts à découvrir l’Oasis. Ivan nous invita à le suivre, et se dirigea vers un des grands ascenseurs dont les tubes de verre traversaient la structure. 
« - Ce bâtiment est le centre névralgique de la Cité. Pratiquement tout le monde travaille ici ! Seuls les métiers relatifs aux bâtiments ou à la maintenance des différents systèmes de la ville restent à l’extérieur. Je vais vous emmener au dernier étage, puis nous descendrons petit à petit jusqu’au rez-de-chaussée pour vous présenter les différents métiers. » 
S’en suivit un long monologue d’Ivan ponctué des exclamations de surprise de moi et de mes deux acolytes, Pierre et Marie. Il nous expliqua que les dirigeants de la Cité, le Maire comme tous les autres étaient désignés aléatoirement par ICARE (Intelligence Centrale pour l’Administration des Robots et de l’Electronique) parmi les Oasiens jugés aptes à diriger. Cette intelligence artificielle contrôlait tous les robots, et leur permettait de rester tous en communication constante, pour assurer la meilleure coordination de chacun d’entre eux, peu importe la tâche qui leur était dévouée. 
Il nous expliqua que l’énergie de la ville provenait d’énergies toutes renouvelables, mais fut coupé par Marie avant de nous détailler tous les procédés utilisés.
« Excuse-moi Ivan, je n’ai vu aucun champ depuis le haut du bâtiment, ou est-ce que vous produisez votre nourriture ?
   -  J’y arrive ne t’inquiète pas. »
En effet, l’ascenseur s’arrêta au moment où il terminait sa phrase. L’odeur de terre fraîche me fit penser que nous étions déjà au rez-de-chaussée, mais nous en étions en vérité encore bien loin. J’avais face à moi des immenses allées d’étagères remplies de légumes divers et variés, chacune possédant son lot de lampes. 
« Le tout est contrôlé par ordinateur, comme ça on régule l’eau, la lumière, et on peut obtenir les meilleurs rendements possibles, sans gâchis ni produits chimiques, et on garde de la place au sol pour accueillir plus de gens. » 
La visite fut ponctuée d’autres surprises, mais aucune ne marqua vraiment mon esprit avant que l’on atteigne le rez-de-chaussée. Nous nous dirigeâmes ensuite vers la ville qui s’étendait au-dessus du bâtiment principal. Je regardais autour de moi et voyait les maisons et les parcs s’étendre à perte de vue. Dans la rue, des pistes étaient réservées aux robots pour qu’ils ne gênent pas les piétons, et j’apercevais même quelques drones transportant des paquets. Tout le monde semblait souriant et serviable. Je fus coupé dans ma réflexion par une question de Pierre. 
« Excusez-moi Ivan, mais que ferez-vous quand vous n’aurez plus assez de place pour héberger tout le monde ? 
- Vous vous souvenez d’ICARE ? Il calcule le nombre de naissances autorisées et nous permet ainsi de réguler notre population pour rester en dessous d’un seuil maximum. » 
J’avais beau chercher, je ne trouvais aucun défaut à cette civilisation. Notre monde paraissait bien fade avec sa cupidité, sa soif de pouvoir, ses malheurs, ses déceptions et ses frustrations.
- Dites-moi Ivan, demandais-je en apercevant une école au loin, comment fonctionne votre système éducatif ? 
- Imaginons que John, Oasien, vient de naître sur l’Oasis. De 0 à 7 ans, John va recevoir toutes les valeurs nécessaires à la vie d’un Oasien, qui feront de lui un citoyen honnête, poli, serviable, généreux, tolérant, modeste, sportif, curieux, en bref, un homme avec un caractère parfait. Il apprendra bien évidemment à marcher, à manger et à parler, comme n’importe quel enfant normal. De plus, aucun mensonge tel que l’existence du père noël ne lui sera raconté pour éviter les traumatismes, et on lui apprendra à accepter la mort comme un phénomène naturel, pour qu’il n’en ait pas peur. Puis, John commencera ses apprentissages jusqu’à l’âge de ses 20 ans, apprentissages ponctués de tests de personnalité. En effet, chaque année, John effectuera des tests de personnalité qui détermineront les matières qu’il étudiera et son futur métier, chaque test affinant le métier qui lui convient le mieux, ou changeant les matières étudiées si le caractère évolue beaucoup entre ces tests. A 20 ans, John est jugé assez mature pour décider du métier qu’il exercera, et après avoir effectué son dernier test, il rentre dans l’école de son choix. Il n’y a pas de sélection pour entrer, puisqu’il n’y a pas de notes durant les apprentissages. Après avoir étudié en détail pour pratiquer son métier, il obtient le droit de posséder sa propre habitation, et commence à travailler.
- Pas de notes ? Mais comment est-ce que vous forcez les élèves à travailler ? 
- Enfin ! Nous ne les forçons pas ! répondit-il indigné. Ils aiment tout simplement ce qu’ils apprennent ! Grâce aux tests de personnalité, nous sélectionnons uniquement les matières pour lesquelles ils ont une prédilection et un intérêt particulier, il n’y a aucune contrainte ! 
- Au fait ! Vous parliez tout à l’heure de la régulation des naissances, mais ICARE ne peut pas prévoir une épidémie par exemple, si ? 
- En fait, nous sommes en mesure de guérir toutes les maladies grâce aux technologies nanorobotiques. 
- Mais attendez, vos nanorobots, ils pourraient vous donner l’immortalité ! 
- Bien sûr ! 
- Mais alors personne ne meurt jamais ! 
- Mais si ! A quoi bon vivre éternellement ? La vie perdrait son intérêt s’il n’y avait pas la mort ! La mort est la fin d’un cycle, mais c’est aussi le début d’un autre ! Elle est, comme toute chose naturelle, nécessaire au fonctionnement de la vie ! C’est pourquoi chaque habitant décide le moment venu de désactiver les nanorobots présents dans son corps, pour mourir paisiblement. »
Ces paroles nous laissèrent tous pensifs, et je ne me rendis même pas compte que je m’étais assis sur un banc avec mes amis et Ivan. Il nous fit passer une feuille à chacun, en nous informant qu’il s’agissait d’un test de personnalité, dernière étape pour déterminer si oui ou non nous pouvions rester dans l’Oasis. Après avoir complété le test, il nous annonça que nous étions tous aptes à rester dans l’Oasis. Je restais cependant calme au milieu des effusions de joie de mes amis. Je réfléchissais intensément. Puis, je pris une décision capitale, mais définitive. 
« Je ne désire pas m’installer dans l’Oasis. 
- Pardon ? 
- Comment ? 
- Je comprends. 
Ce fut la douce voix d’Ivan qui calma mes deux amis.
- Pierre, Marie, je sais que notre vie ici serait parfaite, mais je refuse de profiter égoïstement de cette ville alors que le monde entier pourrait ressembler à cet endroit. Je veux retourner dans le monde normal, pour le changer, parce que je suis certain que si la perfection de ce lieu pourra difficilement être égalée, on peut au moins essayer de s’en approcher. »
Après des adieux larmoyants mais remplis d’espoir et de confiance, je me tournais face à la mer, avant d’acquiescer à la demande silencieuse d’Ivan, et de plonger dans un profond sommeil.