Un livre sur rien ? Ce qui me semble le plus beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, ..un livre qui n'aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible."  16 janvier 1852 lettre à Louis Colet. L'expression livre sur rien a plusieurs sens : livre à propos de rien, sans événement majeur,  sans rien d'extraordinaire qui a comme point de départ une histoire banale, un fait divers commun ou livre qui parle des petits riens de tous les jours, du quotidien, de l'ennui. On ne peut pas dire qu'il ne se passe rien dans le roman mais la plupart des actions ne servent à rien ou ne mènent à rien et conduisent à la mort des personnages, le rien définitif, le néant.
 Le sujet du roman "Il n'y a pas en littérature de beaux sujets d'art, et Yvetot donc vaut Constantinople; et en conséquence l'on peut écrire n'importe quoi aussi bien que quoi que ce soit. L'artiste doit tout élever."   Lettre à Louise Colet, 1853 ; Flaubert affirme ici la primauté du style sur les sources mêmes du livre, le sujet . Il reprend en partie l'idéal des Parnassiens qui  considéraient le travail formel comme premier et refusaient le primat des émotions lié soit à l'engagement personnel soit au lyrisme. Maintenant cette affirmation mérite d'être nuancée car certains sujets sont propices à l'écriture. Il est clair que pour Flaubert l'écrivain ne doit pas se contenter de se faire l'écho de certains événements: il doit , au moyen de l'écriture, effectuer une transformation, une transposition du réel. Par élévation, on peut penser que le roman joue un rôle moral et que le lecteur peut ainsi s'affranchir du simple déroulement des faits; l'écrivain extrait du réel des éléments que l'art soumet au jugement du lecteur.
Le style idéal " rythmé comme le vers, précis comme le langage des sciences , et avec des ondulations, des ronflements de violoncelle , des aigrettes de feu. Un style qui vous rentrerait dans l'idée comme un coup de stylet, et où votre pensée enfin voguerait sur des surfaces lisses...( lettre à Louise Colet, 1852.) Ses amis l'engagent à renoncer à son style lyrique et dès lors l'écrivain s'efforce de changer de style, de manière d'écrire ; il adopte souvent un rythme ternaire croissant et travaille ses clausules (les dernières phrases d'un chapitre) ; il s'emploie à bannir métaphores et comparaisons ou donne à ces dernières des référents dévalorisants (tempêtes  et pluies de l'amour comparées à des gouttières bouchées )  et concrets (conversation plate comme un trottoir pour Charles ou tristesse d'une maison démeublée pour le père Rouault au départ d'Emma ) Flaubert s'efforce de construire des joints entre les paragraphes qu'il travaille séparément; Le roman doit apparaître comme un mur uni et on ne doit pas y discerner le ciment entre les pierres; De plus, l'usage récurrent de l'imparfait et la monotonie de ses terminaisons participe à cette sensation de fluidité de la prose;  de même, les glissements permanents entre discours indirect libre et récit contribuent à créer cet effet de monotonie que Proust admirait et qu'il  décrit comme un "grand trottoir roulant".¨ L'étude des brouillons de l'auteur nous montre qu'il avait conçu un plan détaillé et qu'il réécrivait la même page plusieurs fois avant de la réduire d'environ 40 % ; Ensuite, il lit à voix haute et nomme cette étape l'épreuve du gueuloir qui , selon ses dires, lui permet d'éliminer les phrases mal écrites. Il accordait donc vraiment  une très grande importance au style : "l'art en soi paraît toujours insurrectionnel aux gouvernements et immoral aux bourgeois."  déclarera-t-il au cours du procès de 1857.
Genèse et réception :  l'idée est née lors du voyage en Orient ainsi que le nom de l'héroïne; les thèmes sont la femme mal mariée, l'amour inassouvi et certains traits du mysticisme dans un cadre balzacien : affaires d'argent et étroitesse des mœurs provinciales ainsi que le souvenir d'un fait divers tragique de 1848; l'affaire Delamare: cet officier de santé dont la jeune femme adultère, en seconde noces, (Charles est lui aussi veuf d'Héloïse Dubuc) le trompe d'abord avec un gentilhomme (Rodolphe), ensuite avec un clerc (Léon) et s'empoisonne en laissant une fille; Ce dernier met fin à ses jours.(Charles meurt d'amour ?) Le premier scénario comporte les grandes lignes , le second précise les décors et les noms des personnages, les scènes clés et enfin la tonalité ainsi que les ajouts de personnages. Plus de 1700 feuillets de brouillons nous sont parvenus et Flaubert s'est plaint de la rédaction pendant au moins 5 ans. Le roman paraît en feuilletons dans La Revue de Paris dirigée par Maxime Du Camp en six numéros entre octobre et décembre1856 et certaines scènes jugées choquantes sont supprimées sans l'avis de l'auteur (la scène du fiacre). Flaubert est furieux de cette censure et son roman paraît chez Michel Lévy en avril 1857. L'avocat Ernest Pinard demande alors la condamnation de l'auteur, de l'éditeur et de l'imprimeur pour "couleur lascive " et "délit d'outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs"; Selon le réquisitoire de maître Pinard, le roman fait l'éloge de l'adultère et ridiculise les tenants de l'ordre (pharmacien, médecin, prêtre, notaire) . Flaubert n'est pas condamné mais on lui reproche de ne pas avoir été assez sévère avec son héroïne. Le procès fait de la publicité au roman mais certains critiques littéraires  reprochent à Flaubert ses idées politiques; on trouve également le style trop impersonnel. La postérité: Maupassant et Zola admirent le style de Flaubert et le bovarysme, expression inventée par Jules de Gautier va définir une attitude psychologique qui consiste à trouver la réalité décevante par rapport aux modèles donnés dans la fiction et à se croire autre que ce qu'on est réellement.