cette ombre avait la forme d'une personnes qui m'est familière. Avant de dire quelque chose elle me dit : Ne craint rien mon enfant , reste et écoute. Je viens pour te remercier de ce film qui retrace toutes ces longues années passées à travailler pour les khmers rouges. Ce qui va peut-être t’étonner, c’est que contrairement aux spectateurs, j’étais présent au Cambodge dans les années 70. Vivant oui et proche de toi. J’ai subi les mêmes atrocités.

Je me souviens moi aussi de mon ancienne vie avec ma femme et mes enfants. Je revois ces moments d’insouciance et de joie quand j’allais au concert avec mes amis. Avant.

Avant que notre univers soit détruit, anéanti par les khmers rouges.

Je ne sais où tu as trouvé la force nécessaire pour illustrer et reconstruire de tes mains avec autant de réalisme ce douloureux passé. Comme à toi chaque figurine d’argile me parle. Je reconnais chacun, ma femme, mes enfants, ma famille, moi.  C’est vrai, toutes les images ont été détruites. Mais tu les as recréées. Tu nous as reconstruits.

J’étais à coté de toi à chaque scène, je t’ai suivi au montage, j’ai vu ton hésitation, j’ai vu ta douleur, j’ai vu ta volonté pour ce travail de mémoire. Pour ne pas oublier ce qui marqua à jamais tes yeux d’enfant :  notre vie devenue un enfer, le travail sans repos, les exodes, la fin de nos camarades qui s’effondraient devant nous d’épuisement, de faim et de déshydratation. Comprendre que n’étant   plus rien nous étions condamnés à mourir lentement dans la souffrance sans pouvoir nous révolter.

Je suis fier de voir l’homme que tu es devenu en mon absence. Tu te demandes qui je suis et pourquoi je te raconte tout cela. Reste encore un moment. Je suis ton plus grand admirateur. Je ne t’ai pas retrouvé après toutes ces années. J’ai toujours été là.

Quel bruit, cette sonnerie, l’heure du bateau, quel bateau ?

Père ! cria Rithy en se redressant brusquement dans son lit.

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