mar.27
Les personnages gidiens : Edouard en maître de cérémonie ?
Notons tout d'abord que Gide refuse les descriptions physiques et caractérise ses personnages par leur langage: ce sont des êtres de parole . Le romancier déclarer chercher l'expression directe "révélatrice de son état intérieur " ( journal p 82 ) Ensuite , il entend leur faire jouer un rôle dans l'intrigue et les classe en catégories : le jeune héros qui découvre le monde (Olivier , Bernard) , les maîtres à penser (, les garants de l'ordre (les pères Molinier et Profitendieu et Vedel) , les rebelles ou faux rebelles comme Bernard , le suppôt de Satan (Robert et sa comparse Lilian ) , la jeune femme éplorée (Laura) . Comme beaucoup de romanciers, il fabrique ensuite un système des personnages avec des doublons, des opposés et des variations; Quel rôle joue Edouard au sein de ce sytème ? Est-il vraiment un personnage comme les autres ?
Edouard semble avoir une place bien particulière dans l'édifice du roman car se carbets constituent une sort edu récit dans le récit qui li donner du relief et nous permettent , à la fois, d'avoir de nouvelles informations et une sorte de conscience centrale différente de celle du narrateur. Edouard serait-il l'incarnation du pédagogue, maître à penser qui formerait les esprits ; Il exerce en effet une influence considérable sur Olivier et Bernard ; il es montre attentif et encourage leurs progrès; A bernard qu'il a accepté d'engager et qu'il conseille, il dira : "il est bon de suivre sa pente pourvu que ce soit en montant " : leçon de morale destinée à l'engager dans la voie du Bien et du Naturel; Il représente l'opposé du comte Robert de Passavant, lui aussi écrivain mais homme d'artifice , manipulateur et à travers lequel Gide critique la futilité de certains hommes de lettres .
Edouard reçoit dans la dernière partie la visite de plusieurs personnages dans son atelier de Passy : ils viennent lui demander conseil ; C'est surtout avec Olivier qu'il va donner la pleine mesure de son art d'éduquer : leur relation commence par une série de malentendus; chacun se méprend sur les intentions de l'autre et décode à l'envers les signaux émis par son vis à vis; C'est la scène de leur rencontre à la gare Saint-Lazare; Le départ d'Edouard en Suisse où il va "sauver "Laura et transmettre la lettre de La Pérouse à son petit-fils Boris (il sert alors d'intermédiaire, de messager ) nous permet de mieux le découvrir et à son retour, il rat encore Olivier qui le cherche chez lui alors qu'il est auprès de al mère de ce dernier . D'où le commentaire ironique du narrateur : "Pauvre Olivier ! Au lieu de se cacher de ses parents , que ne retournait-il chez eux simplement , Il eût trouvé son oncle Edouard prés de sa mère "
Cette relation d' oncle-neveu , mêlée à une histoire d'amour homosexuelle , a pu choquer les lecteurs de l'époque d'autant qu'elle faisait écho à une autre publication scandaleuse de Gide Corydon, dans laquelle il vantait les mérites de la relation grecque. Olivier tente alors de se suicider "par excès de bonheur " et le couple après avoir affronté leur démon en la personne de Robert de Passavant, le débaucher, semble s'installer dans une relation harmonieuse. Un amour respectueux mais qui prend les traits d'un amour paternel : " je le berçais sans rien dire comme un enfant" note Edouard dans son carnet à propos d'Olivier .Cependant la dernière ligne du roman est terriblement ambigüe; Invité à dîner chez les Molinier, Edouard se réjouit de rencontrer le petit Caloub; Le romancier a-t-il voulu créer une dernière ouverture ou souligner le risque d'infidélité d'Edouard qui serait juste attiré par les jeunes adolescents ?
Edouard est-il vraiment le double de Gide ? Tout comme lui,il cherche à écrire un roman et ses carnets sont en fait la quasi transposition des questions que Gide note dans son propre journal des Faux-Monnayeurs . seulement Edouard va échouer là où Gide lui réussira comme en témoigne la publication du roman ; Edouard ne parvient pas à choisir entre toute les idées qui le tentent et toute les techniques qu'il souhaiterait expérimenter. Gide représenterait donc le dépassement d'Edouard et le triomphe sur l'indécision et l'incapacité à choisir . Que savons nous d'Edouard ?
