Une  première définition du réalisme pourrait être celle d'une copie de la réalité mais cette définition semble restrictive. Si l'on oppose le réalisme ne peinture à l'idéalisme classique, on y voit généralement la volonté de montrer le réel avec la plus grande exactitude possible, dans un souci de réalisme mais aussi de Vérité. Ce qui  fait écrire à Stendhal, par exemple, que le roman ressemblerait à un miroir que l'on promène sur une grande route. De ce fait, la question du réalisme dans le roman est liée au mode de représentation : l'oeuvre y reflète une partie de l'expérience humaine et les personnages des romans dits réalistes  ressemblent à des individus particuliers qui évoluent dans un cadre authentique qui forme un arrière -plan à partir duquel le romancier extrait des éléments de leur comportement.D'où l'importance des descriptions vues sous cet angle car elles constituent un facteur important du mode de représentation réaliste.Cependant , Flaubert fait partie de cette catégorie d'écrivains qui se sentent incapables de restituer l'intégralité de la réalité: il avoue se contenter de transposer ce qu'il faut d'authenticité pour assurer la vraisemblance de son monde fictif et donner ainsi l'illusion d'une forme de réalité. Car  l'objectif de Flaubert va au delà d'un simple calque et quand il écrit qu'il "exècre le réel et qu'il écrit Madame Bovary "en haine du réalisme" , cela signifie qu'il remet en cause la perception même de "la fausse réalité dont nous sommes bernés par le temps qui court" ; C'est ce qu'il écrit dans une lettre en 1866 et il faut donc comprendre que dans son roman, il a tenté de déconstruire au moyen de l'ironie les discours convenus sur le monde. Il n'a pas cherché tant à représenter la réalité qu'à dénoncer ce que d'aucuns prennent pour la réalité alors que ce ne sont qu'illusions et mensonges. 

Examinons donc les éléments qui rattachent le roman au réalisme tel que nous l'avons défini au début de cette introduction. Il est indéniable que les description occupent une très grande place dans le roman , car comme nous l'avons montré, l'auteur a besoin de placer les personnages dans un cadre réaliste. La campagne normande forme le cadre principal à travers notamment les nombreux bourgs cités comme Yonville, Quincampoix Brideville, Yvetot et  les quartiers de Rouen , les noms des hôtels où descendent Emma et Charles, Emma et Léon. Le début de la seconde partie, l'arrivée à Youville occupe des dizaines de pages dans le roman, tout cela pour un "paysage sans caractère" ; le narrateur souligne à dessein la platitude du lieu. Rouen , cadre principal de l'idylle entre Emma et Léon est doublement décrite car elle est fantasmée par Madame Bovary qui s'imagine dans une "Babylone" et admire la capitale normande, pour elle lieu de délices .

Beaucoup d'autres éléments du roman, à commencer par son sujet, peuvent se rattacher à une esthétique réaliste; En , effet, Flaubert reprend avec Madame Bovary un motif courant, celui de la femme mal mariée qui reflète les moeurs de cette époque où les mariages d'amour n'étaient pas  majoritaires; Mariées à des hommes plus âgés, loin de leur famille, cantonnées aux tâches ménagères, de nombreuses jeunes femmes s'ennuyaient et cherchaient des distractions pour rompre la monotonie de leur vue conjugale. Le personnage d'Emma prend sa source d'ailleurs dans un fait divers dont fut témoin l'écrivain et de tels cas étaient fréquents. Mais l'art du romancier consiste alors à dépasser la réalité pour offrir au lecteur un portrait des dangers de ces errances sentimentales .

On pourrait également noter parmi les éléments réalistes l'importance des petits détails qui font vrai comme par exemple, tous ces objets dont certains jouent un rôle très important dans le roman. Ils déterminent les relations entre les personnages et leur circulation de l'un à l'autre joue un rôle dans l'intrigue. Non seulement ils renforcent l'illusion réaliste mais en plus, ils prolongent, en quelque sorte, le personnage auquel ils sont rattachés. Les objets durant le séjour à la Vaubyessard reflètent les rêves et les envies d'Emma: c'est pourquoi elle conserve comme une relique le porte-cigares tout bordé de soie verte du Comte que Charles ramasse sur la route. Mais ces objets apparaissent surtout à travers le champ d'un regard: celui du personnage qui les convoite ou les rejette. A l mort d'Emma, son mari sera d'ailleurs incapable de se séparer des objet qui garnissaient la chambre de sa femme : "il ne pouvait se retenir de toucher continuellement  à son peigne, à  ses bagues, à son fichu." 

