nov.25
La notion de héros pour Gide dans Les Faux-Monnayeurs
Pour interroger la notion de héros, encore faut-il la définir et définir ses variations . L'un des moyens les plus simples consiste à revenir sur l'histoire littéraire et notamment sur l'histoire de l'évolution des personnages de roman; Alors qu'au Moyen-Age le héros épique se définit par son courage et sa capacité à surmonter les obstacles , dès l'âge classique, la notion d'héroïsme est inséparable de la possession de valeurs morales comme l'honnêteté et l'esprit . Les Philosophes des Lumières définissent le héros comme un homme qui cherche à s'élever dans la société par différents moyens ; Cet idéal se poursuit au siècle suivant: Le courant réaliste multiplie les modèles de héros qui désormais pourront provenir de toutes les couches sociales et ne se limitent plus à un type unique et uniforme; Il faudra attendre le début du siècle suivant pour voir apparaître la notion de anti-héros; Il désigne les personnages qui ne se démarquent plus par leurs actions hors du commun mais qui , au contraire, se fondent dans la masse des anonymes .
Quelques idées et réflexions variées Le roman gidien représente un tournant dans l'évolution du genre ; Les personnages y sont multiples et peu caractérisés par leurs actions et il est bien difficile de déterminer leur héroïsme si l'on se base sur la définition historique du mot; On adoptera donc pour simplifier les analyses la distinction entre le premier sens d'héroïque qui tend à se confondre avec la valeur d'un personnage et le second sens de protagoniste plus ou moins central au sein d'une intrigue.
Examiner la valeur du héros gidien revient en fait à sonder le statut du personnage. Il était possible de partir des différentes réflexions de Gide dans son Journal autour de la notion même de héros; Lafcadio pouvait représenter l'état initial de la pensée de l'écrivain autour de cette notion. Il considérait ce personnage comme le héros idéal : " orphelin, fils unique, célibataire et sans enfant " . Pourtant , ce personnage s'est dédoublé dans le roman et s'est en quelque sorte subdivisé en s'incarnant à la fois en Bernard, le bâtard révolté et en Edouard l'écrivain ; Cette segmentation de Lafcadio témoigne de la volonté de l'auteur de fragmenter et de déconstruire l'image du héros initial ; cette idée nous conduit à réfléchir à un éparpillement de l'image du héros à travers une multiplicité de personnages : chacun d'eux contiendrait un micro- héros au sein d'une des intrigues secondaires . Cette tendance va de pair avec la fragmentation de la notion même de personnage et la disparition de la notion de héros dans le Nouveau-Roman . Ainsi cet éparpillement nous conduirait à voir de l'héroïsme dans l'attitude de Boris, dans le sacrifice de Rachel et pourquoi pas dans la mort de Bronja, figure de martyre et victime innocente dans le roman; Cependant ces personnages ne sont que des comparse et jouent des rôles restreints dans la trame événementielle : de là à penser que les véritables héros sont souvent des perdants et que le monde moderne condamné l'héroïsme d'autrefois; Pour tenir une place de haut rang, désormais, il faut être cynique comme Robert de Passavant que tout le monde admire alors que c'est le diable incarné, manipulatrice comme lilial Griffith dont la victoire sera de courte durée et que le romancier finit par condamner, victime du démon qui s'est emparé de l'âme du Vincent dès le début du roman; D'ailleurs, dans son Journal, Gide reprend l'idée de donner au démon un rôle de premier plan, voir le premier rôle du récit; On pourrait donc d'une certaine manière dire que le véritable héros du livre, c'est l'esprit diabolique: celui qui pousse Bernard à voler, Vincent à trahir, Edouard à se taire et Olivier à faire les mauvais choix.
Une possibilité d'organisation
I Un roman où on retrouve des héros aux 3 premières places : 3 héros au lieu d'un ?
1; Bernard le héros initial du roman d'apprentissage
le récit débute avec lui, suit son parcours, montre ses épreuves , ses victoires et ses défaites
2, Edouard le héros central , l'axe principal du roman
il est un lien avec toutes les intrigues et tous les personnages, une sorte de ciment de l'oeuvre, son Journal en fait un personnage à part
3, Olivier : le héros idéal, une projection de l'auteur à travers la fiction
il est tenu à distance mais finit toujours par revenir sur le devant de la scène, il est le lien enter Bernard et Edouard, c'est un coeur pur
mais aucun ne correspond vraiment aux critères définis par soit l'histoire du roman soit Gide lui-même (Edouard agaçant, Olivier mou et faible, Bernard voleur et menteur)
II En fait le roman est construit sur a volonté de ne pas placer de héros dans le roman : un roman sans aucun héros
1. La règle des personnages de céder la place aux autres
Gide tient à ce qu'aucun des personnages ne soit au premier plan et il organise leurs apparitions et leurs disparitions : une sorte d'équilibre nouveau du roman kaléidoscope de visions
2. La construction par micro récits donc micro- héros de certaines séquences (La Pérouse, Armand, Madame Molinier )
chaque personnage devient le héros de certaines séquences , d'anecdotes qui tournent autour de lui et de ses aventures : Georges héros du récit de son vol, Armand un héros cynique qui cache un homme blessé...)
3. le refus des règles du réalisme : pas de description et pas de connaissance complète des personnages : une sorte de héros collectif l'image du gang
III En fait, des touches d'héroïsme éparpillées dans les différents personnages : l'individualisme cède la place à la déconstruction
1. les victimes du monde "faux " : les véritables héros au sens d'autrefois ?
2. des héros négatifs ou des anti-héros peu admirables : la part des noms au profit de l'anonymat des forces collectives (identités masquées et faux -semblants )
3. Le diable= le modèle d'organisation ; le seul qui finit toujours par triompher de tout .?
CCL : Un roman qui signe l'échec des modèles traditionnel des héros car le monde a changé et le roman se doit d'enregistrer les changements liés à la modernité et au triomphe des fausses valeurs . Dans un monde dévoyé où règne la fausse monnaie et les faux sentiments, les véritables héros disparaissent au profit d'esprits pervers ou diaboliques qui perdent leur humanité mais triomphent justement là où règne l'hypocrisie.