Agé de 38 ans, c'est un écrivain et il est amoureux d'Olivier , son neveu; cet amour est décrit comme une saisie de l'âme "j'ai senti que ce regard s'emparait de moi et que je ne disposais plus de ma vie " Cependant ce qui est troublant, c'est que les termes employés sont les mêmes qu ceux qu'Edouard utilise pour décrire ce qu'il ressent pour Laura : "j'abandonne mon émotion et ne connait plus que la sienne " Et à propos d'elle encore, Edouard insiste sur son désir de l'instruire, de al convaincre, de la séduire . Elle a 16 ans lorsqu'il la rencontre (lui 28 ) et il la trouve tout naturellement enfantine . Il est troublant de constater cette similitude dans les termes ; Edouard disserte alors sur l'amour dans son carnet et conclut : "par un étrange croisement d'influence amoureuse, nos deux êtres se déformaient .Invonlontairement, inconsciemment, chacun des deux êtres qui s'aiment se façonne à cette idole qu'il contemple dans le coeur de l'autre; Quiconque aime vraiment renonce à la sincérité . " Nous sommes tous en quelque sorte des faux-monnayeurs de l'amour ou plutôt l'amour est de la fausse monnaie..
Il évoque l'amour en termes chastes mais ne pense qu'à fréquenter les lieux troubles dès son arrivée à Paris car il a été sevré de plaisir en Angleterre, note -il dans son carnet . Lorsque Olivier dort chez lui, il n'ose appeler un médecin de peur d'une enquête: son homosexualité n'est pas totalement assumée et il a parfois des allures qui pourraient évoquer un homme attiré par les jeunes hommes. Il se prétend amoureux de Laura avant de la repousser et de la pousser, désespérée dans les bras de Félix. Avec le comte Robert de Passavant, ils forment un étrange duo : il est jaloux de son succès et le critique : "Passavant prétend éclairer l'opinion; c'est à dire qu'habilement il l'incline. (partie 1 chap 8 ) Il le trouve charmant mais ses livres lui déplaisent et il voit en lui un faiseur donc un faux-monnayeur des sentiments qui trompe ses lecteurs .
Edouard est le personnage clé : il est le lien entre toutes les sphères du roman et ses carnets constituent une voix centrale. 17 chapitres sur les 45 que compte le roman contiennent des extraits des carnets d'Edouard ; Il écrit un journal intime mais ce dernier ne mentionne pas les années ; juste des dates et des notations variées ,essentiellement sur l'art d'écrire . On ne connaît pas le nom de ces livres mais il a , déjà, semble t-il des lecteurs et une certaine réputation même s'il n'a pas très envie de voir son roman publié dans les boutiques des gares . On sait qu'il travaille sur un projet de roman qu'il intitule : Les Faux-Monnayeurs. Il est tentant d'y voir, effectivement, une projection de Gide lui-même car comme l'écrit ce dernier dans son journal : " je lui prête beaucoup de moi d'ailleurs " Journal, p 67, 1922 . mais le lecteur sait également qu'il échouera à terminer ce livre ou il peut peut-être imaginer que Les faux-Monnayeurs sont l'aboutissement de son projet initial.
Personnage central car il va liaisonner les différentes intrigues et nous faire découvrir l'intérieur des familles Molinié et Profitendieu . Il va rencontrer fortuitement Bernard l'ami d'Olivier (et son rival au départ dans le coeur du jeune homme ) et va aller trouver Laura qui lui a écrit une lettre où elle l'appelle au secours. Par les parents de Laura il est lié à la pension Vedel où il travaillé durant deux ans et il va y faire admettre le jeune Boris qui va ainsi devenir la victime des jeunes faux-monnayeurs dirigés par Strouvilhou ;nous allons y retrouver Georges qui occupe une place importante au sien de al confrérie des rubans jaunes ..
Edouard n'est donc pas tout à fait un personnage comme les autres : il est à la fois le lien par sa position de médiateur entre les différents personnages , le liant par l'adjonction de son journal dans la trame même des faux-monnayeurs et une sorte de regard qui double celui du narrateur de même que de nombreux traits de son personnage doublent des pensées de Gide . Il constitue un projection de l'auteur à la fois idéalisée et redoutée.