Un autre élément qui fait pencher le roman du côté de l'esthétique réaliste, c'est la manière dont Flaubert décrit les corps et les sensations qu'il déclenchent; Emma est d'ailleurs dépeinte comme une sensitive et elle remontrera particulièrement sensible aux odeurs, aux couleurs et aux changements de température.Le récit de l'amputation d'Hippolyte et surtout celui de l'agonie d'Emma regorgent de précisions cliniques; Il en va de même pour les indications de Homais et les termes scientifiques qu'il emploie. La précision du vocabulaire te le recours aux lexiques spécialisés sont ainsi des marques de réalisme et rappellent l'écriture de Balzac et celle de Zola. Les lecteurs de l'époque étaient choqués par ce vocabulaire cru et ces références à la sexualité, à la vie des corps aimants ou souffrants; Ce reproche est l'un des plus fréquents pour ceux qui condamnent ce type d'écriture qu'ils qualifient d'ordurière.

Flaubert a  beaucoup commenté ses difficultés durant la rédaction de Madame Bovary et  certains ont trait , justement, au conflit entre les préceptes du réalisme et la tendance naturelle de l'auteur qui le pousse au lyrisme. Conscient qu'à rester proche de la réalité, on peine à s'élever au-dessus du médiocre, des situations communes et de la trivialité des échanges, l'écrivain doit alors s'appuyer sur la force de son style pour séduire ses lecteurs et les tenir en haleine. Et il confie ce rôle à l'ironie.  Cette dernière a pour but de montrer la désillusion de ceux pour lesquels le réel n'est pas à la hauteur de leurs rêves. Ce regard désenchanté , c'est avant tout celui d' Emma avant de devenir celui de Léon. Et cette ironie, Flaubert la trouve à l'œuvre dans l'action la plu simple, ou le geste le plus ordinaire ; Ce ridicule intrinsèque de la vie, il tente de le restituer dans son roman mais son ironie nous semble toujours briser les élans lyriques et dénoncer le romantisme des personnages.

En proportion, le romantisme conserve en effet une grande part dans le roman, aussi bien dans l'écriture que dans le contenu lui-même.Par bien des points , en fait Madame Bovary peut apparaître comme une oeuvre lyrique. On y sent en permanence cette tentation du romantisme, que de ce soit du côté des personnages (Emma n'est-elle pas une incorrigible rêveuse ?) ou du côté du narrateur en personne dont les élans lyriques semblent combattus en permanence par l'ironie qui finit par mettre tout esches à distance et par lui ôter sa capacité à nous émouvoir;

Du côté des personnages, en effet, nous trouvons de très fortes influences romantiques; Emma, tout d'abord, a été élevée dans un couvent et abreuvée de lectures sentimentales qui lui ont donné une vision déformée de l'amour; Elle ne rêve que de passions tragiques et s'imagine en héroïne romantique, bravant mille dangers pour aller retrouver son prince charmant. Elle découvre d'abord l'ennui du mariage et de la vie provinciale et lorsqu'elle rencontre Léon, compare cet amour à celui des romans. Rodolphe lui fera découvrir l'adultère et elle pense mourir d'amour quand il la quitte. Flaubert fait donc subir à son personnage l'épreuve de la confrontation avec le réel mais ses illusions ne sont pas encore toutes mortes. C'est ainsi que le projet d'écriture du roman dénonce, à travers ce personnage victime de ses rêves, les dangers d'une vision trop romantique du monde. 

La voix du narrateur, en effet, ne cesse de nous ramener au réel , parce que tout nous invite à le fuir; On a parfois l'impression que Flaubert ne s'attache à la réalité que pour mieux nous en montrer le caractère incontournable et parfois mortifère. Si la vraie vie pour Emma semble ailleurs, elle est pourtant victime d'un véritable empoisonnement et son agonie marque l'un des sommets de l'écriture réaliste de Madame Bovary; Il ne s'agit pas tant de décrire le réel que d'apprendre qu'il n'existe aucun moyen de lui échapper car il finit toujours par nous rattraper. Et ce n'est pas la moindre des leçons de ce roman qui nous laisse un arrière-goût d'échec et de gâchis, comme si quelque part la fiction finissait par ressembler à cet univers étouffant de la bourgeoisie provinciale bien-pensante;

De plus, la dimension réaliste du roman ne résiste pas aux intrigues amoureuses qui s'entrelacent et tissent les fils de la fiction.